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Date : 20160518


Dossier : A-204-15

Référence : 2016 CAF 155

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

APOTEX INC.

et APOTEX PHARMACHEM INC.

appelantes

et

ALLERGAN, INC., ALLERGAN SALES, LLC.

ALLERGAN USA, INC. et KYORIN PHARMACEUTICAL CO., LTD.

intimées

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 mai 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20160516


Dossier : A-204-15

Référence : 2015 CAF 155

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

LE JUGE STRATAS

 

 

ENTRE :

APOTEX INC.

et APOTEX PHARMACHEM INC.

appelantes

et

ALLERGAN, INC., ALLERGAN SALES, LLC.

ALLERGAN USA, INC. et KYORIN PHARMACEUTICAL CO., LTD.

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRATAS

[1]               Il y a quelque temps, les intimées, Allergan, Inc. et al., ont intenté une action devant la Cour fédérale contre les appelantes, Apotex Inc. et al., en contrefaçon de brevet.

[2]               Plus tard, les parties ont eu des discussions en vue d’une transaction. À un moment donné, Allergan a pensé qu’une transaction avait été conclue. Apotex n’était pas d’accord. Allergan a donc présenté une demande auprès de la Cour fédérale en vue de faire appliquer ce qu’elle dit être les conditions de la transaction. Apotex s’y est opposée.

[3]               La Cour fédérale (le juge Hughes) a conclu que les parties avaient réglé le contentieux. Le 24 mars 2015, elle a rendu une ordonnance constatant  les conditions de la transaction : 2015 CF 367.

[4]               Apotex interjette appel devant notre Cour. Elle soutient que la Cour fédérale a commis une erreur de principe en concluant en l’existence d’une transaction. Je retiens la thèse d’Apotex. Par conséquent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance de la Cour fédérale et j’accorderais à Apotex les dépens tant en appel qu’en première instance.

A.                Les faits fondamentaux

[5]               Allergan a intenté une action devant la Cour fédérale (dossier T-1267-10) alléguant qu’Apotex avait contrefait le brevet canadien no 1 340 316 en vendant, en fabriquant et en exportant des produits contenant de la gatifloxacine.

[6]               Des discussions en vue d’une transaction ont eu lieu d’avril 2012 à mars 2014. Le dossier dont nous disposons comporte une première série de lettres, des courriels et une ébauche de procèsverbal de règlement joints à des courriels et des comptes rendus à la Cour fédérale, qui gérait l’action.

[7]               Plus loin dans les présents motifs, je me pencherai sur certaines déclarations que les parties ont faites dans certains de ces documents. Aux fins de la présente analyse, je mettrai l’accent sur les documents que la Cour fédérale a invoqués pour conclure que les parties avaient conclu une transaction.

[8]               La Cour fédérale a conclu (aux paragraphes 44 à 50) qu’il y avait bien eu transaction. Dans ses motifs, elle a examiné deux séries de documents :

                     Le premier échange : trois lettres et un courriel. Quelques années après qu’Allergan eut introduit l’action, Apotex lui a envoyé une lettre proposant une transaction. Allergan a répondu par lettre, demandant des précisions [traduction] « pour faire progresser ce dossier en vue d’une transaction ». Apotex a fourni ces précisions. Un courriel a suivi sans mention des précisions. Ces trois lettres et ce courriel ont tous été envoyés en avril 2012. La Cour fédérale soutient (aux paragraphes 44 à 46) qu’à la suite de ces communications, qu’il y avait, à toutes fins pratiques, transaction et tout ce qui s’est produit par la suite était peu important et non essentiel.

                     L’échange du 13 janvier au 24 février 2014. Après l’échange initial, des courriels ont suivi pendant 23 mois. Les parties ont également échangé un certain nombre d’ébauches de procèsverbal de transaction. En fin de compte, les discussions ont été rompues. Toutefois, la Cour fédérale a conclu que le courriel envoyé par l’avocat d’Allergan, le 24 février 2014, indiquait que celle-ci acceptait les conditions figurant dans l’ébauche de procès-verbal de transaction jointe à un courriel que l’avocat d’Apotex avait envoyé le 13 janvier 2014. La Cour fédérale a conclu (aux paragraphes 48 à 51) qu’il y a là offre et son acceptation correspondante quant à l’ensemble des conditions.

[9]               En octobre 2014, six mois après que les négociations eurent échoué, Allergan a demandé une ordonnance constatant la transaction qu’elle pensait avoir conclue. À son avis, même si les parties n’ont pas signé d’entente officielle, elles étaient parvenues à une entente relativement à toutes les conditions essentielles.

[10]           La Cour fédérale a conclu que les parties étaient parvenues à une entente de règlement et a accueilli la requête d’Allergan.

B.                 Analyse

(1)               Compétence des cours fédérales pour la question de savoir si les parties sont parvenues à une transaction

[11]           En Cour fédérale, les parties ont admis qu’elle avait compétence pour statuer sur la requête. Néanmoins, consciente de son statut de juridiction créée par la loi et reconnaissant qu’elle devait être certaine de sa compétence, la Cour fédérale a examiné cette question avec prudence.

[12]           La Cour fédérale a conclu qu’elle avait compétence pour se prononcer sur la question de savoir s’il y avait eu, ou non, transaction et, le dans l’affirmative, de l’entériner (aux paragraphes 32 et 33). Elle a invoqué la compétence de la Cour fédérale en matière d’actions en contrefaçon de brevet aux termes de l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, au paragraphe 54(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 et la jurisprudence confirmant sa compétence, comme Kellogg Company v. Kellogg, [1941] S.C.R. 242, [1941] 2 D.L.R. 545 et Flexi-Coil Ltd. v. Smith-Roles Ltd. (1980), [1981] 1 F.C. 632, 50 C.P.R. (2d) 29 (T.D.).

[13]           Concernant la question de la compétence, j’abonde dans le sens de la Cour fédérale et je retiens en substance son analyse. Je voudrais ajouter ce qui suit. Le droit des contrats, lorsqu’il est fait abstraction du contexte, relève normalement de la compétence provinciale. Toutefois, la Cour fédérale a compétence lorsque la question du droit des contrats dont la Cour est saisie s’inscrit dans une question sur laquelle la Cour fédérale a compétence légale, il existe des règles de droit fédérales essentielles pour se prononcer sur l’affaire qui sont valides aux termes du partage constitutionnel des pouvoirs : ITO-Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 RCS 752, 28 D.L.R. (4th) 641; Canadian Transit Company c. Windsor (Corporation de la ville), 2015 CAF 88, 384 D.L.R. (4th) 547.

[14]           La Cour fédérale avait compétence pour une autre raison. L’existence ou l’inexistence d’une transaction a une incidence sur l’état de l’instance devant la Cour. Dans le premier cas, l’action subsiste; dans le deuxième cas, elle n’est plus. Au titre de ses pleins pouvoirs, notre Cour a compétence pour décider si une procédure subsiste ou non : Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 RCS. 626, 157 D.L.R. (4th) 385, aux paragraphes 35 à 38; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50, 443 N.R. 378, aux paragraphes 35 et 36; Mazhero c. Fox, 2014 CAF 226, au paragraphe 9.

[15]           Lorsque la Cour fédérale et une cour supérieure provinciale ont compétence concurrente en la matière, la Cour fédérale peut décliner sa compétence, suspendre l’affaire dont elle est saisie ou déférer l’affaire à une cour supérieure provinciale, car elle estime que celle-ci est un for plus adéquat : Loi sur les Cours fédérales, précitée, à l’article 50.

(2)               Exigences relatives à une entente de règlement

(a)               Principes généraux

[16]           La question en l’espèce est de savoir si une entente de règlement a été conclue dans un territoire de commun law. Le résumé suivant des exigences en matière de transaction est limité aux territoires de common law. En ce qui a trait aux exigences imposées par le droit québécois, notamment par les articles 1385 à 1396 du Code civil du Québec, C.Q.L.R., c. C-1991, il faudra attendre une affaire future.

[17]           Après avoir examiné une partie de la jurisprudence relative à la conclusion de transactions, la Cour fédérale a recensé les exigences comme suit (au paragraphe 41) :

•           pour qu’il y ait contrat obligatoire, il faut une offre et une acceptation et que les conditions de l’acceptation correspondent aux conditions de l’offre;

•           l’acceptation doit être sans équivoque;

•           il peut y avoir une offre et une acceptation donnant naissance à un contrat obligatoire même lorsque les parties ont prévu la signature d’un contrat plus formel;

•           il ne faut pas nécessairement déduire de négociations concernant le contrat plus formel qu’une offre ou une acceptation a été répudiée.

[18]           Comme on le verra dans la discussion ci-dessous, le premier principe doit être nuancé. Il y a transaction une fois qu’il y a offre et acceptation correspondante de toutes les conditions essentielles; un désaccord persistant sur les conditions non essentielles est sans importance. Cette notion de conditions essentielles est, en fait, au cœur du droit en matière de transaction. En effet, elle est au cœur de la présente affaire.

[19]           Je ne suis pas en désaccord avec les autres principes vu leur formulation générale. Cependant, on ne peut en dégager tous les éléments nécessaires pour se prononcer en l’espèce ou sur d’autres affaires.

[20]           Le juge conclut qu’une transaction est conclue lorsque certaines exigences sont respectées. Je les ai regroupées en cinq éléments distincts à prendre en considération.

– I –

[21]           Premièrement, le juge doit conclure, selon les éléments de preuve qui lui sont présentés, que, objectivement, les parties avaient l’intention commune de créer des rapports juridiques.

[22]           Le critère consiste à rechercher si un témoin raisonnable qui observe les parties conclurait que les deux parties, en faisant une offre de transaction et en l’acceptant, avaient l’intention de créer des rapports juridiques : voir, par exemple, McCabe v. Verge (1999), 182 Nfld. & P.E.I.R. 135, au paragraphe 13 (Nfld. C.A.); British Columbia (Minister of Transportation & Highways) v. Reon Management Services Inc., 2001 BCCA 679, 208 D.L.R. (4th) 175, au paragraphe 24.

[23]           L’exigence d’une intention mutuelle objective de créer des rapports juridiques ne signifie pas qu’est nécessaire le formalisme. Il n’est pas obligatoire que les transactions soient conclues par l’intermédiaire d’un avocat ou lors de discussions officielles préalablement planifiées.

[24]           En effet, on remarque dans de nombreux cas, parfois à la grande surprise des clients et des avocats – qu’une conversation banale en apparence peut avoir des conséquences juridiques contraignantes. Les transactions peuvent découler de communications à bâtons rompus impromptues dans un contexte détendu et non commercial. Voir, par exemple, McCabe, précité, au paragraphe 11; UBS Securities Canada, Inc. v. Sands Brothers Canada Ltd., 2009 ONCA 328, 95 O.R. (3d) 93 (C.A.); Ward v. Ward, 2011 ONCA 178, 104 O.R. (3d) 401, au paragraphe 64; RTS Flexible Systems Limited v. Molkerei Alois Muller Gmbh, 2010 UKSC 14, [2010] 1 W.L.R. 753, au paragraphe 45.

– II –

[25]           Deuxièmement, comme toutes les autres ententes, une transaction doit répondre à l’exigence de contrepartie découlant d’une promesse. En matière de transaction, cela n’est certainement presque jamais un problème – par définition, les transactions sont des compromis, donc il y a une contrepartie allant dans les deux sens.

–III –

[26]           Le juge doit aussi conclure, sur le plan objectif, que les conditions de l’accord sont suffisamment certaines : voir, par exemple, Bawitko Investments Limited v. Kernels Popcorn Limited (1991), 53 O.A.C. 314, 79 D.L.R. (4th) 97, aux pages 103 et 104, à la page 104 (C.A. Ont.); l’arrêt Olivieri v. Sherman et al., 2007 ONCA 491, (2007), 86 O.R. (3d) 778, au paragraphe 49 (C.A.). Lorsque les parties [traduction] « s’expriment de telle façon que leurs intentions ne peuvent pas être comprises par la cour [...] l’accord ne tient pas faute de certitude des conditions » : John McCamus, The Law of Contracts (Toronto : Irwin Law, 2005), à la page 91. Autrement dit, le juge doit conclure que les parties étaient objectivement d’accord ou que, objectivement, les parties avaient une volonté commune.

[27]           Il ne revient pas au juge de modifier l’offre et l’acceptation des parties et de rendre les conditions certaines. Le juge ne fera pas une [traduction] « nouvelle entente pour les parties » alors si elles [traduction] « n’ont jamais été d’accord » : Kelly v. Watson (1921), 61 S.C.R. 482, 57 D.L.R. 363.

[28]           Cela dit, lorsque les parties avaient objectivement une volonté commune et [traduction] « avaient l’intention de créer des rapports juridiques entre elles », souvent leurs attentes raisonnables peuvent être discernées et [traduction] « le juge cherchera en général à [leur] donner effet » : Hunt River Camps/Air Northland Ltd. v. Canamera Geological Ltd. (1998), 168 Nfld. & P.E.I.R. 207, 517 A.P.R. 207, aux pages 217 et 218 (Nfld. C.A.); voir aussi, par exemple, Canada Square Corp. v. Versafood Services Ltd. (1982), 34 O.R. (2d) 250, 130 D.L.R. (3d) 205 (C.A.) et Olivieri, précité, au paragraphe 50.

[29]           L’absence de certitude des conditions menant à la conclusion qu’il n’y avait pas d’entente est quelque chose de très différent de la présence, dans une entente, de mots qui ont plusieurs sens. Par exemple, des mots comme « dénigrer » ou « scientifique » peuvent avoir plusieurs sens, mais du moment que la cour peut donner un sens à ces conditions dans tel ou tel cas, l’entente n’est pas nulle en raison de son incertitude : voir l’arrêt Olivieri, précité, au paragraphe 49.

– IV –

[30]           Nulle entente n’est conclue avant qu’il y ait une offre et une acceptation correspondante de toutes les conditions qui lui sont essentielles : Olivieri, précité, au paragraphe 32; Fieguth v. Acklands Ltd. (1989), 59 D.L.R. (4th) 114, 37 B.C.L.R. 62 (C.A.), au paragraphe 35; Bawitko, précité, aux pages 103 et 104. Un désaccord, apprécié objectivement, sur une condition essentielle, signifie qu’il n’y a pas entente : Reon Management Services Inc., précité, au paragraphe 34.

[31]           Comment le juge détermine-t-il quelles conditions sont essentielles et quelles conditions ne le sont pas?

[32]           Le juge doit examiner objectivement les faits précis de l’affaire à la lumière des circonstances concrètes et demander si les parties avaient l’intention d’être liées juridiquement par ce qui avait été déjà convenu ou, en d’autres termes, si [traduction] « un homme ou une femme d’affaire honnête et raisonnable, en examinant objectivement le comportement des parties, pourrait raisonnablement conclure que les parties avaient l’intention d’être liées ou non » par les conditions arrêtées : G Percy Trentham Ltd v Archital Luxfer Ltd (1992), [1993] 1 Lloyd’s Rep 25, 63 B.L.R. 44 (C.A.), aux paragraphes 50 et 86; Ward, au paragraphe 61; Hughes c. Moncton, 2006 NBCA 83, 304 NBR (2d) 92, au paragraphe 6. Autrement dit, du point de vue d’hommes ou de femmes d’affaires raisonnables, qui se mettent à la place des parties, et non de celui d’avocats, y avait-il une autre question essentielle à régler? Voir Investors Compensation v. West Bromwich Building Society, [1998] 1 All E.R. 98; [1998] 1 W.L.R. 896 (H.L.); Chartbrook v. Persimmon Homes, [2009] UKHL 38, [2009] A.C. 1101 et Re Sigma Finance, [2009] UKSC 2, [2010] 1 All E.R. 571. Autrement dit, il faut rechercher de quelle manière [traduction] « une personne raisonnable, versée dans la matière, aurait compris les échanges entre les parties » : Bear Stearns Bank plc v. Forum Global Equity Ltd., [2007] EWHC 1576 (Q.B.D. Comm.), au paragraphe 171.

[33]           Lorsque le juge conclut qu’il y a eu entente sur les conditions essentielles, il dégage, souvent par implication, des conditions non essentielles de l’entente : McCabe, précité, au paragraphe 20; Fieguth, précité; Hughes, précité, au paragraphe 6. Même en cas d’absence d’entente sur les conditions non essentielles, il est loisible au juge de constater l’existence d’une entente. Autrement dit, [traduction] « il n’est pas nécessaire que le contrat initial comprenne toutes les conditions connexes qui sont déjà implicites dans son contenu » : Ward, précité, au paragraphe 54. [traduction] « Même si certaines conditions d’importance économique ou autre des parties n’ont pas été parachevées, l’évaluation objective de leurs paroles et de leur conduite peut mener à la conclusion qu’elles n’avaient pas l’intention de considérer une entente sur ces conditions soit une condition préalable à une entente conclue et juridiquement contraignante » : arrêt RTS Flexible Systems, précité, au paragraphe 45. Par exemple, en admettant qu’une entente sur les conditions essentielles soit par ailleurs établie, le juge peut constater des conditions implicites concernant l’octroi d’une renonciation, le mode de paiement et le moment du paiement : arrêt Fleguth, précité, au paragraphe 21; Hodaie v. RBC Dominion Securities, 2012 ONCA 796, au paragraphe 3; Imperial Oil Ltd. v. 416169 Alberta Inc., 2002 ABQB 386, 310 A.R. 338. Il s’agira souvent de [traduction] « simples formalités ou d’une formulation de routine »: Bawitko, précité, à la page 106.

[34]           Une question controversée est de savoir si des mots comme [traduction] « sous réserve d’une entente officielle » dans une offre ou une acceptation faire obstacle à l’existence d’une entente jusqu’à ce que l’entente officielle soit signée. La question est controversée parce que la réponse dépend de l’interprétation des communications entre les parties, ce qui est parfois une tâche difficile.

[35]           Même si les parties pourraient décider qu’elles prépareraient une entente écrite officielle ultérieurement attestant les conditions de la transaction, elles sont peut-être déjà liées parce qu’elles se sont mises d’accord, verbalement ou par écrit, sur toutes les conditions essentielles. Autrement dit, [traduction] « le fait qu’un autre document était nécessaire pour officialiser l’entente entre ces parties n’est pas incompatible avec le constat qu’ [un échange verbal ou écrit constitue] un contrat obligatoire si les conditions de [l’échange] comportent une entente sur toutes les conditions essentielles » : décision Gutter Filter Company LLC v. Gutter Filter Canada Inc., 2011 FC 234, au paragraphe 11.

[36]           Dans certains cas, cependant, des mots comme [traduction] « sous réserve d’entente officielle » peuvent être suffisants pour s’assurer qu’il n’y a pas entente tant que nulle entente officielle n’est signée : Olivieri, précité, au paragraphe 48. La question est de savoir si les parties sont seulement parvenues à [traduction] « une entente pour se mettre d’accord sur des dispositions essentielles ultérieurement » ou [traduction] « pour reporter le caractère contraignant de l’entente jusqu’à l’exécution du contrat officiel subséquent proposé » : arrêt Ward, précité, au paragraphe 53.

[37]           Comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a observé à l’occasion de l’affaire Bawitko (à la page 104) :
[traduction]

Lorsqu’elles sont d’accord sur toutes les dispositions essentielles à intégrer dans un document officiel dans l’intention que leur entente devienne alors obligatoire, elles ont rempli toutes les conditions requises pour la formation d’un contrat. Le fait qu’un document officiel écrit allant dans le même sens doit être ensuite préparé et signé ne modifie pas la validité obligatoire du contrat initial.

Toutefois, lorsque le contrat initial est incomplet parce que des dispositions essentielles visant à régir les relations contractuelles n’ont pas été réglées ou arrêtées; ou le contrat est trop général ou imprécis pour être valable en soi et dépend de la conclusion d’un contrat officiel ou la compréhension ou l’intention des parties, même s’il n’y a aucune incertitude quant aux conditions de leur entente, est que leurs obligations juridiques doivent être différées jusqu’à ce qu’un contrat officiel soit approuvé et signé, l’entente initiale ou préliminaire ne peut pas constituer un contrat exécutoire. En d’autres termes, dans de telles circonstances, le [traduction] « contrat de conclure un contrat » n’est pas du tout un contrat. L’exécution du document officiel envisagé n’est pas censée être seulement un acte solennel ou le mémoire d’un contrat déjà complet et obligatoire, mais est essentielle à la formation du contrat lui-même.

[38]           En fin de compte, le fait de savoir si une clause [traduction] « sous réserve d’entente officielle » exclut le constat d’accord est une question d’interprétation. Ce point met l’accent sur la question de savoir « si l’exécution du nouveau contrat est une condition ou une modalité de la négociation ou si c’est une simple expression de la volonté des parties quant à la manière dont la transaction déjà acceptée se concrétisera en fait » : Calvan Consolidated Oil & Gas Ltd. v. Manning, [1959] S.C.R. 253, à la page 261, 17 D.L.R. (2d) 1; Hatzfeld-Wildenburg v. Alexander, [1912] 1 Ch. 284, aux pages 288 et 289. Dans le premier cas, il n’y a pas contrat exécutoire; dans le second cas, il y en a un.

[39]           Cela est évalué objectivement, par l’examen de la correspondance échangée entre les parties, en vue de décider si celles-ci, par un échange de correspondance coordonnée, avaient l’intention d’établir des rapports juridiques immédiats : Newbury v. Sun Microsystems, [2013] EWHC 2180, aux paragraphes 19 à 24 (Q.B.D.). La jurisprudence a parfois eu recours à la conduite ultérieure des parties pour rechercher si une entente a été conclue au sujet des conditions essentielles : Bawitko, précité, à la page 107; Ward, précité, aux paragraphes 55, 65 et 68 à 76; Andrews v. Lundrigan, 2009 ONCA 160, 247 O.A.C. 15, au paragraphe 8; arrêt Dominak v. Lockhart, 2014 BCCA 432, 65 B.C.L.R. (5th) 318, au paragraphe 35.

– V –

[40]           Dans certains cas, d’autres exigences pourraient voir le jour. Par exemple, la loi peut créer des exigences particulières pour certains types de contrats, comme la nécessité qu’une convention de vente de terrain soit attestée par écrit : voir, par exemple, An Act for Prevention of Frauds and Perjuries, 29 Chas. 2, ch. 3, (Eng., 1677); et à titre d’illustration, voir l’arrêt Druet c. Girouard, 2012 NBCA 40, 386 N.B.R. (2d) 281.

[41]           La loi peut également interdire la conclusion de certains contrats. Il peut également intégrer certaines conditions obligatoires dans les ententes nonobstant la véritable entente des parties.

[42]           Lorsque des mandataires des parties, comme les avocats, mènent les négociations, le droit habituel relatif à la formation de contrats par des agents joue.

[43]           Ainsi, lorsque les parties sont représentées par des avocats, s’ils possèdent tous le pouvoir apparent de lier leurs clients – ni l’un ni l’autre n’a qualifié son autorité dès le début ou qualifié une offre ou une acceptation en disant qu’elle a été faite [traduction] « sous réserve de l’approbation de mon client » ou [traduction] « sous réserve d’instructions » – alors une offre et son acceptation correspondante de la part des avocats lient leurs clients. Si l’avocat déclare que son acceptation est faite sous la réserve explicite de l’approbation de son client quant au pouvoir du client de décider si une offre est acceptée, il ne peut y avoir entente tant que le client ne s’est pas exprimé.

(b)               L’appréciation par le juge des exigences en matière de transaction

[44]           La Cour fédérale a observé (au paragraphe 42) que, pour rechercher si les exigences relatives à une entente de règlement sont satisfaites, elle doit recourir à « une norme subjective, non objective ».

[45]           Je rejette cette thèse. En recherchant si les exigences sont satisfaites, la Cour doit retenir un point de vue objectif. C’est ce qu’enseigne la quasi-totalité de la jurisprudence précitée. Des évaluations objectives et non subjectives de la preuve sont continuellement mentionnées.

[46]           Par exemple, pour rechercher si une partie a accepté une offre de règlement, le juge ne s’intéresse pas aux véritables intentions de la partie. Le critère est plutôt objectif :

[traduction]

Si, quelle que soit la véritable intention [de l’intéressé], [il] se conduit de sorte qu’un [observateur] raisonnable croirait qu’il est d’accord avec les conditions proposées par l’autre partie et que l’autre partie en est amenée à conclure un contrat avec elle, l’[intéressé] qui se conduit ainsi serait également lié comme s’il avait eu l’intention d’accepter les conditions de l’autre partie.

(Smith v. Hughes (1871), L.R. 6 Q.B. 597, à la page 607, 19 W.R. 1059 et voir, plus récemment, l’arrêt RTS Flexible Systems, précité, au paragraphe 45.)

[47]           En d’autres termes, les réserves subjectives de l’une des parties ne font pas obstacle à la formation d’une entente obligatoire si, en se fiant à toutes les apparences objectives et extérieures, les parties ont l’intention d’établir des rapports juridiques et ont accepté les mêmes conditions sur la même matière essentielle : Newbury, précitée, au paragraphe 14, citant Air Studios (Lyndhurst) Limited T/A Entertainment Group v. Lombard North Central PLC, [2012] EWHC 3162, au paragraphe 5 (Q.B.D.).

[48]           Par conséquent, la preuve de l’état d’esprit actuel ou de l’intention subjective des parties est sans importance : Lindsay v. Heron & Co. (1921), 50 O.L.R. 1, 64 D.L.R. 92 (Ont. S.C. (A.D.)). Lorsque les parties échangent des communications écrites, les intentions doivent être mesurées par la lecture objective de la formulation choisie par les parties afin de traduire leur entente : Olivieri, précité, au paragraphe 44; Andrews, précité, au paragraphe 8.

[49]           Le même point a été bien exprimé à l’occasion de l’affaire Lindsay, précitée, aux pages 98 et 99 :

[traduction]

Le consentement mutuel apparent des parties, qui est essentiel à la formation d’un contrat, doit ressortir de leur formulation et le droit impute à l’intéressé une intention correspondant au sens raisonnable de ses paroles et de ses actes. Il permet de juger de son intention par ses expressions visibles et exclut toutes les questions concernant son intention inexprimée. Si ses paroles ou ses actes, jugés selon une norme raisonnable, manifestent l’intention de se mettre d’accord en ce qui concerne l’affaire en question, cette entente est établie et ce que peut être l’état d’esprit réel, mais inexprimé sur le sujet importe peu.

[50]           Le déroulement intégral des négociations entre les parties doit être pris en considération et un critère objectif doit être appliqué : Hugh Beale, éd., Chitty on Contracts, 31e éd. (London : Sweet & Maxwell, 2012), vol. 1, aux paragraphes 2-028 et 2-029.

[51]           Dans ce cas, l’affidavit d’Erin McIntomny, déposé par Allergan, est joint aux divers courriels, lettres et ébauches de procèsverbal de règlement sans commentaires. L’affidavit de Benjamin Hackett, déposé par Apotex, fait de même, mais ajoute un contexte relativement peu controversé entourant les documents. Les deux affidavits laissent, en grande partie, les documents parler d’eux-mêmes, ce qui permet à la Cour d’évaluer la question de manière objective. Si cela avait été nécessaire, les affidavits auraient pu fournir des renseignements objectifs sur les circonstances entourant les négociations, mais ce n’était pas nécessaire en l’espèce. À juste titre, nul des affidavits ne constitue une preuve des intentions subjectives des parties. Cette approche est la bonne.

(c)                Mise en garde

[52]           Il ressort de ce qui précède que la transaction  peut être conclue rapidement et sans formalité et, d’un point de vue subjectif, parfois de façon inattendue : les transactions comprennent presque toujours un examen, les discussions en vue d’une transaction ont généralement lieu dans un contexte où l’intention d’établir des rapports juridiques peut être présumée, les discussions officieuses peuvent compter, le consensualisme est apprécié objectivement, une entente sur toutes les conditions essentielles lie les parties même si elles négocient encore au sujet d’autres conditions et, à moins qu’elles ne soient essentielles, des conditions comme les renonciations peuvent être facilement jugées implicites dans une entente pour la conclure. Une récente jurisprudence de la Cour suprême du Royaume-Uni, RTS Flexible Systems, précitée, souligne ces points.

[53]           Cela a des conséquences pratiques. Si une partie ne veut pas être liée jusqu’à ce qu’elle ait accepté toutes les conditions qu’elle juge subjectivement essentielles à l’entente, dans chaque offre qu’elle propose, elle doit clairement exprimer ce souhait de manière objective.

(3)               Application de ces principes aux faits de l’espèce

[54]           Comme signalé ci-dessus, en constatant que les parties étaient parvenues à transaction, la Cour fédérale a mis l’accent sur deux ensembles d’éléments de preuve. Premièrement, un premier échange : trois lettres et un courriel en avril 2012. Deuxièmement, un échange de courriels, le 13 janvier et le 24 février 2014.

[55]           J’examinerai ces deux fondements. Ensuite, j’examinerai le reste des documents versés au dossier dont nous sommes saisis. À mon avis, en appliquant les principes corrects énoncés ci-dessus, il est impossible de conclure que les parties sont parvenues à une transaction.

(a)               Le premier échange : trois lettres et un courriel en avril 2012

[56]           Comme signalé ci-dessus, les négociations ont commencé par l’échange de trois lettres et d’un courriel en avril 2012.

[57]           La Cour fédérale a jugé que toutes les conditions essentielles ont été arrêtées par cet échange. Elle a dit (aux paragraphes 45 et 46) que les échanges de courriers électroniques et les ébauches d’ententes officielles échangées consistaient simplement en « l’ajout d’un préambule », de mots peu importants indiquant « par exemple, que l’entente lie les héritiers et les ayants droit [...] », et qu’« on a [...] fait des histoires autour du libellé du procès‑verbal de règlement ».

[58]           Cette conclusion est entachée de plusieurs erreurs qui appellent notre intervention.

[59]           La Cour fédérale a affirmé que toutes les conditions essentielles ont été arrêtées lors de cet échange sans tenir compte du droit quant aux conditions essentielles et de son application en l’espèce. En exposant quatre principes juridiques qui régissent l’affaire, elle est restée muette sur la question des conditions essentielles. En outre, elle n’a pas déterminé quelles conditions étaient essentielles en conformité avec les principes évoqués ci-dessus. Comme on le verra, ces principes mènent l’analyse dans une direction différente.

[60]           Pour tirer sa conclusion, la Cour fédérale a déclaré qu’elle doit avoir recours à une « norme subjective, et non objective, pour établir si un contrat obligatoire a été conclu » (au paragraphe 42). Tel qu’il en ressort de l’analyse des principes ci-dessus, c’était erroné. Comme on le verra, dans une partie clé de son analyse, la Cour fédérale semble avoir été distraite par un point de vue subjectif d’Allergan sur l’importance de certaines conditions qui devaient être négociées, plutôt que de s’en tenir à l’évaluation objective de la question du point de vue d’une personne d’affaires raisonnable.

[61]           Ensemble, cela constitue une erreur de droit qui appelle notre intervention : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Comme cette question se rapporte à la formation des contrats plutôt qu’à leur interprétation, la récente doctrine sur la norme de contrôle en appel proposée par la jurisprudence Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633 ne joue pas. Cela dit, même si tel était le cas, la jurisprudence Sattva maintient la doctrine de l’arrêt Housen selon laquelle une erreur de droit ou de principe isolable appelle l’intervention de la cour d’appel (au paragraphe 53).

[62]           La première lettre de ce premier échange, en date du 9 avril 2012, était d’Apotex à Allergan. Elle y proposait les conditions suivantes :

1.         L’offre demeure ouverte jusqu’à la première minute suivant le début du procès ou jusqu’à ce que, auparavant, elle ait été retirée par écrit.

2.         [Allergan] se désister[a] de l’action, sans frais.

3.         [Apotex] prendr[a] les engagements suivants :

a.         aucune préparation contenant de la gatifloxacine destinée à la vente commerciale ne sera fabriquée par [Apotex] avant l’expiration du brevet canadien no 1 340 316 (le « brevet 316 »);

b.         toute utilisation faite par [Apotex] de la gatifloxacine à titre d’ingrédient pharmaceutique actif au Canada avant l’expiration du brevet 316 sera uniquement à des fins réglementaires et/ou expérimentales;

c.         aucune préparation contenant de la gatifloxacine fabriquée par [Apotex] à des fins réglementaires ou expérimentales avant l’expiration du brevet 316 ne sera vendue dans le commerce;

d.         toute gatifloxacine considérée comme un ingrédient pharmaceutique actif qui n’est pas utilisée à des fins réglementaires et/ou expérimentales avant l’expiration du brevet 316 sera détruite à l’expiration du brevet 316.

[63]           Par lettre datée du 20 avril 2012, Allergan a demandé des précisions quant à la portée du paragraphe 3 sur le plan des parties et des emplacements :

[traduction]

Pourriez-vous préciser si cet engagement concerne tous les fabricants du Canada pour la vente commerciale partout dans le monde jusqu’à l’expiration du brevet 316? Ou s’il est envisagé qu’il n’y aura aucun fabricant pour la vente commerciale au Canada, mais permettrait la fabrication commerciale pour la vente commerciale à l’extérieur du Canada jusqu’à l’expiration du brevet 316?

[...]

De plus, pourriez-vous confirmer que la portée de l’engagement pris par [Apotex] s’étendait à toute entreprise contrôlée par [Apotex] ou affiliée à celle[s]-ci?

[64]           Allergan a déclaré que les précisions qu’elle avait demandées relevaient de [traduction] « préoccupations relativement secondaires ». Cela peut avoir été dit pour des raisons tactiques dans le cadre des négociations, ou peut-être s’agit-il de son point de vue subjectif; néanmoins, comme je l’expliquerai plus tard, en examinant la question objectivement, une question relative à la portée des restrictions à imposer à Apotex dans le cadre de la transaction est considérable, pas secondaire.

[65]           Par lettre datée du 24 avril 2012, Apotex donnait des précisions concernant la portée du paragraphe 3 :

[traduction]

Nous vous écrivons pour confirmer que l’engagement de ne pas fabriquer la préparation contenant de la gatifloxacine pour la vente commerciale par [Apotex] au Canada jusqu’à l’expiration du brevet 316 s’étend à la fabrication au Canada en vue de la vente commerciale partout dans le monde ainsi qu’à toute entreprise contrôlée par [Apotex] ou affiliée à celle-ci.

[66]           Apotex a ajouté quelques observations supplémentaires sur ses précisions :

[traduction]

Comprenez bien qu’en prenant cet engagement, les sociétés Apotex ne nécessitent aucune approbation réglementaire selon laquelle la fabrication commerciale doit se faire sur le même site que le développement. En ce qui concerne les États-Unis, par exemple, il n’y aurait aucune difficulté à transférer la production vers un site à l’extérieur du Canada. Apotex a toujours eu l’intention de le faire, jusqu’à l’expiration du brevet canadien.

Sur ce dernier point, la raison pour laquelle Apotex ne s’est pas lancée aux États-Unis sur ce principe est que vos clients ont détruit le marché en orientant le marché vers un produit modifié alors qu’Apotex entamait un contentieux et était en attente d’un contentieux.

[67]           En réponse, l’avocat d’Allergan a envoyé un courriel trois jours plus tard. Le courriel n’indiquait pas que l’offre d’Apotex avait été acceptée. Il ne mentionnait rien quant à savoir si les précisions étaient satisfaisantes ou si les observations supplémentaires sur les précisions lui posaient problème. Au lieu de cela, le courriel de l’avocat d’Allergan indiquait que les [traduction] « discussions en vue d’une transaction semblent sur la bonne voie ». Il a également ajouté que l’avocat n’a pas obtenu des instructions de sa cliente et qu’il lui faudra encore deux semaines pour les recevoir. Ces deux semaines se sont écoulées – en fait, plusieurs semaines se sont écoulées – sans nouvelle de la part de l’avocat d’Allergan quant à savoir si sa cliente avait donné des instructions. Au début de juin 2012, l’avocat d’Allergan a transmis l’ébauche d’un procès-verbal de règlement [traduction] « pour faire avancer les choses » sous réserve des [traduction] « observations » de sa cliente. À la fin de juin 2012, il a transmis une ébauche révisée, sous réserve des observations et des instructions de sa cliente. Par la suite, les parties ont commencé à négocier et à diverger de points de vue sur la portée des restrictions à imposer à Apotex, la matière de ce qui était à l’origine le paragraphe 3 de la lettre datée du 9 avril 2012.

[68]           En examinant cette preuve objectivement du point de vue de l’homme d’affaires – non subjectivement –, les trois lettres et le courrier électronique ne peuvent pas constituer une offre et une acceptation. À proprement parler, d’une part, ils constituent une offre et, d’autre part, ils constituent tout au plus une déclaration d’optimisme selon laquelle des progrès vers une entente avaient été réalisés et une réserve émise voulant qu’Allergan, la mandataire, devait examiner la question et décider si elle était d’accord. La transmission de l’ébauche d’un procès-verbal de règlement par la suite ne visait pas à mettre sur papier une entente sur toutes les conditions essentielles déjà convenues par les parties. Au contraire, l’ébauche et les itérations subséquentes ainsi que les discussions y afférentes sont devenues un moyen par lequel la portée des restrictions touchant Apotex, qui figuraient à l’origine au paragraphe 3 de la lettre datée du 9 avril 2012 et qui n’ont jamais été convenues, a été débattue.

[69]           À ce stade, il est utile de rechercher si la portée des restrictions touchant Apotex était une condition essentielle. Si l’on devait adopter un point de vue subjectif dans le cadre de l’évaluation de la question, on pourrait noter le commentaire d’Allergan selon lequel les précisions qu’elle a demandées constituaient [traduction] « des préoccupations relativement secondaires ». La Cour fédérale, en adoptant un point de vue subjectif, semble avoir cru à cette qualification, convenant ainsi que les préoccupations étaient secondaires (aux paragraphes 43 et 44) et qualifiant les discussions ultérieures engagées dans le cadre de courriels et d’ébauches d’un procès-verbal de transaction sur une période de vingt-trois mois – dont plusieurs concernaient la portée des restrictions touchant Apotex – de manœuvres constituant à « [faire] des histoires et [jouer] avec les mots » sur des questions secondaires.

[70]           Nous devons examiner les courriels et les ébauches objectivement du point de vue de la personne d’affaires raisonnable, et non subjectivement. Vue de cette façon, la portée des restrictions touchant Apotex n’était pas du tout secondaire. C’était une partie importante de la contrepartie qu’Allergan devait obtenir aux termes de l’entente envisagée.

[71]           En considérant les choses objectivement, nous avons Allergan, la titulaire d’un brevet interdisant à autrui de fabriquer, de vendre et de distribuer une invention brevetée. Elle a poursuivi en justice ceux qui, selon elle, ont violé cette interdiction, à savoir Apotex. La personne d’affaires raisonnable, qui étudierait la question objectivement, constaterait que, dans toute transaction, le titulaire du brevet étant dans la position Allergan souhaiterait obtenir des précisions sur exactement qui, le cas échéant, fabriquerait, vendrait et distribuerait l’invention à l’avenir. Objectivement vue et évaluée, la portée des restrictions touchant Apotex constituait une condition essentielle. On ne peut objectivement dégager des trois premières lettres et du courriel d’avril 2012 une offre et une acceptation de cette condition essentielle.

(b)               L’échange de communications du 13 janvier et du 24 février 2014

[72]           Dans un courriel daté du 13 janvier 2014, l’avocat d’Allergan a indiqué qu’il avait [traduction] « recommandé que [son] client accepte les révisions [...] intégrées dans [l’ébauche de transaction], et [sa] cliente [était] disposée à donner son approbation, sous réserve de l’achèvement d’une mesure additionnelle ». Il a demandé à l’avocat d’Apotex de [traduction] « confirmer que [sa] cliente jug[eait] le document joint acceptable ». Quelques semaines plus tard, l’avocat d’Allergan a proposé certaines modifications à l’ébauche de l’entente.

[73]           Dans un courriel daté du 14 février 2014, l’avocat d’Apotex a répondu. Il a rejeté les dernières modifications proposées pour l’ébauche de l’entente et a ajouté ce qui suit : [traduction] « nous sommes disposés, toutefois, à recommander à nos clientes d’accepter votre ébauche précédente, distribuée le 13 janvier 2014 ».

[74]           Dans un courriel daté du 24 février 2014, l’avocat d’Allergan a indiqué ce qui suit : [traduction] « [p]our donner suite à nos discussions de ce matin, nous vous informons que nos clientes ont approuvé les conditions que vous avez proposées dans votre courriel du 14 décembre 2013 et qui ont été intégrées dans l’ébauche distribuée le 13 janvier 2014 ».

[75]           La Cour fédérale a conclu qu’il y avait une entente découlant de l’échange de ces courriels. Cependant, sur la foi de ces éléments de preuve, il n’est juridiquement pas possible de constater l’existence d’un accord.

[76]           Dans le courriel du 14 février 2014, l’avocat d’Apotex a seulement accepté de recommander à sa cliente qu’elle accepte. En disant cela, l’avocat d’Apotex a déclaré qu’il n’a pas le pouvoir de lier sa cliente; il devait consulter celle-ci. Ainsi, alors qu’Allergan était disposée à accepter l’ébauche qui avait été transmise le 13 janvier 2014, la position d’Apotex était inconnue.

[77]           Il ne s’agit pas d’un cas où l’avocat d’Apotex avait le pouvoir apparent de lier sa cliente. L’avocat a indiqué très clairement qu’il ne possédait pas ce pouvoir et qu’il devait consulter sa cliente.

[78]           Par lettre adressée à la Cour fédérale en date du 17 mars 2014, l’avocat d’Allergan a fait le point sur l’état de l’action. L’avocat d’Allergan a résumé les événements qui avaient eu lieu :

[traduction]

En résumé, le 13 décembre 2013, l’avocat d’Apotex a offert des révisions du procès-verbal de transaction. Le 13 janvier 2014, l’avocat [d’Allergan] a accepté les révisions d’Apotex. Le 14 février, l’avocat d’Apotex a confirmé sa position sous réserve de la confirmation d’Apotex. Le 24 février, [Allergan] a confirmé son acceptation du procès-verbal de transaction. Le 26 février et le 17 mars, l’avocat [d’Allergan] a demandé à l’avocat d’Apotex de lui dire quand le procès-verbal de transaction serait signé. Nous sommes toujours en attente d’une confirmation. [Non souligné dans l’original.]

[79]           Cette confirmation n’est jamais venue. En fait, par sa lettre à la Cour fédérale en date du 17 mars 2014, Apotex a confirmé ce qui suit : [traduction] « [N]ous avons toujours fait savoir à l’avocat [d’Allergan] que nous ne disposons pas des instructions concernant le procès-verbal de transaction révisé et avons récemment indiqué à l’avocat que nous attendions des instructions quant à l’ébauche de procès-verbal de transaction révisée actuelle. »

[80]           En constatant une entente sur la foi des courriels du 13 janvier et du 24 février 2014, la Cour fédérale a conclu ce qui suit (au paragraphe 46) : « [d]ans ce va‑et‑vient, les avocats ont pris soin de protéger leurs arrières en recourant à des expressions comme [traduction] ‘ sous réserve d’éventuelles instructions de ma cliente ’ ou ‘ Je demanderai des instructions ’. Mais ce n’est pas un élément secondaire qui peut être passé sous silence ou dont on peut faire abstraction. Lorsque l’avocat d’Apotex a dit à l’avocat d’Allergan qu’il devait consulter sa cliente, il indiquait qu’il n’avait pas le pouvoir de lier celle-ci. Dans ces circonstances, il ne pouvait y avoir nulle acceptation juridiquement valable de l’offre d’Allergan fondée uniquement sur les paroles de l’avocat d’Apotex.

[81]           En conclusion, Allergan a accepté le procès-verbal de transaction transmis le 13 janvier 2014. Cependant, Apotex ne l’a jamais fait, que ce soit à titre de mandataire à part entière ou par l’intermédiaire d’un avocat ayant le pouvoir apparent de conclure une transaction. Vu ces faits, il ne peut y avoir nulle transaction.

(c)                Les autres communications entre les parties : nulle entente de transaction

[82]           En examinant toutes les autres communications entre les parties, je constate qu’à nul moment il n’y a eu offre et une acceptation correspondante de toutes les conditions essentielles. En effet, la plupart des communications des parties, examinées objectivement, font état d’un désaccord sur la portée des restrictions à imposer à Apotex (à l’origine, au paragraphe 3 du premier échange de lettres). Comme je l’ai signalé, c’était une condition essentielle. Il n’y a jamais eu d’offre ni d’acceptation correspondante à cet égard.

[83]           De temps à autre, les parties proposaient une formulation différente, et les différences ont eu d’importantes répercussions sur la portée des restrictions. Certes, comme la Cour fédérale l’a soutenu (au paragraphe 46), la différence découlait de petits bouts de texte, comme « pour ou », « par ou pour » ou « ou pour ». Toutefois, pour la personne d’affaires objective, de petits bouts de texte peuvent faire une énorme différence. Ce n’était pas seulement « [faire] des histoires et [jouer] avec les mots », comme l’a indiqué la Cour fédérale (au paragraphe 45).

[84]           Comparez, par exemple, les deux dernières versions de la clause concernant les restrictions à imposer à Apotex. Les changements de formulation sont minimes, mais l’effet potentiel sur la portée des restrictions touchant Apotex est considérable.

[85]           Le 13 décembre 2013, les clauses pertinentes se lisent comme suit :

[traduction]

2.         Les défenderesses [Apotex] sont d’accord et s’engagent comme suit :

a)         la gatifloxacine ou les préparations de gatifloxacine ne seront pas fabriquées, utilisées ni importées au Canada pour ou par les défenderesses pour la vente commerciale au Canada ou partout dans le monde pour ou par les défenderesses jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 1 340 316 (le « brevet 316 »);

b)         toute fabrication, importation ou utilisation de la gatifloxacine au Canada par ou pour les défenderesses avant l’expiration du brevet 316 se fera uniquement à des fins de réglementation ou expérimentale;

c)         aucune gatifloxacine ou préparation de gatifloxacine utilisée ou fabriquée par ou pour les défenderesses à des fins réglementaires ou expérimentales avant l’expiration du brevet 316 ne sera commercialisée;

d)         toute gatifloxacine ou préparation de gatifloxacine qui n’est pas utilisée à des fins réglementaires ou expérimentales avant l’expiration du brevet 316 sera détruite à l’expiration du brevet 316;

e)         « les défenderesses » désignent chaque défenderesse, séparément ou collectivement, et comprend les dirigeants, les administrateurs, les préposés, les employés, les actionnaires, les agents, les représentants, les ayants droit et les partenaires de chaque défenderesse ainsi que tous ceux sur lesquels chaque défenderesse a un pouvoir, un intérêt ou un contrôle ou avec qui chaque défenderesse agit de concert.

3.         La présente  entente lie les parties ainsi que leurs successeurs et ayants droit respectifs, et leur confère les avantages.

[86]           Le 13 janvier 2014, les clauses pertinentes se lisent comme suit :

[traduction]

2.         Les défenderesses [Apotex] sont d’accord et s’engagent comme suit :

a)         aucune gatifloxacine ou préparation de gatifloxacine n’a été ou ne sera importée au Canada, exportée du Canada, fabriquée au Canada, cédée au Canada ou utilisée au Canada par les défenderesses pour un usage commercial ou la vente au Canada ou pour un usage commercial ou la vente partout dans le monde pour ou par les défenderesses jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 1 340 316 (le « brevet 316 »);

b)         toute fabrication au Canada de la gatifloxacine ou d’une préparation de gatifloxacine, importation au Canada de la gatifloxacine ou d’une préparation de gatifloxacine, exportation du Canada de la gatifloxacine ou d’une préparation de gatifloxacine, affectation au Canada de la gatifloxacine ou d’une préparation de gatifloxacine ou utilisation au Canada de la gatifloxacine ou d’une préparation de gatifloxacine par ou pour les défenderesses avant l’expiration du brevet 316 doit se faire uniquement à des fins réglementaires ou expérimentales;

c)         toute gatifloxacine ou préparation de gatifloxacine utilisée à des fins réglementaires ou expérimentales ne sera pas utilisée au Canada, cédée ou vendue au Canada ou exportée du Canada par ou pour les défenderesses, mais doit être détruite rapidement une fois qu’elle n’est plus nécessaire à des fins réglementaires ou expérimentales.

3.         Cette entente lie les parties, leurs successeurs et ayants droit respectifs ou toute société contrôlée par les défenderesses ou affiliée à celles-ci, et leur confère les avantages.

[87]           Les différences sont subtiles. Néanmoins, il ne fait aucun doute que, d’un point de vue objectif, les restrictions touchant Apotex et imposées par les clauses ont une portée sensiblement divergente.

[88]           Par les motifs qui précèdent, je conclus que les parties ne sont jamais parvenues à une transaction.

C.                Une requête ultérieure

[89]           Alors que le jugement du présent appel était en délibéré, Allergan a déposé une requête visant un jugement rejetant l’appel au motif que le brevet 316 avait expiré et que l’appel était donc sans objet. Apotex s’est opposée à la requête.

[90]           Notre Cour a rendu une ordonnance rejetant la requête. Ce faisant, elle a suivi les principes de la Cour suprême consacrés par la jurisprudence Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, 57 D.L.R. (4th) 231.

[91]           À notre avis, l’appel n’était pas sans objet. Le fait que la question ait été réglée ou non pourrait avoir une importance pratique pour les parties. Par exemple, si les parties avaient effectivement transigé, alors Apotex aurait été soumise à des obligations aux termes de la transaction – des obligations dont l’inobservation pourrait être le fondement d’une future demande d’indemnisation.

[92]           Même si l’appel n’avait plus d’incidence pratique, la Cour aurait exercé son pouvoir discrétionnaire en faveur de l’audition de l’affaire. En raison de l’absence de toute autorité de notre Cour sur les points juridiques du présent appel et en raison de l’incertitude des points de vue des parties sur l’état du droit, il était dans l’intérêt public que nous jugions le présent appel.

D.                Une dernière observation

[93]           Dans l’intérêt de futures affaires comme celle-ci, une dernière observation au sujet de l’ordonnance de la Cour fédérale est de mise.

[94]           Dans le cadre de sa requête, Allergan a sollicité une ordonnance constatant la transaction censée avoir été conclue par les parties. En accueillant la requête d’Allergan, la Cour fédérale n’a pas seulement déclaré que les parties étaient parvenues à une transaction et déterminé les conditions de la transaction; elle a énoncé ce qu’elle considérait être les conditions exactes de l’entente de règlement et a ordonné à Apotex de se conformer à ces conditions.

[95]           Au final, la transaction a été remplacée par l’ordonnance de la Cour. En outre, si Apotex devait violer cette ordonnance, Allergan pourrait lancer une procédure contre Apotex pour outrage au tribunal. Normalement, les parties qui violent une transaction s’exposent à une réclamation contractuelle, pas à une procédure pour outrage au tribunal.

[96]           Le dossier devant la Cour fédérale n’appelait pas le genre d’ordonnance qu’elle avait rendue. Tout ce qu’elle avait devant elle, c’était un différend de bonne foi quant à savoir s’il y avait transaction. À aucun moment, Apotex n’a-t-elle soutenu que, s’il y avait transaction, elle ne la respecterait pas. Dans ces circonstances, si la Cour fédérale a conclu que les parties étaient parvenues à une transaction, il suffisait de déclarer qu’une transaction avait été conclue et de déterminer les documents au dossier qui la prouvent.

[97]           En fin de compte, la nature trop extensive de l’ordonnance de la Cour fédérale n’a pas d’importance. L’ordonnance doit être annulée parce que les parties ne sont pas parvenues à une transaction.

E.                 Dispositif proposé

[98]           Par conséquent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance datée du 24 mars 2015 de la Cour fédérale dans le dossier T-1267-10, je rejetterais la requête et j’accorderais aux appelantes leurs dépens ci-après.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Johanne Trudel, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-204-15

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES DATÉE DU 24 MARS 2015, DOSSIER NO T-1267-10

INTITULÉ :

APOTEX INC. et APOTEX PHARMACHEM INC. c. ALLERGAN, INC., ALLERGAN SALES, LLC., ALLERGAN USA, INC. et KYORIN PHARMACEUTICAL CO., LTD.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 décembre 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LA JUGE TRUDEL

DATE DES MOTIFS :

LE 18 MAI 2016

 

COMPARUTIONS :

Andrew Brodkin

 

Pour les appelantes

 

Jay Zakaib

Adam Heckman

 

Pour les intimées

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelantes

 

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour les intimées

 

 

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