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Date : 20160426


Dossier : A-532-14

Référence : 2016 CAF 130

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RYER

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

AGNICO-EAGLE MINES LIMITED

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 janvier2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 avril 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RYER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS


Date : 20160426


Dossier : A-532-14

Référence : 2016 CAF 130

CORAM :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RYER

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

AGNICO-EAGLE MINES LIMITED

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RYER

[1]               La Cour est saisie d’un appel interjeté par Sa Majesté la Reine (« la Couronne ») à l’égard d’une décision de la juge Judith Woods (« la juge ») de la Cour canadienne de l’impôt rendue le 4 novembre 2014 (2014 CCI 324).

[2]               La juge a accueilli l’appel d’Agnico-Eagle Mines Limited (le « contribuable ») à l’égard de nouvelles cotisations (les « nouvelles cotisations ») dans lesquelles le ministre du Revenu national (le « ministre ») avait déterminé que le contribuable avait réalisé des gains de change par suite de conversions (individuellement, « conversion ») de certaines de ses débentures convertibles (les « débentures convertibles ») exprimées en dollars américains ($US) en actions ordinaires (les « actions ordinaires ») au cours des années d’imposition 2005 et 2006 du contribuable.

[3]               Les nouvelles cotisations ont été établies conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (« la Loi »), dans la version en vigueur au cours de chacune des années d’imposition du contribuable visée. Sauf indication contraire, les renvois à des dispositions législatives renvoient aux dispositions correspondantes de la Loi.

[4]               En accueillant l’appel, la juge a conclu qu’aucun gain de change n’avait été réalisé par le contribuable sur les conversions survenues durant ses années d’imposition 2005 et 2006. Cette conclusion était fondée sur l’interprétation faite par la juge des modalités d’un contrat bilatéral daté du 15 février 2002 (le « contrat bilatéral ») applicable aux débentures convertibles.

[5]               Selon son interprétation de ces modalités, les détenteurs de débentures convertibles qui exerçaient leur droit d’acquérir des actions ordinaires au moment de la conversion terminaient essentiellement la souscription d’actions ordinaires qu’ils avaient faite au moment de souscrire et d’acquérir les débentures convertibles. Soit dit en tout respect, je suis d’avis qu’en faisant cette interprétation, la juge a commis une erreur susceptible de révision qui justifie notre intervention.

[6]               Interprétées comme il se doit, les modalités pertinentes du contrat bilatéral stipulent qu’en cas de conversion, la dette du contribuable constatée par les débentures convertibles converties aura été remboursée par l’émission du nombre prévu d’actions ordinaires.

[7]               Comme il sera expliqué de façon plus exhaustive plus loin, cette interprétation m’amène à conclure que les gains visés par les nouvelles cotisations ont été déterminés de manière incorrecte. J’en conclus donc que l’appel devrait être accueilli.

I.                   CONTEXTE

[8]               Les parties ont déposé un exposé conjoint partiel des faits devant la juge. Pour les besoins du présent appel, les faits pertinents sont présentés ci-après. Dans les présents motifs, toutes les sommes d’argent sont exprimées en monnaie canadienne ($CA), sauf indication contraire.

[9]               Le contribuable est une société ouverte au sens du paragraphe 89(1) qui est assujettie à la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. B.16 (« la LSAO »).

[10]           Durant toute la période entre 2002 et 2006, les actions ordinaires étaient cotées à la Bourse de New York (« NYSE ») et à la Bourse de Toronto (« TSX »).

[11]           Les administrateurs du contribuable ont adopté des résolutions prenant effet le 30 janvier 2002 (les « résolutions d’émission ») approuvant l’appel public à l’épargne au moyen de débentures convertibles, y compris des ententes avec les souscripteurs, le dépôt d’un prospectus (le « prospectus ») et l’inscription des débentures convertibles aux fins de négociation.

[12]           Les résolutions d’émission autorisaient le contribuable à conclure le contrat bilatéral avec une société de fiducie à titre de fiduciaire pour et au nom de chaque personne (un « détenteur ») ayant acquis une débenture convertible. Les principales modalités du contrat bilatéral, dans la mesure où elles concernent le présent appel, sont les suivantes :

a)      chaque débenture convertible constitue une promesse par le contribuable de payer au détenteur la somme de 1 000 $US (le « principal ») le 15 février 2012 (« l’échéance » ou la « date d’échéance »), promesse soutenue par une forme de sûreté (la « formule de sûreté des débentures convertibles ») contenue dans une annexe au contrat bilatéral;

b)      chaque débenture convertible porte intérêt au taux annuel de 4,5 % sur le principal, payable semestriellement;

c)      la dette du contribuable envers le détenteur d’une débenture convertible était subordonnée, quant au droit de remboursement, au paiement complet de certaines obligations du contribuable définies dans le contrat bilatéral comme [traduction] « dette prioritaire »;

d)     sauf si un cas de défaut, au sens prévu à l’article 1.1 du contrat bilatéral (un « cas de défaut »), s’est produit, à la date d’échéance, le contribuable a le droit, qu’il peut exercer sur avis écrit donné au détenteur, d’opter de payer le principal impayé à cette date des débentures convertibles, majoré des intérêts accumulés et impayés (le « montant à l’échéance »), en actions ordinaires plutôt qu’en espèces;

e)      en tout temps le 15 février 2006 ou après cette date, le contribuable a le droit, qu’il peut exercer sur avis écrit donné au détenteur (un « avis de rachat »), de racheter (« rachat ») la totalité ou toute portion des débentures convertibles en circulation à un prix (le « prix de rachat ») égal au montant global du principal des débentures convertibles retenues pour rachat, plus l’intérêt accumulé et impayé sur ces débentures convertibles, s’il en est. À compter de la date de l’avis de rachat, la somme correspondant au prix de rachat des débentures convertibles indiquée dans le contrat devient exigible à la date indiquée dans cet avis (la « date de rachat »). À condition qu’aucun cas de défaut ne se soit produit, le contribuable a le droit d’acquitter son obligation de payer une partie ou la totalité du prix de rachat en actions ordinaires;

f)       le nombre d’actions ordinaires que le contribuable était obligé d’émettre s’il choisissait de payer le montant à l’échéance ou le prix de rachat en actions ordinaires a été déterminé par une formule dans laquelle le montant global à l’échéance ou le prix de rachat était divisé par 95 % du nombre défini à l’article 1.1 du contrat bilatéral comme étant le [traduction] « cours actuel » d’une action ordinaire, qui correspond essentiellement au cours moyen pondéré de l’action ordinaire à la NYSE sur une période de 20 jours précisée dans la définition;

g)      en tout temps à la date d’échéance ou à la date de rachat ou avant, les détenteurs ont le droit de convertir leurs débentures convertibles à raison de 71,429 actions ordinaires pour chaque débenture convertible (le « taux de conversion »), sous réserve d’ajustements dans certaines circonstances qui ne sont pas pertinentes pour le présent appel, sur avis (« l’avis de conversion ») donné par ou pour le compte du détenteur. Les conversions sont réalisées à la date (la « date de conversion ») à laquelle la totalité des formalités précisées dans la formule de sûreté des débentures convertibles sont accomplies. En conséquence d’une conversion, un détenteur cesse d’être un détenteur de la créance constatée par chaque débenture convertible ayant été convertie et reçoit le nombre précisé d’actions ordinaires en règlement intégral de la créance. Sauf dans certaines circonstances qui ne sont pas pertinentes pour le présent appel, un détenteur qui a donné un avis de conversion n’avait droit à aucun paiement à l’égard des intérêts accumulés et impayés sur une débenture convertible au moment de la conversion. Une disposition importante du contrat bilatéral à cet égard est la partie suivante de l’article 12.3, qui est ainsi rédigée :

[traduction] Nul paiement ni rajustement ne sera effectué au titre des dividendes versés sur des actions ordinaires ou de toutes autres distributions faites relativement à celles-ci, sauf ainsi que le prévoit l’article 12. Les actions ordinaires émises lors de la conversion (ainsi que le paiement en espèces, le cas échéant, à la place de fractions d’actions) sont imputées à l’extinction complète de l’obligation de la société de rembourser le principal.

[Non souligné dans l’original.]

h)      au moment d’une conversion, le nombre d’actions ordinaires qui doivent être émises au détenteur ayant donné un avis de conversion n’inclue pas de fraction d’une action ordinaire. Le contribuable était plutôt tenu d’effectuer un paiement en espèces en lieu et place de l’émission d’une fraction d’action. C’est ce qui est indiqué à l’article 12.4 du contrat bilatéral, qui est ainsi rédigé :

[traduction] 12.4 Fraction d’action

La société n’émettra pas de fraction d’action à la conversion d’un titre. La société versera plutôt un paiement en espèces pour la valeur marchande actuelle de la fraction d’action, dont le montant sera déterminé par la multiplication du prix de vente (à la séance à l’égard de laquelle le prix de vente est déterminé), (i) à la date de conversion, si la date de conversion est un jour de séance, ou (ii) si le jour de conversion n’est pas un jour de séance, au dernier jour de séance précédant la date de conversion, d’une action complète par la fraction, le produit étant arrondi au cent complet le plus proche, un demi-cent étant arrondi vers le haut.

[Non souligné dans l’original.]

i)        l’exécution de l’obligation du contribuable à l’égard de la créance constatée par les débentures convertibles est prévue à l’article 10.1 du contrat bilatéral, qui est ainsi rédigé :

[traduction] 10.1 Exécution de l’obligation sur les titres.

(a) Lorsque la société aura livré au fiduciaire la totalité des titres en circulation (autres que les titres remplacés aux termes de l’article 2.14) pour annulation ou (ii) après que les titres sont devenus exigibles, que ce soit à l’échéance, à toute date de rachat, à la date de l’achat découlant d’un changement de contrôle, après le choix exprimé par un détenteur de convertir ses titres ou à un autre moment, et que la société aura déposé auprès du fiduciaire, de l’agent payeur ou de l’agent de conversion (selon le cas, conformément au présent contrat bilatéral) des espèces ou des actions ordinaires ou toute combinaison d’espèces et d’actions ordinaires (selon le cas, conformément au présent contrat bilatéral) en quantité suffisante pour payer la totalité de la somme exigible à l’égard de chaque titre en circulation (autres que les titres remplacés aux termes de l’article 2.14), et si dans l’un ou l’autre cas, la société a payé toutes les autres sommes payables en vertu des présentes par la société, le présent contrat bilatéral, sous réserve des articles 4.2 et 9.8, cessera d’avoir effet [...]

[Non souligné dans l’original.]

[13]           Les résolutions d’émission traitent également de l’émission d’actions ordinaires au moment de la conversion, du rachat ou de l’échéance des débentures convertibles. En particulier, la clause 11 de la partie pertinente de ces résolutions [traduction] « Résolution sur la valeur de contrepartie pour l’émission d’actions » est ainsi rédigée :

[traduction][...] il est par les présentes entendu que la contrepartie globale aux fins de l’émission, de temps à autre, de chaque action ordinaire de la société pouvant être émise à la conversion, au rachat ou à l’échéance des débentures, ou d’autres actions ordinaires qui pourraient être émises conformément aux modalités du contrat bilatéral (les « actions ordinaires sous-jacentes »), est définie dans les modalités du contrat bilatéral (la « contrepartie ») et que la juste valeur de la contrepartie n’est pas inférieure à la somme d’argent que la société aurait reçue si les actions ordinaires sous-jacentes avaient été émises en contrepartie d’une somme d’argent.

[Non souligné dans l’original.]

[14]           Le ou vers le 15 février 2002 (la « date d’émission ») :

a)      le contribuable a émis 143 750 débentures convertibles pour la somme de 143 750 000 $US;

b)      les débentures convertibles ont été inscrites aux fins de négociation à la Bourse de Toronto (« TSX »);

c)      le taux de change était de 1,588 $CA pour 1,00 $US, avec pour résultat que le principal de chaque débenture convertible, en monnaie canadienne, était de 1 588 $;

d)     le cours des actions ordinaires à la Bourse de New York (« NYSE ») était d’environ 12,68 $US;

e)      en appliquant le taux de conversion, la valeur de chaque action ordinaire devait augmenter pour s’établir à 14 $US avant que l’option de conversion ne soit « dans le cours », c’est-à-dire avant que le détenteur ne puisse recouvrer une somme au moins égale au principal de 1 000 $US à la conversion d’une débenture convertible.

[15]           Le 13 décembre 2005, les administrateurs ont adopté des résolutions (les « résolutions de rachat ») par lesquelles ils ont ratifié et confirmé les résolutions d’émission et approuvé le rachat de la totalité des débentures convertibles en circulation. Conformément aux résolutions de rachat, le contribuable a publié le 20 décembre 2005 des avis de rachat prévoyant que :

a)      la date de rachat était fixée au 15 février 2006;

b)      le prix de rachat serait établi à environ 1 022,68 $US par débenture convertible, représentant le principal et l’intérêt accumulé sur chaque débenture convertible, et serait payé par l’émission de 63,4767 actions ordinaires;

c)      les détenteurs conservaient leurs droits de conversion; s’ils les exerçaient, ils recevraient 71,429 actions ordinaires par débenture convertible.

[16]           En 2005 (principalement à compter du 20 décembre de cette année-là), les détenteurs de 10 855 débentures convertibles ont donné un avis de conversion et reçu 775 359 actions ordinaires en contrepartie de ces débentures convertibles et de l’extinction de la dette du contribuable à leur égard.

[17]           En 2006, les détenteurs de 131 784 débentures convertibles ont donné un avis de conversion et ont reçu 9 413 189 actions ordinaires en contrepartie de ces débentures convertibles et de l’extinction de la dette du contribuable à leur égard.

[18]           La conversion est survenue à différentes dates de conversion en 2005 et en 2006. À ces dates, le taux de change a varié entre 1,1443 $CA et 1,1726 $CA pour 1,00 $US. Au total, exprimées en monnaie canadienne, ces conversions ont produit les résultats suivants :

Conversions de 2005

Principal à l’émission

Principal à l’extinction

Juste valeur marchande (« JVM ») des actions émises

17 237 740 $

12 648 138,90 $

17 010 809,77 $

Conversions de 2006

Principal à l’émission

Principal à l’extinction

JVM des actions émises

209 272 992 $

152 174 399,90 $

262 029 721,89 $

[19]           Le ou vers le 15 février 2006, 1 111 débentures convertibles ont été rachetées en vertu de l’avis de rachat du 20 décembre 2005, et 70 520 actions ordinaires ont été émises en contrepartie de la cession de ces débentures convertibles et de l’extinction de la dette du contribuable en découlant. Exprimés en monnaie canadienne, ces rachats ont produit les résultats suivants :

Rachats de 2006

Principal à l’émission

Principal à l’extinction

JVM des actions émises

1 764 379 $

1 282 205,10 $

1 946 780 $

[20]           Dans sa déclaration de revenus de 2005, le contribuable n’a déclaré aucun gain en capital à l’égard des conversions effectuées durant son année d’imposition 2005.

[21]           Dans une nouvelle cotisation datée du 11 février 2011 (la « nouvelle cotisation de 2005 »), le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard du contribuable pour son année d’imposition 2005 au motif que le contribuable était réputé, par l’application du paragraphe 39(2), avoir réalisé un gain en capital d’une somme totale de 4 499 360 $ à la suite des conversions de 2005. Ces gains représentaient la différence entre le principal des débentures convertibles converties en 2005, exprimé en monnaie canadienne, à la date de leur émission et à la date de leur conversion.

[22]           Le contribuable a fait opposition à la nouvelle cotisation de 2005, le ministre l’a confirmée, et le contribuable a fait appel à la Cour canadienne de l’impôt.

[23]           Dans sa déclaration de revenus de 2006, le contribuable a déclaré un gain en capital à la suite des conversions et des rachats de 2006, appliquant une méthodologie qu’il reconnaît maintenant incorrecte.

[24]           Dans une nouvelle cotisation datée du 29 décembre 2010 (la « nouvelle cotisation de 2006 »), le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard du contribuable pour son année d’imposition 2006 au motif que le contribuable était réputé, par l’application du paragraphe 39(2), avoir réalisé un gain en capital d’une somme totale de 57 676 430 $ à la suite des conversions et des rachats de 2006. Ces gains ont été déterminés essentiellement de la même façon que les gains en capital de 2005 l’avaient été.

[25]           Le contribuable a fait opposition à la nouvelle cotisation de 2006, le ministre l’a confirmée, et le contribuable a fait appel à la Cour canadienne de l’impôt. La juge a entendu ensemble les appels relatifs aux nouvelles cotisations de 2005 et 2006.

II.                LA DÉCISION DE LA JUGE

[26]           La juge a accueilli l’appel du contribuable qui se rapportait aux gains en capital ayant fait l’objet d’une cotisation et découlant des conversions de 2005 et de 2006, mais a confirmé la cotisation relative aux gains en capital réputés en ce qui concerne les rachats.

[27]           La juge a déterminé que les débentures convertibles avaient été éteintes par la conversion et le rachat. Elle était d’avis que la question de savoir si le contribuable avait fait un gain en raison des fluctuations de la valeur d’une monnaie étrangère, aux termes du paragraphe 39(2), appelait une comparaison entre la somme reçue par le contribuable en contrepartie de l’émission des débentures convertibles et le montant versé par lui pour éteindre les débentures convertibles, ces deux sommes d’argent étant exprimés en dollars canadiens.

[28]           Renvoyant à l’arrêt Teleglobe Canada Inc. c. Canada, 2002 CAF 408 [Teleglobe], la juge a conclu que la somme payée par le contribuable pour éteindre les débentures convertibles par l’émission d’actions ordinaires ne correspondait pas nécessairement au cours des actions ordinaires au moment de leur émission. La somme payée était celle en contrepartie de laquelle les actions avaient été émises, calculée en fonction de la convention conclue entre les parties.

[29]           La juge a rejeté l’affirmation du contribuable selon laquelle les actions ordinaires avaient été émises en contrepartie d’une somme égale à la juste valeur marchande des débentures convertibles au moment de leur conversion, parce qu’à son avis, cette affirmation ne cadrait pas avec les documents de l’opération ni avec l’engagement pris par le contribuable d’émettre 71,429 actions ordinaires pour chaque débenture convertible au moment de la conversion de celle-ci.

[30]           La juge a conclu que l’action ordinaire était émise à 14 $US, puisque « [l]e contrat bilatéral et le prospectus prévoient clairement que les actions ordinaires doivent être émises pour la somme de 14 $US l’action ordinaire » (motifs du jugement, par. 52). La juge en a donc conclut que la somme payée par le contribuable pour l’extinction de chaque débenture convertible était de 1 000 $US (c’est-à-dire 14 $US par action ordinaire multiplié par 71,429 actions ordinaires).

[31]           Ayant établi que la somme payée par le contribuable à l’extinction de chaque débenture convertible était de 1 000 $US, la juge a ensuite cherché à savoir si et quand ce montant devait être converti en monnaie canadienne, conformément au paragraphe 261(2), qui prévoit que toute somme pertinente dans le calcul des résultats fiscaux canadiens d’un contribuable, au sens du paragraphe 261(1) (« résultats fiscaux canadiens ») qui est exprimée dans une monnaie autre que le dollar canadien doit être convertie en son équivalence en dollars canadiens selon le taux de change au comptant affiché le jour où elle a pris naissance.

[32]           La juge a conclu que la somme de 1 000 $US avait « pris naissance » non pas au moment de l’extinction d’une débenture convertible, mais au moment de son émission. À son avis, c’était à ce moment que le contribuable avait reçu la « véritable contrepartie » de l’émission des actions ordinaires.

[33]           La juge en a conclu que la même somme d’argent — soit 1 588 $ — avait été reçue à l’émission de chaque débenture convertible et à son extinction, et que, par conséquent, le contribuable n’avait réalisé aucun gain de change lors des conversions.

III.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[34]           Dans le présent appel, les dispositions législatives pertinentes sont le paragraphe 39(2), la définition de « montant » au paragraphe 248(1), la définition de résultats fiscaux canadiens au paragraphe 261(1) et le paragraphe 261(2). Ces dispositions sont reproduites ci-après, sous les rubriques où elles sont abordées.

IV.             QUESTION EN LITIGE

[35]           La question en litige dans le présent appel est de savoir si la juge a commis une erreur susceptible de révision en concluant que le ministre avait fait erreur en établissant une cotisation à l’égard du contribuable lui attribuant, à la suite des conversions de 2005 et 2006, des gains en capital au sens où il faut l’entendre pour l’application du paragraphe 39(2).

[36]           À mon avis, de cette question découlent les suivantes :

a)      La juge a-t-elle commis une erreur susceptible de révision dans son interprétation du contrat bilatéral?

b)      La juge a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en concluant que la somme d’argent payée par le contribuable pour éteindre la dette constatée par les débentures convertibles avait « pris naissance », au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’alinéa 261(2)b), au moment où cette dette avait été créée (c’est-à-dire à la date d’émission) et non à la date à laquelle ladite dette avait été éteinte (c’est-à-dire à la date de conversion)?

c)      La juge a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en concluant que la somme payée par le contribuable pour éteindre la dette constatée par chaque débenture convertible ayant fait l’objet d’une conversion était de 1 000 $US?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[37]           Dans l’appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt, notre Cour applique la norme de la décision correcte aux questions de droit et la norme de l’erreur manifeste et dominante aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit d’où une question de droit peut facilement être dégagée (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8, 10 et 37 [Housen]).

[38]           Au cours des débats, on nous a entretenus de l’effet de l’arrêt récent de la Cour suprême dans l’affaire Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633 [Sattva]. Dans cet arrêt, la Cour suprême traite de la norme de contrôle applicable à l’interprétation judiciaire de contrats. Vu que l’interprétation par la juge en l’espèce portait sur un contrat bilatéral, est-ce que l’arrêt Sattva exige que nous appliquions une norme de contrôle différente de celle habituellement applicable en appel énoncée dans l’arrêt Housen? Pour les motifs exposés ci-après, je répondrais par la négative à cette question.

[39]           Suivant l’arrêt Sattva, plusieurs questions d’interprétation des contrats sont des questions mixtes de fait et de droit, le but de l’interprétation contractuelle — déterminer l’intention objective des parties — étant, de par sa nature même, axé sur les faits, puisqu’elle est éclairée par les faits et les circonstances (Sattva, par. 55). Dans des situations où la question est intimement liée aux faits, la norme de contrôle caractérisée par la déférence, soit la norme de l’erreur manifeste et dominante, s’appliquera en appel (Sattva, par. 50 à 52).

[40]           Cependant, la Cour suprême affirme également que, lorsqu’il est possible de dégager une pure question de droit, comme l’application de la mauvaise norme juridique ou d’un principe juridique incorrect, le défaut de considérer un élément essentiel d’un critère juridique ou un facteur juridique pertinent, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. (Sattva, par. 53).

[41]           Cette démarche est dans le droit fil de l’arrêt Housen, aux paragraphes 33 à 36. Par conséquent, l’arrêt Sattva n’impose pas de s’écarter de la norme de contrôle habituelle à appliquer dans l’appel des décisions de la Cour canadienne de l’impôt.

VI.             ANALYSE

[42]           En vue de traiter la question qui se trouve au cœur du présent appel, j’examinerai dans un premier temps la question de savoir si, compte tenu de la norme de contrôle applicable, l’interprétation faite par la juge du contrat bilatéral doit être annulée, puisque je suis d’avis que la réponse à cette question aura une incidence directe sur les deux autres questions. Par la suite, j’aborderai les dispositions législatives et la jurisprudence pertinentes régissant l’imposition des gains de change prévue par la Loi et leur application aux faits en l’espèce.

A.              L’interprétation du contrat bilatéral

[43]           L’avis de la juge sur les conséquences fiscales découlant des conversions de 2005 et 2006 était fondé sur son interprétation des modalités du contrat bilatéral, et plus particulièrement de celles traitant des conversions. Par conséquent, pour décider si la juge a commis une erreur justifiant notre intervention, la première étape consiste à entreprendre un examen de son interprétation des modalités du contrat bilatéral.

[44]           À mon avis, la juge semble avoir adopté simultanément deux caractérisations différentes et incompatibles du contrat bilatéral ainsi que des droits et obligations juridiques en découlant. Cette incohérence constitue une erreur juridique qui appelle une intervention de notre Cour.

[45]           Au paragraphe 45 de ses motifs, la juge a conclu que les débentures convertibles ont été éteintes lors des conversions et que les actions ordinaires ont été émises en contrepartie de cette extinction. Pour arriver à cette conclusion, la juge a dû conclure qu’à la réception des fonds versés par les détenteurs à la date d’émission, le contribuable avait contracté envers ces derniers une dette de 1 000 $US par débenture convertible, accepté de payer de l’intérêt sur cette dette tant qu’elle avait cours et convenu de la rembourser au moment et dans les formes stipulées dans le contrat bilatéral.

[46]           Comme je l’explique ci-après, je suis d’avis qu’il s’agit là de la bonne caractérisation des débentures convertibles et du contrat bilatéral en vertu duquel elles ont été émises.

[47]           Cependant, les paragraphes 52 à 67 des motifs de la juge semblent être fondés sur une autre caractérisation. Au paragraphe 55, la juge conclut qu’en versant 1 000 $US par débenture convertible à titre de prix de souscription de chaque débenture convertible qu’ils acceptaient d’acheter, les détenteurs l’ont fait en contrepartie du prix de souscription (14 $US par action) des actions ordinaires susceptibles d’être émises à leur égard à condition qu’ils donnent un avis de conversion au contribuable. En d’autres mots, la juge a conclu que la souscription versée par les détenteurs à la date d’émission devait être caractérisée, non pas comme une souscription à l’égard d’une créance sur le contribuable constatée par les débentures convertibles, mais plutôt comme le prix de souscription d’actions ordinaires qui pourraient être émises plus tard si les détenteurs décidaient de convertir leurs débentures convertibles en vertu des dispositions pertinentes du contrat bilatéral.

[48]           La juge a rejeté l’affirmation selon laquelle une conversion constituait un remboursement de la créance constatée par les débentures convertibles au moyen d’une émission d’actions ordinaires. Ce faisant, au paragraphe 65 de ses motifs, la juge a conclu que le passage de la clause 12.3 du contrat bilatéral (reproduite plus haut) et qui, à mon avis, précise que l’émission d’actions ordinaires lors d’une conversion constitue le remboursement du principal des titres convertis, était « enfoui dans une longue clause énonçant les procédures de conversion et [avait] un objet plus limité ».

[49]           Au paragraphe 66, la juge arrive à la conclusion suivante :

[66] Tout ce que l’article 12.3 paraît accomplir, c’est de s’assurer que la dette a été acquittée lors d’une conversion. Cependant, l’émission des actions ordinaires ne fait pas simplement qu’éteindre la dette. Elle éteint également l’engagement d’Agnico d’émettre des actions ordinaires, qui fait partie intégrante du droit de conversion.

[50]           Bien que les conséquences des rachats ne soient pas en litige en l’espèce, il convient de souligner qu’au paragraphe 73 de ses motifs, la juge conclut que les actions ordinaires émises par le contribuable lors du rachat ont été émises en acquittement du prix de rachat des débentures convertibles. Bien que la juge utilise l’expression « en acquittement du prix de rachat », je suis d’avis qu’elle ne veut rien dire de plus qu’il y a eu remboursement de la créance constatée par les débentures convertibles majorée des intérêts courus à la date du rachat.

[51]           À mon avis, la juge a caractérisé les droits et les obligations prévus par le contrat bilatéral comme s’il s’agissait d’une souscription par les détenteurs de 71,429 actions ordinaires à un prix de 1 000 $US dans le cas où leurs débentures convertibles auront été converties en actions ordinaires. D’autre part, la juge a caractérisé les droits et les obligations à l’égard des rachats prévus par le contrat bilatéral comme étant le remboursement du principal de la créance constatée par les débentures convertibles majoré des intérêts courus (c’est-à-dire, le prix de rachat) au moyen de l’émission d’actions ordinaires.

[52]           En d’autres mots, la juge a conclu que le contrat bilatéral constituait une souscription d’actions pour les détenteurs qui ont exercé le droit de conversion qui y était prévu, mais qu’il ne constituait pas une souscription d’actions pour les détenteurs dont les débentures convertibles ont été rachetées.

[53]           La caractérisation des droits et des obligations des détenteurs et du contribuable prévus au contrat bilatéral doit être faite au regard du moment où le contrat bilatéral a été conclu et est entré en vigueur. À ce moment, il n’aurait pas été possible de savoir si les débentures convertibles seraient rachetées, converties ou remboursées à la date d’échéance. Soit dit avec le plus grand respect, il me semble que la juge a caractérisé après coup le contrat bilatéral et les droits et obligations en découlant et que, ce faisant, elle a fait des interprétations incompatibles. Je le répète, selon l’analyse de la juge, le contrat bilatéral constituait une souscription d’actions dans le cas des détenteurs dont les débentures convertibles ont été converties en actions ordinaires, alors qu’il constituait une souscription de titres de créance recouvrable en actions dans le cas des détenteurs dont les débentures convertibles ont été rachetées.

[54]           Je suis d’avis que cette caractérisation après coup est le produit d’une erreur juridique, et nous devons donc intervenir.

[55]           De plus, il semble illogique de prétendre que les détenteurs qui ont acquis des actions ordinaires par des conversions qu’ils ont demandées plus de trois ans après avoir acquis leurs débentures convertibles auraient accepté que le prix de souscription par action soit de 14 $US. En effet, les détenteurs avaient demandé les conversions parce que la juste valeur marchande de chaque action ordinaire au moment où les avis de conversion avaient été envoyés était supérieure à 14 $US. En d’autres mots, la raison pour laquelle les détenteurs étaient disposés à renoncer à recevoir 1 000 $US pour chaque débenture convertible à l’échéance ou les 63,4767 actions ordinaires au rachat comme le prévoyait l’avis de rachat du 20 décembre 2005 (dont la juste valeur marchande globale correspondait à environ 1 000 $US) était précisément que la juste valeur marchande des actions ordinaires qu’ils recevraient à la conversion de chaque débenture convertible serait supérieure à 1 000 $US aux dates de conversion, c’est-à-dire que l’option de conversion était « dans le cours ».

[56]           Enfin, comme je le mentionne précédemment, dans son examen de la clause 12.3 du contrat bilatéral, la juge (au paragraphe 65 de ses motifs), a effectivement fait abstraction de quelques mots de cette clause en disant qu’ils y étaient « enfouis ». À mon avis, la juge a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de ces mots sous le prétexte qu’ils n’étaient pas particulièrement en évidence dans le contrat bilatéral. Dans l’interprétation de tout contrat, le juge doit tenir compte de tous les mots utilisés par les parties pour évaluer la signification objective des modalités de l’accord.

[57]           Par conséquent, à mon avis, l’interprétation faite par la juge des dispositions de conversion a été viciée par une erreur de droit. Cette erreur appelle notre intervention en application de la norme de contrôle prescrite dans l’arrêt Housen et, incidemment, de l’arrêt Sattva également.

[58]           Il m’incombe de fournir mon interprétation des clauses du contrat bilatéral qui sont pertinentes en l’espèce.

[59]           Dans l’interprétation d’un document contractuel, il est nécessaire de tenir compte de ce document dans sa totalité. Pour entreprendre l’analyse, j’aborde d’abord la formule de sûreté des débentures convertibles, qui indique le 15 février 2002 comme date d’émission et qui promet de payer une somme d’argent en devises américaines le 15 février 2012. Cette formule indique que l’entente est assujettie aux modalités qui y sont énoncées et à celles énoncées dans le contrat bilatéral. J’en conclus qu’au moment de l’émission, chaque débenture convertible représentait une dette en dollars américains contractée par le contribuable envers le détenteur, recouvrable par le versement de 1 000 $US à la date d’échéance.

[60]           Le contrat bilatéral permet le remboursement de la créance constatée par les débentures convertibles à une date autre que la date d’échéance et par un autre instrument que le dollar américain.

[61]           L’article 3 du contrat bilatéral envisage la possibilité de rachat au choix du contribuable, en tout temps le ou après le 15 février 2006, sur paiement du prix de rachat à la date de rachat. Dans ce contexte, je suis d’avis que le rachat d’une débenture convertible n’est rien d’autre que le remboursement de la dette du contribuable constatée par la débenture convertible visée par l’avis de rachat applicable, à une date autre que sa date d’échéance.

[62]           La clause 2.7 du contrat bilatéral permet au contribuable de rembourser des débentures convertibles arrivées à échéance ou visées par un avis de rachat par l’émission et la livraison d’actions ordinaires, conformément à l’option de paiement en actions.

[63]           L’article 12 du contrat bilatéral permet aux détenteurs de convertir leurs débentures convertibles en actions ordinaires, à raison d’un nombre fixe d’actions pour chaque débenture, et ce en tout temps avant la date d’échéance des débentures convertibles ou avant toute date de rachat applicable, selon la première éventualité. Selon le contribuable, la juge a conclu à raison que le contrat bilatéral assimilait les conversions à des souscriptions d’actions et non à un remboursement de la créance constatée par les débentures convertibles converties. Cependant, rien dans le libellé de l’article 12 du contrat bilatéral n’indique que le détenteur qui donne un avis de conversion souscrit de ce fait des actions ordinaires. La formule d’avis de conversion indique uniquement que les débentures convertibles qui y sont décrites doivent être converties en actions ordinaires.

[64]           La clause 12.3 du contrat bilatéral prévoit que les actions ordinaires émises au moment de la conversion d’une débenture convertible [traduction] « sont imputées à l’extinction complète de l’obligation de la société de rembourser le principal » (non souligné dans l’original) de cette débenture convertible. À mon avis, cette disposition prévoit que la dette du contribuable envers le détenteur d’une débenture convertible qui donne un avis de conversion est remboursée à la date de conversion. Plus particulièrement, le détenteur renonce à son droit de recevoir 1 000 $US par débenture convertible, en espèces, à la date d’échéance, ainsi qu’à tous les autres droits que lui accorde le contrat bilatéral, en contrepartie de l’émission à son égard de 71 actions ordinaires en plus d’un paiement en espèces, en dollars américains, en lieu et place de toute fraction d’action, conformément à la clause 12.4 du contrat bilatéral. J’ajouterais cependant que cette disposition de la clause 12.3 du contrat bilatéral est muette sur le montant du remboursement auquel correspond l’émission des actions ordinaires (et le paiement en espèces en dollars américains, le cas échéant, en lieu et place des fractions d’action) dans le cas de la conversion. Elle représente plutôt l’accord, intervenu entre le contribuable et le détenteur qui opte pour la conversion, en vertu duquel le principal de chaque débenture convertible aura été entièrement remboursé par suite de l’émission des actions ordinaires et le versement d’une somme en espèces, exprimée en dollars américains, en lieu et place de fractions d’action, le cas échéant, pour chaque conversion. Le libellé de cette disposition ne permet pas de savoir si le remboursement correspond à une somme supérieure ou inférieure au principal de chaque débenture convertible. Qui plus est, que l’avis de conversion représente ou non une souscription d’actions ordinaires par le détenteur qui le donne ne modifie pas, à mon avis, l’effet juridique de la conversion, soit le remboursement de la dette du contribuable constatée par les débentures convertibles visées par l’avis de conversion au moyen de l’émission d’actions ordinaires et d’espèces en lieu et place de toute fraction d’action.

[65]           Cette interprétation est conforme aux dispositions traitant de l’échéance et du rachat, qui prévoient le remboursement de la créance constatée par les débentures convertibles à la date applicable selon le mécanisme de remboursement que le contribuable doit ou peut utiliser.

[66]           La conformité dans le traitement est judicieuse, à en juger par la clause 10.1 du contrat bilatéral, reproduite plus haut. La clause 10.1 prévoit que le contrat bilatéral cesse d’avoir effet (sauf à des fins limitées qui ne sont pas pertinentes en l’espèce) dès le paiement suffisant — en espèces ou en actions ordinaires — des sommes exigibles selon les modalités des débentures convertibles, par suite de l’échéance, du rachat ou de la conversion de ces dernières. Cette disposition envisage clairement le paiement de la créance constatée par les débentures convertibles au moment de leur conversion au moyen de l’émission d’actions ordinaires. À cet égard, rappelons que, suivant la clause 3.5 du contrat bilatéral, l’avis de rachat donné le 20 décembre 2005 avait pour effet de rendre immédiatement exigible la totalité de la créance du contribuable constatée par les débentures convertibles.

[67]           En conclusion, je suis d’avis qu’en donnant des avis de conversion, les détenteurs exerçaient leur droit au remboursement de leur créance sur le contribuable, constatée par leurs débentures convertibles, par l’émission de 71,429 actions ordinaires pour chaque débenture convertible, sous réserve uniquement des limites sur les fractions d’action énoncées à la clause 12.4 du contrat bilatéral. Ce faisant, les détenteurs ont choisi (pour des raisons commerciales évidentes) de recevoir 71,429 actions ordinaires par débenture convertible, plutôt que les 63,4767 actions ordinaires par débenture convertible qui leur auraient autrement été versées si leurs débentures convertibles avaient été rachetées conformément à l’avis de rachat donné le 20 décembre 2005. Il s’ensuit, à mon avis, que la dette du contribuable à l’endroit des détenteurs qui ont donné des avis de conversion, constatée par les débentures convertibles, a été remboursée par l’émission d’actions ordinaires, conformément aux dispositions de la clause 12 du contrat bilatéral.

[68]           Ayant déterminé l’interprétation correcte des dispositions applicables du contrat bilatéral, j’aborde ensuite le contexte législatif et jurisprudentiel dans lequel elle doit être appliquée.

B.              Le contexte législatif et jurisprudentiel

[69]           Avant l’adoption de l’article 261, les contribuables calculaient généralement leurs résultats fiscaux conformément à la Loi en monnaie canadienne. Le paragraphe 261(2) aurait été adopté afin de faire en sorte que cette pratique se poursuive, nonobstant certaines remarques incidentes dans l’arrêt Cie pétrolière Impériale ltée c. Canada; Inco ltée c. Canada, 2006 CSC 46, [2006] 2 R.C.S. 447 laissant entendre que la conversion en monnaie canadienne n’était pas toujours nécessaire. Cette disposition est ainsi libellée :

Monnaie canadienne — exigences

Canadian currency requirement

261.(2) Les règles ci-après s’appliquent au calcul des résultats fiscaux canadiens d’un contribuable pour une année d’imposition :

261.(2) In determining the Canadian tax results of a taxpayer for a particular taxation year,

a) sous réserve du présent article, à l’exception du présent paragraphe, la monnaie à utiliser est le dollar canadien;

(a) subject to this section, other than this subsection, Canadian currency is to be used; and

b) sous réserve du présent article, à l’exception du présent paragraphe, du paragraphe 79(7) et des alinéas 80(2)k) et 142.7(8)b), toute somme prise en compte dans le calcul de ces résultats qui est exprimée dans une monnaie autre que le dollar canadien est convertie en son équivalence en dollars canadiens selon le taux de change au comptant affiché le jour où elle a pris naissance.

(b) subject to this section, other than this subsection, subsection 79(7) and paragraphs 80(2)(k) and 142.7(8)(b), if a particular amount that is relevant in computing those Canadian tax results is expressed in a currency other than Canadian currency, the particular amount is to be converted to an amount expressed in Canadian currency using the relevant spot rate for the day on which the particular amount arose.

[70]           Il est important de souligner que l’article 261 ne fait pas que confirmer l’exigence quant au calcul des résultats fiscaux canadiens en monnaie canadienne. En effet, le paragraphe 261(3) permet aux contribuables, dans des circonstances limitées, de faire un choix (« choix d’une monnaie fonctionnelle ») dans le but de calculer leurs résultats fiscaux canadiens dans une devise autre que le dollar canadien. Selon les Notes techniques du ministère des Finances, en permettant le choix d’une monnaie fonctionnelle, on visait à faciliter le respect de la loi pour les contribuables dont les livres et les registres sont tenus dans une devise étrangère et à favoriser une présentation plus représentative de l’information financière.

[71]           Dans l’examen des questions en litige à la lumière de l’obligation légale faite aux contribuables de calculer leurs résultats fiscaux canadiens en monnaie canadienne, prévue au paragraphe 261(2), il semble logique de considérer en premier lieu les exigences de cette disposition.

[72]           Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, aucune monnaie fonctionnelle n’a été choisie, l’alinéa 261(2)a) exige que les résultats fiscaux canadiens d’un contribuable pour une année d’imposition particulière soient calculés en monnaie canadienne. Les résultats fiscaux canadiens sont largement définis comme suit :

Définitions

Definitions

261.(1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

261.(1) The following definitions apply in this section.

[…]

résultats fiscaux canadiens En ce qui concerne un contribuable pour une année d’imposition

Canadian tax results of a taxpayer for a taxation year means

a) son revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada pour l’année;

(a) the amount of the income, taxable income or taxable income earned in Canada of the taxpayer for the taxation year;

b) son impôt, ou toute autre somme, à payer pour l’année en vertu de la présente loi, à l’exception d’une somme à payer au nom d’une autre personne en application du paragraphe 153(1) ou de l’article 215;

(b) the amount (other than an amount payable on behalf of another person under subsection 153(1) or section 215) of tax or other amount payable under this Act by the taxpayer in respect of the taxation year;

c) l’impôt, ou toute autre somme, qui lui est remboursable pour l’année en vertu de la présente loi, à l’exception d’une somme remboursable au nom d’une autre personne au titre de sommes à payer au nom de celle-ci en application du paragraphe 153(1) ou de l’article 215;

(c) the amount (other than an amount refundable on behalf of another person in respect of amounts payable on behalf of that person under subsection 153(1) or section 215) of tax or other amount refundable under this Act to the taxpayer in respect of the taxation year; and

d) toute somme qui est prise en compte dans le calcul des sommes visées aux alinéas a) à c).

(d) any amount that is relevant in determining the amounts described in respect of the taxpayer under paragraphs (a) to (c).

[73]           Le libellé de cette définition renvoie à différentes « sommes ». De la même façon, l’alinéa 261(2)b) envisage la possibilité qu’une « somme » pertinente puisse être exprimée dans une monnaie autre que le dollar canadien pour ensuite exiger sa conversion en monnaie canadienne. Plus précisément, la somme exprimée en monnaie étrangère doit être convertie en monnaie canadienne selon un taux de change précisé, à savoir la date à laquelle elle a « pris naissance ».

[74]           La législation ne donne aucune directive précise quant à l’interprétation de l’expression « pris naissance ». Les parties ne s’entendent pas sur l’une des deux sommes en devises étrangères devant être converties en monnaie canadienne conformément à l’alinéa 261(2)b). Elles sont d’accord sur la première. Il s’agit des 1 000 $US payés par les détenteurs pour acheter les débentures convertibles à la date d’émission. Selon la Couronne, la deuxième somme est celle versée par le contribuable pour éteindre la créance constatée par les débentures convertibles au moment de leur conversion. La Couronne affirme que cette somme versée aux fins d’extinction a « pris naissance » à chacune des dates de conversion, au moment où la créance constatée par les débentures convertibles a été éteinte, et devait être convertie en monnaie canadienne à chacune de ces dates. Pour sa part, le contribuable plaide que la juge a correctement déterminé que la seconde somme, également de 1 000 $US, constituait le prix de souscription que les détenteurs de débentures convertibles qui ont opté pour la conversion ont convenu de verser pour les actions ordinaires qui faisaient l’objet de leurs souscriptions. Le contribuable affirme donc que la somme versée aux fins de souscription a « pris naissance » à la date d’émission et devait être convertie en monnaie canadienne à cette date.

[75]           En l’espèce, l’enjeu ultime consiste à déterminer si le contribuable a réalisé un gain en capital, au sens du paragraphe 39(2), en raison des conversions de 2005 et 2006. Puisque le contribuable n’a pas choisi de monnaie fonctionnelle pour les années d’imposition en cause, l’application du paragraphe 261(2) doit être envisagée. Plus particulièrement, l’existence de sommes en monnaie étrangère doit être reconnue, leur pertinence pour les résultats fiscaux canadiens du contribuable pour ses années d’imposition 2005 et 2006 doit être déterminée et, le cas échéant, le moment auquel les sommes doivent être converties en monnaie canadienne doit lui aussi être déterminé.

[76]           Les gains qui ont fait l’objet des nouvelles cotisations ont été évalués conformément au paragraphe 39(2), qui est ainsi rédigé :

Gains et pertes en capital relatifs aux monnaies étrangères

Capital gains and losses in respect of foreign currencies

39.(2) Malgré le paragraphe (1), lorsque, par suite de toute fluctuation, postérieure à 1971, de la valeur de la monnaie ou des monnaies d’un ou de plusieurs pays étrangers par rapport à la monnaie canadienne, un contribuable a réalisé un gain ou subi une perte au cours d’une année d’imposition, les règles suivantes s’appliquent :

39.(2) Notwithstanding subsection 39(1), where, by virtue of any fluctuation after 1971 in the value of the currency or currencies of one or more countries other than Canada relative to Canadian currency, a taxpayer has made a gain or sustained a loss in a taxation year, the following rules apply:

a) est réputé être un gain en capital du contribuable pour l’année, tiré de la disposition de la monnaie d’un pays étranger, gain en capital qui est le montant déterminé en vertu du présent alinéa, l’excédent éventuel :

(a) the amount, if any, by which

(i) du total de ces gains réalisés par le contribuable au cours de l’année (jusqu’à concurrence des montants de ceux-ci qui, si l’article 3 était lu de la manière indiquée à l’alinéa (1)a) du présent article, ne seraient pas inclus dans le calcul de son revenu pour l’année ou pour toute autre année d’imposition),

(i) the total of all such gains made by the taxpayer in the year (to the extent of the amounts thereof that would not, if section 3 were read in the manner described in paragraph (1)(a) of this section, be included in computing the taxpayer’s income for the year or any other taxation year)

sur :

exceeds

(ii) le total des pertes subies par le contribuable au cours de l’année (jusqu’à concurrence des montants de celles-ci qui, si l’article 3 était lu de la manière indiquée à l’alinéa (1)a) du présent article, ne seraient pas déductibles dans le calcul de son revenu pour l’année ou pour toute autre année d’imposition),

(ii) the total of all such losses sustained by the taxpayer in the year (to the extent of the amounts thereof that would not, if section 3 were read in the manner described in paragraph (1)(a) of this section, be deductible in computing the taxpayer’s income for the year or any other taxation year), and

(iii) si le contribuable est un particulier, 200 $;

(iii) if the taxpayer is an individual, $200,

shall be deemed to be a capital gain of the taxpayer for the year from the disposition of currency of a country other than Canada, the amount of which capital gain is the amount determined under this paragraph; and

b) est réputé être une perte en capital du contribuable pour l’année, résultant de la disposition de la monnaie d’un pays étranger, perte en capital qui est le montant déterminé en vertu du présent alinéa, l’excédent éventuel :

(b) the amount, if any, by which

(i) du total déterminé en vertu du sous-alinéa a)(ii),

(i) the total determined under subparagraph 39(2)(a)(ii),

sur :

exceeds

(ii) le total déterminé en vertu du sous-alinéa a)(i),

(ii) the total determined under subparagraph 39(2)(a)(i), and

(iii) si le contribuable est un particulier, 200 $.

(iii) if the taxpayer is an individual, $200,

shall be deemed to be a capital loss of the taxpayer for the year from the disposition of currency of a country other than Canada, the amount of which capital loss is the amount determined under this paragraph.

[77]           Bien que le paragraphe 39(2) traite à la fois des gains et des pertes, la question en l’espèce se résume à savoir si, en raison d’une fluctuation du taux de change entre la devise canadienne et la devise américaine, le contribuable a « réalisé un gain » durant ses années d’imposition 2005 et 2006 en raison des conversions de débentures convertibles survenues durant ces deux années.

[78]           Dans ces circonstances, comme il est indiqué plus haut, le contrat bilatéral stipule que les conversions de 2005 et 2006 doivent être assimilées à des remboursements effectués par le contribuable à l’égard de la créance constatée par les débentures convertibles qui ont été éteintes lors de ces conversions. En d’autres mots, le contribuable a remboursé sa dette de 1 000 $US, constatée par chaque débenture convertible, en émettant au détenteur, pour chacune de ces débentures convertibles, 71,429 actions ordinaires, sous réserve des limites relatives aux fractions d’action décrites plus haut. Par conséquent, la question est de savoir si, en conséquence de ces remboursements de dette, le contribuable a réalisé un gain au sens où il faut l’entendre pour l’application du paragraphe 39(2). À mon avis, comme je l’expliquerai plus en détail plus loin, la question est essentiellement de savoir si le contribuable a payé moins au remboursement de la créance constatée par les débentures convertibles, au moment de leur conversion en 2005 et 2006, qu’il n’avait reçu à l’émission de ces débentures convertibles en 2002, si le calcul est effectué en dollars canadiens.

[79]           L’interprétation et l’application du paragraphe 39(2) sont relativement simples lorsque la dette exprimée en une devise étrangère est remboursée en espèces dans la même devise.

[80]           Si, dans la présente affaire, le remboursement de la créance constatée par une débenture convertible avait été fait par le versement de 1 000 $US en espèces au détenteur de cette débenture convertible, la position de la Couronne — selon qui le contribuable a réalisé un gain en raison de l’augmentation relative de la valeur du dollar canadien par rapport au dollar américain entre la date de l’émission de la débenture convertible et celle de son remboursement — semblerait inattaquable. Les espèces en dollars américains versées au remboursement seraient converties en monnaie canadienne à la date de remboursement, et une comparaison entre cette somme et la somme en contrepartie de laquelle la débenture convertible avait été émise (en l’espèce, 1 588 $) déterminerait la valeur du gain réalisé par le contribuable, s’il en est.

[81]           Cependant, il faut appliquer une autre démarche si la contrepartie du remboursement ne correspond pas à un versement en espèces exprimé en dollars américains. Plus précisément, il faut déterminer le montant ou la valeur en monnaie canadienne de la contrepartie cédée par le contribuable pour satisfaire son obligation de remboursement des débentures convertibles au moment des conversions. Une fois déterminé, le montant de la contrepartie du remboursement doit être comparé au montant initialement emprunté, aussi exprimé en monnaie canadienne.

[82]           À mon avis, cette démarche est dans le droit fil de celle adoptée par la Cour dans l’arrêt Canada c. Macmillan Bloedel Ltd. 1999 CanLII 8199 (CAF) [Macmillan Bloedel]. Dans cet arrêt, le juge Strayer a déterminé que la question de savoir si un contribuable avait subi une perte, pour l’application du paragraphe 39(2), au moment du rachat d’actions privilégiées libellées en monnaie américaine consistait à établir si, en monnaie canadienne, le contribuable avait payé davantage pour racheter les actions que ce qu’il avait reçu au moment de leur émission.

[83]           Dans les présentes circonstances, nous devons décider si le paragraphe 39(2) s’applique pour obliger le contribuable à reconnaître un gain de change sur les conversions de 2005 et 2006. À mon avis, l’arrêt Macmillan Bloedel exige que l’on compare, en monnaie canadienne, le montant de la contrepartie cédée par le contribuable au moment du remboursement des débentures convertibles, au moment de leur conversion, à la somme reçue par le contribuable au moment de l’émission de ces dernières.

[84]           Ayant déterminé l’interprétation correcte à donner au contrat bilatéral et examiné le contexte législatif et jurisprudentiel pertinent, j’aborde ensuite la question en litige dans le présent appel.

C.              La juge a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en concluant que le contribuable n’avait pas réalisé de gain au sens où il faut l’entendre pour l’application du paragraphe 39(2) à la suite des conversions de 2005 et 2006?

[85]           À la lumière de mes conclusions, il faut décider si, en émettant des actions ordinaires et en versant une somme en espèces en dollars américains équivalente à la valeur de toute fraction d’action en remboursement de la créance, exprimée en dollars américains et constatée par les débentures convertibles ayant été converties, le contribuable a réalisé un gain attribuable aux fluctuations du taux de change, au sens où il faut l’entendre pour l’application du paragraphe 39(2).

[86]           Comme je l’ai dit, la question de savoir si le contribuable a réalisé un gain de change, comme il faut l’entendre pour l’application du paragraphe 39(2), exige une comparaison de deux sommes initialement exprimées en monnaie américaine : la somme en dollars américains reçue par le contribuable au moment de contracter la dette constatée par les débentures convertibles (le « montant de l’émission ») et la somme payée par le contribuable au moment du remboursement de ladite dette (le « montant du remboursement »). Aux termes du paragraphe 261(2), il faut convertir chacune en monnaie canadienne, en utilisant le taux de change applicable à la date à laquelle chacune des sommes a pris naissance. Si le montant de l’émission est plus élevé que le montant du remboursement, le contribuable aura réalisé un gain de change comme il faut l’entendre pour l’application du paragraphe 39(2).

[87]           En l’espèce, les parties conviennent que le montant de l’émission des débentures convertibles avait pris naissance à la date d’émission. Cependant, comme il est indiqué plus haut, les parties sont en désaccord sur la nature de la deuxième somme qui doit être convertie en monnaie canadienne suivant l’alinéa 261(2)b). J’ai déterminé que la juge avait commis une erreur susceptible de révision en assimilant les dispositions sur la conversion du contrat bilatéral à des souscriptions d’actions par les détenteurs de débentures convertibles ayant demandé la conversion. Elle aurait dû conclure que les conversions constituaient un remboursement de la créance constatée par les débentures convertibles au moyen de l’émission d’actions ordinaires et d’espèces en dollars américains à l’égard de toute fraction d’action. Je suis donc d’avis que, dans chaque cas, le montant du remboursement a pris naissance à la date des remboursements, c’est-à-dire à chaque date de conversion. Dans cette mesure, j’accepte l’affirmation de la Couronne selon laquelle le montant en devises étrangères des remboursements a « pris naissance » à la date de chacun des remboursements. Cependant, le fait de déterminer à quel moment le montant du remboursement a pris naissance ne permet pas de calculer le montant du remboursement.

[88]           Les parties conviennent que le montant de l’émission est d’environ 1 588 $ (qui est l’équivalent en dollars canadiens de la somme de 1 000 $US reçue par le contribuable à l’émission de chaque débenture convertible). De même, les deux parties affirment que la deuxième somme en devises étrangères à convertir en monnaie canadienne était également de 1 000 $US, mais elles sont en désaccord sur la nature de celle-ci et le moment où elle a pris naissance pour les fins de conversion.

[89]           Ayant déterminé que la deuxième somme en devises étrangères est le montant du remboursement, qui est la somme payée ou cédée par le contribuable au moment des conversions pour rembourser la créance constatée par les débentures convertibles, et que le remboursement a été effectué par l’émission d’actions ordinaires et le versement d’espèces en dollars américains pour toute fraction d’action, je rejette l’affirmation des parties selon laquelle le montant du remboursement était de 1 000 $US par débenture convertible. Les détenteurs de débentures convertibles qui ont été converties n’ont pas reçu 1 000 $US par débenture convertible du contribuable au moment des conversions.

[90]           En l’absence de toute indication dans le contrat bilatéral sur la façon de calculer le montant du remboursement — ou « somme » au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’alinéa 261(2)b) —, je me reporte à la définition de « montant » au paragraphe 248(1). La partie pertinente de cette disposition est ainsi rédigée :

Définitions

Definitions

248.(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

248.(1) In this Act,

[…]

montant Argent, droit ou chose exprimés sous forme d’un montant d’argent, ou valeur du droit ou de la chose exprimée en argent. Toutefois :

amount means money, rights or things expressed in terms of the amount of money or the value in terms of money of the right or thing, except that,

[…]

[91]           Si elle s’applique, cette définition pourrait fort bien m’avoir incité à conclure que le montant du remboursement était la « valeur » des actions ordinaires émises au moment du remboursement de chacune des débentures convertibles. À cet égard, il m’apparaît que la valeur d’une action ordinaire à chaque date de conversion peut très bien être calculée à l’aide du cours de l’action ordinaire à la Bourse de New York ou à la Bourse de Toronto à chacune de ces dates, parce que le contribuable aurait fort bien pu avoir reçu la somme correspondante s’il avait fait un placement de nouvelles actions ordinaires à chacune de ces dates.

[92]           Dans ce contexte, l’établissement de la valeur d’une action ordinaire à chaque date de conversion exigerait probablement la preuve du rapport entre le cours des actions ordinaires et le prix auquel les souscripteurs accepteraient de mettre les actions sur le marché. À cet égard, la pratique pourrait être de fixer le prix des nouvelles actions à une somme inférieure au cours de ces actions sur le marché applicable. Par exemple, le contrat bilatéral stipule que la valeur des actions ordinaires émises au rachat devait être égale à 95 % du [traduction] « cours actuel » des actions ordinaires, selon la définition donnée à la clause 1.1 du contrat bilatéral.

[93]           Heureusement, les modalités du contrat bilatéral indiquent comment le montant du remboursement est déterminé. La clause 12.4 du contrat bilatéral, reproduite plus haut, nous aide à régler cette question.

[94]           Cette disposition du contrat bilatéral énonce qu’au moment de la conversion des débentures convertibles, aucune fraction d’action ne sera émise. Le détenteur a plutôt le droit de recevoir un montant en espèces égal à la [traduction] « valeur marchande actuelle de la fraction d’action », qui correspond au produit de la fraction d’action multipliée par le [traduction] « prix de vente » d’une action ordinaire à la date de conversion (si la date de conversion est un [traduction] « jour de séance » selon la définition donnée à ce terme à la clause 1.1 du contrat bilatéral). Pour les besoins du contrat bilatéral, le « prix de vente » est défini à la clause 1.1 par renvoi au cours de l’action ordinaire à la Bourse de New York. De plus, la clause 1.1 du contrat bilatéral stipule que le mot [traduction] « espèces » s’entend de la devise américaine.

[95]           On peut illustrer le mécanisme prévu à la clause 12.4 au moyen d’un exemple. Si un détenteur ne détenait qu’une seule débenture convertible, la clause 12.4 du contrat bilatéral s’appliquerait, de sorte qu’au moment de la conversion de la débenture convertible, le détenteur recevrait 71 actions ordinaires et un paiement en espèces en devises américaines égal au produit de 0,429 fois le « prix de vente » d’une action ordinaire à la date de conversion.

[96]           Par conséquent, le contrat bilatéral prévoit expressément une formule pour le calcul de la portion du montant du remboursement représentée par toute fraction d’action qui devrait autrement être émise en remboursement partiel de la créance constatée par une débenture convertible au moment de sa conversion. À mon avis, on peut facilement conclure que les parties entendaient que cette formule s’applique également à la détermination du solde du montant du remboursement payé par l’émission d’un nombre entier d’actions ordinaires au moment de chacune des conversions.

[97]           À mon avis, cette approche cadre avec la décision Teleglobe, en ce sens que pour savoir ce qui a été cédé par le contribuable, lorsqu’il a remboursé la créance constatée par les débentures convertibles en émettant des actions ordinaires au moment des conversions, il faut se reporter aux modalités du contrat bilatéral, qui consigne l’entente intervenue entre le contribuable et les détenteurs de débentures convertibles.

[98]           Mon approche semble donner les mêmes résultats que celle mentionnée plus haut, qui applique la définition de « montant » prévue au paragraphe 248(1).

[99]           Plus important encore, mon approche est essentiellement la même que celle adoptée par les administrateurs du contribuable dans la résolution sur la valeur de contrepartie pour l’émission des actions. Lorsque les administrateurs ont adopté la résolution sur la valeur de contrepartie pour l’émission des actions, ils semblaient se conformer au paragraphe 23(4) de la LSAO, qui est ainsi libellé :

Fixation de la valeur par les administrateurs

Value determined by directors

23.(4) Lors de l’émission d’une action contre un apport autre qu’en numéraire, les administrateurs établissent :

23.(4) The directors shall, in connection with the issue of any share not issued for money, determine,

a) le montant que la société aurait reçu si l’action avait été émise contre un apport en numéraire;

(a) the amount of money the corporation would have received if the share had been issued for money; and

b) et, selon le cas :

(b) either,

(i) la juste valeur des biens ou du service rendu qui sert d’apport,

(i) the fair value of the property or past service in consideration of which the share is issued, or

(ii) le fait que la juste valeur de ces biens ou de ce service rendu n’est pas inférieure à la somme d’argent visée à l’alinéa a).

(ii) that such property or past service has a fair value that is not less than the amount of money referred to in clause (a). 

[100]       Ayant repris le libellé de cette disposition de la LSAO dans la résolution sur la valeur de contrepartie pour l’émission des actions, à tout le moins en partie, il appert que les administrateurs étaient d’avis que lorsque le contribuable émettait des actions ordinaires lors des conversions, la contrepartie que le contribuable recevait pour l’émission de ces actions ordinaires n’était pas de l’argent. En effet, cette résolution prévoit que la contrepartie de l’émission des actions ordinaires au moment de la conversion est la contrepartie que chaque titulaire donne au contribuable, aux termes du contrat bilatéral.

[101]       Selon mon interprétation des dispositions sur la conversion du contrat bilatéral, chaque détenteur a cédé son droit de recevoir 1 000 $US par débenture convertible, en espèces, à l’échéance, avec tous les autres droits qu’il tire du contrat bilatéral, lorsque la dette du contribuable envers le détenteur a été remboursée au moment de chaque conversion. Par conséquent, la renonciation à ces droits constituait la contrepartie cédée par chaque détenteur au contribuable pour l’émission de 71 actions ordinaires par débenture convertible plus le paiement en espèces en dollars américains en lieu et place de la fraction d’action.

[102]       La résolution sur la valeur de contrepartie pour l’émission des actions traite ensuite de l’alinéa 23(4)b) de la LSAO et énonce la décision des administrateurs selon laquelle la juste valeur de la contrepartie à recevoir par le contribuable pour l’émission de 71 actions ordinaires par débenture convertible « n’est pas inférieure à la somme d’argent » que le contribuable aurait reçue s’il avait émis ces actions ordinaires contre un apport en numéraire plutôt que contre les droits cédés par chacun des détenteurs à la conversion. À mon avis, cette somme d’argent est essentiellement la même que le « prix de vente » d’une action ordinaire, défini à la clause 1.1 du contrat bilatéral.

[103]        Si on applique le calcul qui est, à mon avis, prévu dans le contrat bilatéral, il s’ensuit que le montant du remboursement de chaque débenture convertible correspondait, essentiellement, à la somme d’argent en dollars américains correspondant au produit du « prix de vente » d’une action ordinaire, à la date de conversion pertinente, aux termes de la clause 12.4 du contrat bilatéral, multiplié par 71,429.

[104]       La somme d’argent en dollars américains qui en résulte est ensuite convertie en dollars canadiens, conformément au paragraphe 261(2), à chaque date de conversion. La question de savoir si le contribuable a réalisé un gain de change pour l’application du paragraphe 39(2) serait résolue par comparaison de la somme en dollars canadiens ainsi calculée avec les 1 588 $CA reçus par le contribuable à la date d’émission. Ce calcul devrait être fait pour chaque conversion, puisque le montant du remboursement ne serait pas nécessairement identique pour chacune. Si le montant du remboursement à l’égard de toute conversion en particulier est inférieur au montant de l’émission connexe, le contribuable aurait réalisé un gain, pour l’application du paragraphe 39(2), à l’égard de cette conversion.

VII.          DISPOSITIF

[105]       Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais l’appel et j’annulerais la décision de la Cour canadienne de l’impôt. De plus, rendant la décision que la juge aurait dû rendre, je renvoie l’affaire au ministre afin qu’une nouvelle cotisation soit établie conformément aux présents motifs.

[106]       Bien que la Couronne ait eu gain de cause en ce sens que j’accueillerais l’appel, les nouvelles cotisations ne sont pas maintenues, ce qui vient confirmer l’opportunité de l’appel du contribuable devant la Cour canadienne de l’impôt. Par conséquent, dans l’ensemble, les parties ayant toutes deux obtenu gain de cause en partie, je n’accorderais donc aucuns dépens devant notre Cour ou devant les instances inférieures.

« C. Michael Ryer »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Trudel, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-532-14

(APPEL D’UNE DÉCISION DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT RENDUE PAR LA JUGE JUDITH WOODS LE 4 NOVEMBRE 2014 (DOSSIER NO 2014 CCI 324))

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. AGNICO-EAGLE MINES LIMITED

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JANVIER 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RYER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

 

DATE DU JUGEMENT :

LE 26 AVRIL 2016

COMPARUTIONS :

Me ARNOLD H. BORNSTEIN

Me LOUIS L’HEUREUX

Pour l’appelante

Me BRIAN R. CARR

Me GERALD GRENON

ME CHRISTOPHER SHERIDAN

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l’appelante

KPMG cabinet juridique s.r.l./S.E.N.C.R.L

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée

 

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