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Date : 20160506


Dossier : A-281-15

[TRADUCTION FRANÇAISE]                                                          Référence : 2016 CAF 143

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

KABUL FARMS INC.

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 25 avril 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 mai 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE NEAR

 


Date : 20160506


Dossier : A-281-15

Référence : 2016 CAF 143

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

KABUL FARMS INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

A.                Introduction

[1]               La Couronne interjette appel du jugement rendu le 15 mai 2015 par le juge Fothergill de la Cour fédérale (2015 CF 628). La Cour fédérale a annulé des pénalités totalisant 6 000 $ que le directeur du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada a imposées à l’intimée pour trois violations à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17.

[2]               Les trois violations en question découlaient du défaut de l’intimée d’élaborer et de faire appliquer des politiques et des procédures écrites en matière de conformité, d’effectuer une évaluation des risques et de concevoir un programme de formation écrit à l’intention de ses employés et mandataires.

[3]               La Cour fédérale a annulé les pénalités parce qu’elle a jugé que les motifs présentés par le directeur étaient insuffisants, au point qu’elle n’a pas été en mesure de déterminer si les pénalités étaient raisonnables.

[4]               Dans le cadre du présent appel, l’appelante prétend que la Cour fédérale a décrété à tort que les motifs du directeur étaient insuffisants, et que les pénalités imposées sont raisonnables. Pour les motifs qui suivent, je rejette les prétentions de l’appelante. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

B.                Norme de contrôle

[5]               La Cour est à présent saisie d’un appel interjeté par une instance administrative en vertu de la loi. Par conséquent, j’examinerai l’appel sous l’angle des principes du droit administratif, et notamment de ceux que définit la jurisprudence qui gouverne usuellement la norme de contrôle, l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 RCS 339, 2009 CSC 12.

[6]               Nous devons donc déterminer en appel si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement; voir l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2013] 2 RCS 559, 2013 CSC 36, aux paragraphes 45 à 47. Autrement dit, le contrôle judiciaire demandé à la Cour constitue une procédure de novo.

[7]               La Cour fédérale a appliqué la norme du caractère raisonnable dans le cadre de son examen des pénalités imposées par le directeur. Je suis d’accord avec la Cour fédérale. Le directeur a imposé des pénalités en se fondant sur des faits et au titre de son pouvoir discrétionnaire, régi par une loi qu’il a l’habitude d’appliquer. Normalement, les décisions de cette nature emportent l’application de la norme de la raisonnabilité; voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9, aux paragraphes 53 et 54.

[8]               Après avoir exercé mon pouvoir de contrôle de novo de la question de la raisonnabilité, j’en arrive à la même conclusion que la Cour fédérale, à savoir que les pénalités imposées par le directeur n’étaient pas raisonnables. Cela étant dit, je formulerai les motifs de manière un peu différente, en me fondant essentiellement sur la décision rendue par la Cour dans l’arrêt Leahy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227, [2014] 1 RCF 766, et j’ajouterai des motifs complémentaires.

C.                Cadre législatif de la détermination du montant des pénalités

[9]               Lorsqu’il établit les pénalités pour violation de la Loi, le directeur doit tenir compte de trois critères obligatoires « dans chaque cas » : la pénalité doit encourager « l’observation de la [Loi] » et ne pas être punitive, et elle doit tenir compte « de la gravité du tort causé » et « de tout autre critère prévu par règlement » (article 73.11 de la Loi). Le règlement d’application énonce un autre critère : le montant de la pénalité doit tenir compte des antécédents de conformité du contrevenant avec la Loi et les dispositions législatives connexes (Règlement sur les pénalités administratives – recyclage des produits de la criminalité et financement des activités terroristes, DORS/2007-292, article 6).

[10]           Le Règlement définit en outre une méthode en trois étapes que le directeur doit suivre pour établir la pénalité pour une violation. D’abord, le directeur doit déterminer si la violation est « mineure », « grave » ou « très grave » (article 4 et annexe du Règlement). Ensuite, il doit déterminer quel barème de pénalités s’applique à la violation en cause en vertu de l’article 5 du Règlement. Pour une violation mineure, le barème applicable va de 1 $ à 1 000 $; il va de 1 $ à 100 000 $ pour une violation grave, et de 1 $ à 500 000 $ dans le cas d’une violation très grave. Enfin, le directeur doit fixer un montant à l’intérieur du barème applicable à chaque violation. Le montant sera déterminé en fonction des critères prévus à l’article 73.11 de la Loi, ainsi que des critères supplémentaires prévus à l’article 6 du Règlement.

D.                Pertinence de la loi aux fins de l’examen du caractère raisonnable

[11]           Si le directeur s’écarte de la méthode en trois étapes pour établir le montant des pénalités imposées au titre du Règlement, ou s’il n’applique pas les critères prévus à l’article 73.11 de la Loi et à l’article 6 du Règlement, sa décision ne peut être ni recevable ni justifiable. Il doit impérativement appliquer la méthode et les critères en question. Tout écart par rapport à cette démarche confère un caractère déraisonnable à la décision; voir notamment l’arrêt Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 RCF 203, dans lequel le défaut d’une instance administrative d’appliquer un critère législatif a débouché sur une conclusion de décision déraisonnable.

[12]           Pour déterminer si le directeur a suivi la démarche obligatoire prévue par la Loi et le Règlement, il apparaît juste d’examiner ses motifs écrits. Nous pourrions aussi chercher les justifications de sa décision dans le dossier de preuve dont il disposait; voir à ce sujet l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 et 15.

E.                Démarche du directeur en l’espèce

[13]           Après avoir enquêté sur l’affaire, invité l’intimée à présenter ses observations et examiné celles-ci, le directeur a rendu sa décision. Il a conclu que l’intimée avait commis trois violations, et il a établi le montant de la pénalité pour chacune.

[14]           Le dossier dont nous avons été saisis, et plus particulièrement un document intitulé [TRADUCTION] « Régime de pénalités administratives pécuniaires [en vertu de la Loi] », expose la méthode suivie par le directeur pour établir le montant des pénalités. Essentiellement, il a suivi la méthode décrite aux paragraphes 9 et 10 ci-dessus.

[15]           Plus précisément, il a procédé comme suit :

                     Il a constaté que chaque violation était grave au sens de l’annexe et du Règlement.

                     Il a établi que chaque violation grave était passible d’une pénalité de 1 $ à 100 000 $ en vertu de l’article 5 du Règlement.

                     Pour chaque violation, il a fait un calcul en trois étapes afin de prendre en compte les critères obligatoires de la loi. Dans le barème prescrit, il a choisi des montants reflétant le critère de la gravité, savoir 50 000 $, 75 000 $ et 25 000 $ respectivement pour les trois violations constatées en l’espèce. Il a ensuite déduit 20 % de chaque montant afin de tenir compte du critère des antécédents de conformité de l’intimée, puis il a appliqué un taux de rajustement de 95 %, de sorte que la pénalité encourage l’intimée à se conformer au lieu d’être punitive. Le directeur a également tenu compte, à juste titre, de la capacité de payer de l’intimée.

Les montants finals des pénalités relatifs aux trois violations s’établissaient à 2 000 $, 3 000 $ et 1 000 $ respectivement, pour un total de 6 000 $.

F.                 La Cour fédérale

[16]           La Cour fédérale n’a pas remis en cause la méthode du directeur, en plus d’admettre qu’il avait retenu celle-ci parce qu’il souhaitait appliquer les critères législatifs aux faits qui lui avaient été présentés. Toutefois, la Cour fédérale n’a rien relevé dans le dossier qui pouvait justifier les chiffres choisis par le directeur.

[17]           Elle a donc annulé les pénalités, et elle a conclu  comme suit : « Les objectifs de la Loi n’ont pas été analysés, et la manière dont les critères législatifs concernant l’imposition des pénalités administratives s’appliquaient aux faits particuliers de l’affaire n’a pas été expliquée » (paragraphe 51). Elle a renvoyé le dossier au directeur afin qu’il reconsidère la pertinence d’imposer des pénalités à l’intimée compte tenu des violations commises, ainsi que leur montant, le cas échéant.

G.               Analyse

[18]           S’appuyant principalement sur la méthode suivie par le directeur – laquelle est conforme à la Loi et au Règlement – et faisant ressortir le caractère discrétionnaire et factuel de sa décision relativement aux pénalités imposées, l’appelante prétend que celle-ci était raisonnable et que l’appel devrait être accueilli.

[19]           La prétention de l’appelante n’est pas fausse en soi. En revanche, elle est incomplète. Pour conclure qu’une décision est raisonnable, une cour de révision doit pousser l’analyse au-delà des prétentions de l’appelante. Une décision factuelle et discrétionnaire rendue au terme d’un processus rigoureux n’est pas forcément raisonnable. La cour de révision doit aussi être convaincue que l’instance administrative a pris une décision acceptable et justifiable compte tenu de la preuve qui lui a été présentée. Plus précisément en l’espèce, nous pourrions décréter que le directeur a imposé des pénalités raisonnables si nous étions convaincus, entre autres choses, que les chiffres qu’il a utilisés pour les calculer étaient étayés par la preuve dont il disposait.

[20]           Dans quelle mesure devrions-nous être convaincus que les pénalités sont étayées par la preuve? Tout dépend de la marge de manœuvre qui est reconnue au directeur dans le cadre d’un examen du caractère raisonnable.

[21]           Comme la Cour fédérale l’a reconnu en l’espèce et dans deux instances précédentes de contrôle de décisions rendues par le directeur, une certaine marge de manœuvre doit lui être accordée dans le cadre d’un examen du caractère raisonnable des pénalités imposées; voir les décisions Max Realty Solutions Ltd. c. Canada (Procureur général), 2014 CF 656, 458 FTR 160; Homelife/Experience Realty Inc. c. Canada (Finances), 2014 CF 657, 458 FTR 180.

[22]           La nature même de sa tâche exige d’octroyer au directeur une certaine marge de manœuvre. Lorsqu’il choisit les montants de base à l’intérieur du barème prescrit et qu’il applique des réductions en pourcentage à ceux-ci, il doit apprécier la preuve dont il dispose à la lumière des critères législatifs. Cette tâche est par nature imprécise et doit être fondée sur les faits, et suppose donc une part de subjectivité, éclairée par l’expérience de la réglementation d’un domaine spécialisé et la connaissance de celui-ci.

[23]           Cependant, il faut envisager la tâche du directeur dans un contexte plus large. Il agit dans le cadre d’un régime administratif qui prévoit des pénalités pécuniaires importantes en cas de violation.

[24]           Les décisions rendues en application d’un régime de pénalités administratives pécuniaires ne relèvent pas du droit criminel, de sorte que les tribunaux ne sont pas tenus de les examiner strictement en vertu de l’article 11 de la Charte; voir l’arrêt Guindon c. Canada, [2015] 3 RCS 3, 2015 CSC 41. Certes, mais elles ne peuvent pas toujours échapper à un examen rigoureux. Comme il s’agit de décisions administratives susceptibles d’un contrôle judiciaire ou, le cas échéant, d’un appel prévu par la loi, les principes du droit administratif s’appliquent. Ces principes peuvent donner lieu à un examen plus ou moins rigoureux, selon les cas. Si l’on se fie au libellé de certaines décisions judiciaires, la marge de manœuvre que les juridictions de révision peuvent accorder aux instances administratives est parfois mince, voire inexistante, mais elle peut aussi être modérée ou généreuse; voir l’arrêt Canada (Procureur général) c. Boogaard, 2015 CAF 150, 474 N.R. 121, au paragraphe 36, citant l’arrêt Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), [2012] 1 RCS 5, 2012 CSC 2, paragraphes 17, 18 et 23; l’arrêt Khosa, précité, paragraphe 59;  l’arrêt McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), [2013] 3 RCS 895, 2013 CSC 67, aux paragraphes 37 à 41. L’importance de la marge de manœuvre dépend de divers facteurs qui participent de deux principes contradictoires suivant lesquels la juridiction de révision est tenue à la fois de respecter l’intention du législateur et de défendre ou, à l’occasion, de justifier la primauté du droit; voir l’arrêt Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 RCF 1006, aux paragraphes 90 à 99.

[25]           L’issue sera fonction des faits de chaque instance. Aux fins des présentes, il semble utile de mettre en opposition deux types de procédures administratives. D’une part, l’on trouve les affaires mettant en cause une instance administrative chargée d’évaluer la conduite d’un particulier ou d’un groupe connu de particuliers à la lumière de critères concrets, de l’ampleur des effets potentiels sur les intérêts juridiques et pratiques des particuliers, et de la mesure dans laquelle les tribunaux peuvent connaître des questions en cause. On en trouve un bon exemple dans une procédure disciplinaire professionnelle contre un particulier accusé de contraventions à un code disciplinaire pouvant entraîner de graves conséquences juridiques et pratiques telles que des restrictions, des interdictions et des pénalités. De l’autre côté du spectre se trouvent toutes les affaires liées à l’évaluation de questions plus larges et plus diffuses par une instance administrative qui doit pour ce faire recourir à des critères polycentriques, subjectifs ou flous qui sont davantage du ressort du pouvoir exécutif que de celui du pouvoir judiciaire. Un bon exemple serait une décision visant à déterminer lequel parmi des candidats tout aussi compétents et méritants les uns que les autres devrait être promu compte tenu des objectifs d’une institution gouvernementale. Tout bien considéré, la marge accordée à une instance administrative visée par un examen du caractère raisonnable serait plus restreinte dans le premier exemple que dans le second; voir à cet égard l’analyse livrée dans l’arrêt Boogaard, précité, aux paragraphes 38 à 52.

[26]           En l’espèce, l’élément déterminant est l’assimilation de la procédure de détermination des pénalités administratives pécuniaires à une procédure disciplinaire susceptible d’entraîner des répercussions importantes pour le contrevenant. Cependant, la tâche du directeur faisant l’objet de la présente révision – la détermination du montant des pénalités – est floue, tributaire des faits et guidée en l’occurrence par un critère général et non par une formule mathématique formelle. Cette tâche fait appel au jugement subjectif éclairé par l’expérience et les connaissances dans un domaine spécialisé de la réglementation. J’estime par conséquent qu’il est impératif de vérifier que les chiffres utilisés par le directeur à chaque étape de sa démarche sont corroborés ou justifiés par un raisonnement ou des éléments de preuve au dossier.

[27]           En l’espèce, je n’en suis pas convaincu.

[28]           Pour le directeur, la première étape consistait à choisir, dans un barème de 1 $ à 100 000 $, un montant de base conséquent avec le tort, potentiel ou réel, attribuable à la violation reprochée. Il a retenu des montants respectifs de 50 000 $, de 75 000 $ et de 25 000 $ pour les trois violations. Son résumé des calculs ou les lettres qu’il nous a adressées pour nous expliquer pourquoi ces montants étaient conséquents avec les torts potentiels ou réels ne sont pas particulièrement instructifs. Nous pouvons présumer que le directeur a considéré que les torts réels ou potentiels se situaient respectivement au centre, à la limite supérieure et à la limite inférieure du barème. Toutefois, il est impossible de savoir quels éléments de preuve ou quelle analyse sont à l’origine de ses conclusions. Pour autant que nous sachions, le directeur aurait très bien pu choisir certains chiffres dans le seul but, illicite en soi, de percevoir des revenus. Et qui nous dit qu’il n’a pas sorti ces chiffres de nulle part, tout aussi illicitement?

[29]           Examinons maintenant les réductions de 20 % et de 95 % que le directeur a appliquées aux montants de base. Il a choisi ces pourcentages afin de remplir les critères législatifs afférents aux antécédents de conformité et à la nécessité de faire primer l’encouragement à la conformité sur la coercition. Il faut toutefois aller plus loin et nous interroger sur les pourcentages retenus, soit 20 % et de 95 %, la question étant de savoir s’ils sont acceptables et justifiables compte tenu de la preuve soumise au directeur. Disposait-il d’éléments de preuve corroborant ou justifiant le choix de ces pourcentages?

[30]           Nous analyserons en premier lieu la réduction de 20 %, pour laquelle le directeur ne donne aucune justification, pas plus qu’il ne l’a fait pour le choix des montants de base. Le dossier dont il disposait et qui nous a été soumis aux fins du contrôle judiciaire indique que l’intimée a saisi l’autorité réglementaire des questions soulevées en l’espèce, un geste qui suggère une certaine volonté de se conformer, qui normalement militerait en faveur d’une approche plus clémente. À l’opposé, le dossier révèle que l’intimée n’a point remédié aux problèmes relevés, en dépit des velléités manifestées au directeur à cet égard. On peut en déduire que des semonces étaient nécessaires pour rectifier cette attitude, qui fait pencher la balance en faveur d’une approche moins clémente. La preuve va donc dans les deux sens. Pourquoi le directeur a-t-il appliqué un pourcentage de 20 % plutôt qu’un pourcentage de 5 % ou de 60 %. Nous n’en avons pas la moindre idée.

[31]           Passons maintenant à la réduction de 95 %. Là encore, le directeur nous laisse dans le vague relativement à ce choix. D’après le dossier, afin de lui imposer une pénalité qui l’encouragerait à se conformer sans être indûment punitive, le directeur a tenu compte du fait que l’entreprise de l’intimée n’est pas un gros établissement financier rentable, mais plutôt une entité de taille modeste. Cela étant dit, le défaut de l’intimée de remédier aux problèmes relevés suggère, là encore, la nécessité d’un redressement de son attitude en matière de conformité. Donc, comme c’est le cas pour la réduction de 20 %, la preuve va dans les deux sens. Pourquoi le directeur a-t-il opté pour une réduction de 95 %? Pourquoi pas de 30 % ou de 65 %? Nous n’en avons pas la moindre idée.

[32]           Jusqu’à preuve du contraire, les réductions de 20 % et de 95 % peuvent sortir de nulle part ou elles peuvent avoir été choisies pour des considérations complètement étrangères à la loi. Il se pourrait que le directeur n’ait pas poussé son enquête assez loin pour réunir la preuve requise pour étayer sa décision. Il est tout simplement impossible de le savoir. Nous ne disposons d’aucun élément probant qui éclairerait notre lanterne. En l’espèce, nous sommes une cour de révision privée de ses moyens.

[33]           La Cour se retrouve dans une position similaire à celle qui est décrite dans l’arrêt Leahy, précité. Dans cette affaire, il est question d’une institution gouvernementale (l’intimé),  qui a refusé de donner suite à une demande soumise en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1. L’intimé a fait valoir des exclusions sans autre forme d’explication. La Cour n’a pas été en mesure de discerner les raisons de ce refus dans le dossier dont elle a été saisie. Puisqu’elle n’a pas pu trancher si le refus de communiquer de l’information était acceptable et justifiable au regard des faits et du droit, la Cour a annulé la décision du responsable et l’a renvoyée pour être réexaminée. Voir également, pour son issue similaire, l’arrêt Wall v. Office of the Independent Police Review Director, 2014 ONCA 884, 378 D.L.R. (4th) 589, aux paragraphes 57 à 59. Dans cet arrêt, la Cour d’appel de l’Ontario n’a pas pu effectuer un examen de la raisonnabilité parce qu’elle n’était pas en mesure de vérifier le fondement de la décision rendue par l’instance administrative en cause.

[34]           La présente espèce est identique à l’affaire Leahy. Le directeur ne justifie d’aucune façon ses choix concernant les montants de base ou les réductions. Le dossier de preuve dont disposait le directeur ne permet pas non plus d’élucider ses choix. Pour procéder à un examen du caractère raisonnable, nous serions astreints en l’occurrence à présumer que le directeur avait de bonnes raisons de choisir ces chiffres ou à lui accorder une confiance aveugle. Comme l’a affirmé la Cour au paragraphe 137 de l’arrêt Leahy, « [c’]est incompatible avec notre tâche dans le contexte du contrôle judiciaire ». Notre tâche est de faire un contrôle, et non de faire confiance ou de présumer.

[35]           Un observateur s’exprime ainsi sur cette question :

[TRADUCTION] La méconnaissance des raisons à l’origine d’une décision empêche le juge de déterminer si elle est arbitraire ou non. Le juge siégeant en révision doit donc, pour établir si un décideur a agi de manière légitime, obtenir de celui-ci des raisons suffisantes lui permettant de comprendre pourquoi cette décision a été prise et si les exigences législatives explicites ont été remplies [autrement dit, le fondement de la décision doit être explicite dans le dossier]. Si le juge ne peut vérifier comment une décision a été prise, le tribunal ne peut s’acquitter de cette tâche. Toute décision qui contrevient à cette règle de droit est passible d’une sanction de la part du tribunal.

(Paul A. Warchuk, « The Role of Administrative Reasons in Judicial Review: Adequacy and Reasonableness », 2016, C.J.A.L.P., vol. 29, no 87, p. 113.)

[36]           L’appelante a vaillamment tenté de faire valoir que les montants de base de 50 000$, de 75 000 $ et de 25 000 $ avaient été retenus par le directeur sur la foi de documents qui ne nous ont pas été remis. Devant la Cour, tout comme devant la Cour fédérale, la Couronne a soutenu que le directeur s’était appuyé sur une « formule inédite » dont découlent les critères présidant au choix d’un montant de base à l’intérieur du barème prescrit. Apparemment, se fondant sur cette formule inédite, le directeur a appliqué pour chaque violation un pourcentage précis au montant maximal du barème afin de déterminer les montants de base. Si nous comprenons bien, pour tout défaut d’élaborer et de faire appliquer des politiques et des procédures en matière de conformité, le montant de base correspondra toujours à 50 % de la limite supérieure du barème, le défaut d’effectuer une évaluation des risques à 75 % de la limite supérieure, et le défaut de concevoir un programme de formation écrit à 25 % de la limite supérieure.

[37]           La formule inédite évoquée – qui, soit dit en passant, semble plutôt de l’ordre d’une directive secrète – ne figure pas au dossier de preuve dont nous disposons. Par conséquent, nous ne pouvons pas en tenir compte. Malgré ce que peut affirmer l’appelante, rien dans le dossier de preuve n’étaye sa prétention comme quoi le directeur se serait fondé sur cette formule.

[38]           La règle générale veut que la Cour se prononce sur la foi du dossier de preuve dont elle est saisie, à moins qu’une exception s’applique. Deux exceptions législatives permettent de se fonder sur des présomptions de fait et sur la doctrine de la connaissance d’office, dont on trouve une analyse notamment dans l’arrêt R. c. Spence, [2005] 3 RCS 458, 2005 CSC 71. En l’espèce, aucune des deux exceptions ne trouve application.

[39]           Quoi qu’il en soit, même si la formule inédite figurait au dossier qui nous a été soumis et même si nous avions des indications ou des raisons de croire que le directeur l’avait utilisée pour choisir les montants de base, les pourcentages de réduction appliqués resteraient sans fondement et inexpliqués. Par ailleurs, deux autres questions me préoccupent grandement.

[40]           Tout d’abord, la formule inédite semble incompatible avec l’article 73.11, auquel le directeur est impérativement assujetti. L’article 73.11 impose entre autres au directeur de tenir compte du critère du tort causé « dans chaque cas ». Selon les déclarations de l’avocat de l’appelante, la formule inédite opère d’une façon fort différente. Cette formule propose des modalités rigides pour choisir un montant de base à l’intérieur du barème de 1 $ à 100 000 $ qui tient compte du critère législatif afférent au tort causé. Le choix du montant fait intervenir uniquement le type de violation, sans égard aux faits atténuants ou aggravants relativement au tort causé.

[41]           À titre d’illustration, examinons l’une des violations reprochées en l’espèce, soit le défaut d’élaborer et de faire appliquer des politiques en matière de conformité. Selon toute vraisemblance, la formule oblige le directeur à choisir un montant de base au milieu du barème, sans tenir compte des faits susceptibles d’influer sur le degré de gravité du tort réel ou potentiel. Par conséquent, si le directeur appliquait cette formule dans ce cas, il ne pourrait tenir compte de certains faits susceptibles de diminuer la pénalité (par exemple, le fait que les montants individuels et totaux que l’intimée a transférés à l’étranger sont relativement modestes). En contradiction avec l’article 73.11, la formule semble empêcher le directeur de tenir compte des faits « dans chaque cas ». Ou, en d’autres termes, cette formule limite l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[42]           Étant donné que la formule inédite ne nous a pas été présentée, je me garderai de trancher cette question. Il est possible que le directeur ait interprété l’article 73.11 d’une manière qui justifie l’examen général du tort causé, tel que la formule le préconise. Il se peut aussi que l’expérience empirique ou experte du directeur lui ait permis d’analyser le tort associé aux différents types de violations sans tenir compte des faits particuliers dans chaque cas, d’une manière qui à ses yeux constitue une interprétation raisonnable de l’article 73.11. De manière assez inusitée, l’argumentaire servi par l’avocat de l’appelante assimile la formule inédite à une « analyse ». Or, ni la formule ni l’analyse à l’appui de son emploi ou du choix des montants de base ne nous ont été communiquées. Comme je l’ai déjà expliqué, la Cour se voit ainsi privée de moyens pour déterminer si les pénalités imposées par le directeur sont acceptables et justifiables.

[43]           Par ailleurs, le recours présumé à une formule inédite par le directeur suscite chez moi de sérieux doutes sur la question de l’équité procédurale. Dans une espèce comme celle qui nous occupe – portant sur l’imposition potentielle d’une  pénalité pécuniaire à une partie ayant violé un règlement –, la partie vraisemblablement en tort a le droit de connaître la preuve à réfuter et de présenter des observations éclairées à ce sujet; voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193. En l’espèce, le directeur était conscient de son obligation dans une certaine mesure, et il a offert à l’intimée la possibilité de répliquer à plusieurs éléments de la preuve contre elle. Cependant, l’intimée subit une iniquité par suite de l’utilisation apparente et de la non-communication d’une formule inédite, et possiblement d’autres documents sur lesquels, selon l’avocat de l’appelante, le directeur se serait fondé pour choisir les montants de base.

[44]           Au nom de l’équité procédurale, une partie potentiellement passible d’une pénalité administrative pécuniaire, comme c’est le cas de l’intimée en l’espèce, doit connaître les formules, lignes directrices ou analyses auxquelles le directeur entend recourir pour déterminer son montant. Le cas échéant, la partie intimée doit pouvoir répliquer que ladite formule, ligne directrice ou analyse est fausse, insuffisante, inacceptable ou injustifiable au regard des faits, ou incompatible avec les dispositions législatives dont découlent les critères décisionnels, comme c’est le cas de l’article 73.11 de la Loi. Une formule, ligne directrice ou analyse à l’appui peut révéler que le directeur a agi selon une interprétation de la loi qui lui est propre, et la partie touchée doit pouvoir formuler des observations à ce sujet. Dans la présente affaire, le directeur a laissé l’intimée dans l’ignorance en ne lui communiquant pas la formule inédite et peut-être d’autres éléments d’information.

[45]           Dans sa plaidoirie devant nous, l’appelante a insisté pour ajouter des raisons à celles qu’avait invoquées le directeur afin d’obtenir le maintien des pénalités imposées. L’appelante soutient que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la décision administrative doit être évaluée non seulement au vu des raisons formulées, mais également de celles qui auraient pu être formulées. Certes, certains arrêts de la Cour suprême, si nous les interprétons littéralement, nous intiment d’agir ainsi (voir l’arrêt Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 12, et l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 48).

[46]           Il serait cependant inopportun de considérer cette jurisprudence isolément. Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 RCS 654, 2011 CSC 61, au paragraphe 54, la Cour suprême a soutenu que la juridiction de révision n’a pas carte blanche pour trouver des raisons susceptibles de valider une décision. Certaines limites doivent être respectées. Voir aussi l’arrêt Lemus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114, 372 D.L.R. (4th) 567, aux paragraphes 27 à 37.

[47]           Je ne puis accéder à la demande de l’appelante de compléter les raisons du directeur en vue de maintenir les pénalités qu’il a imposées. Rien dans le dossier ne me permet de corroborer les montants de base retenus par le directeur dans le barème de 1 $ à 100 000 $, ni les pourcentages de réduction. Qui plus est, dans un tel cas, la fabrication de raisons qui auraient pu être données pour valider la décision nous obligerait à fermer les yeux sur le rôle qui nous est dévolu à titre de cour de révision. Pour autant que nous sachions, il nous est peut-être demandé de confirmer une décision rendue par un directeur qui a choisi des chiffres arbitrairement, utilisé une ligne directrice ou une analyse inédite et douteuse ou, pis encore, qui a été prise dans un contexte d’iniquité procédurale pour l’intimée.

[48]           Enfin, l’appelante nous a pressés d’infirmer la conclusion de la Cour fédérale en faisant valoir la latitude dont doit jouir le directeur pour s’acquitter des importantes responsabilités que lui confèrent la loi applicable et d’autres dispositions législatives.

[49]           La Cour convient, d’après son interprétation de la législation applicable, que le directeur doit assumer d’importantes responsabilités. En l’occurrence, toutefois, rien dans ce qui précède n’empêche le directeur de faire son travail, loin de là. En l’espèce, pour permettre à la Cour de réviser les pénalités imposées, il aurait peut-être suffi que le directeur prenne un petit moment pour ajouter à son résumé des calculs une explication sommaire des raisons pour lesquelles il a choisi les montants de base et les réductions appliqués. Ainsi, l’intimée aurait été adéquatement informée et en mesure de déterminer s’il y avait lieu d’interjeter appel. De manière plus générale, à titre de décideur public et de partie prenante de notre structure de gouvernance démocratique, le directeur se serait acquitté de la responsabilité qui lui incombe d’expliquer à la population comment et pourquoi il exerce les pouvoirs dont il est investi.

[50]           En outre, il aurait été facile pour le directeur de communiquer à la partie visée les formules, lignes directrices et analyses à l’appui dont il s’est servi pour faire ses calculs. Il aurait agi ce faisant conformément aux principes de l’équité procédurale, une autre de ses attributions importantes.

[51]           Il va de soi que certaines tâches du directeur sont délicates. Si des renseignements doivent être traités sous le sceau de la confidentialité, le directeur, à l’instar de toute autre instance administrative ou autorité publique, peut invoquer un privilège reconnu en droit (par exemple, le privilège au titre de l’intérêt public) et susceptible de contrôle (voir notamment l’arrêt Slansky c. Canada [Procureur général], 2013 CAF 199, 364 DLR [4th] 112 et, semble‑t‑il, l’arrêt Pritchard c. Ontario [Commission des droits de la personne], [2004] 1 RCS 809, 2004 CSC 31). Lors d’un contrôle judiciaire, si des renseignements doivent être tenus confidentiels, le directeur peut demander que des parties du dossier soient mises sous scellé, selon le critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 RCS 522, 2002 CSC 41. D’ailleurs, une partie du dossier de l’espèce a effectivement été mise sous scellé (voir notamment l’arrêt Lukacs c. Canada [Office des transports], 2016 CAF 103.

H.                Recours

[52]           Le recours qui s’offre normalement dans une affaire comme celle dont la Cour est saisie consiste à ordonner son renvoi au directeur afin qu’il réévalue les pénalités imposées et fournisse des raisons appropriées. C’est le recours qui a été accordé par la Cour fédérale. Toutefois, elle est allée plus loin en intimant au directeur de déterminer s’il y avait lieu d’imposer des pénalités.

[53]           C’est effectivement une avenue qui s’offre au directeur dans le cas en l’espèce. Dans le cadre d’une réévaluation des pénalités, le directeur pourrait en principe appliquer le critère prescrit dans la loi et annuler les pénalités.

[54]           J’estime toutefois que la Cour fédérale aurait dû, sans plus, se contenter de renvoyer l’affaire au directeur afin qu’il réévalue les pénalités. Même si telle n’était pas l’intention, cet ajout de quelques mots par la Cour fédérale pourrait être interprété comme une indication ou une suggestion comme quoi le directeur avait imposé des pénalités trop élevées au départ. En vertu de la Loi, le directeur – et non la Cour ou la Cour fédérale – est l’autorité désignée par le législateur pour déterminer les pénalités en cas de violation. En l’absence de circonstances, comme c’est le cas en l’espèce, justifiant juridiquement un mandamus ou un ordre péremptoire de la Cour, le directeur peut réévaluer lui-même les pénalités en appliquant les critères législatifs à la preuve dont il dispose et en formulant des justifications suffisantes.

[55]           Je tiens à rappeler au directeur qu’il ne doit jamais perdre de vue ses obligations à l’égard de l’équité procédurale dans le cadre d’une réévaluation. Notamment, il doit s’assurer que l’intimée est informée de la preuve à réfuter, y compris les formules, lignes directrices et analyses sur lesquelles il compte s’appuyer. Il doit en outre permettre à l’intimée de défendre sa cause.

I.                   Dispositif proposé

[56]           Par conséquent, je rejetterais l’appel.

[57]           En ce qui concerne les dépens, je constate que l’intimée n’a pas déposé d’avis de comparution en vertu de la Règle 341(1), et n’a jamais cherché à le faire. Elle n’a donc pas été autorisée à déposer un mémoire des faits et du droit. À l’audition de l’appel, au titre de notre pouvoir de direction, nous avons autorisé l’intimée à présenter de brèves observations orales. Cependant, étant donné la participation limitée de l’intimée au présent appel, je ne lui adjugerais pas de dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Eleanor R. Dawson j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D.G. Near j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-281-15

APPEL D’UN JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE FOTHERFILL DATÉ DU 15 MAI 2015, DOSSIER NO T-1128-11

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. KABUL FARMS INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 avril 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 MAI 2016

 

COMPARUTIONS :

James Gorham

 

POUR L’APPELANTE

 

Habib Qayumi (non juriste)

Mohammed Yadgar (propriétaire de magasin)

 

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

 

 

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