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Date : 20160527


Dossier : A-202-15

Référence : 2016 CAF 158

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

ROBERT REINHARDT

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 26 avril 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 mai 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20160527


Dossier : A-202-15

Référence : 2016 CAF 158

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

ROBERT REINHARDT

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur soulève des questions d’équité procédurale. Ainsi, selon lui, il avait une attente légitime quant à la transcription de l’audience, et l’avis de comparution de l’expert médical appelé à témoigner par le ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre) n’était pas adéquat. Le demandeur estime également que la décision du Tribunal de la sécurité sociale – Division d’appel (le Tribunal) était déraisonnable.

[2]               Le contrôle judiciaire porte sur la décision du Tribunal rendue le 3 mars 2015, en appel d’une décision du tribunal de révision rendue le 20 décembre 2011. Le demandeur a voulu produire des documents devant le Tribunal à titre de faits nouveaux et essentiels. Le Tribunal a examiné chacun des documents produits par le demandeur et a conclu qu’aucun de ceux-ci ne constituait des faits nouveaux et essentiels qui ne pouvaient être connus au moment de l’audience antérieure malgré l’exercice d’une diligence raisonnable. En conséquence, le Tribunal a rejeté l’appel de la décision du tribunal de révision.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire.

I.                   Contexte

[4]               Le demandeur a émigré de l’Allemagne pour venir s’établir au Canada en 1975, à l’âge de 15 ans. Selon son affidavit (par. 6), il est [traduction« actuellement analphabète pour ce qui est de l’anglais et a besoin de l’assistance d’amis pour remplir des documents et les comprendre ». Il a travaillé comme ouvrier non qualifié pour diverses entreprises et s’est blessé au dos à plusieurs reprises.

[5]               En raison de ses blessures au dos, il a demandé la pension d’invalidité prévue au Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (RPC). Sa demande a d’abord été présentée le 22 juin 2006. Au fil des ans, le demandeur a présenté plusieurs demandes et interjeté appel de plusieurs décisions, en lien avec sa demande de déclaration d’invalidité au sens du RPC. Sa période minimale d’admissibilité a pris fin le 31 décembre 2006. Il n’a pas réussi à obtenir cette pension.

[6]               Selon la décision du Tribunal faisant l’objet du présent contrôle judiciaire, le demandeur sollicitait, en vertu de l’article 66 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 (la LMEDS), l’annulation de la décision du tribunal de révision rendue le 20 décembre 2011. Le tribunal de révision avait rejeté la demande du demandeur, présentée en vertu du paragraphe 84(2) du RPC, visant à mettre en preuve des faits nouveaux.

[7]               L’article 66 de la LMEDS prévoit ce qui suit :

66 (1) Le Tribunal peut annuler ou modifier toute décision qu’il a rendue relativement à une demande particulière :

66 (1) The Tribunal may rescind or amend a decision given by it in respect of any particular application if

a) dans le cas d’une décision visant la Loi sur l’assurance-emploi, si des faits nouveaux lui sont présentés ou s’il est convaincu que la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait;

(a) in the case of a decision relating to the Employment Insurance Act, new facts are presented to the Tribunal or the Tribunal is satisfied that the decision was made without knowledge of, or was based on a mistake as to, some material fact; or

b) dans les autres cas, si des faits nouveaux et essentiels qui, au moment de l’audience, ne pouvaient être connus malgré l’exercice d’une diligence raisonnable lui sont présentés.

(b) in any other case, a new material fact is presented that could not have been discovered at the time of the hearing with the exercise of reasonable diligence.

[8]               En l’espèce, c’est l’alinéa 66(1)b) de la LMEDS qui s’applique puisque la décision en appel devant le Tribunal est une décision rendue en application du RPC.

[9]               Dans une lettre datée du 20 août 2014, le représentant du demandeur a été avisé que l’audience, dont la tenue était initialement prévue le 5 septembre 2014, était remise au 30 octobre 2014. Le 15 octobre 2014, le ministre a signifié un avis que le Dr Baribeau témoignerait à titre de témoin expert et a fait parvenir un résumé de son témoignage le 20 octobre 2014.

[10]           Le 30 octobre 2014, au début de l’audience, le membre du Tribunal a indiqué que celle-ci serait enregistrée. À l’audience, le demandeur a déposé plusieurs documents à titre de « faits nouveaux et essentiels ». Le ministre a également fait comparaître le Dr Baribeau à titre de témoin expert sur la question de savoir si le demandeur souffrait d’une invalidité grave et prolongée. Le Tribunal a souligné, au paragraphe 10, que [traduction« bien que l’instruction ait débordé le temps imparti, il a été impossible de mener l’audience à terme comme prévu ». Il a donc été décidé que les parties présenteraient leurs observations écrites sur la preuve médicale à une date ultérieure.

[11]           Le membre du Tribunal avait avisé les parties qu’elles auraient la transcription de l’audience. Toutefois, une défectuosité a rendu cela impossible. Le membre du Tribunal a toutefois fourni ses notes aux parties relativement au témoignage de l’expert médical (bien qu’elle se soit trompée sur son nom). À la suite des observations du demandeur et du ministre, le représentant du demandeur a sollicité une prorogation du délai pour préparer ses observations en réplique, qui lui a été accordée. Malgré cette prorogation, la réplique n’a pas été déposée à temps.

[12]           Dans ses motifs, le Tribunal a d’abord examiné tous les documents déposés et a conclu qu’aucun d’eux n’était admissible en tant que « faits nouveaux et essentiels » pour l’application de l’alinéa 66(1)b) de la LMEDS. En conséquence, le Tribunal a rejeté l’appel sans examiner la preuve du Dr Baribeau.

II.                Questions en litige

[13]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

a)                  Est-ce que le Tribunal a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne fournissant pas au demandeur une copie de la transcription de l’audience?

b)                  Est-ce que le Tribunal a manqué à son obligation d’équité procédurale en permettant au Dr Baribeau de témoigner?

c)                  Est-ce que la décision du Tribunal suivant laquelle aucun des documents déposés ne satisfaisait au critère énoncé à l’alinéa 66(1)b) de la LMEDS est déraisonnable?

III.             Norme de contrôle

[14]           La norme de contrôle à appliquer en matière d’équité procédurale est celle de la décision correcte, mais assortie d’une certaine retenue à l’égard de la décision du tribunal concerné (Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75, par. 81).

[15]           La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions de fait du Tribunal et à son interprétation de la LMEDS est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 51, et Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, [2015] 3 R.C.F. 461).

IV.             Analyse

A.                Défaut de fournir la transcription

[16]           Le demandeur fait valoir qu’il avait une attente légitime, qu’à ce titre il aurait dû recevoir une copie de la transcription de l’audience devant le Tribunal et que le fait de ne pas la lui fournir avait constitué un manquement à l’équité procédurale de la part du Tribunal. Je ne suis pas d’accord.

[17]           Le demandeur a déposé deux affidavits au soutien de sa demande de contrôle judiciaire : le sien et celui de Ronald Jones, son représentant à l’audience devant le Tribunal.

[18]           Selon l’affidavit du demandeur:

[traduction]

32.       L’arbitre Ross a commencé l’audience en se présentant et a expliqué qu’elle enregistrerait l’audience et qu’une transcription serait préparée.

[19]           Dans l’affidavit de Ronald Jones, la déclaration préliminaire est ainsi décrite :

[traduction]

38.       L’arbitre Ross a commencé l’audience en se présentant et en expliquant qu’elle enregistrerait l’audience pour être en mesure d’en consulter la transcription pour préparer sa décision.

[20]           En l’espèce, le demandeur fait valoir qu’il est analphabète pour ce qui est de l’anglais et qu’il a besoin de l’aide des autres pour se faire expliquer les documents. Il n’y a aucune indication dans le mémoire des faits et du droit du demandeur que son représentant avait des difficultés de compréhension quant aux documents ou aux déclarations faites en anglais.

[21]           À mon avis, l’affidavit du représentant (qui est également plus détaillé) est donc celui qui représente le plus fidèlement le déroulement de l’audience. La teneur de son affidavit mène aussi à une conclusion. En effet, tous deux indiquent que les déclarations du membre du Tribunal ont été faites au début de l’audience. À ce moment, personne ne se doutait que l’audience durerait plus d’une journée. Par conséquent, au début de l’audience, les parties s’attendaient seulement à ce que celle-ci soit enregistrée au profit du membre du Tribunal. Il n’existait aucune attente légitime à ce moment qu’une transcription en soit fournie aux parties.

[22]           Il convient également de mentionner que les seuls arguments qu’il restait à présenter après la journée d’audience étaient celles relatives à la preuve médicale. Comme je le fais remarquer précédemment, le membre du Tribunal a rendu sa décision sans analyser la preuve médicale. En conséquence, aucun manquement à un devoir d’équité procédurale ne peut avoir découlé de l’omission de fournir une transcription qui n’aurait servi qu’à l’égard d’arguments sur des éléments de preuve qui n’ont pas joué dans la décision du Tribunal.

[23]           Ainsi, à mon avis, le défaut de fournir une transcription de l’audience n’a pas emporté de manquement à l’équité procédurale.

[24]           Pendant l’audience portant sur le présent appel, l’avocat du demandeur a également fait valoir qu’il n’était pas possible pour ce dernier de soulever la partialité, faute de transcription. La partialité ne saurait être invoquée à la légère et ne devrait être l’objet d’une demande que lorsqu’il existe des éléments de preuve. On ne saurait conclure, sur le fondement de conjectures quant à la possibilité que la transcription ait révélé l’existence de partialité, que l’équité procédurale n’a pas été respectée parce que la transcription n’a pas été fournie.

B.                 Témoignage de l’expert

[25]           Quant au témoignage du Dr Baribeau, comme le membre du Tribunal l’a fait remarquer, le critère énoncé à l’alinéa 66(1)b) de la LMEDS est de savoir si le demandeur a présenté des faits nouveaux et essentiels qui ne pouvaient être connus avant l’audience en question malgré l’exercice d’une diligence raisonnable, à défaut de quoi la décision antérieure ne peut être annulée ou modifiée. Puisque le Tribunal a conclu qu’aucun des documents produits par le demandeur ne constitue un fait nouveau et essentiel au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’alinéa 66(1)b) de la LMEDS, l’appel a été rejeté sans que la preuve du Dr Baribeau soit examinée. Puisque la preuve médicale du Dr Baribeau n’intervenait pas dans la décision de rejeter l’appel, la question de savoir s’il aurait dû ou non être autorisé à témoigner revêt un caractère théorique.

C.                 Diligence raisonnable

[26]           En ce qui concerne le bien-fondé de la décision rendue, les documents déposés par le demandeur à titre de faits nouveaux et essentiels peuvent être divisés en deux catégories : les documents qui n’existaient pas avant l’audience et ceux qui existaient avant celle-ci.

[27]           En ce qui concerne les documents qui n’existaient pas au moment de l’audience, le demandeur souligne dans ses observations écrites [traduction] « qu’il existe des circonstances où la preuve médicale postérieure à l’audience peut être admise à titre de fait nouveau si un trouble existait au moment de l’audience, mais n’avait pas été diagnostiqué » (par. 58). Plus précisément, l’un de ces documents est le rapport du Dr Ferguson, daté du 18 mars 2008, soit plus d’un an après la fin de la période minimale d’admissibilité du demandeur qui se terminait le 31 décembre 2006. Dans ce rapport, le Dr Ferguson mentionne que le demandeur doit se servir d’une canne pour se déplacer, mais il n’est pas précisé depuis quand il l’utilise. Au paragraphe 8 de son affidavit, le demandeur déclare avoir commencé à utiliser une canne en 2008.

[28]           À mon avis, le demandeur n’a pas démontré qu’il était déraisonnable de conclure que ce rapport médical, préparé en 2008, ne constituait pas un fait essentiel pour décider si, en date du 31 décembre 2006, il souffrait d’une invalidité grave et prolongée.

[29]           De même, le demandeur n’a pas démontré que la conclusion du Tribunal selon laquelle les autres documents qui n’existaient pas au moment de l’audience antérieure ne constituaient pas des faits essentiels était déraisonnable.

[30]           Pour ce qui est des documents existants au moment de l’audience antérieure, le demandeur fait valoir qu’il aurait fallu tenir compte de ses caractéristiques personnelles pour décider s’il avait fait preuve de « diligence raisonnable » au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’alinéa 66(1)b) de la LMEDS. Selon les observations du demandeur, il aurait dû recevoir un document afin qu’un ami puisse l’examiner pour lui et son analphabétisme l’a empêché d’obtenir des documents supplémentaires avant les audiences antérieures.

[31]           La conclusion quant à savoir si le demandeur a établi que des documents donnés « ne pouvaient être connus malgré l’exercice d’une diligence raisonnable » constitue une question mixte de fait et de droit. Le paragraphe 27 des motifs du Tribunal traite de l’analphabétisme du demandeur. Le Tribunal termine par la conclusion suivante :

[traduction] on peut raisonnablement déduire que, pendant toute la période pertinente, l’appelant savait qu’il lui faudrait présenter son dossier au RPC et fournir des éléments de preuve de son invalidité, dont ses antécédents médicaux et ceux relatifs aux médicaments sur ordonnance, s’il voulait convaincre l’intimé de son admissibilité à la pension d’invalidité du RPC.

[32]           Le Tribunal a donc conclu que l’analphabétisme du demandeur ne l’avait pas empêché de savoir qu’il aurait à présenter son dossier et que, pour ce faire, il lui faudrait produire des éléments de preuve. Le demandeur n’a pas démontré pourquoi cette conclusion était déraisonnable. En conséquence, il se trouvait dans la même position que tout autre plaideur : il devait décider, avant l’audience, quels documents produire à l’appui de sa cause et faire preuve de diligence raisonnable pour trouver ces documents.

[33]           Comme je le fais remarquer précédemment, le Tribunal a examiné tous les documents produits par le demandeur et a expliqué pourquoi chacun d’eux ne satisfaisait pas au critère énoncé à l’alinéa 66(1)b) de la LMEDS. Il incombait au demandeur de démontrer que la décision du Tribunal était déraisonnable. À mon avis, le demandeur n’a pas démontré que la décision du Tribunal était déraisonnable à l’égard de l’un ou l’autre des documents.

V.                Conclusion

[34]           Pour ces motifs, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire, sans dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a

« Je suis d’accord.

A.F. Scott, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-202-15

(APPEL D’UNE DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE – DIVISION D’APPEL DU 3 MARS 2015, APPEL NO CP 28590)

INTITULÉ :

ROBERT REINHARDT c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 avril 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

Le 27 mai 2016

COMPARUTIONS :

Jeanne B. Sumbu

Pour le demandeur

Hasan Junaid

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Creighton Shatford Hirbour

Amherst (Nouvelle-Écosse)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Pour le défendeur

 

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