Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160614


Dossier : A-147-15

Référence : 2016 CAF 178

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

 

 

ENTRE :

ZSOLT JOZSEF MUDRAK

PATRICK ZOLTAN FEKE

ZSOLT MUDRAK

RENATA FUTO

appelants

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

et

L’ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS et LE CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS

intervenants

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 23 février 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 juin 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

 


Date : 20160614


Dossier : A-147-15

Référence : 2016 CAF 178

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

 

 

ENTRE :

ZSOLT JOZSEF MUDRAK

PATRICK ZOLTAN FEKE

ZSOLT MUDRAK

RENATA FUTO

appelants

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

et

L’ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS et LE CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS

intervenants

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SCOTT

I.                    Introduction

[1]               Le 17 août 2011, les appelants ont quitté la Hongrie pour venir au Canada. Dès leur arrivée au Canada, les appelants ont demandé l’asile, affirmant avoir été victimes de persécution raciale dans leur pays d’origine en raison de leur origine ethnique : ils sont Roms. Ils ont notamment déclaré que, malgré les plaintes déposées auprès de la police concernant une série d’incidents, la protection de l’État était inefficace.

[2]               Le 29 avril 2013, un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a rejeté la demande d’asile des appelants, concluant qu’ils n’avaient pas réussi à réfuter la présomption selon laquelle la protection offerte par la Hongrie était adéquate dans les circonstances.

[3]               Le 16 février 2015, le juge Annis (le juge) de la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire qui avait été présentée à l’encontre de la décision (2015 CF 188).

[4]               Dans ses motifs, le juge a souligné le fait qu’il semblait y avoir divergence d’opinion au sein de la Cour fédérale au sujet de l’application de la notion de protection de l’État aux Roms de Hongrie, notant que certaines décisions de la Cour fédérale semblaient imposer à la Commission plutôt qu’au demandeur le fardeau de démontrer que la protection de l’État n’était pas adéquate, en particulier dans des affaires mettant en cause des Roms de Hongrie.

[5]               Le juge a donc certifié les questions suivantes conformément à l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) :

a)      La Section de la protection des réfugiés commet-elle une erreur susceptible de contrôle si elle ne statue pas sur la question de savoir s’il a été démontré que les mesures en place dans un État démocratique pour protéger les minorités assurent l’efficacité concrète de la protection de l’État dans le but de conclure que celle­ci est adéquate?

b)      Les demandeurs d’asile sont­ils tenus, pour obtenir la protection de l’État, de porter plainte auprès d’organismes de surveillance de la police dans un État démocratique, lorsqu’ils ne courent aucun risque de préjudice s’ils le font?

[6]               Durant l’audience tenue le 23 février 2016, notre Cour s’est interrogée sur l’opportunité de la certification de ces deux questions et a invité les parties à lui soumettre des observations écrites à ce sujet. La Cour a reçu les observations des parties et elle répond maintenant à cette question.

II.                 Historique législatif de l’article 74 de la LIPR

[7]               La législation en matière d’immigration a beaucoup évolué au cours des quarante dernières années au pays. Durant les années 1970, la Cour d’appel fédérale était l’instance chargée de contrôler les décisions touchant les réfugiés et à ce titre, devait exercer de multiples fonctions en application de plusieurs lois. En 1978, aux termes de la Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976­77, ch. 52, les décisions de la Commission d’appel de l’immigration pouvaient être portées en appel de plein droit à notre Cour. À cette époque, la Section de première instance de la Cour fédérale n’était saisie que des affaires de nature administrative (voir la distinction entre les articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 10).

[8]               Dans la foulée de la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, [1985] A.C.S. no 11, une vaste réforme du régime d’immigration a été entreprise, à commencer par la promulgation du projet de loi C-55 (Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, L.R.C. 1985 (4e suppl.), ch. 28). Plusieurs changements en ont résulté, notamment la création de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR). Un important filtre a aussi été mis en place, puisqu’il était désormais nécessaire d’obtenir une autorisation pour interjeter appel d’une décision de la CISR. De nombreuses voix se sont élevées contre cette nouvelle exigence; il ressort toutefois des débats entourant l’adoption de ce projet de loi que son objectif était d’améliorer la gestion des ressources consacrées au processus décisionnel (Débats de la Chambre des communes, 12 mai 1987) (L’honorable Gerry Wiener, M. Dan Heap), p. 6011; Canada, Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-55, 33e Législature, 2e session, (31 août 1987), 3:5 à 3:6).

[9]               La Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, a été modifiée en 1992. La Section de première instance s’est vu accorder le pouvoir de contrôler la plupart des décisions rendues par les tribunaux administratifs fédéraux (voir la Loi modifiant la Loi sur la Cour fédérale, la Loi sur la responsabilité de l’État, la Loi sur la Cour suprême et d’autres lois en conséquence, L.C. 1990. ch. 8). La Cour d’appel fédérale a conservé sa compétence en matière de contrôle judiciaire des décisions rendues par la Section du statut de réfugié (la SSR) de la CISR.

[10]           Peu après, d’autres modifications ont été apportées au régime d’immigration. Le projet de loi C-86 (Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49) a modifié la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 [Loi sur l’immigration]. La possibilité d’interjeter appel de décisions de la SSR de la CISR a été abolie. Le contrôle de toutes les décisions prises en application de la Loi sur l’immigration a alors été confié à la Section de première instance.

[11]           Fait particulièrement important pour l’affaire en l’espèce, l’obligation de certification a été introduite au paragraphe 83(1) de cette Loi. Le processus de certification visait à introduire un second filtre, outre l’autorisation d’interjeter appel (Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129 [Varela]). Le paragraphe 83(1) était ainsi libellé :

83.(1) Le jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale rendu sur une demande de contrôle judiciaire relative à une décision ou ordonnance rendue, une mesure prise ou toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d’application — règlements ou règles — ne peut être porté en appel devant la Cour d’appel fédérale que si la Section de première instance certifie dans son jugement que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

83.(1) A judgment of the Federal Court-Trial Division on an application for judicial review with respect to any decision or order made, or any matter arising, under this Act or the rules or regulations thereunder may be appealed to the Federal Court of Appeal only if the Federal Court-Trial Division has at the time of rendering judgment certified that a serious question of general importance is involved and has stated that question.

[12]           Devant le Comité législatif de la Chambre des communes chargé du projet de loi C-86, on a fait valoir qu’en attribuant à la Section de première instance de la Cour fédérale la compétence en matière de contrôle judiciaire des décisions rendues par la CISR, on ajoutait un autre palier de contrôle judiciaire. On a également souligné qu’en exigeant qu’une question soit certifiée, on visait à isoler les questions de droit importantes des questions de fait (Canada, Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif de la Chambre des communes chargé du projet de loi C-86, 34e Législature, 3e session (30 novembre 1992), 14:61 à 14:64).

[13]           En 2001, en édictant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), le législateur a choisi de maintenir l’exigence relative à la certification et a adopté l’article 74, qui est ainsi rédigé :

74. Les règles suivantes s’appliquent à la demande de contrôle judiciaire :

74. Judicial review is subject to the following provisions:

[…]

d) sous réserve de l’article 87.01, le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

(d) subject to section 87.01, an appeal to the Federal Court of Appeal may be made only if, in rendering judgment, the judge certifies that a serious question of general importance is involved and states the question.

[14]           Ce contexte législatif est pertinent lorsqu’il s’agit de comprendre l’objet de cette exigence et son importance au sein du régime d’immigration dans son ensemble. Dans l’arrêt Huynh c. Canada, [1996] 2 R.C.F. 976, [1996] A.C.F. no 494 (C.A.F.) [Huynh], notre Cour a expliqué que le droit d’interjeter appel n’existe que si le législateur l’a prévu. Plus récemment, la Cour a rappelé que l’article 74 de la LIPR vise notamment à faire en sorte que les demandes sans fondement soient réglées en temps utile (Varela, par. 27).

III.               Grands principes

[15]           Notre Cour, dans l’arrêt Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (QL) [Liyanagamage], énonce les principes à considérer lorsqu’il s’agit de décider s’il y a lieu de certifier une question :

[4]        Lorsqu’il certifie une question sous le régime du paragraphe 83(1), le juge des requêtes doit être d’avis que cette question transcende les intérêts des parties au litige, qu’elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale [voir l’excellente analyse de la notion d’« importance » qui est faite par le juge Catzman dans la décision Rankin v. McLeod, Young, Weir Ltd. et al., (1986), 57 O.R. (2d) 569 (H.C. de l’Ont.)] et qu’elle est aussi déterminante quant à l’issue de l’appel. Le processus de certification qui est visé à l’article 83 de la Loi sur l’immigration ne doit pas être assimilé au processus de renvoi prévu à l’article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale ni être utilisé comme un moyen d’obtenir, de la cour d’appel, des jugements déclaratoires [à] l’égard de questions subtiles qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée.

[16]           Dans l’arrêt Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290 [Zhang], au paragraphe 9, notre Cour a réitéré ces critères. C’est un principe élémentaire de droit que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée devant la cour d’instance inférieure, qui doit l’avoir examinée dans sa décision, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge (Liyanagamage, par. 4; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, [2004] A.C.F. no 368 (QL), par. 11-12; Varela, par. 28, 29 et 32).

[17]           Dans l’arrêt Varela, notre Cour a déclaré qu’il est faux de croire que si toute matière susceptible d’être examinée en appel peut l’être dès lors qu’une question est certifiée, alors toute question susceptible d’être soulevée en appel peut être certifiée. Le droit d’appel est subordonné à la condition énoncée à l’alinéa 74d) de la LIPR. Si une question ne répond pas aux critères de certification et que, de ce fait, il n’est pas satisfait à la condition préalable, l’appel doit être rejeté.

[18]           Au cours des dernières années, notre Cour a régulièrement rejeté des affaires dans lesquelles des questions avaient été certifiées à tort (Torre c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 48, par. 3; Kenguruka c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 202, [2015] A.C.F. no 1997 (QL), par. 3; Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, [2015] A.C.F. no 125 (QL), par. 11 [Lai]; Zhang, par. 16).

[19]           Comme la question certifiée est une condition préalable à l’exercice de la juridiction de notre Cour, il s’agit d’une exigence qui ne doit pas être prise à la légère. En effet, selon la Cour suprême, lorsque la Cour juge qu’une question a été certifiée à bon droit, le jugement dans son ensemble fait l’objet de l’appel (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, [1998] A.C.S. no 46 (QL), par. 25; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39 (QL)). En revanche, si une question a été certifiée à tort, la Cour ne doit pas examiner les autres enjeux que soulève l’affaire (Kunkel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 347, [2009] A.C.F. no 1700 (QL), par. 13 [Kunkel]).

IV.              Questions en litige

A.                 Bien-fondé de la première question certifiée : La Section de la protection des réfugiés commet-elle une erreur susceptible de contrôle si elle ne statue pas sur la question de savoir s’il a été démontré que les mesures en place dans un État démocratique pour protéger les minorités assurent l’efficacité concrète de la protection de l’État dans le but de conclure que celle­ci est adéquate?

(1)               Position de l’intimé

[20]           L’intimé fait valoir qu’aucune des questions n’aurait dû être certifiée, car elles ne sont pas déterminantes quant à l’issue de l’appel. Il laisse également entendre qu’elles ne sont pas de portée générale, car la Cour suprême y a répondu dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74 (QL) [Ward]. L’intimé ajoute que des questions similaires ont été soulevées et tranchées dans les arrêts Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (QL) (C.A.F.); Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kadenko, [1996] A.C.F. no 1376 (QL) [Kadenko]; Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171 [Hinzman] et Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CAF 94, [2008] 4 A.C.F. 636 [Flores Carrillo].

[21]           Selon l’intimé, la décision quant au caractère adéquat ou non de la protection de l’État dépend des faits. En l’espèce, la Commission a conclu que la protection de l’État était adéquate et efficace. Cette conclusion était étayée par divers éléments de preuve, notamment les mesures prises par les services policiers à la suite des plaintes formulées par les appelants, la preuve contenue dans le cartable national de documentation et le fait qu’il existe des organismes de surveillance pour veiller à ce que les programmes mis en place par l’État pour améliorer la protection des Roms soient bel et bien appliqués. L’intimé fait également valoir que le juge a également conclu à la protection adéquate de l’État. Par conséquent, la notion d’« efficacité concrète » n’était pas déterminante en l’espèce et elle n’est donc pas pertinente.

[22]           L’intimé conclut, à la lumière de ces constatations, que la première question ne découle pas de l’affaire et qu’il n’est donc pas satisfait à l’une des exigences de certification.

(2)               Position des appelants

[23]           Les appelants soutiennent, au contraire, que la question est déterminante quant à l’issue de l’appel. Ils soulignent que la plupart des conclusions de fait reposent sur les mesures mises en place dans le pays pour accroître la protection de l’État, mais que peu d’éléments de preuve attestent de l’« efficacité concrète » de ces mesures.

[24]           Ils invoquent la conclusion du juge selon laquelle on aurait peut-être tort de ne pas effectuer d’analyse de l’« efficacité concrète ». Ils soutiennent que la question est déterminante quant à l’issue de l’affaire et qu’elle soulève d’autres questions non résolues qui transcendent les intérêts des parties.

(3)               Analyse

[25]           Je suis d’avis que la première question ne respecte pas les principes de certification qui s’appliquent, car elle n’est ni déterminante quant à l’issue de l’affaire, ni de portée générale.

[26]           Elle n’est pas déterminante parce que la Commission a abordé la protection de l’État dans ses motifs. Elle a soupesé les éléments de preuve et est arrivée à la conclusion que la protection de l’État était adéquate :

[19]      Bien que l’efficacité de la protection soit un facteur pertinent, selon la prépondérance des décisions récentes de la Cour fédérale, le critère applicable à la protection de l’État est celui de savoir si la protection était adéquate plutôt que purement et simplement efficace. Le demandeur d’asile doit montrer qu’il a pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir une protection, compte tenu de la situation générale qui a cours dans le pays d’origine, des mesures prises par le demandeur d’asile et de sa relation avec les autorités.

[…]

[24]      Il est vrai que, dans le cadre de bon nombre de demandes d’asile, peu d’éléments de preuve sont présentés à l’appui. En l’espèce, des éléments de preuve documentaire ont été présentés à l’appui des incidents susmentionnés. Toutefois, il n’existe pas suffisamment d’éléments de preuve pour permettre au tribunal de conclure que la police n’a pas agi conformément aux lois pour ce qui est de la poursuite de l’enquête. Dans le cas de l’incident survenu le 27 juillet 2009 concernant l’épouse du demandeur d’asile principal, une enquête a en fait été menée, et, en raison de l’absence de témoins ou de renseignements concernant l’identité, l’agresseur n’a pas pu être appréhendé. Cependant, cela démontre clairement que les policiers ont agi de façon responsable. Dans les deux autres cas, le demandeur d’asile n’a pas fait de suivi. La police a pris sa déposition, mais il n’y a eu aucun suivi de la part du demandeur d’asile principal auprès de ce policier ou de toute autre personne compétente.

[25]      Les demandeurs d’asile ont également présenté des éléments de preuve corroborants, et le demandeur d’asile principal a soutenu que ce document provenait du gouvernement autonome minoritaire rom. Toutefois, lorsqu’ils ont été questionnés davantage, les demandeurs d’asile ont reconnu avoir versé des frais à cet [traduction] « organisme public dédié à l’information et à la protection des intérêts des minorités », qui organise des activités culturelles deux fois par semaine pour s’assurer du maintien de la culture rom. Bien que les éléments susmentionnés fournissent des renseignements concernant la participation des demandeurs d’asile dans la communauté, ils ne fournissent aucune valeur probante quant à leur capacité d’obtenir la protection de l’État.

[26]      Compte tenu de ce qui précède, la Commission conclut que les demandeurs d’asile n’ont pas présenté d’éléments de preuve « clairs et convaincants » de l’incapacité de l’État à assurer leur protection. C’est à eux qu’il incombe de le faire, et ils n’ont pas par conséquent réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

[Mon soulignement.]

[27]           Après examen de toute la documentation écrite déposée en preuve, la Commission a aussi fait les observations suivantes :

[62]      Les éléments de preuve documentaire concernant les efforts faits par le gouvernement pour protéger les Roms sont contradictoires. Toutefois, j’estime que, en l’espèce, le demandeur d’asile n’a pas démontré que la protection de l’État en Hongrie serait telle qu’il ne pourrait pas s’adresser aux autorités pour la solliciter ou qu’il n’avait pas besoin de demander l’aide de personnes d’autorités supérieures, ou d’avoir recours à d’autres organismes comme le Bureau de l’ombudsman pour les minorités ou la Commission indépendante des plaintes contre la police.

[63]      La Commission reconnaît que plusieurs sources contenues dans la preuve documentaire comportent certaines incohérences; toutefois, la preuve objective concernant la situation actuelle dans le pays laisse croire que, même si elle n’est pas parfaite, la protection offerte par la Hongrie aux Roms qui sont victimes de criminalité, de discrimination ou de persécution est adéquate et que la Hongrie fait des efforts sérieux pour régler ces problèmes et la police et les représentants du gouvernement veulent protéger les victimes et sont capables de le faire.

[Mon soulignement.]

[28]           En effet, dans ses motifs, le juge a reconnu que l’analyse de la Commission était adéquate et que cette dernière avait correctement appliqué le droit (motifs du juge, par. 67):

[67]      Bien qu’elle se soit surtout intéressée à l’étendue des protections créées par l’État pour l’avenir, la Commission n’a pas mâché ses mots lorsqu’elle a décrit la gravité de la violence ou la discrimination sociale et économique dont les Roms sont victimes en Hongrie. Elle a, de toute évidence, mis en balance ces éléments avec l’ensemble de la preuve relative à la protection de l’État. Je suis convaincu que la Commission a exposé correctement le droit régissant la protection de l’État et qu’elle l’a appliqué à la totalité de la preuve sur cette question, avant de conclure que, dans le cas des demandeurs en l’espèce, la protection de l’État était adéquate. Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans les conclusions de la Commission à cet égard.

[29]           La Commission a évalué les éléments de preuve portant sur la protection adéquate de l’État et a conclu que les appelants n’avaient pas produit la preuve convaincante qui leur aurait permis de réfuter la présomption applicable. Cette conclusion est conforme à la jurisprudence en la matière (Ward, p. 724; Hinzman, par. 56-57 et Flores Carrillo, par. 24 et 26).

[30]           Une lecture de la décision du juge mène à la conclusion que la première question certifiée découle de ses motifs. Il passe en revue une certaine jurisprudence de la Cour fédérale et estime qu’il est possible d’inférer de celle-ci que la Commission a le fardeau de démontrer dans ses motifs l’« efficacité concrète » des mesures prises récemment par la Hongrie pour protéger les citoyens Roms. Pour reprendre les observations du juge :

[48]      Dans l’ensemble, les décisions annulant les conclusions de protection de l’État adéquate tirées par la Commission sont fondées sur le fait que celle­ci n’a pas, dans ses motifs, démontré « [l]a mesure dans laquelle les actions du gouvernement engendrent une protection suffisante d’un point de vue pratique » (voir Buri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 45, au paragraphe 62, 237 ACWS (3d) 188; Hercegi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250, au paragraphe 5, 211 ACWS (3d) 946 [Hercegi]; Stark c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 829, aux paragraphes 10 et 11, 234 ACWS (3d) 1012; Beri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 854, aux paragraphes 36 et 37, 231 ACWS (3d) 777 [Beri]; EYMV c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1364 (CanLII), [2011] ACF no 1663 (QL) [EYMV]).

[49]      Ces points de vue sont exposés clairement au paragraphe 44 de Beri :

[44]      Je suis d’avis que la décision de la SPR en ce qui concerne la protection de l’État est davantage descriptive qu’analytique. C’est-à-dire qu’elle décrit les efforts déployés par l’État en vue de régler les problèmes de discrimination et de persécution des Roms, ainsi que pour leur offrir une protection, mais elle n’entreprend pas de réelles analyses quant à l’efficacité concrète de ces efforts, ou de leur succès. Comme l’a mentionné le juge Mosley dans la décision EYMV c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364, [2011] ACF no 1663 (QL) (EYMV) :

[16] La Commission n’a fourni aucune analyse quant au caractère satisfaisant des efforts concrets déployés par le gouvernement du Honduras et par les acteurs internationaux pour améliorer la protection de l’État au Honduras. Bien que les efforts déployés par un État soient effectivement pertinents quant à l’analyse de la protection de l’État, ils ne sont ni déterminants ni suffisants (Jaroslav c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 634, [2011] ACF no 816, paragraphe 75). Les efforts doivent avoir, dans les faits, « véritablement engendré une protection adéquate de l’État » (Beharry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 111, paragraphe 9).

[Mon soulignement.]

[50]      À mon avis, ces motifs tendent en fait, si une autre preuve n’établit pas à la satisfaction de la Cour qu’il y a eu absence de protection de l’État, à libérer le demandeur du fardeau d’établir le caractère inadéquat de la protection de l’État, de façon à ce qu’il incombe à la Commission, si elle veut éviter de commettre une erreur susceptible de contrôle, de démontrer que les mesures prises par le gouvernement hongrois ont assuré « l’efficacité concrète » de la protection fournie par l’État aux citoyens roms.

[51]      Ce que j’ai décrit comme l’inversion du fardeau de la preuve concernant les présomptions survient également lorsque la Cour juge que la Commission a reconnu qu’un nombre croissant d’incidents de violence ont été commis contre des citoyens roms ou, ce qui a le même effet, lorsque le gouvernement hongrois prend des mesures pour les protéger. C’est cette situation qui est décrite dans Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 95, 224 ACWS (3d) 750 [Horvath (Ferenc)]. Dans cette affaire, la Cour est parvenue à cette conclusion parce que la Commission avait mentionné que « certains problèmes se sont aggravés » et que « [l]a valeur de la justification mentionnée dans Dunsmuir […] est donc soulevée : la Commission a­t­elle raisonnablement justifié sa conclusion sur l’existence de la protection de l’État, étant donné qu’elle avait accepté les observations indiquant que la violence s’aggravait en Hongrie? » (Horvath (Ferenc), aux paragraphes 44 et 45, non souligné dans l’original).

[…]

[72]      Toutefois, je ne crois pas que, dans l’éventualité où une question influant sur la décision relative à la présente demande de contrôle judiciaire sur la protection de l’État suppose que la Commission doive démontrer dans ses motifs l’« efficacité concrète » des mesures prises récemment pour protéger les citoyens roms, la Commission a fait cette démonstration, parce qu’elle n’a jamais, à juste titre, cherché à la faire.

[31]           L’inférence voulant qu’il appartienne à la Commission de démontrer l’« efficacité concrète » des mesures de protection est malheureusement erronée. La jurisprudence citée par le juge n’appuie pas ce principe. Elle démontre tout simplement que les décisions de la Commission ne pouvaient résister à un examen dans ces cas, car elles n’avaient pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents ou parce que le syllogisme était erroné, constituant des motifs légitimes d’intervention.

[32]           Par exemple, la Cour fédérale dans l’affaire Hercegi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250, [2012] A.C.F. no 273 (QL), a décidé que la Commission n’avait pas examiné la question de la protection de l’État :

[5]        La question de la protection de l’État n’est pas analysée de manière appropriée dans les motifs du commissaire. Les motifs n’indiquent pas si le commissaire a tenu compte des mesures mises en place par la Hongrie pour offrir actuellement une protection de l’État suffisante à ses citoyens, ni s’il a procédé à l’examen en question, quelles sont ces mesures. Ce n’est pas suffisant de dire que des mesures sont prises en vue d’offrir un jour une protection suffisante de l’État. C’est la protection concrète, actuellement offerte qui compte. La preuve établit de façon accablante en l’espèce que la Hongrie est actuellement incapable d’offrir une protection suffisante à ses citoyens Roms.

[Mon soulignement.]

[33]           Dans la décision Majlat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 965, [2014] A.C.F. no 1023 (QL), la Cour fédérale a conclu que l’analyse n’était pas fondée uniquement sur de pures conjectures, mais reposait sur le fait que les demandeurs n’avaient pas recherché la protection de l’État et elle a rejeté la demande de contrôle judiciaire :

[36]      Cependant, malgré les commentaires illustrant les efforts faits par l’État hongrois, la SPR, dans la présente affaire, n’a pas concentré son analyse concernant la protection de l’État sur le simple fait que des efforts avaient été faits. Quand on lit la décision avec soin, il est assez évident que cette dernière s’articule autour du fait que les demandeurs ont omis de porter plainte à la police en 2010, qu’ils ont omis de donner suite à la plainte de 2009 et qu’ils n’ont formulé aucune plainte au sujet des prétendus traitements médicaux de qualité inférieure. La SPR a conclu qu’au vu de ces omissions les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption d’une protection adéquate de l’État parce que la preuve documentaire, bien que contradictoire, n’établit pas que l’État hongrois n’aurait pas été en mesure de répondre à leurs plaintes. C’est ce qui ressort clairement des éléments suivants, tirés de la décision :

[…]

[37]      En conséquence, contrairement aux affaires Orgona, Garcia, Bors et Kovacs, en l’espèce la SPR n’a pas évalué uniquement si l’État hongrois faisait des efforts pour redresser le triste sort des Roms. Elle a plutôt examiné à la fois ces efforts et leur caractère adéquat et, de ce fait, n’a pas appliqué le mauvais critère. Cet argument est donc rejeté lui aussi.

[Mon soulignement.]

[34]           En fait, la question certifiée découle d’une interprétation erronée de la jurisprudence de la Cour fédérale. C’est ce qui ressort du paragraphe 46 des motifs du juge, où il renvoie à une douzaine de décisions concernant le caractère adéquat ou non de la protection de l’État en Hongrie. Même si les décisions portent essentiellement sur cette question, aucun juge n’a déterminé que l’affaire soulevait une question qui pouvait être certifiée en application de l’alinéa 74d) de la LIPR.

[35]           La première question, telle qu’elle est énoncée, est quelque peu théorique et participe davantage du renvoi à mon avis, ce qui est interdit (Lai; Zazai; Varela). Chaque affaire mettant en cause des citoyens hongrois d’origine Roms doit être examinée au regard des faits qui lui sont propres.

[36]           Il ne s’agit pas d’une question de portée générale, parce que le droit sur cette question est bien établi (Ward, p. 722; Hinzman, par. 42-46; Kadenko, par. 5; Flores Carrillo, par. 16-30).

B.                 Deuxième question certifiée : Les demandeurs d’asile sont­ils tenus, pour obtenir la protection de l’État, de porter plainte auprès d’organismes de surveillance de la police dans un État démocratique, lorsqu’ils ne courent aucun risque de préjudice s’ils le font?

(1)               Position de l’intimé

[37]           L’intimé soutient que la deuxième question ne satisfait pas non plus au critère de certification, car elle ne découle pas des faits de l’affaire, la Commission ayant conclu que les appelants avaient omis de donner suite, auprès d’un organisme de surveillance, aux plaintes qu’ils avaient déposées à la police.

[38]           En outre, selon l’intimé, il est établi en droit qu’il incombe aux appelants de démontrer la protection inadéquate par l’État et que des éléments de preuve convaincants sont nécessaires pour que soit réfutée la présomption de protection adéquate par l’État lorsqu’il existe des organismes de surveillance (Kadenko; Hinzman; Flores Carrillo).

(2)               Position des appelants

[39]           Les appelants retiennent la position du juge selon laquelle des demandes de citoyens hongrois d’origine Roms avaient été rejetées parce que ces derniers avaient omis de se plaindre à la police et aux organismes de surveillance.

[40]           Les appelants doutent que les règles de droit sont aussi bien établies que l’intimé le prétend, étant donné les divergences d’opinion entre les juges de la Cour fédérale. Selon eux, les demandes de Roms de Hongrie sont particulières et pourraient nécessiter une approche juridique différente. Ils soulignent également le fait que la jurisprudence citée par l’intimé ne concerne pas des réfugiés Roms de Hongrie. De plus, ils font valoir que la question ne découle pas des motifs du juge, mais de l’affaire elle-même.

[41]           Même s’ils admettent que le droit est établi, il n’en demeure pas moins que son application diffère selon les juges de la Cour fédérale.

[42]           Les appelants considèrent donc que la deuxième question satisfait au critère de la portée générale.

(3)               Analyse

[43]           Bien que, dans sa décision, la Commission ait mentionné l’existence d’organismes de surveillance en Hongrie et la possibilité d’y faire appel, elle n’a pas tiré de conclusion défavorable aux appelants du fait qu’ils avaient omis de déposer une plainte auprès des organismes de surveillance, mais bien parce qu’ils avaient omis de faire un suivi auprès de la police. L’obligation de faire appel à un organisme de surveillance dans un pays donné est fortement tributaire des faits. Je suis d’avis que la deuxième question ne satisfait pas non plus au critère de certification, car elle n’est pas de portée générale.

[44]           Dans ses motifs, la Commission mentionne qu’il pourrait être obligatoire de faire appel aux organismes de surveillance. Il est clair toutefois que la Commission a jugé que les mesures prises par la police en réponse aux plaintes formulées étaient adéquates dans les circonstances :

[24]      Il est vrai que, dans le cadre de bon nombre de demandes d’asile, peu d’éléments de preuve sont présentés à l’appui. En l’espèce, des éléments de preuve documentaire ont été présentés à l’appui des incidents susmentionnés. Toutefois, il n’existe pas suffisamment d’éléments de preuve pour permettre au tribunal de conclure que la police n’a pas agi conformément aux lois pour ce qui est de la poursuite de l’enquête. Dans le cas de l’incident survenu le 27 juillet 2009 concernant l’épouse du demandeur d’asile principal, une enquête a en fait été menée, et, en raison de l’absence de témoins ou de renseignements concernant l’identité, l’agresseur n’a pas pu être appréhendé. Cependant, cela démontre clairement que les policiers ont agi de façon responsable. Dans les deux autres cas, le demandeur d’asile n’a pas fait de suivi. La police a pris sa déposition, mais il n’y a eu aucun suivi de la part du demandeur d’asile principal auprès de ce policier ou de toute autre personne compétente.

[…]

[26]      Compte tenu de ce qui précède, la Commission conclut que les demandeurs d’asile n’ont pas présenté d’éléments de preuve « clairs et convaincants » de l’incapacité de l’État à assurer leur protection. C’est à eux qu’il incombe de le faire, et ils n’ont pas par conséquent réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

[…]

[62]      Les éléments de preuve documentaire concernant les efforts faits par le gouvernement pour protéger les Roms sont contradictoires. Toutefois, j’estime que, en l’espèce, le demandeur d’asile n’a pas démontré que la protection de l’État en Hongrie serait telle qu’il ne pourrait pas s’adresser aux autorités pour la solliciter ou qu’il n’avait pas besoin de demander l’aide de personnes d’autorités supérieures, ou d’avoir recours à d’autres organismes comme le Bureau de l’ombudsman pour les minorités ou la Commission indépendante des plaintes contre la police.

[63]      La Commission reconnaît que plusieurs sources contenues dans la preuve documentaire comportent certaines incohérences; toutefois, la preuve objective concernant la situation actuelle dans le pays laisse croire que, même si elle n’est pas parfaite, la protection offerte par la Hongrie aux Roms qui sont victimes de criminalité, de discrimination ou de persécution est adéquate et que la Hongrie fait des efforts sérieux pour régler ces problèmes et la police et les représentants du gouvernement veulent protéger les victimes et sont capables de le faire.

[64]      La Cour d’appel fédérale a fait référence à la protection comme étant « adéquate ». Il est également clair « [qu’]aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps ». L’efficacité de la protection ne devrait pas être trop élevée. Par conséquent, si le gouvernement s’efforce véritablement d’offrir une protection ou de l’améliorer, il incombe aux citoyens de chercher à obtenir cette protection.

[65]      J’estime que le gouvernement hongrois prend des mesures considérables pour s’assurer que la protection de l’État est offerte à tous ses citoyens, y compris ceux d’origine rom, et que les demandeurs d’asile n’ont pas pris les mesures raisonnables pour se prévaloir de cette protection. Je reconnais que l’observation du conseil est appuyée par les documents sur le pays qui montrent que la protection n’est pas parfaite et qu’il y a place à beaucoup d’amélioration, notamment en ce qui concerne le fait que certains policiers sont corrompus. Toutefois, j’estime toujours que, en l’espèce, il existe une protection de l’État qui, bien qu’elle ne soit pas parfaite, est adéquate.

[66]      Le simple fait que la police n’ait pas arrêté les coupables ou que la plainte déposée par les demandeurs d’asile n’ait pas été traitée avec la diligence comme l’auraient préféré les demandeurs d’asile ne signifie pas que la protection de l’État n’est pas adéquate dans leur pays d’origine. Il peut y avoir de nombreux facteurs expliquant cette situation, y compris l’absence de preuve tangible, l’absence de suspects (qui a été mentionné[e] dans la lettre envoyée au demandeur d’asile principal), les priorités de la police et l’absence de témoins. La Cour fédérale a affirmé que la Cour ne devrait pas imposer à d’autres pays une norme de protection « efficace » que malheureusement la police de notre propre pays ne peut parfois qu’ambitionner d’atteindre. Le tribunal a le pouvoir d’établir que l’État était incapable de les protéger, non pas au sens absolu du terme, mais plutôt dans une mesure raisonnable, eu égard à leur situation.

[67]      Aucun élément de preuve ne permet de conclure à l’effondrement complet de l’appareil étatique. En fait, la preuve montre que l’État déploie de sérieux efforts pour s’assurer que la protection de l’État est offerte aux Roms. Il n’y a aucune preuve d’expérience personnelle passée susceptible d’amener les demandeurs d’asile à croire que la protection de l’État ne serait pas adéquate ou qu’elle ne leur serait pas raisonnablement offerte.

[68]      Les demandeurs d’asile ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait de présenter des éléments de preuve clairs et convaincants de l’incapacité de l’État à les protéger. Je conclus que les demandeurs d’asile peuvent se prévaloir de la protection de l’État, et cette conclusion porte un coup fatal à leurs demandes d’asile présentées au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

[45]           Comme la Commission a conclu qu’il n’y avait eu aucune inconduite de la part des policiers sur le terrain, les passages concernant le bureau de l’ombudsman des minorités ou la commission indépendante d’examen des plaintes contre la police constituent des commentaires généraux, formulés en obiter. Or, le juge en a fait un élément essentiel de son analyse. Il a conclu en ces termes :

[105]    Cependant, compte tenu de mon interprétation de la jurisprudence susmentionnée et étant donné que les organismes de surveillance n’exerceraient aucune fonction en matière de protection et que la preuve ne démontre pas que le demandeur d’asile serait davantage protégé contre d’autres actes de violence gratuits, la nécessité de porter plainte auprès des organismes de surveillance n’est pas pertinente au regard de la protection de l’État. Ainsi, selon cette jurisprudence, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en insistant sur le fait que l’omission de faire un suivi auprès de la police ou d’un organisme de surveillance relativement aux présumés manquements des policiers a été un motif de rejeter la demande.

[106]    À mon avis, ces principes n’énoncent pas correctement les exigences relatives à la protection de l’État. En outre, ils font en sorte que tous les citoyens du Canada et de la Hongrie sont perdants, à l’exception du demandeur d’asile qui prétend faussement avoir été victime d’un incident de persécution.

[46]           La question ne se pose pas en l’espèce, une conclusion de fait ayant été tirée selon laquelle l’intervention policière a été adéquate.

[47]           Je suis d’avis que la question, telle qu’elle est formulée, est trop axée sur les faits de l’espèce pour qu’il soit satisfait aux critères énoncés à l’article 74 de la LIPR.

[48]           Dans la décision Lai, le juge de la Cour fédérale a certifié la question suivante : l’article 37 de la LIPR requiert-il « la preuve des éléments constitutifs d’une infraction commise à l’étranger, une analyse d’équivalence et une conclusion de double criminalité entre l’infraction à l’étranger et l’infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation »? Notre Cour a conclu que la comparaison des éléments constitutifs d’une infraction commise à l’étranger et au pays ne peut jamais être le sujet d’une question certifiée à laquelle elle doit répondre. De même, exiger que le demandeur ait porté plainte auprès de l’organisme de surveillance des services de police dans un pays démocratique, dans une affaire donnée, constitue une exigence trop précise et multifactorielle pour être le sujet d’une question certifiée.

[49]           L’affaire Bhuiyan c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 906 (C.F.) (QL) entendue par la Cour fédérale est encore plus proche de celle qui nous occupe. Le juge MacKay était appelé à certifier des questions concernant le critère applicable à l’évaluation des changements dans la situation d’un pays qui justifient le rejet d’une demande d’asile. Il a conclu qu’on ne peut certifier pareilles questions parce que tout changement dans la situation d’un pays doit être évalué au regard de son importance pour la demande particulière sur laquelle la Commission doit statuer. De même, la Commission doit examiner les éléments de preuve au dossier avant de décider si le demandeur devait faire appel à un organisme de surveillance. Chaque affaire dépend des faits qui lui sont propres. La nécessité de faire appel à un organisme de surveillance peut être justifiée dans une affaire, mais non dans une autre. Il n’y a aucune question de droit à trancher. Par conséquent, comme dans l’arrêt Kunkel, cela signifie non pas que la question n’est pas importante, mais plutôt qu’elle ne transcende pas les intérêts des parties, ni n’est de portée générale. Le juge n’aurait pas dû certifier ces questions.

V.                 Conclusion

[50]           Comme les deux questions n’auraient pas dû être certifiées, il n’y a pas lieu d’y répondre, car elles ne découlent pas de l’affaire.

[51]           Je propose donc que l’appel soit rejeté.

« A.F. Scott »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-147-15

APPEL D’UN JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE ANNIS DATÉ DU 16 FÉVRIER 2015, DOSSIER NO IMM-3582-13

INTITULÉ :

ZSOLT JOZSEF MUDRAK, PATRICK ZOLTAN FEKE, ZSOLT MUDRAK, RENATA FUTO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET L’ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS et LE CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 février 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE SCOTT

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Joseph S. Farkas

 

Pour les appelants

ZSOLT JOZSEF MUDRAK

ZSOLT MUDRAK

PATRICK ZOLTAN FEKE

 

Me Alexis Singer

Me Alex Kam

 

Pour l’intimé

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

Me Maureen Silcoff

Me Jamie Liew

Me Aviva Basman

 

Pour les intervenants

L’ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS et LE CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joseph S. Farkas

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelants

ZSOLT JOZSEF MUDRAK

ZSOLT MUDRAK

PATRICK ZOLTAN FEKE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’intimé

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

Pour les intervenants

L’ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCATS ET AVOCATES EN DROIT DES RÉFUGIÉS et LE CONSEIL CANADIEN POUR LES RÉFUGIÉS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.