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Date : 20160615


Dossier : A-356-15

Référence : 2016 CAF 181

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

COAST CAPITAL SAVINGS CREDIT UNION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 19 avril 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 juin 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20160615


Dossier : A-356-15

Référence : 2016 CAF 181

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

COAST CAPITAL SAVINGS CREDIT UNION

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]  L’appelante à la présente instance, Coast Capital Savings Credit Union, demande l’annulation d’une partie de l’ordonnance rendue le 5 août 2015 par la juge Valerie Miller au nom de la Cour canadienne de l’impôt et publiée sous la référence 2015 CCI 195. Par cette ordonnance, la juge de la Cour de l’impôt autorisait Coast Capital à déposer un avis d’appel modifié après radiation de certains paragraphes de la version de cet avis proposée par l’appelante. Coast Capital soutient que la juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en prononçant la radiation des paragraphes en question de ladite version, au motif qu’il n’était pas évident et manifeste qu’ils ne révélaient aucune cause d’action raisonnable.

[2]  Pour les motifs dont l’exposé suit, je repousse la thèse de l’appelante et je rejetterais le présent appel, avec dépens.

I.  Rappel des faits

[3]  Coast Capital est une caisse d’épargne et de crédit sise en Colombie-Britannique. En 2001 et 2002, elle était fiduciaire d’un certain nombre de fiducies qui étaient des régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER) autogérés, soit des fonds enregistrés de revenu de retraite (FERR). Le ministre du Revenu national soutient que Coast Capital, à titre de fiduciaire de ces fiducies, a acheté avec des fonds de celles-ci des biens canadiens imposables qui revêtaient la forme d’actions de sociétés sous contrôle canadien et qu’elle a acheté ces actions à une personne non-résidente. Le ministre affirme en outre que Coast Capital n’a pris aucune mesure pour vérifier le pays de résidence du vendeur desdites actions, et il a par conséquent établi à l’égard de l’appelante des cotisations pour les deux années d’imposition 2001 et 2002 en application du paragraphe 116(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR), dont le texte suit :

Disposition par une personne non-résidente

Disposition by non-resident person of certain property

[…]

[…]

Assujettissement de l’acheteur

Liability of purchaser

116(5) L’acheteur qui, au cours d’une année d’imposition, acquiert auprès d’une personne non-résidente un bien canadien imposable (sauf un bien amortissable ou un bien exclu) d’une telle personne est redevable, pour le compte de cette personne, d’un impôt en vertu de la présente partie pour l’année, sauf si, selon le cas :

116(5) Where in a taxation year a purchaser has acquired from a non-resident person any taxable Canadian property (other than depreciable property or excluded property) of the non-resident person, the purchaser, unless

a) après enquête sérieuse, l’acheteur n’avait aucune raison de croire que la personne ne résidait pas au Canada;

(a) after reasonable inquiry the purchaser had no reason to believe that the non-resident person was not resident in Canada,

a.1) le paragraphe (5.01) s’applique à l’acquisition;

(a.1) subsection (5.01) applies to the acquisition, or

b) le ministre a délivré à l’acheteur, en application du paragraphe (4), un certificat concernant le bien.

(b) a certificate under subsection 116(4) has been issued to the purchaser by the Minister in respect of the property,

Cet impôt — à remettre au receveur général dans les 30 jours suivant la fin du mois au cours duquel l’acheteur a acquis le bien — est égal à 25 % de l’excédent éventuel du coût visé à l’alinéa c) sur la limite visée à l’alinéa d):

is liable to pay, and shall remit to the Receiver General within 30 days after the end of the month in which the purchaser acquired the property, as tax under this Part for the year on behalf of the non-resident person, 25% of the amount, if any, by which

c) le coût pour l’acheteur du bien ainsi acquis;

(c) the cost to the purchaser of the property so acquired

exceeds

d) la limite prévue par le certificat délivré en application du paragraphe (2) concernant la disposition du bien par la personne non-résidente en faveur de l’acheteur.

(d) the certificate limit fixed by the certificate, if any, issued under subsection 116(2) in respect of the disposition of the property by the non-resident person to the purchaser,

L’acheteur a le droit de déduire d’un montant qu’il a versé à la personne non-résidente, ou porté à son crédit, ou de retenir sur un tel montant, ou de recouvrer autrement d’une telle personne, tout montant qu’il a payé au titre de cet impôt.

and is entitled to deduct or withhold from any amount paid or credited by the purchaser to the non-resident person or otherwise recover from the non-resident person any amount paid by the purchaser as such a tax.

[4]  Coast Capital a avancé dans son avis d’appel l’argument qu’elle n’était pas l’acheteur des actions en cause, argument qu’elle ne peut plus maintenant invoquer en raison d’un arrêt récent de notre Cour : Olympia Trust Company c. Canada, 2015 CAF 279, 479 N.R. 317. Elle soutenait également dans son avis d’appel qu’elle n’avait pas acquis un bien canadien imposable auprès d’une personne non-résidente et, subsidiairement, que dans l’hypothèse où la Cour rejetterait ce moyen, elle ignorait qu’elle traitait avec une personne non-résidente au moment de l’achat des actions et n’était donc pas redevable des impôts fixés à son égard.

[5]  L’intimée explique dans sa réponse que le ministre a délivré les avis de cotisation attaqués en se fondant sur les hypothèses de fait qui suivent :

  • Certaines personnes ont créé un stratagème visant à permettre aux rentiers de retirer des sommes de leurs REER ou de leurs FERR sans payer les impôts applicables.

  • Ce stratagème comportait l’achat d’actions à des sociétés résidentes du Canada par une fiducie de REER ou de FERR, à un prix supérieur à la juste valeur marchande de ces actions.

  • Ce stratagème comportait aussi le transfert de fonds de REER ou de FERR préexistants à des REER ou des FERR nouvellement créés. Les rentiers ordonnaient ensuite au fiduciaire d’utiliser les fonds ainsi transférés pour acheter des actions de sociétés canadiennes, à un prix supérieur à leur juste valeur marchande.

  • Le promoteur du stratagème prélevait une commission sur ces fonds et transférait le reste de ces sommes excédentaires par rapport à la juste valeur marchande des actions à des comptes extraterritoriaux, dont les rentiers n’étaient pas titulaires mais auxquels ils avaient accès.

[6]  Le stratagème permettait ainsi aux rentiers de retirer des sommes de leurs REER ou de leurs FERR sans payer les impôts applicables.

[7]  Personne ne soutient que Coast Capital soit impliquée d’une façon quelconque dans ce stratagème, et elle affirme elle-même qu’elle ignorait entièrement la nature frauduleuse des opérations menées. Elle avance avoir en effet été induite en erreur sur la véritable nature de ces opérations et sur la valeur des actions par les promoteurs du stratagème ou par l’avocat qui les aidait. L’appelante déclare n’avoir appris l’existence du stratagème en question qu’au cours de la procédure de communication préalable afférente au présent litige et elle fait valoir qu’elle a demandé, à la suite de cette procédure, l’autorisation de modifier son avis d’appel afin d’invoquer, en rapport avec ledit stratagème, des faits additionnels et de nouveaux motifs à l’appui de son recours visant à faire modifier les avis de cotisation qui se rapportent à ce stratagème.

[8]  Plus précisément, elle souhaitait alléguer que le stratagème considéré était un trompe-l’œil, ce qui, affirmait-elle, permettrait à la Cour de l’impôt de redéfinir l’opération et l’amènerait à accueillir son appel au motif qu’il convenait d’établir à son égard de nouvelles cotisations sur la base des faits réels. Coast Capital souhaitait aussi modifier son avis d’appel de manière à faire valoir le moyen selon lequel le coût des actions, pour l’application du paragraphe 116(5) de la LIR, était leur juste valeur marchande et non leur prix d’achat. Ces nouvelles conclusions étaient formulées aux paragraphes 4A, 23b), 23f), 28A, 30A, 33A et 37A de la proposition d’avis d’appel modifié présentée par Coast Capital.

II.  Les motifs de la juge de la Cour de l’impôt

[9]  La juge de la Cour de l’impôt a expliqué dans les motifs de son ordonnance qu’elle ne pouvait autoriser les modifications proposées par Coast Capital, c’est-à-dire les nouvelles conclusions formulées aux paragraphes 4A, 23b), 23f), 28A, 30A, 33A et 37A de sa proposition d’avis d’appel modifié, au motif que ces modifications ne révélaient aucune cause d’action raisonnable.

[10]  La juge de la Cour d’impôt a d’abord rappelé, citant les paragraphes 9 et 10 de l’arrêt Canderel Ltd. c. Canada, [1994] 1 C.F. 3, 157 N.R. 380 (C.A), et conformément à l’article 54 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a, qu’il convient de permettre la modification des actes de procédure à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, à condition qu’il n’en résulte, pour la partie adverse, aucune injustice que des dépens ne pourraient réparer. Elle a en outre pris acte, citant cette fois l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, aux pages 977, 979 et 980, 117 N.R. 321, qu’elle devait présumer véridiques les faits invoqués dans les nouvelles conclusions proposées, et qu’il ne lui était permis de radier ces modifications que s’il était évident et manifeste qu’elles ne révélaient aucune cause raisonnable d’action.

[11]  La juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’il était évident et manifeste que l’argument du trompe-l’œil invoqué par Coast Capital ne révélait aucune cause d’action. Elle a justifié cette conclusion par trois motifs.

[12]  Premièrement, citant à cet égard les arrêts 2529-1915 Québec Inc. c. Canada, 2008 CAF 398, 387 N.R. 1; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, 53 N.R. 241 [arrêt Stubart]; McEwen Brothers Ltd. c. R., [1999] 4 C.F. 225, 243 N.R. 149 (C.A.); et Bonavia c. La Reine, 2010 CAF 129, [2010] 6 C.T.C. 99 [arrêt Bonavia]), la juge a exprimé l’avis que l’on ne peut conclure à l’existence d’un trompe-l’œil dans un contexte fiscal que dans le cas où le ministre est induit en erreur sur la véritable nature de l’opération. Or, en l’espèce, c’était Coast Capital qui avait été induite en erreur, et non le ministre, de sorte qu’il n’était pas possible d’invoquer l’argument du trompe-l’œil.

[13]  Deuxièmement, la juge, citant l’arrêt Bonavia, a déclaré que le contribuable dont l’appel est porté devant la Cour doit avoir été lui-même partie au trompe-l’œil. Or, comme ce n’était pas le cas de Coast Capital, cette dernière ne pouvait invoquer ce moyen.

[14]  Enfin, la juge de la Cour de l’impôt a constaté que les faits invoqués par Coast Capital ne permettaient pas de conclure qu’elle eût été victime d’un trompe-l’œil d’une manière pertinente pour son appel fiscal, au motif qu’aucun de ces faits ne tendait à établir que les droits et obligations légaux créés fussent différents des droits et obligations légaux que les parties avaient l’intention de créer. Il apparaissait plutôt que Coast Capital avait été victime d’une assertion fausse et inexacte. En tout état de cause, cela ne changeait rien au fait que Coast Capital avait utilisé des fonds des REER et des FEER pour acheter les actions considérées.

[15]  En ce qui concerne la deuxième modification que Coast Capital souhaitait apporter à son avis d’appel, la juge de la Cour de l’impôt, citant l’arrêt La Reine c. Stirling, [1985] 1 CF 342, [1985] 1 C.T.C. 275 (C.A.) [arrêt Stirling]), a conclu qu’il était évident et manifeste que l’argument du coût avancé par l’appelante ne soulevait aucune cause d’action, au motif que l’expression « le coût pour l’acheteur » au paragraphe 116(5) de la LIR, entendue dans son sens ordinaire, signifie le prix que le contribuable a accepté de payer pour obtenir le bien en question.

III.  Analyse

A.  Les modifications proposées concernant la doctrine du trompe-l’œil

[16]  Au sujet de la radiation des modifications proposées par lesquelles elle souhaitait faire valoir que l’opération était un trompe-l’œil afin d’invoquer ce motif à l’appui de l’annulation des cotisations fiscales, Coast Capital soutient qu’il n’était pas évident et manifeste que l’argument proposé du trompe-l’œil ne révélât aucune cause d’action, et ce, pour trois raisons.

[17]  Premièrement, avance-t-elle, il n’est pas évident et manifeste que seul le ministre puisse invoquer la doctrine du trompe-l’œil. La jurisprudence de notre Cour, rappelle Coast Capital, repose sur l’arrêt phare Stubart de la Cour suprême du Canada. Or, dans cet arrêt, la Cour suprême ne dit pas catégoriquement que seul le ministre, dans une affaire fiscale, puisse plaider le trompe-l’œil. L’appelante se réfère en particulier au passage des motifs majoritaires de cet arrêt (à la page 572) où le juge Estey cite un extrait de la décision Snook v. London & West Riding Investments Ltd., [1967] 1 All E.R. 518, selon lequel il y a trompe-l’œil dans le cas où l’on accomplit des actes :

[TRADUCTION]

[...] dans l’intention de faire croire à des tiers ou à la cour qu’ils créent entre les parties des obligations et droits légaux différents des obligations et droits légaux réels (s’il en est) que les parties ont l’intention de créer.

[18]  Ce passage, fait valoir Coast Capital, ne pose pas comme condition explicite que la partie trompée soit l’autorité fiscale, mais admet au contraire la possibilité, dans une affaire fiscale, que quelqu’un d’autre soit induit en erreur par un trompe-l’œil. La victime du trompe-l’œil est habituellement le ministre, concède Coast Capital; cependant, ajoute-t-elle, le caractère nouveau ou inhabituel du moyen qu’elle veut invoquer ne rend pas évident et manifeste que ce moyen soit voué à l’échec. L’appelante rappelle que la Cour de l’impôt a appliqué la doctrine du trompe-l’œil en faveur d’un contribuable dans la décision Nunn c. La Reine, 2005 CCI 806, [2006] 2 C.T.C. 2045. Il est vrai que la décision Nunn a été infirmée en appel (2006 CAF 403, 367 N.R. 108 [arrêt Nunn CAF]), admet Coast Capital, mais ce n’était pas au motif que seul le ministre pouvait invoquer la doctrine du trompe-l’œil. L’appelante, citant en particulier l’arrêt St. Arnaud c. Canada, 2013 CAF 88, 444 N.R. 176, fait en outre valoir qu’elle ne doit être imposée que sur la base des faits qui se sont réellement produits; or, dans la présente espèce, elle a été victime d’un trompe-l’œil. Par conséquent, raisonne-t-elle, il n’est pas évident et manifeste que seul le ministre puisse invoquer le trompe-l’œil, de sorte que le premier motif allégué par la juge de la Cour de l’impôt ne saurait être confirmé.

[19]  Deuxièmement, avance Coast Capital, la juge de la Cour de l’impôt a commis une autre erreur en ce qu’il n’est pas évident et manifeste que la doctrine du trompe-l’œil ne puisse être appliquée dans un appel fiscal que si l’appelant est partie au trompe-l’œil. Cette conclusion de la juge paraît à Coast Capital se fonder sur son hypothèse voulant que seul le ministre puisse invoquer la doctrine susdite. Or, il est évident que le ministre, lorsqu’il a recours à cette doctrine, n’est pas partie au trompe-l’œil, et il serait absurde qu’un contribuable qui aurait agi sous le couvert d’un trompe-l’œil puisse invoquer sa tromperie dans un appel contre une cotisation fiscale.

[20]  Troisièmement, Coast Capital soutient que la juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en établissant qu’elle n’avait pas cité de faits suffisants pour permettre de conclure à l’existence d’un trompe-l’œil. L’appelante affirme avoir au contraire exposé des faits suffisants pour établir que les parties au trompe-l’œil avaient commis des actes visant à induire en erreur et avaient présenté leurs opérations comme étant différentes de la réalité : les rentiers pouvaient retirer les fonds correspondant au prix d’achat; le véritable objet du stratagème n’était pas l’achat d’actions au prix prétendu, mais le transfert de sommes à des comptes extraterritoriaux pour l’usage des rentiers; en outre, les promoteurs du stratagème et les rentiers avaient communiqué à Coast Capital des documents qui présentaient de manière inexacte la nature dudit stratagème.

[21]  Je doute fort que l’arrêt Stubart puisse s’interpréter comme le soutient Coast Capital, ou qu’on puisse écarter de la manière proposée par elle la jurisprudence de notre Cour selon laquelle seul le ministre peut invoquer la doctrine du trompe-l’œil dans une affaire fiscale.

[22]  Cependant, il n’est pas nécessaire en l’espèce de décider les points de savoir s’il est évident et manifeste que seul le ministre peut invoquer le trompe-l’œil dans une affaire fiscale, ou si un contribuable doit nécessairement être partie au trompe-l’œil pour que cette doctrine puisse être invoquée, en raison du caractère inattaquable du troisième motif pour lequel la juge de la Cour de l’impôt déclare avoir rejeté les modifications proposées.

[23]  Coast Capital s’est méprise sur la nature du troisième motif pour lequel la juge de la Cour de l’impôt a interdit l’adjonction à l’avis d’appel de l’argument du trompe-l’œil. En effet, contrairement à ce que donnent à penser les conclusions de Coast Capital, la juge a établi que cet argument était dénué de pertinence quant aux questions portées devant la Cour de l’impôt et non qu’il ne fût étayé de précisions suffisantes. Qui plus est, la juge de la Cour de l’impôt a eu raison de statuer ainsi.

[24]  Il faut bien considérer la nature des opérations en cause et la base des cotisations contestées dans la présente espèce. Le ministre soutient que Coast Capital, en qualité de fiduciaire des REER et FERR en question, a utilisé des fonds de ces REER et FERR pour acheter à une personne non-résidente des actions de sociétés sous contrôle canadien. Or, le paragraphe 116(5) de la LIR dispose que l’acheteur qui acquiert auprès d’une personne non-résidente un bien canadien imposable est redevable, pour le compte de cette personne, d’un impôt égal à 25 % du coût du bien ainsi acquis. En conséquence, le ministre a établi que Coast Capital, en tant qu’acheteur du bien canadien imposable, était redevable de 25 % du coût des actions. L’appelante fait donc l’objet des cotisations litigieuses sur la base de son acquisition des actions auprès d’une personne non-résidente, et non en rapport avec son appréciation erronée de leur valeur ou avec les événements qui ont suivi, à son insu, cette acquisition. Par conséquent, le fait que Coast Capital a été induite en erreur au sujet de la valeur des actions ou de la destination finale des sommes prélevées sur les REER et les FERR n’a aucune pertinence pour les questions portées devant la Cour de l’impôt.

[25]  Il s’ensuit que la doctrine du trompe-l’œil ne s’applique pas à l’opération d’achat d’actions en litige dans le présent appel. Comme la juge de la Cour de l’impôt l’a fait observer, l’intention de Coast Capital et des promoteurs était que celle-ci achète les actions au prix convenu. Leur intention était également que Coast Capital débloque les fonds en question des REER et des FERR, et reçoive les actions. Donc, l’intention des parties était exactement conforme à ce qui s’est produit.

[26]  Coast Capital soutient qu’il faut conclure du caractère malhonnête ou trompeur du stratagème dans lequel s’inscrivait l’achat des actions que cette opération constituait un trompe-l’œil, et qu’il faudrait l’écarter au profit de l’[TRADUCTION] « opération réelle ». Cependant, il n’y a pas d’autre « réalité » sur laquelle la Cour de l’impôt pourrait se fonder : il n’existe pas d’opération « réelle » sous-jacente qui puisse servir d’assiette d’imposition au ministre, de manière à lui permettre de ne pas tenir compte de l’achat des actions. Coast Capital invoque l’acheminement des fonds vers des comptes extraterritoriaux. Or, elle n’est pas imposée sur la base du retrait de sommes des REER ou des FERR, mais tout simplement en tant qu’acheteur d’un bien canadien imposable. Le point de savoir ce que les promoteurs ont fait des fonds en question est dénué de pertinence.

[27]  Il est de jurisprudence constante que le contribuable ne se trouve pas déchargé de ses obligations fiscales au motif qu’il a été victime d’erreur ou de fraude (voir le paragraphe 22 de l’arrêt Nunn CAF, où l’on cite l’arrêt Vankerk c. Canada, 2006 CAF 96, au paragraphe 3, 348 N.R. 258). Par conséquent, le fait que Coast Capital pourrait avoir été induit en erreur touchant l’objet final des opérations considérées est dénué de pertinence quant à son obligation fiscale sous le régime du paragraphe 116(5) de la LIR. Il s’ensuit que la juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur donnant ouverture à annulation en ne permettant pas à Coast Capital de modifier son avis d’appel par l’adjonction des conclusions formulées aux paragraphes 4A, 23b), 28A et 33A de la nouvelle version proposée de cet avis.

B.  Les modifications proposées concernant le coût

[28]  Quant au refus d’autoriser la modification par laquelle l’appelante voulait faire valoir que le coût des actions, pour l’application du paragraphe 116(5) de la LIR, était leur juste valeur marchande plutôt que les sommes payées à partir des RERR et des FERR, Coast Capital soutient que la juge de la Cour de l’impôt s’est méprise sur l’effet des conclusions proposées. Selon l’appelante, ces conclusions font valoir que ce n’est pas la totalité du montant transféré qui a servi à l’achat des actions, mais qu’une partie en a servi à procurer des avantages aux rentiers et aux promoteurs. La juge de la Cour de l’impôt, raisonne l’appelante, a donc commis une erreur en établissant qu’il est évident et manifeste que le juge qui examinerait l’affaire au fond ne pourrait être persuadé de conclure que le coût des actions était en réalité sensiblement inférieur au montant prélevé sur les REER et les FERR. Coast Capital cite à ce propos le paragraphe 524 de la décision R. v. Kendall, 2015 ABQB 177, 2015 D.T.C. 5046 [décision Kendall]. Dans cette affaire, les promoteurs d’un stratagème semblable à celui qui aurait été appliqué dans la présente espèce ont été déclarés coupables de fraude, de complot et de vol. Le juge de première instance a conclu dans ses motifs que les accusés avaient détourné les sommes provenant des REER des cotisants-investisseurs et qu’une partie seulement de ces sommes avait en fait servi à l’achat d’actions d’une société privée sous contrôle canadien.

[29]  Coast Capital fait en outre observer que la juge de la Cour de l’impôt lui a permis d’ajouter l’article 68 de la LIR à la liste, annexée à son avis d’appel, des dispositions législatives qu’elle invoquait, lequel article l’appelante affirme constituer le fondement de son moyen subsidiaire relatif au coût. Les dispositions applicables de cet article sont libellées comme suit :

Contrepartie mixte

Allocation of amounts in consideration for property, services or restrictive covenants

68 Dans le cas où il est raisonnable de considérer que le montant reçu ou à recevoir d’une personne représente en partie la contrepartie de la disposition d’un bien d’un contribuable, la contrepartie de la prestation de services par un contribuable ou la contrepartie d’une clause restrictive, au sens du paragraphe 56.4(1), accordée par un contribuable, les règles ci-après s’appliquent :

68 If an amount received or receivable from a person can reasonably be regarded as being in part the consideration for the disposition of a particular property of a taxpayer, for the provision of particular services by a taxpayer or for a restrictive covenant as defined by subsection 56.4(1) granted by a taxpayer,

a) la partie du montant qu’il est raisonnable de considérer comme la contrepartie de cette disposition est réputée être le produit de disposition du bien, quels que soient la forme et les effets juridiques du contrat ou de la convention, et la personne qui a acquis le bien à la suite de cette disposition est réputée l’acquérir pour un montant égal à cette partie;

(a) the part of the amount that can reasonably be regarded as being the consideration for the disposition shall be deemed to be proceeds of disposition of the particular property irrespective of the form or legal effect of the contract or agreement, and the person to whom the property was disposed of shall be deemed to have acquired it for an amount equal to that part;

[…]

[…]

[30]  Coast Capital soutient que l’autorisation donnée par la juge de la Cour de l’impôt d’ajouter l’article 68 de la LIR à la liste des dispositions invoquées entre en contradiction avec son refus d’autoriser l’adjonction des conclusions exposant le moyen fondé sur le coût, formulées aux paragraphes 23f), 30A et 37A de sa proposition d’avis d’appel modifié.

[31]  J’admets qu’il n’était peut-être pas nécessaire d’autoriser Coast Capital à ajouter l’article 68 de la LIR à la liste des dispositions législatives invoquées, mais il ne s’ensuit pas que la juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en n’autorisant pas l’appelante à avancer l’argument du coût dans ses modifications. C’est avec raison que la juge de la Cour de l’impôt a conclu à l’absence d’ambiguïté du terme « coût » tel qu’il est employé au paragraphe 116(5) de la LIR. Ce terme a été défini comme le montant payé par l’acheteur pour le bien. Dans l’arrêt Stirling, le juge Pratte a expliqué que le terme « coût » signifie « le prix que le contribuable a accepté de payer pour obtenir le bien en question » et qu’il exclut les autres dépenses engagées à l’égard dudit bien. S’il est vrai que, dans l’arrêt Stirling, le terme « coût » a été interprété dans le contexte des dispositions de la LIR relatives aux gains en capital, cet arrêt s’applique tout autant à la définition du terme « coût » tel qu’il figure au paragraphe 116(5) de la même loi. Le coût des actions pour Coast Capital est le montant qu’elle a payé pour les acquérir, et il n’importe aucunement, aux fins d’établir leur coût pour l’appelante, de savoir quelle pouvait être leur valeur réelle ni comment les promoteurs pourraient avoir détourné, après le paiement des actions, les sommes prélevées par Coast Capital sur les RERR ou les FERR aux fins de ce paiement.

[32]  Il s’ensuit que la juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur en établissant qu’il était évident et manifeste que les conclusions formulées aux paragraphes 23f), 30A et 37A de la proposition d’avis d’appel modifié de Coast Capital ne révélaient aucune cause d’action raisonnable.

IV.  Décision proposée

[33]  Pour les motifs exposés ci-dessus, je rejetterais l’appel, avec dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

M. Nadon j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-356-15

 

INTITULÉ :

COAST CAPITAL SAVINGS CREDIT UNION c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 AVRIL 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JUIN 2016

 

COMPARUTIONS :

Robert Kopstein

Alexandra Brown

 

POUR L’APPELANTE

 

Perry Derksen

 

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon, s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

pour l’appelante

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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