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Date : 20160530


Dossier : A-383-14

Référence : 2016 CAF 160

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RYER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

SYNCRUDE CANADA LTD.

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 3 novembre 2015.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 mai 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RYER

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20160530


Dossier : A-383-14

Référence : 2016 CAF 160

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RYER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

SYNCRUDE CANADA LTD.

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

I.  Introduction

[1]  Les règlements fédéraux exigent que tout le carburant diesel produit, importé ou vendu au Canada contienne au moins 2 % de carburant renouvelable. Syncrude Canada Ltd. produit du carburant diesel à partir de ses installations de sables bitumineux en Alberta, qu’elle utilise dans ses véhicules et son équipement.

[2]  Syncrude a déposé une demande auprès de la Cour fédérale en déclarations d’invalidité des règlements, invoquant des moyens puisés dans le droit constitutionnel et administratif. La Cour fédérale a rejeté la demande (2014 CF 776) et Syncrude interjette appel devant notre Cour. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

II.  Cadre législatif et réglementaire

[3]  L’article 139 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33 (LCPE) interdit la production, l’importation et la vente au Canada de carburant qui ne répond pas aux exigences prescrites.

[4]  Le paragraphe 140(1) de la LCPE dispose que le gouverneur en conseil peut, sur recommandation du ministre, prendre tout règlement d’application de l’article 139. Les règlements peuvent prescrire la quantité ou la concentration de tout élément, composant ou additif dans un combustible, les propriétés physiques et chimiques du combustible, les caractéristiques du combustible établies conformément à une formule liée à ses propriétés ou à ses conditions d’utilisation, ainsi que le mélange de combustibles. Selon le paragraphe 140(2), le gouverneur en conseil doit être d’avis que le règlement peut contribuer sensiblement à prévenir ou à réduire la pollution atmosphérique résultant, directement ou indirectement, de la combustion de carburant. C’est en vertu de cette disposition que le Règlement sur les carburants renouvelables, DORS/2010-189 a été pris.

[5]  Le paragraphe 5(2) du Règlement sur les carburants renouvelables exige que 2 % du carburant diesel soit un carburant renouvelable. Chaque litre de carburant renouvelable mélangé à d’autres carburants crée une unité de conformité [paragraphe 13(2) du Règlement sur les carburants renouvelables], y compris s’il est mélangé à l’extérieur du Canada puis importé [paragraphe 14(2)]. Une unité de conformité représente un litre de carburant renouvelable dans l’approvisionnement total en carburant canadien. Aux termes des paragraphes 5(2) et 7(1) du Règlement sur les carburants renouvelables, l’intéressé doit écouler deux unités de conformité pour chaque 100 litres de carburant qu’elle produit, importe ou vend. Les unités de conformité peuvent être acquises selon la procédure ci-dessus ou échangées [paragraphe 20(1)].

[6]  Le paragraphe 272(1) de la LCPE érige en infraction tout manquement à l’article 139. S’il est poursuivi par voie de mise en accusation, le contrevenant est passible d’une amende entre 500 000 $ et 6 000 000 $. Lors d’une condamnation pour une deuxième infraction, ces pénalités doublent.

[7]  Ces dispositions législatives sont reproduites dans les annexes A et B des présents motifs.

III. L’élaboration du Règlement sur les carburants renouvelables

[8]  Les substances toxiques sont définies à l’article 64 de la LCPE comme toute substance de nature à « [...] avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement ou sur la diversité biologique; mettre en danger l’environnement essentiel pour la vie; constituer un danger au Canada pour la vie ou la santé humaines. » Les gaz à effet de serre (GES) sont des gaz qui, une fois libérés, contribuent à la rétention de chaleur dans l’atmosphère. Depuis 2005, six des plus importants GES ont été inscrits à titre de substances toxiques dans l’annexe 1 de la LCPE. Ils comprennent le dioxyde de carbone, le méthane et l’oxyde nitreux.

[9]  Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) accompagnant l’ajout de GES à l’annexe 1 en 2005 signale que ces substances ont été ajoutées à titre de substances toxiques puisque, selon le Protocole de Kyoto, elles « ont des potentiels de réchauffement du globe (PRG) élevés, elles persistent pendant longtemps dans l’atmosphère et constituent donc une préoccupation mondiale [et] elles ont le potentiel de contribuer substantiellement au changement climatique ». Le REIR signale également qu’il y a eu augmentation substantielle des GES « [découlant d]es activités humaines, et en particulier [de] la combustion des combustibles fossiles » qui pourrait se traduire par une augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur, lesquelles pourraient à leur tour « entraîner une augmentation des maladies et des décès » : Partie II de la Gazette du Canada, Vol. 139, no 24, (21 novembre 2005), pages 2627 et 2634 [REIR de 2005]. Le REIR de 2005 a cité le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone du 16 septembre 1987, 1522 R.T.N.U. 3 et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Troisième rapport d’évaluation, 2000 (Cambridge, Angleterre : Cambridge University Press, 2002) à titre de fondements scientifiques et politiques à l’ajout des six GES. Le tribunal a conclu qu’« on dispose d’indications suffisantes pour conclure que les gaz à effet de serre constituent ou peuvent constituer un danger pour l’environnement essentiel à la vie, et répondent donc au critère [...] de l’article 64 de la LCPE (1999) » (REIR de 2005, p. 2634).

[10]  Un avis concernant l’élaboration du Règlement sur les carburants renouvelables a ensuite été publié dans la Partie I, Gazette du Canada, Vol. 140, no 52, (30 décembre 2006). Cet avis observait que :

L’utilisation de carburants renouvelables peut comporter d’importants avantages pour l’environnement, y compris des émissions réduites de gaz à effet de serre (GES), des incidences moins considérables sur les écosystèmes fragiles en cas de déversement en raison de leur biodégradabilité, et la réduction de certains gaz d’échappement, comme le monoxyde de carbone, le benzène, le 1,3-butadiène et les particules. Toutefois, l’utilisation d’éthanol peut accroître les émissions de composés organiques volatils, d’oxydes d’azote et d’acétaldéhyde.

[11]  La « Raison d’agir » dans l’avis signale que « l’utilisation de carburants renouvelables peut être avantageuse pour l’environnement en réduisant considérablement les émissions de gaz à effet de serre » et que l’avantage pour l’environnement prévu du remplacement de 5 % du carburant utilisé pour les transports au Canada représenterait une réduction des émissions de GES équivalentes à près de 675 000 véhicules.

[12]  Le REIR accompagnant la publication du Règlement sur les carburants renouvelables en 2010 (Partie II de la Gazette du Canada, Vol. 144, no 18, 1er septembre 2010) signale que les GES sont des polluants atmosphériques importants et des contributeurs principaux aux changements climatiques. L’objectif déclaré du Règlement sur les carburants renouvelables était la réduction des GES et, par le fait même, de « contribuer à la protection des Canadiens et de l’environnement contre les répercussions associées aux changements climatiques et à la pollution atmosphérique. »

IV. La décision de la Cour fédérale

[13]  L’exigence relative à la teneur de 2 % en carburant renouvelable est entrée en vigueur le 1er juillet 2011, au même moment où des modifications ont été apportées au Règlement sur les carburants renouvelables. Le REIR connexe a réitéré et approfondi les justifications et conséquences scientifiques, environnementales et politiques de l’exigence en matière de carburant renouvelable formulée dans le REIR de septembre 2010 : Partie II, Gazette du Canada, Vol. 145, no 15 (20 juillet 2011).

[14]  Syncrude a contesté la validité constitutionnelle du paragraphe 5(2) du Règlement sur les carburants renouvelables. Elle a allégué que le paragraphe ne résultait pas d’un exercice valide de la compétence en matière de droit criminel du Parlement aux termes du paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Victoria, ch. 3, réimprimée dans L.R.C. 1985, App. II, no 5 puisqu’il était dépourvu d’un objectif pénal et empiétait sur la compétence législative provinciale en matière de ressources naturelles non renouvelables. Syncrude a également allégué que cette disposition excédait le pouvoir réglementaire de l’article 140 de la LCPE puisque le gouverneur en conseil était tenu de se faire une opinion selon laquelle le règlement réduirait la pollution atmosphérique, une opinion à laquelle le gouverneur en conseil n’aurait pu raisonnablement adhérer. Syncrude a également signalé les problèmes découlant de la procédure législative et du processus aboutissant à la prise du Règlement sur les carburants renouvelables.

[15]  Se fondant sur la jurisprudence R c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213, 151 D.L.R. (4th) 32 [Hydro-Québec], le juge a conclu que la protection de l’environnement contre la pollution constituait un objectif valable du droit criminel. Il a également conclu que l’élément de preuve présenté par Syncrude, dont il ressortait que le Règlement sur les carburants renouvelables ne réussirait pas à atteindre ses objectifs environnementaux, n’était pas en rapport avec la qualification de son objectif principal, et que la compétence en matière de droit criminel n’appelle pas une interdiction totale ou directe de la conduite en question. Il a rejeté la thèse portant que, pour qu’il y ait exercice légitime de la compétence criminelle, l’exigence relative aux carburants renouvelables devait être une exigence absolue ou supérieure à 2 %.

[16]  Le juge a ensuite étudié l’autre thèse portant que le Règlement sur les carburants renouvelables constituait un moyen déguisé pour établir un marché intérieur de carburants renouvelables, et qu’il s’agissait donc d’une question de compétence législative provinciale aux termes du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867. Après avoir examiné les éléments de preuve, le juge a conclu que, même si le Règlement sur les carburants renouvelables a des conséquences et des objectifs économiques, la création de la demande de carburants renouvelables constituait un volet nécessaire et intégrant de la stratégie de réduction des GES. La raison pour laquelle le gouvernement souhaitait créer une demande de carburants renouvelables était de réduire les GES à long terme. L’objectif principal du Règlement sur les carburants renouvelables était la protection de l’environnement par la réduction de la pollution atmosphérique.

[17]  Le juge a ensuite discuté la thèse subsidiaire du procureur général portant que, en supposant que le paragraphe 5(2) ne résultait pas en lui-même de l’exercice valide de la compétence en matière de droit criminel, il pouvait tout de même conserver sa validité selon la doctrine des pouvoirs accessoires. Selon cette doctrine, est valide la législation liée à un cadre législatif par ailleurs valide et qui contribue à son objectif législatif. En appliquant les critères de la jurisprudence : Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453 et Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, [2015] 1 R.C.S. 693 [Québec c. Canada], le juge a conclu que le paragraphe 5(2) du Règlement sur les carburants renouvelables demeure valide selon la doctrine des pouvoirs accessoires. En ce qui concerne la question du pouvoir accessoire, le juge a correctement observé que nulle discussion n’était nécessaire puisqu’il avait déjà conclu que le paragraphe 5(2) était valide.

[18]  En ce qui concerne la thèse portant que la prise du Règlement sur les carburants renouvelables n’a pas été faite dans le respect des conditions de forme, le juge a conclu que le gouverneur en conseil avait formé l’opinion requise aux termes du paragraphe 140(2) portant qu’il réduirait la pollution atmosphérique et que cette opinion n’avait pas, en fin de compte, à être correcte d’un point de vue scientifique. Dans l’opinion du juge, Syncrude demandait à la Cour de substituer son opinion à celle du gouverneur en conseil, à savoir si le Règlement sur les carburants renouvelables pouvait, selon le libellé du paragraphe 140(2), « contribuer sensiblement à prévenir ou à réduire la pollution atmosphérique ».

[19]  Syncrude a également présenté des moyens subsidiaires puisés dans le droit administratif que le juge a rejetés. Il était également soutenu que le ministre a privé Syncrude de l’équité procédurale en ne convoquant pas une commission de révision avant de prendre le Règlement sur les carburants renouvelables et que le défaut de convoquer la commission de révision a rendu déraisonnable l’opinion du gouverneur en conseil.

V.  Questions portées en appel

[20]  Il est important de préciser dès le début ce qui est, et ce qui n’est pas, en cause dans le présent appel. Syncrude ne conteste pas la constitutionnalité des dispositions habilitantes, soit les articles 139 et 140 de la LCPE. Syncrude ne soutient pas que la définition de la « pollution atmosphérique » au paragraphe 140(2) de la LCPE est de portée excessive; elle ne conteste pas non plus que les GES contribuent à la pollution atmosphérique et que leur réduction est un objectif valable de la compétence en matière de droit criminel. Syncrude reconnaît que, si l’objectif principal du Règlement sur les carburants renouvelables était en fait de combattre les changements climatiques, il n’y aurait aucune invalidité constitutionnelle. Le nœud de la contestation de Syncrude est plutôt que le paragraphe 5(2) ne vise pas la réduction de la pollution atmosphérique, mais qu’il s’agit d’une mesure économique visant la création d’un marché local, ce qui relève du paragraphe 92(13), ou visant les ressources naturelles non renouvelables, une question de compétence législative provinciale aux termes de l’article 92A de la Loi constitutionnelle de 1867.

[21]  Syncrude invoque deux erreurs principales dans la décision de première instance.

[22]  Premièrement, Syncrude soutient que le juge a commis une erreur en tenant compte du paragraphe 5(2) au regard du régime de la LCPE dans son ensemble avant d’examiner le paragraphe en lui-même. Elle soutient également que le juge n’a pas pris en considération des éléments de preuve pertinents au-delà du REIR qui, à son avis, font référence au but véritable et déguisé du Règlement sur les carburants renouvelables. Devant la Cour, Syncrude maintient sa position selon laquelle, s’il est qualifié correctement, le Règlement sur les carburants renouvelables constitue soit une mesure économique qui empiète sur la compétence provinciale en matière de ressources naturelles, soit une tentative déguisée pour atteindre ces buts. Syncrude soutient également que le Règlement sur les carburants renouvelables ne résulte pas d’un exercice valide de la compétence en matière de droit criminel puisque, à titre d’exigence de la teneur de 2 %, et permettant certaines exemptions, il n’interdit ou n’exclut pas complètement l’utilisation de combustibles fossiles.

[23]  Syncrude soutient que la consommation de combustibles fossiles n’est pas intrinsèquement dangereuse et qu’elle mine l’idée que le Règlement sur les carburants renouvelables a un objectif valable de nature pénale. Syncrude compare les polluants qu’il cite à titre de maux légitimes, comme le plomb et le soufre, aux GES. Comme le juge l’a fait remarquer, « [d]e l’avis de Syncrude, il n’y a pas de mal à réprimer » : motifs, paragraphe 79.

[24]  Toutefois, comme le souligne le défendeur, l’observation de Syncrude au paragraphe 66 de son mémoire portant que « la production et la consommation de carburants à base de pétrole ne sont pas intrinsèquement dangereuses » est incompatible avec sa concession portant que les émissions de GES contribuent au mal que représentent les changements climatiques. La position de Syncrude est problématique et, parfois, elle reconnaît la corrélation entre les GES, le réchauffement de la planète et la consommation de combustibles fossiles.

[25]  Le deuxième motif d’appel de Syncrude est que le juge a commis une erreur en ne concluant pas que le gouverneur en conseil n’a pas, et ne pouvait pas, être de l’avis requis aux termes du paragraphe 140(2) selon lequel le Règlement sur les carburants renouvelables réduirait la pollution atmosphérique. Les autres motifs de contestation de Syncrude relativement à la validité légale du Règlement sur les carburants renouvelables qui ont été invoqués devant la Cour fédérale ne l’ont plus été devant notre Cour.

VI. Analyse

A.  Norme de contrôle

[26]  En ce qui concerne les questions de constitutionnalité, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte : Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l’énergie), [1998] 1 R.C.S. 322; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 58 [Dunsmuir]. Toutefois, dans la mesure où Syncrude soulève un moyen non constitutionnel au sujet du paragraphe 5(2), une norme de contrôle différente est mise en cause.

[27]  Quant à savoir si le Règlement sur les carburants renouvelables a été légalement pris (en vertu de la LCPE), la Cour suprême du Canada a réaffirmé à l’occasion de l’affaire Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, au para. 24, [2013] 3 R.C.S. 810 [Katz] qu’un règlement ne peut être déclaré invalide que s’il est « démontr[é] qu’il est incompatible avec l’objectif de sa loi habilitante ou encore qu’il déborde le cadre du mandat prévu par la Loi ». Le règlement doit reposer sur des considérations « sans importance », doit être « non pertinent » ou être « complètement étranger » à l’objet de la loi. Il demeure que « seul un cas flagrant » peut invalider le règlement sur le fondement qu’il excède la loi habilitante : Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106 à 111, 143 D.L.R. (3d) 577.

[28]  Je remarque que, à l’occasion de l’affaire Katz, la Cour suprême a choisi de ne pas intégrer cette norme de contrôle concernant la validité du règlement pris par le gouverneur en conseil ou le lieutenant-gouverneur en conseil à l’enseignement de la jurisprudence Dunsmuir en matière de recours en contrôle judiciaire du processus décisionnel administratif. Conséquemment, l’examen de la réglementation fédérale ou provinciale ne doit pas être confondu, par exemple, avec la norme de contrôle appliquée à l’adoption de règlements d’une municipalité. Cette dernière est assujettie à l’examen de son caractère raisonnable aux termes de la jurisprudence Dunsmuir car les municipalités n’ont pas un pouvoir législatif inhérent selon la Constitution : elle « légifère » plutôt uniquement en vertu de l’autorité qui leur est conférée par la loi : Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, aux paras. 14 à 15 et 20 à 22, [2012] 1 R.C.S. 5. Par conséquent, les règlements fédéraux du type en cause en l’espèce sont assujettis à la jurisprudence Katz.

[29]  Alors que la décision de première instance résultait d’une procédure en contrôle judiciaire visant la décision du gouverneur en conseil, le juge a été appelé à faire des constats de fait. En matière d’appel d’une décision où le juge a examiné une décision administrative et fait des constats de faits distincts, ces constats appellent la déférence selon la norme de l’erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 : Canada (Procureur général) c. Jodhan, 2012 CAF 161, 350 D.L.R. (4th) 400; Budlakoti c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 139, 253 A.C.W.S. (3d) 677; Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177, 388 D.L.R. (4th) 209. Cette norme joue, que les constats de faits « portent sur les faits en litige, des faits sociaux ou des faits législatifs » ou non : Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, aux paras. 48 à 56, [2013] 3 R.C.S. 1101.

[30]  En somme, il faut répondre à la question de savoir si le paragraphe 5(2) du Règlement sur les carburants renouvelables est constitutionnel selon la norme de décision correcte. La question de savoir si le gouverneur en conseil a valablement pris le paragraphe 5(2) aux termes de la LCPE est appréciée selon la norme d’incohérence avec la loi habilitante consacrée par la jurisprudence Katz. Tous les constats de fait du juge dans son analyse sont examinés selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

B.  Méthode

[31]  Je discuterai rapidement la thèse portant que le juge a commis une erreur sur le plan de sa méthode, plus précisément, qu’il n’a pas lu la Loi de la façon requise aux fins de l’analyse constitutionnelle.

[32]  Syncrude soutient que le juge a commis une erreur dans son approche de l’analyse du caractère véritable de la disposition attaquée. Elle affirme que l’approche appropriée, consiste à examiner la disposition attaquée de manière isolée en premier, et ce n’est que si la question du caractère véritable ne peut pas être résolue de cette façon est-il est approprié d’examiner la disposition au regard du contexte global. Puisque le juge a commencé par le but poursuivi et l’objet de la LCPE, Syncrude soutient que son analyse constitutionnelle était erronée.

[33]  Syncrude s’appuie sur la jurisprudence Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, [2010] 3 R.C.S. 457 pour soutenir que, lors de la première étape, on doit absolument faire abstraction du contexte plus large, cette thèse pose problème sur le plan doctrinal.

[34]  La Cour suprême du Canada a formulé la grille d’analyse lorsqu’est en cause la validité d’une loi adoptée en vertu de la compétence en matière de droit criminel. Dans le Renvoi relatif à la loi sur la procréation assistée, le juge en chef a observé que si la controverse concerne uniquement une ou plusieurs dispositions d’un texte législatif, contrairement à la loi dans son ensemble, la discussion pourrait commencer par l’examen de la ou des dispositions controversées sans prise en compte du contexte. Si la disposition, de prime abord, n’empiète pas sur l’autre compétence, alors il n’est pas nécessaire de poursuivre la discussion. Le juge en chef a poursuivi, cependant, et mentionné au paragraphe 17 « la nécessité de considérer ces dispositions dans leur contexte » et qu’il peut s’avérer nécessaire d’examiner le régime global afin de comprendre le but véritable et l’effet de la disposition contestée.

[35]  Cette méthode n’est pas innovatrice : General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, 68 OR (2d) 512 [General Motors]. General Motors enseigne que la disposition controversée doit être examinée en deux étapes, premièrement par l’examen de la disposition elle-même et deuxièmement, par l’examen du contexte de la Loi dans son ensemble. Toutefois, la première étape met fin à l’analyse uniquement si la disposition est compréhensible en elle-même et manifestement valide. Conséquemment, si l’analyse de la disposition sans prise en compte du contexte nécessite un appel au regard sur des éléments législatifs supplémentaires pour sa compréhension, ou si la disposition, de prime abord, est d’une validité douteuse, alors une analyse plus large est inévitable.

[36]  Le juge s’est précisément conformé à l’enseignement de la Cour suprême du Canada : il a examiné le paragraphe 5(2) et reconnu que, lorsque le paragraphe est lu de façon isolée ou sans référence à la loi habilitante, il pourrait s’agir d’une matière relevant de la compétence provinciale. Le juge a ensuite pris en considération le but et l’effet du paragraphe 5(2) et la manière dont il est intégré dans le cadre réglementaire. Il a formulé son analyse en tenant compte de l’enseignement consacré par la Cour suprême du Canada à l’occasion de l’affaire Ward c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 17, au para. 19, [2002] 1 R.C.S. 569 [Ward], que « [l]a question n’est pas tant de savoir si le Règlement interdit la vente que de savoir pourquoi celle-ci est interdite ». (souligné dans l’original). Mis à part la question de savoir si la conclusion formulée par le juge était correcte, il n’y avait pas d’erreur dans sa grille d’analyse.

[37]  Vu ce contexte législatif et jurisprudentiel, je reviens à la question centrale, soit l’objectif principal du Règlement sur les carburants renouvelables.

C.  Caractérisation du paragraphe 5(2) du Règlement sur les carburants renouvelables

[38]  L’analyse relative au partage des compétences comporte deux étapes. La première consiste à déterminer le caractère essentiel de la loi, ou, comme on le dit souvent, son « caractère véritable ». La deuxième consiste à « classer ce caractère essentiel » au regard des chefs de compétence consacrés par la Loi constitutionnelle de 1867 : Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, au para. 15, [2000] 1 R.C.S. 783 [Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu].

[39]  La caractérisation doit tenir compte de l’objectif de la loi et de son effet. L’objectif est dégagé en premier de la loi elle-même, comme il est signalé par le législateur fédéral, mais également de sources extrinsèques comme le Hansard et les documents de politique gouvernementaux : voir le paragraphe 17 du Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu pour une discussion du recours aux éléments de preuve extrinsèques en matière de caractérisation. L’objectif peut également être déduit de la situation à réformer visée par la loi.

[40]  Après la détermination de l’objectif de la loi, l’examen passe à l’effet juridique de la loi, c’est-à-dire comment la loi fonctionne et quel est son effet. À cette étape, la Cour peut tenir compte à la fois de l’effet juridique et de l’effet pratique de la loi. Compte tenu de la thèse de Syncrude, laquelle est fondée sur l’inefficacité d’une exigence en matière de carburant renouvelable, les observateurs de la Cour suprême du Canada à l’occasion de l’affaire Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, au paragraphe 18, sont très instructives :

Les effets juridiques d’une loi sont déterminés par l’examen de son application et de ses effets sur les Canadiens. Le procureur général de l’Alberta dit que la loi ne réussira pas à atteindre son but. Selon lui, pour ce qui a trait à un objet de droit criminel, le régime législatif sera inefficace (p. ex. les criminels n’enregistreront pas leurs armes); là où elle aura un effet, la loi ne contribuera pas à la lutte contre le crime (p. ex. en imposant aux agriculteurs de la paperasserie inutile). Ces préoccupations ont été adressées, comme il se doit, au Parlement qui les a examinées. Dans le cadre de ses compétences constitutionnelles, c’est au Parlement qu’il appartient de juger s’il est probable qu’une mesure atteindra le but poursuivi; l’efficacité n’est pas pertinente dans le cadre de l’analyse du partage des pouvoirs par notre Cour : Morgentaler, précité, aux p. 487 et 488, et Renvoi : Loi antiinflation, [1976] 2 R.C.S. 373. L’examen vise plutôt à déterminer comment la loi cherche à atteindre son but afin de mieux comprendre son [traduction] « entière portée » : W. R. Lederman, Continuing Canadian Constitutional Dilemmas (1981), aux p. 239 et 240. Dans certains cas, les effets de la loi peuvent indiquer un objet autre que celui qu’elle énonce : Morgentaler, précité, aux p. 482 et 483; AttorneyGeneral for Alberta c. AttorneyGeneral for Canada, [1939] A.C. 117 (C.P.) (Alberta Bank Taxation Reference); et Texada Mines Ltd. c. AttorneyGeneral of British Columbia, [1960] R.C.S. 713; et, de façon générale, P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), aux p. 15‑14 à 15‑16. En d’autres termes, une loi peut dire qu’elle vise une chose et, en réalité, faire autre chose. Lorsque les effets de la loi diffèrent de façon importante de l’objet déclaré, on parle parfois de « motif déguisé ».

[41]  Il résulte de l’application de ces principes au règlement en cause que le paragraphe 5(2) vise le maintien de la santé et de la sécurité des Canadiens, de même que de l’environnement naturel essentiel à la vie. Au risque de me répéter, les points suivants peuvent être dégagés du cadre législatif habilitant à l’appui de cette conclusion :

  • Le Règlement sur les carburants renouvelables a été pris en vertu du paragraphe 140(2) de la LCPE, lequel nécessite que le gouverneur en conseil soit de l’avis que le règlement pourrait contribuer de façon considérable à la réduction de la pollution atmosphérique.

  • Six substances qui incluent des GES ont été ajoutées à l’annexe 1 de la LCPE en 2005. L’article 64 de la LCPE définit la substance toxique comme une substance pouvant avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement ou sa diversité, ou pouvant constituer un danger pour la vie ou la santé humaines.

  • Le paragraphe 140(1) envisage un large éventail de règlements en matière de carburant, y compris « les concentrations ou les quantités de tout élément, composant ou additif dans un combustible; les propriétés physiques ou chimiques du combustible; les caractéristiques du combustible établies conformément à une formule liée à ses [...] conditions d’utilisation; [et] le mélange de combustibles [...] ».

  • En imposant une exigence relative à la teneur de 2 % en carburant renouvelable, le paragraphe 5(2) vise réduction des substances toxiques dans l’atmosphère. Le décret prenant le paragraphe 5(2) déclarait que le règlement « pourrait contribuer sensiblement à prévenir ou à réduire la pollution atmosphérique résultant, directement ou indirectement, de la présence de carburant renouvelable dans l’essence, le carburant diesel ou le mazout de chauffage ».

  • Le paragraphe 3(1) de la LCPE définit la « pollution atmosphérique » comme une condition de l’air causée par une substance qui, directement ou indirectement, met en danger la santé et la sécurité.

[42]  Le Règlement sur les carburants renouvelables impose des exigences concernant la concentration de carburants renouvelables, et donc limite l’étendue selon laquelle les GES qui résulteraient autrement de la combustion de combustible fossile sont émis. Les GES sont inscrits à titre de substances toxiques dans l’annexe 1 de la LCPE. En déplaçant la combustion des combustibles fossiles, l’exigence en matière de carburant renouvelable réduit la quantité de « pollution atmosphérique » provenant des GES (substance toxique) qui autrement entrerait dans l’atmosphère. En somme, l’objectif et l’effet du paragraphe 5(2) sont sans ambiguïté vu le régime législatif et réglementaire dans lequel ils se situent. Ils visent la protection de la santé des Canadiens et la protection de l’environnement naturel.

[43]  Le recours au REIR confirme cette conclusion. La Cour suprême du Canada a avalisé le recours au REIR aux fins de l’analyse constitutionnelle : Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, aux paras. 155 à 157, [2005] 1 R.C.S. 533.

[44]  Le 1er septembre 2010, le REIR a expressément signalé que le Règlement sur les carburants renouvelables visait la réduction des émissions de GES. Le REIR mettait l’accent sur la réduction projetée des émissions de GES et a cité les données sur lesquelles était fondées ces conclusions : consulter le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation 2010/9/1 – Partie  II de la Gazette du Canada, Vol. 144, no 18, (1er septembre 2010), p. 1673, 1677, 1687, 1699, 1700, 1705 et 1706.

[45]  Le REIR du 20 juillet 2011, (Partie II de la Gazette du Canada), Vol. 145, no 15) indique à la page 1429 que le gouverneur en conseil estimait que le règlement proposé [traduction] « pourrait, par la présence de carburant renouvelable, contribuer sensiblement à la prévention ou à la réduction de la pollution atmosphérique ». Il observait que [traduction] « [l]a source de GES la plus importante [...] est la combustion de combustibles fossiles » et que les GES constituent [traduction] « les principaux contributeurs au changement climatique » : p. 1435 et 1436. Le REIR réitère, longuement et de façon détaillée, les avantages pour l’environnement et pour la santé d’une exigence en matière de carburant renouvelable.

[46]  L’objectif et l’effet du paragraphe 5(2) ayant été déterminés, l’examen passe à la portée de la compétence en matière de droit criminel et à la question de savoir si le paragraphe 5(2) entre dans son champ.

D.  Portée du pouvoir en matière de droit criminel

[47]  De manière générale, selon la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, l’exercice valide de la compétence en matière de droit criminel est soumis à un critère à trois volets. L’exercice valide du pouvoir en matière de droit criminel appelle (1) une interdiction, (2) une sanction qui l’assortit et (3) un objet de droit criminel : Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu. Seul le dernier volet est controversé dans la présente affaire.

[48]  La jurisprudence de la Cour suprême, laquelle remonte au Renvoi sur la validité de l’article 5(a) de la Loi sur l’industrie laitière, [1949] R.C.S. 1, [1949] 1 D.L.R. 433 [Renvoi sur la margarine] a défini l’objet de droit criminel comme une exigence que la loi soit axée sur la suppression ou la réduction d’un « mal ». Transposé dans un langage plus actuel, pour qu’une loi constitue une règle de droit criminel valide, son objet doit répondre à une préoccupation publique touchant à la paix, à l’ordre, à la sécurité, à la morale, à la santé ou à quelque considération semblable (Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, au paragraphe 43), mais ne pas être un règlement purement économique.

[49]  La protection de l’environnement constitue, sans équivoque, le recours légitime à l’objet du droit criminel. La Cour suprême du Canada enseigne que « la protection d’un environnement propre est un objectif public [...] suffisant pour justifier une interdiction criminelle [...] ou, en d’autres mots, la pollution est un « mal » que le Parlement peut légitimement chercher à supprimer » : Hydro- Québec, au para. 123. Dans une opinion dissidente, mais qui ne portait pas sur ce point, le juge en chef Lamer et le juge Iaccobucci partagent, au paragraphe 43, le point de vue du juge La Forest :

Par conséquent, dans la mesure où le juge La Forest dit que la présente loi peut être justifiée en tant que loi concernant la santé, nous devons exprimer, en toute déférence, notre désaccord. Nous sommes cependant d’accord avec lui pour dire que la protection de l’environnement est en soi un objectif public légitime en matière criminelle, analogue à ceux mentionnés dans le Renvoi sur la margarine, précité. Sans vouloir ajouter quoi que ce soit à son raisonnement limpide sur ce point, nous tenons à préciser que cet objectif ne se fonde sur aucun des autres objectifs traditionnels du droit criminel (santé, sécurité, ordre public, etc.). Dans la mesure où il souhaite dissuader expressément de polluer l’environnement, par l’imposition de peines appropriées, le Parlement est libre de le faire sans avoir à démontrer que ces peines visent, en fin de compte, à atteindre l’un des objectifs « traditionnels » du droit criminel. La protection de l’environnement représente en soi une justification légitime d’une loi criminelle.

[50]  On peut utilement rappeler que, dans l’affaire Hydro-Québec, au paragraphe 150, le règlement controversé visait [traduction] « la prescription ou l’imposition d’exigences concernant la quantité ou la concentration d’une substance inscrite sur la liste de l’annexe I, qui peut être libérée dans l’environnement, seule ou combinée à une autre substance provenant de quelque source que ce soit » et par conséquent, était un exercice valide de la compétence en matière de droit criminel. Le paragraphe 5(2) du Règlement sur les carburants renouvelables joue le même rôle.

[51]  Plus récemment à l’occasion du Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, la Cour suprême a signalé que la pollution était l’une des « nouvelles réalités » auxquelles le Canada fait face, et que le législateur fédéral avait besoin d’une marge de manœuvre pour déterminer les types de conduite ou d’activité qui appellent une sanction pénale : paragraphe 235.

E.  L’inefficacité du Règlement sur les carburants renouvelables

[52]  Je passe à la thèse principale de Syncrude portant que le Règlement sur les carburants renouvelables est inefficace car il ne peut atteindre son objectif. Syncrude insiste sur le fait que [traduction] « la démonstration des effets pratiques du Règlement sur les carburants renouvelables contredit grandement l’idée que l’objectif principal du Règlement sur les carburants renouvelables est la réduction des émissions de GES ».

[53]  Cette thèse ne saurait être retenue, que ce soit sur le plan des preuves ou sur le plan du droit.

[54]  Syncrude attire notre attention sur des éléments de preuve dont il ressort, selon certaines hypothèses, que la réduction observée des GES découlant de la transition vers les carburants renouvelables est illusoire, et qu’en réalité, le Règlement sur les carburants renouvelables contribue aux GES. Syncrude accorde beaucoup d’importance à un rapport externe de 2008 commandé pour le compte de Ressources naturelles Canada. Ce rapport signalait que les émissions de GES en amont pour certains carburants renouvelables pourraient être aussi élevées que le double de celles des combustibles fossiles. L’appelante soutient qu’il ressort de cette constatation, de concert à une admission en contre-interrogatoire portant qu’il n’y a pas de réduction dans les émissions en aval découlant des carburants renouvelables, que le gouvernement savait qu’il n’y aurait pas de réduction des émissions de GES pendant le cycle de vie d’un carburant renouvelable. Cet élément de preuve est fondé sur les changements des modes d’utilisation des terres selon lesquels la conversion de terres agricoles utilisées pour le pâturage ou les cultures de faible valeur en terres pour la production de biocarburants ou de carburants renouvelables génère des augmentations nettes de GES. Syncrude attire également notre attention sur les études réalisées aux É.-U. qui signalent des augmentations des taux de mortalité attribuables à des problèmes respiratoires, ainsi que les éléments de preuve du gouvernement portant que [traduction] « l’utilisation d’éthanol peut se traduire par une augmentation des émissions de composés organiques volatiles » : voir le renvoi à l’avis d’intention, au paragraphe 10, précité.

[55]  Je dirais simplement que le gouverneur en conseil a examiné cette question et a tiré une autre conclusion. Le REIR de 2011; la Partie II de la Gazette du Canada, Vol. 145, no 15, (20 juillet 2011), a tenu compte spécifiquement des effets nuisibles de l’exigence relative au carburant renouvelable sur la pollution atmosphérique et la santé humaine. Il a fait remarquer qu’à l’exception d’une augmentation minime de l’oxyde d’azote (NOx), toutes les autres émissions toxiques ont diminué (REIR p. 1462 à 1465). Le Règlement sur les carburants renouvelables était censé se traduire directement par une réduction progressive des émissions de GES d’une mégatonne par année : REIR p. 1436.

[56]  Les REIR de 2005, 2010 et 2011 exposent un grand nombre de recherches scientifiques à l’appui du rapport entre l’exigence du Règlement sur les carburants renouvelables et la réduction des GES. Ils signalent également que l’exigence relative aux carburants renouvelables réduirait les GES, de même que d’autres émissions comme l’acétaldéhyde, les composés organiques volatils et la pollution par les particules fines, tous des polluants définis. Le REIR du 1er septembre 2010 a relevé que le Règlement sur les carburants renouvelables [traduction] « ne devrait pas donner lieu à des changements d’utilisation des terres » : p. 1709. L’élément de preuve utilisé par Syncrude provient de pays de l’Union européenne qui ont des cibles plus élevées de teneur en carburant renouvelable et des modes d’utilisation des terres différents. Syncrude n’a présenté nul aucun élément de preuve à l’appui de sa thèse portant que le Règlement sur les carburants renouvelables augmenterait les GES lorsqu’il est appliqué à ses propres opérations ou au Canada dans son ensemble.

[57]  Syncrude souligne de façon sélective certains passages du rapport de 2008 commandé par Ressources naturelles. Il ressort de la lecture complète du rapport que, manifestement, même si certains carburants renouvelables ont des émissions en amont plus élevées que les combustibles fossiles, d’autres carburants renouvelables résultent en des réductions importantes d’émission de GES. De plus, il ressort de l’évaluation environnementale stratégique du gouvernement que le gouvernement était conscient du fait que les carburants renouvelables de la « prochaine génération » étaient en cours d’élaboration et qu’ils donneraient lieu à une plus grande réduction à long terme des GES.

[58]  L’effet juridique et pratique de la loi est pertinent aux fins de la détermination de son caractère véritable : Global Securities Corp. c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2000 CSC 21, au para. 23, [2000] 1 R.C.S. 494 [Global Securities Corp.]. Toutefois, le droit est bien fixé : « la sagesse ou l’efficacité de la loi » n’est pas pertinente pour en déterminer le caractère véritable : R c. Morgentaler [1993] 3 R.C.S. 463 à 487 et 488, 107 D.L.R. (4th) 537, citant P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada, vol. 1, 3e éd. (Toronto : Carswell, 1992, feuilles mobiles) à 15-15, et plus récemment, Ward, au para. 18.

[59]  Syncrude soutient que l’élément de preuve (qui n’est pas convaincant, comme il a déjà été souligné), portant que le Règlement sur les carburants renouvelables ne réduit pas en réalité les émissions de GES, est pertinent quant à la qualification de l’objectif principal puisqu’il porte sur l’effet juridique et pratique de la disposition. Elle soutient que l’élément de preuve portant que le Règlement sur les carburants renouvelables ne sera pas efficace en matière de réduction des GES ne concerne pas la question de savoir si la disposition est en réalité efficace. Elle concède, correctement, que le fait de savoir si la mesure est utile ou digne d’intérêt n’est pas pertinent quant à l’opération de qualification.

[60]  Cette distinction vise simplement à contourner la thèse, conformément à la jurisprudence Global Securities Corp. au paragraphe 22, et comme il a été plus récemment réitéré par la jurisprudence Ward au paragraphe 26, selon laquelle l’efficacité de la mesure législative n’est pas pertinente aux fins de la qualification. Il n’y a aucun doute au sujet des objectifs des mesures législatives, de leur fonctionnement et de leur effet pratique. La thèse portant qu’il puisse y avoir une façon meilleure et plus efficace de réduire les GES ne modifie en rien la conclusion. Comme il est indiqué dans l’arrêt Ward, au paragraphe 26 « [O]n ne peut pas contester l’objet d’une mesure législative en proposant une autre méthode, qui serait meilleure, pour atteindre cet objet ». La thèse de Syncrude portant que l’objectif principal du Règlement sur les carburants renouvelables devait être d’établir un marché local étant donné que le Règlement est inefficace – une affirmation non prouvée par l’élément de preuve – ne peut être retenue.

F.  Le Règlement n’est pas une mesure économique

[61]  Comme on l’a signalé, Syncrude soutient que l’objectif principal du Règlement sur les carburants renouvelables était de créer un marché pour les carburants renouvelables. Le REIR révèle un examen minutieux de l’industrie du raffinage, du transport vers le consommateur et de l’effet du paragraphe 5(2) sur l’agriculture. Il y a également des éléments de preuve portant que la création d’une demande à long terme pour des carburants renouvelables faisait partie intégrante de la stratégie de réduction des GES.

[62]  Il faut rappeler qu’il n’est pas controversé que les GES sont nocifs pour la santé et l’environnement et, à ce titre, ils constituent un mal qui justifie l’exercice de la compétence en matière de droit criminel. Syncrude concède que les GES constituent une source de pollution atmosphérique au sens de la définition de la LCPE. Néanmoins, Syncrude nous invite instamment à conclure que le paragraphe 5(2) est invalide puisque le gouvernement a prévu et espéré le développement d’un marché où les carburants les plus renouvelables seraient disponibles pour la consommation, remplaçant la consommation des combustibles fossiles qui produisent des GES. Elle soutient également que le Règlement sur les carburants renouvelables n’atteint pas l’objectif de réduction de la pollution atmosphérique; en effet, elle signale que l’exigence en matière de teneur de carburant renouvelable résulterait en une augmentation nette des GES découlant des émissions de GES associées à la plantation, à la récolte, au transport et au raffinage des cultures de biocarburant.

[63]  Le procureur général admet que le gouvernement canadien a prévu que le Règlement sur les carburants renouvelables aurait des conséquences économiques favorables et qu’il y aurait des réactions du marché dans le secteur agricole découlant de la demande accrue en carburant renouvelable. L’incidence sur les différents secteurs de l’agriculture était négligeable : Partie II de la Gazette du Canada, Vol. 144, no 18, (1er septembre 2010), p. 1708 à 1710. Le coût global du Règlement sur les carburants renouvelables serait absorbé par les consommateurs, à un coût estimé de 1 cent par litre, et il serait perdu dans la fluctuation quotidienne des prix du carburant : p. 1746 à 1717. Ces effets sont considérés comme minimes.

[64]  Cependant, ces effets consécutifs ne peuvent pas être pris en compte de façon isolée. La raison pour laquelle le gouvernement souhaitait le développement d’un marché des carburants renouvelables au Canada était que la disponibilité des carburants renouvelables se traduirait par une réduction à long terme des GES. Le juge a conclu que [traduction] « ces effets économiques font partie d’une stratégie à quatre volets pour les carburants renouvelables » (souligné dans l’original).

[65]  Dans la mesure où il était question de l’effet sur l’agriculture, le ministre de l’Environnement a signalé que la raison pour laquelle le gouvernement souhaitait l’émergence d’un marché des carburants renouvelables était qu’il souhaitait [traduction] « optimiser les possibilités de réduction des émissions ». Lorsqu’il lui a été demandé si le Règlement sur les carburants renouvelables résulterait en un bénéfice net pour l’environnement, le Ministre a répondu : [traduction] « Oui. Et c’est la raison pour laquelle nous avons réuni ces trois éléments. Nous ne pouvons pas réaliser ce cadre sans les trois éléments que sont l’énergie, l’environnement et l’agriculture. »

[66]  L’environnement et l’économie sont étroitement liés. En effet, il est pratiquement impossible de les disjoindre. Cette réalité fut clairement expliquée à l’occasion de l’affaire Friends of Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, 88 D.L.R. (4th) 1; la Cour a alors observé : « il ne serait pas logique d’affirmer que la Constitution ne permet pas au Parlement de tenir compte des vastes répercussions environnementales, y compris des préoccupations socio‑économiques, lorsqu’il légifère relativement à des décisions de cette nature ».

[67]  L’existence des incitatifs économiques et des investissements du gouvernement, même si elle est pertinente quant à la qualification, ne change rien à l’objectif principal du Règlement sur les carburants renouvelables ni de sa raison d’être. L’examen ne prend pas fin avec la preuve d’un incitatif ou d’une subvention du marché. Conformément à la jurisprudence Ward, il faut examiner le but et l’effet. Par exemple, les règlements pris en vertu de la Loi sur les armes à feu, LC 1995, ch. 39 pourraient imposer des mécanismes de verrouillage nouveaux et améliorés. Le fait que des investissements en capitaux sont effectués pour aider l’industrie de la serrurerie à faire la transition vers les nouvelles exigences ne dérogerait pas de l’objectif principal « touchant à la paix, à l’ordre, à la sécurité, à la morale, à la santé ou à quelque considération semblable » (Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, au para. 43). En l’espèce, le REIR (Partie I de la Gazette du Canada, Vol. 145, no 15, (20 juillet 2011), p. 699) signale que l’objectif des investissements collatéraux dans les coûts liés aux infrastructures pour la production de carburants renouvelables était de « générer des bienfaits environnementaux supérieurs à ceux des carburants renouvelables traditionnels en ce qui concerne les réductions des émissions de GES ».

[68]  Il ressort des preuves qu’une partie de l’objectif du Règlement sur les carburants renouvelables était d’encourager la production de carburants renouvelables de la prochaine génération et de créer des occasions pour les agriculteurs en matière de carburants renouvelables. Toutefois, il ressort également des preuves qu’une demande du marché et un approvisionnement du marché pour les carburants renouvelables et les technologies avancées en matière de carburants renouvelables devaient être créés pour atteindre l’objectif d’une réduction plus importante des émissions de GES.

[69]  La compétence en matière de droit criminel demeure d’actualité, même si le législateur fédéral souhaitait que la sanction pénale favorise la consommation de carburants renouvelables et stimule la demande de carburants qui ne produisent pas de GES. Le droit criminel cherche à décourager ou à modifier les comportements, et le recours à cette compétence demeure une utilisation valide si le législateur fédéral prévoit des réactions de la part des personnes ou de l’économie.

[70]  Pour clore ce sujet, l’évolution de l’agriculture et du marché du carburant découlant de l’exigence relative à la teneur en carburant renouvelable n’est pas incompatible avec l’objectif principal du paragraphe 5(2) qui est la réduction des GES, avec leurs coûts incontestés pour la santé humaine et l’environnement naturel; cela va plutôt dans le sens de l’objectif principal du Règlement.

G.  L’absence d’interdiction absolue

[71]  Syncrude soutient également que le Règlement sur les carburants renouvelables ne peut constituer un exercice valide du pouvoir en matière de droit criminel étant donné certaines des exceptions du régime du Règlement sur les carburants renouvelables; en outre, en imposant une exigence relative à la teneur de 2 % en carburant renouvelable, il ne bannit pas totalement la présence de GES dans le carburant.

[72]  Je relève d’entrée de jeu qu’il semble y avoir, essentiellement, allégation portant que l’exigence relative à [traduction] « l’interdiction » pour un exercice valide du pouvoir en matière de droit criminel n’est pas satisfaite, et non l’exigence relative à [traduction] « l’objet du droit criminel ». Cela me laisse perplexe puisque, devant la Cour fédérale, Syncrude a concédé l’existence d’une interdiction. Cela est toutefois sans importance puisque la constitutionnalité, en droit, ne peut être concédée. Quoi qu’il en soit, le juge a conclu que l’absence d’interdiction totale de l’utilisation de carburants non renouvelables (et l’absence d’une interdiction totale pour un fournisseur utilisant plus de 98 % de carburant non renouvelable à un moment particulier) n’empêchait pas le paragraphe 5(2) de constituer un exercice valide de la compétence du législateur fédéral en matière de droit criminel.

[73]  L’interdiction n’a pas besoin d’être totale, et elle peut comporter des exceptions : Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, au para. 39 et RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, aux paras. 52 à 57, 127 D.L.R. (4th) 1 [RJR-MacDonald]. En effet, les règlements environnementaux imposent souvent des limites, ou des concentrations de substances inscrites, tout comme les règlements de l’industrie alimentaire. On se rappellera que, à l’occasion de l’affaire Hydro-Québec, la majorité observé, au paragraphe 150, que les règlements imposant les exigences prescrivant la manière et les conditions du rejet ou la source de rejet de substances inscrites à l’annexe 1 de la LCPE dans l’environnement constituaient une utilisation valide du pouvoir en matière de droit criminel. On se rappellera également que l’alinéa 140(1)a) de la LCPE autorise les règlements respectant « la quantité ou la concentration de tout élément, composant ou additif dans un combustible ».

[74]  Syncrude attire notre attention sur le fait que le règlement est, dans certaines circonstances, suspendu pendant l’hiver en raison des défis techniques relatifs au mélange du carburant traditionnel et du carburant renouvelable. Il y a deux réponses à cela, l’une juridique et l’autre, pragmatique. Il peut s’avérer que le droit criminel appelle des exceptions dans les circonstances où une interdiction totale serait injuste ou contraire aux autres intérêts que le législateur fédéral est chargé de protéger. Plusieurs exercices peu controversés du droit criminel établissent un régime selon lequel, si certaines mesures ou étapes sont prises, une activité par ailleurs interdite devient permise. La Loi sur les aliments et drogues, LRC 1985, ch. F-27, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, ch. 19 et la Loi sur les armes à feu, de même que plusieurs autres lois et leurs règlements d’application, imposent l’obtention de permis pour la possession de substances ou d’articles particuliers. En effet, d’autres règlements pris en vertu de la LCPE, comme le Règlement sur l’essence, DORS90-247, articles 4 et 6, prescrivent une quantité maximale d’une substance nocive qui est permise dans le carburant sans interdire complètement cette substance.

[75]  Il n’y a aucun seuil constitutionnel de préjudice qui doit être franchi avant que la compétence en matière de droit criminel puisse jouer : une crainte raisonnable de préjudice suffit. Syncrude n’a aucune réponse à la question de savoir si le Règlement sur les carburants renouvelables devient constitutionnel avec une exigence relative à la teneur de 10 %, 25 %, 50 % ou 100 % en carburant renouvelable. Il n’y a aucun chiffre magique. Comme la Cour suprême l’a observé à l’occasion du Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée aux paragraphes 55 à 56, il n’y a « [n]ulle exigence constitutionnelle de préjudice minimal ».

[76]  Pour ce qui est de la réponse pragmatique, si l’exemption hivernale est engagée, le Règlement sur les carburants renouvelables appelle une utilisation supérieure à 2 % pendant les mois estivaux. L’obligation réglementaire est remplie pour l’achat des unités de conformité d’un autre utilisateur. À l’échelle nationale, l’effet net est le même.

[77]  Pour conclure, l’argument de Syncrude que le règlement est invalide puisqu’il ne constitue pas une interdiction générale ne trouve aucun appui dans la doctrine. De plus, Syncrude concède que d’autres règlements, comme ceux limitant la concentration de plomb et de soufre dans le carburant, sont valides : Règlement sur le soufre dans le carburant diesel, DORS/2002-254. Rien ne distingue l’interdiction d’une certaine quantité de soufre ou de plomb dans le carburant d’une exigence positive d’une certaine quantité de carburant renouvelable dans les carburants. Dans les deux cas, l’on cherche à empêcher l’émission de substances toxiques, qu’il s’agisse de dioxyde de soufre ou de GES, et l’on vise la réduction de la pollution atmosphérique.

H.  Empiètement sur la compétence provinciale au sujet des ressources naturelles non renouvelables

[78]  La réponse à la thèse de Syncrude portant que le Règlement sur les carburants renouvelables empiète sur la compétence provinciale en matière de ressources non renouvelables réside dans la structure et le fonctionnement dudit Règlement.

[79]  L’obligation réglementaire est remplie par le respect de l’exigence relative à la teneur de 2 % ou par l’achat d’unités de conformité d’un autre producteur ou d’un utilisateur qui a dépassé sa propre obligation. Les déficits découlant de difficultés relatives au mélange des carburants renouvelables avec des combustibles fossiles dans les mois hivernaux peuvent être compensés par l’utilisation excédentaire de carburant renouvelable pendant l’été. Dans ce sens, le Règlement sur les carburants renouvelables ne précise pas qui doit atteindre la cible, et encore moins de quelle façon il faut l’atteindre, que cela soit par le mélange des carburants ou par l’achat des unités de conformité. L’effet global est le même sur une base annuelle à l’échelle du Canada, soit 2 % moins de combustion fossile est consommée.

[80]  Il importe également de rappeler que le paragraphe 5(2) vise Syncrude à titre de consommateur de carburant diesel dans ses opérations, et non sa production de pétrole brut synthétique. Syncrude respecte les exigences du Règlement sur les carburants renouvelables en achetant des unités de conformité auprès d’un autre producteur. Le Règlement sur les carburants renouvelables n’a aucune incidence sur la fréquence ou la synchronisation de l’extraction des ressources, laquelle constitue, selon Syncrude, son activité principale. Autrement dit, Syncrude n’est pas différente de tout autre consommateur de carburant diesel au Canada, qu’il s’agisse d’une société de camionnage, d’une société municipale de transport ou d’un entrepreneur ayant un besoin en carburant diesel. Le Règlement sur les carburants renouvelables est une loi d’application générale qui n’est pas dirigée vers la gestion des ressources naturelles.

I.  L’argument des moyens indirects

[81]  Syncrude soutient que l’utilisation du Règlement sur les carburants renouvelables afin de créer une demande de carburants renouvelables qui contribuerait à la réduction des émissions de GES constitue un moyen indirect, et non direct, d’agir en matière de GES. Elle dit que la jurisprudence n’approuve pas le recours à la compétence en matière de droit criminel afin de provoquer les effets économiques indirects de manière à atteindre l’objectif principal de protéger l’environnement. Comme je l’ai conclu précédemment, une telle création de demande de carburant renouvelable ne constituait pas l’objectif principal du Règlement sur les carburants renouvelables. Cela répond à cet argument.

[82]  Toutefois, je conclus subsidiairement que constituerait un exercice valide de la compétence en matière de droit criminel le recours à une interdiction pour imposer un composant renouvelable dans le carburant de manière à atteindre indirectement la réduction consécutive des GES toxiques dans l’atmosphère. Cela est précisément ce que l’article 139 autorise. Je souligne que ce point n’est pas nécessaire pour conclure que le Règlement sur les carburants renouvelables relève de la compétence du législateur général; les motifs que j’ai invoqués ci-dessus pour cette conclusion sont suffisants en eux-mêmes.

[83]  Syncrude est justifiée de citer le Renvoi sur la margarine, puisqu’il trace une limite pertinente de la compétence fédérale en matière de droit criminel. Plus précisément, le législateur fédéral ne peut pas utiliser la voie du droit criminel (dans ce cas, des interdictions d’importation, de production et de vente de margarine) simplement pour provoquer les effets économiques qu’il estime désirables. Dans ce cas, l’effet économique que constitue la protection de l’industrie laitière constituait l’objectif final. Cependant, l’argument de Syncrude portant que le législateur fédéral ne peut utiliser sa compétence en matière de droit criminel afin de réduire indirectement un mal n’est pas appuyé par la jurisprudence.

[84]  Le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu enseigne qu’une loi n’a pas besoin d’une interdiction directe du mal en question. La Cour suprême a alors confirmé, aux paragraphes 39 et 40, que, par l’exercice de la compétence en matière de droit criminel, le « Parlement peut utiliser des moyens indirects pour atteindre ses fins. Une interdiction directe et totale n’est pas requise. » Dans l’affaire RJR-MacDonald, la disposition contestée interdisait la publicité et la promotion du tabac afin de réduire la consommation de tabac et, ensuite, de réduire les effets négatifs pour la santé de la consommation de tabac. La Cour a conclu qu’il était loisible au législateur fédéral d’interdire l’activité qui cause indirectement le mal, plutôt que l’activité qui cause directement le mal.

[85]  Si une loi prévoit une interdiction assortie d’une pénalité, dont l’effet ultime est l’atténuation d’un mal, cela est suffisant pour que la loi relève de la compétence fédérale. Le juge doit être neutre relativement au mécanisme causal selon lequel ce mal est amoindri. Le Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée enseigne que l’exercice du pouvoir en matière de droit criminel est valide si les trois volets du critère sont réunis; il n’enseigne pas que le juge doit conclure qu’un exercice du pouvoir en matière de droit criminel est valide si les trois volets du critère sont réunis de sorte que le mal amoindri soit de nature prescrite. La jurisprudence n’enseigne pas que l’on peut joindre cet élément additionnel à ce critère. En effet, l’arrêt RJR-MacDonald enseigne expressément que l’accent doit être mis sur la méthode utilisée par le législateur fédéral pour atteindre un objet de droit criminel par ailleurs valide, peu importe que soit « détourné » le moyen retenu par le législateur fédéral pour atteindre son objectif.

[86]  Je suis conforté dans cette conclusion par le fait que d’autres exercices du pouvoir en matière de droit criminel comprennent une interdiction qui modifie les conditions économiques afin d’amoindrir un mal. Prenons, par exemple, l’article 355.2 du Code criminel, LRC 1985, ch. C-46, qui interdit tout trafic de bien qui a été obtenu par le crime. Le mal dont il est question à l’article 355.2 est axé sur la commission du crime sous-jacent, et le mécanisme par lequel il amoindri ce mal est économique. En interdisant l’échange d’un bien en aval et les profits obtenus de manière criminelle, cela crée des conditions économiques moins favorables au comportement criminel sous-jacent.

J.  Le moyen puisé dans le détournement de pouvoir

[87]  Syncrude soutient que le Règlement sur les carburants renouvelables est inefficace pour combattre les changements climatiques et, donc logiquement, constitue une tentative déguisée de créer un marché pour les carburants renouvelables ou pour réglementer à l’échelle provinciale les ressources naturelles contrôlées.

[88]  Le détournement de pouvoir ne va pas de soi et il ne saurait servir de moyen détourné de réexamen de la sagesse ou de l’efficacité d’une loi. À l’occasion de l’affaire Québec c. Canada, au paragraphe 31, la Cour a affirmé que le détournement de pouvoir « veut simplement dire que [traduction] “la forme n’est pas déterminante lorsqu’il s’agit d’établir le caractère essentiel”. »

[89]  La Cour suprême du Canada, à l’occasion de l’affaire Hydro-Québec, a décidé sans ambiguïté qu’en matière de détournement de pouvoir, il faut qu’un objectif valide déclaré par le législateur fédéral ne soit qu’un simple prétexte pour empiéter sur la compétence provinciale. Il s’agit d’une norme stricte. Une fois de plus, comme dans le cas de la qualification de l’objectif principal, Syncrude soutient que, vu les preuves qu’elle présente, le gouvernement savait que les carburants renouvelables n’avaient pas réellement des émissions de GES ayant un cycle de vie plus court. Syncrude soutient également que le gouvernement comprenait que le Règlement sur les carburants renouvelables stimulerait le développement d’un marché intérieur pour les carburants renouvelables, créerait des incitatifs économiques collatéraux pour l’agriculture et l’industrie afin d’aider à la transition vers la plantation et le raffinage des biocarburants, et aurait d’autres effets positifs sur certains secteurs agricoles. Il en ressort, selon Syncrude, que l’objectif principal doit avoir été d’empiéter sur les compétences provinciales afin de créer un marché pour les carburants renouvelables canadiens.

[90]  Ici, toutefois, les preuves vont en sens contraire. Lorsque, notamment, les références à la création d’un marché intérieur pour les carburants renouvelables sont prises au regard du contexte, y compris la preuve que l’objectif du paragraphe 5(2), plus particulièrement, était de contribuer significativement à la prévention et à la réduction de la pollution atmosphérique par une réduction des GES, de même que la preuve portant que les conséquences et les buts en termes de marché faisaient partie de la stratégie de réduction des émissions de GES des combustibles fossiles, la thèse du détournement de pouvoir ne peut être retenue.

[91]  En effet, cette observation met en évidence à quel point l’utilisation valide de la compétence en matière de droit criminel afin de protéger l’environnement peut en conséquence, avoir des effets économiques. Il serait extrêmement facile au législateur fédéral d’avoir recours au droit criminel pour protéger l’environnement s’il ne se préoccupait pas d’économie; il pourrait tout simplement interdire la consommation des combustibles fossiles. Le défi repose dans la protection de l’environnement tout en évitant ou en compensant les effets secondaires économiques négatifs. Dans certains cas, l’élaboration d’un régime afin d’atténuer les effets secondaires économiques peut constituer la majorité de l’oeuvre. Le fait que la gestion des effets économique joue un rôle, même un rôle plutôt important, dans une loi donnée ne signifie pas que cette loi est une tentative déguisée de poursuivre un objectif inconstitutionnel.

[92]  Syncrude attire notre attention sur les incitatifs concomitants en matière de capital et les subventions au secteur agricole et à l’industrie pour promouvoir les carburants renouvelables, lesquels tendraient à prouver que le Règlement sur les carburants renouvelables constituait une tentative déguisée d’empiéter sur les compétences législatives provinciales. Toutefois, l’analyse doit être approfondie, et il faut se pencher sur le motif et au but qui sous-tendent ces mesures. Au terme de cette analyse, il est évident que l’objectif était de faciliter l’accès aux carburants renouvelables et de stimuler la mise au point de nouvelles technologies qui pourrait « générer des bienfaits environnementaux supérieurs à ceux des carburants renouvelables traditionnels en ce qui concerne les réductions des émissions de GES » : Partie I de la Gazette du Canada, Vol. 145, no 15, (20 juillet 2011), p. 699. Comme le juge l’a signalé, la création d’une demande de carburants renouvelables constituait une partie essentielle de la stratégie globale de réduction des émissions de GES, mais elle n’était pas l’objectif principal.

[93]  Ces réponses consécutives du marché ne dérogent pas à l’objectif principal. Le Règlement sur les carburants renouvelables a été conçu pour combattre l’effet délétère des GES sur l’atmosphère en exigeant qu’un type de carburant émettant vraisemblablement moins de GES soit utilisé dans au moins 2 % de l’approvisionnement en carburant. Il ressort indubitablement des preuves que le Règlement sur les carburants renouvelables était véritablement axé sur la réduction de la pollution atmosphérique en diminuant les émissions de GES découlant de l’utilisation de combustibles fossiles.

K.  Pouvoirs accessoires

[94]  Compte tenu des présents motifs, et de la conclusion que le paragraphe 5(2) du Règlement sur les carburants renouvelables relève de la compétence fédérale, il n’est pas nécessaire de rechercher si la doctrine des pouvoirs accessoires permettrait de valider la disposition controversée. Toutefois, même si la loi était invalide, je conclus qu’elle serait validée selon la doctrine des pouvoirs accessoires, essentiellement pour les motifs formulés par le juge aux paragraphes 87 à 97 des motifs.

L.  Validité légale

[95]  Comme on l’a signalé, Syncrude soutient que le gouverneur en conseil n’a pas réussi à formuler l’opinion au paragraphe 140(2) que le Règlement « pourrait contribuer sensiblement à prévenir ou à réduire la pollution atmosphérique », ce qui est une condition préalable à la prise d’un règlement valide.

[96]  Concrètement, il revient à Syncrude de démontrer que le Règlement sur les carburants renouvelables est incompatible avec la loi habilitante. À cet égard, le juge ne se penche pas sur les mérites de la politique consacrée par le Règlement sur les carburants renouvelables ni sur la question de savoir si un règlement est « nécessaire, sage et efficace dans la pratique » : Katz, au para. 28.

[97]  La thèse puisée dans le droit administratif avancée par Syncrude se résume à ce qui suit : selon le paragraphe 140(2) de la LCPE, le gouverneur en conseil doit être d’avis qu’un règlement réduira la pollution atmosphérique avant de formuler ce règlement en vertu du paragraphe 140(1). En fait, le Règlement sur les carburants renouvelables ne réduit pas la pollution atmosphérique. Par conséquent, le gouverneur en conseil ne pouvait pas être du même avis, puisque cette opinion aurait été incorrecte, arbitraire, ou autrement formulée pour des objectifs étrangers à ceux de la loi.

[98]  L’erreur de raisonnement est évidente. Le paragraphe 140(2) n’exige pas une certitude scientifique absolue, si cela est possible. Ce qui est requis est une opinion, qui n’est peut-être pas partagée par tous, selon laquelle le règlement pourrait réduire la pollution atmosphérique. Il y avait suffisamment d’éléments de preuve présentés au gouverneur en conseil, énoncés dans le REIR, qui allaient dans le sens de cette opinion.

[99]  À l’appui de son argument, Syncrude attire notre attention sur les preuves au dossier portant qu’en raison des changements dans les modes d’utilisation des terres, il n’y aura pas de réduction des émissions de GES, et il y aura une augmentation de la pollution atmosphérique qui se traduira par des impacts délétères sur l’environnement. Toutefois, il ressort des preuves que, manifestement, le gouverneur en conseil a examiné cette question, signalant qu’il n’y aurait pas de changements dans les modes d’utilisation des terres au Canada. Le REIR de 2010 porte précisément sur le point soulevé par Syncrude, indiquant qu’« [o]n ne s’attend pas à ce que le [Règlement sur les carburants renouvelables] entraîne [...] de changement dans l’utilisation des terres » : Partie II de la Gazette du Canada, Vol. 144, no 18, (1er septembre 2010), p. 1709. Il ne ressort pas des preuves que l’exigence relative au biocarburant est non pertinente, étrangère ou totalement sans rapport à l’objet de la loi de l’article 140 de la LCPE.

[100]  Essentiellement, Syncrude invite notre Cour à remettre en question l’opinion du gouverneur en conseil, une invitation que la Cour doit décliner. Même s’il y avait des éléments de preuve allant dans le sens d’opinion scientifique différente relativement à la contribution nette du Règlement sur les carburants renouvelables à la réduction des GES, cela n’empêcherait en rien le gouverneur en conseil de formuler une opinion différente qui s’appuierait sur un élément de preuve reconnu comme étant différent.

VII.  Conclusion

[101]  Je conclus que le paragraphe 5(2) du Règlement sur les carburants renouvelables respecte la Loi constitutionnelle de 1867 et la LCPE, et je rejetterais l’appel avec dépens.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

C. Michael Ryer, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

 


ANNEXE A

Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) (L.C. 1999, ch. 33)

Canadian Environmental Protection Act, 1999, SC 1999, c33

Réglementation des combustibles

General Requirements for Fuels

Interdiction

Prohibition

139 (1) Il est interdit de produire, d’importer ou de vendre un combustible non conforme aux normes réglementaires.

139 (1) No person shall produce, import or sell a fuel that does not meet the prescribed requirements.

Règlements

Regulations

140 (1) Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil peut prendre tout règlement d’application de l’article 139 et, par règlement, régir:

140 (1) The Governor in Council may, on the recommendation of the Minister, make regulations for carrying out the purposes of section 139 and may make regulations respecting

a) la quantité ou la concentration de tout élément, composant ou additif dans un combustible;

(a) the concentrations or quantities of an element, component or additive in a fuel;

b) les propriétés physiques ou chimiques du combustible;

(b) the physical or chemical properties of a fuel;


ANNEXE B

Règlement sur les carburants renouvelables (DORS/2010-189)

Renewable Fuels Regulations (SOR/2010-189)

Stocks de distillat

Distillate pool

5 (2) Pour l’application de l’article 139 de la Loi, la quantité de carburant renouvelable, correspondant à un volume exprimé en litres et calculée conformément au paragraphe 8(2), ne peut être inférieure à 2 % du volume, exprimé en litres, des stocks de distillat du fournisseur principal au cours de chaque période de conformité visant le distillat.

5 (2) For the purpose of section 139 of the Act, the quantity of renewable fuel, expressed as a volume in litres, calculated in accordance with subsection 8(2), must be at least 2% of the volume, expressed in litres, of a primary supplier’s distillate pool for each distillate compliance period.

Correspondance — carburant renouvelable

Representing renewable fuel

7 (1) Les unités de conformité créées au titre de la partie 2 correspondent à des litres de carburant renouvelable et servent à établir la conformité avec l’article 5.

7 (1) Compliance units, which represent litres of renewable fuel, created under Part 2 are used to establish compliance with section 5.

Mélange au Canada — unité visant le distillat

Blending in Canada — distillate compliance units

13 (2) Sous réserve du paragraphe (3), une unité de conformité visant le distillat est créée pour chaque litre de carburant renouvelable au moment où il est mélangé, au Canada, à un lot de carburant diesel ou de mazout de chauffage.

13 (2) Subject to subsection (3), a single distillate compliance unit is created for each litre of renewable fuel on its blending in Canada with a batch of diesel fuel or heating distillate oil.

Importation — unité visant le distillat

Importation — distillate compliance units

14 (2) Sous réserve du paragraphe (3), une unité de conformité visant le distillat est créée pour chaque litre de carburant renouvelable que contient un lot de carburant diesel ou de mazout de chauffage au moment de son importation au Canada.

14 (2) Subject to subsection (3), a single distillate compliance unit is created for each litre of renewable fuel that is contained in a batch of diesel fuel, or heating distillate oil, on its importation into Canada.

À un fournisseur principal

To primary suppliers

20 (1) Un échange ne peut être conclu que si le destinataire de l’unité de conformité est un fournisseur principal.

20 (1) A compliance unit may only be transferred in trade to a primary supplier.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉ DU
6 AOÛT 2014, NO T-1643-13 (2014 CF 776)

DOSSIER :

A-383-14

 

INTITULÉ :

SYNCRUDE CANADA LTD. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 novembre 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RYER

LE JUGE BOIVIN

DATE :

Le 30 mai 2016

COMPARUTIONS :

Bernard J. Roth

Joshua A. Jantzi

Pour l’appelant

Christine Ashcroft

Darcie Charlton

Maia McEachern

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dentons Canada LLP

Calgary (Alberta)

Pour l’appelant

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

Pour le défendeur

 

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