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Date : 20160620


Dossier : A-193-15

Référence : 2016 CAF 185

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

BELL MOBILITÉ INC.

appelante

et

BENJAMIN KLASS, L’ASSOCIATION DES CONSOMMATEURS DU CANADA, LE COUNCIL OF SENIOR CITIZENS’ ORGANIZATIONS OF BRITISH COLUMBIA et LE CENTRE POUR LA DÉFENSE DE L’INTÉRÊT PUBLIC, LE CONSORTIUM DES OPÉRATEURS DE RÉSEAUX CANADIENS INC., BRAGG COMMUNICATIONS INC. (EXERÇANT SON ACTIVITÉ SOUS LA DÉNOMINATION D’EASTLINK), FENWICK MCKELVEY, VAXINATION INFORMATIQUE, LA CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE D’INTERNET DU CANADA SAMUEL-GLUSHKO, DAVID ELLIS, TERESA MURPHY et LA SOCIÉTÉ TELUS COMMUNICATIONS

intimés

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intervenant

Audience tenue à Toronto, le 19 janvier 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 juin 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

MOTIFS CONCOURANTS :

LA JUGE DAWSON

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20160620


Dossier : A-193-15

Référence : 2016 CAF 185

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

BELL MOBILITÉ INC.

appelante

et

BENJAMIN KLASS, L’ASSOCIATION DES CONSOMMATEURS DU CANADA, LE COUNCIL OF SENIOR CITIZENS’ ORGANIZATIONS OF BRITISH COLUMBIA et LE CENTRE POUR LA DÉFENSE DE L’INTÉRÊT PUBLIC, LE CONSORTIUM DES OPÉRATEURS DE RÉSEAUX CANADIENS INC., BRAGG COMMUNICATIONS INC. (EXERÇANT SON ACTIVITÉ SOUS LA DÉNOMINATION D’EASTLINK), FENWICK MCKELVEY, VAXINATION INFORMATIQUE, LA CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE D’INTERNET DU CANADA SAMUEL-GLUSHKO, DAVID ELLIS, TERESA MURPHY et LA SOCIÉTÉ TELUS COMMUNICATIONS

intimés

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intervenant

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]               Notre Cour est saisie d’un appel interjeté par Bell Mobilité inc. (Bell Mobilité) de la décision de radiodiffusion et de télécom CRTC 2015-26, en date du 29 janvier 2015, par laquelle le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) a conclu que certaines pratiques de facturation de Bell Mobilité concernant ses services de télédiffusion mobile enfreignaient le paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38.

[2]               Par les motifs dont l’exposé suit, je rejetterais cet appel.

I.                   Faits et procédures

[3]               Bell Mobilité et un ensemble de sociétés désignées ci-après collectivement Vidéotron (soit Québecor Média inc., Vidéotron ltée et Vidéotron s.e.n.c.) offraient à leurs clients en diffusion en continu et en direct des émissions de certaines stations de télévision, ainsi que des services de programmation de télévision connexes, notamment des vidéos sur demande.

[4]               Bell Mobilité et Vidéotron n’assuraient ces services de télédiffusion mobile qu’à leurs clients qui souscrivaient aussi à un forfait de service de voix sans fil, à un forfait d’utilisation de données ou à un forfait tablette. Ni Bell Mobilité ni Vidéotron ne facturaient en fonction de la quantité de données utilisées pour la transmission des émissions de télévision sur appareils mobiles; elles facturaient plutôt en fonction de la durée d’accès au contenu. Bell Mobilité demandait ainsi à ses clients 5 $ par mois pour une durée d’accès allant jusqu’à 10 heures, puis 3 $ pour chaque heure additionnelle.

[5]               M. Klass, ainsi que certaines associations et entreprises, ont déposé devant le CRTC une plainte selon laquelle la pratique de Bell Mobilité et de Vidéotron consistant à exempter les services de télédiffusion mobile des frais d’utilisation de données procurait à ces sociétés « un avantage injuste, accord[ait] une préférence indue à leurs services de télé mobile et fai[sait] subir une discrimination indue à leurs clients de services sans fil [consommant] des services vidéo en ligne mobile, ainsi qu’aux concurrents de Bell Mobilité et de Vidéotron, le tout en contravention du paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications » (paragraphe 2 des motifs du CRTC).

II.                La décision du CRTC

[6]               Le CRTC rappelle au paragraphe 9 de sa décision que « [l’]’article 4 de la Loi sur les télécommunications prévoit que la Loi sur les télécommunications ne s’applique pas aux entreprises de radiodiffusion pour tout ce qui concerne leurs activités de radiodiffusion, parce qu’elles sont assujetties à la Loi sur la radiodiffusion [L.C. 1991, ch. 11] ».

[7]               Le CRTC relève :

10.    La question clé de la présente instance est de savoir si, quant au transport de leurs services de télé mobile jusqu’aux appareils mobiles de l’utilisateur final, Bell Mobilité et Vidéotron agissent à titre d’entreprises canadiennes qui fournissent des services de télécommunication et sont par conséquent assujetties à la Loi sur les télécommunications et aux politiques qui en découlent.

[8]               Le CRTC a conclu dans le cadre de son analyse que Bell Mobilité « exer[çait] […] des activités de radiodiffusion » . Il formule en effet les observations suivantes au paragraphe 15 de ses motifs :

15.    Le Conseil estime que Bell Mobilité et Vidéotron, lorsqu’elles acquièrent les droits de distribution sur plateforme mobile du contenu offert sur leurs services de télé mobile en regroupant le contenu devant être diffusé, et en assemblant et mettant en marché ces services, exercent alors des activités de radiodiffusion. À cet égard, il note qu’aucune partie à la présente instance ne doute que des services de télé mobile sont des services de radiodiffusion au sens de l’Ordonnance d’exemption.

[9]               Cependant, après avoir conclu que Bell Mobilité et Vidéotron « exer[çaient] […] des activités de radiodiffusion », le CRTC a conclu qu’elles opéraient à titre d’entreprises canadiennes assurant des services de télécommunication lorsqu’elles assuraient à leurs abonnés des services de voix et de données, et un accès à Internet. Le CRTC a aussi conclu que Bell Mobilité et Vidéotron offraient un service de télécommunication à leurs clients lorsqu’elles assuraient la connectivité nécessaire pour leur permettre de voir les émissions sur Internet. Cependant, le CRTC ajoutait qu’il ne s’ensuivait pas nécessairement que ces services fussent assimilables à ceux d’une entreprise de radiodiffusion, même si Bell Mobilité et Vidéotron acquerraient les droits de distribution des émissions, assemblaient les éléments du contenu et mettaient ceux-ci en marché.

[10]           Le CRTC a en outre conclu que Bell Mobilité et Vidéotron utilisaient chacune, pour transmettre les émissions à leurs clients, le même réseau que pour transmettre les données vocales et les autres données hors programmation, et qu’elles traitaient le trafic de la même manière quel que fût l’objet de la transmission, qu’il s’agît de services de programmation, de services de voix ou de données hors programmation. Or, faisait observer le CRTC, la transmission de données vocales et autres données hors programmation entre dans le champ d’application de la Loi sur les télécommunications.

[11]           On peut lire les observations suivantes au paragraphe 18 des motifs du CRTC :

[…] les activités qu’exercent Bell Mobilité et Vidéotron afin d’établir la connectivité de données et de fournir le transport jusqu’à leurs réseaux d’accès sans fil sont les mêmes, que le contenu transmis soit celui de leurs services de télé mobile, d’autres services de radiodiffusion ou encore de services autres que de radiodiffusion. Et ce, parce que l’objectif de ces activités est d’établir la connectivité de données et de transmettre le contenu, peu importe le contenu lui-même.

[12]           Le CRTC a aussi conclu que la connectivité de données est nécessaire pour transmettre les émissions et qu’une telle connectivité ne peut être établie que si le client acquiert un service de télécommunication auprès de Bell Mobilité ou de Vidéotron. De son point de vue, le client accède aux services de télédiffusion mobile de Bell Mobilité de la même façon qu’il accéderait à d’autres applications.

[13]           Le CRTC conclut :

22.    À la lumière de tout ce qui précède, le Conseil conclut que Bell Mobilité et Vidéotron fournissent des services de télécommunication au sens de l’article 2 de la Loi sur les télécommunications et qu’elles agissent à titre d’entreprises canadiennes lorsqu’elles fournissent la connectivité de données et le transport nécessaires pour distribuer Télé mobile de Bell et illico.tv, respectivement, jusqu’aux appareils mobiles de leurs abonnés. À cet égard, elles sont assujetties à la Loi sur les télécommunications. Tel est le cas, que des services de radiodiffusion concomitants soient également offerts ou non.

[14]           Le CRTC a ensuite conclu que Bell Mobilité et Vidéotron enfreignaient le paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications, et il a ordonné à Bell Mobilité « d’éliminer sa pratique illégale relative aux frais d’utilisation de données pour son service de télé mobile, au plus tard le 29 avril 2015 » (paragraphe 62 des motifs du CRTC, caractères gras dans l’original). Comme Vidéotron avait déjà annoncé qu’elle retirerait son application illico.tv (ce qui devait avoir pour effet de mettre fin à toute préférence indue pour son service de télédiffusion mobile), le CRTC lui a ordonné de confirmer qu’elle avait bien retiré cette application.

[15]           Bell Mobilité et Vidéotron ont toutes deux participé à l’audience devant le CRTC, mais seule Bell Mobilité a interjeté appel de la décision de ce dernier.

III.             Questions en litige

[16]           Les questions soulevées par Bell Mobilité dans le présent appel sont les suivantes :

a)             La norme de contrôle pertinente est-elle celle de la décision correcte?

b)             Le CRTC a-t-il commis une erreur en concluant que la transmission de services de télédiffusion mobile par Bell Mobilité à ses clients entrait dans le champ d’application de la Loi sur les télécommunications?

IV.             Norme de contrôle

[17]           Aux termes du paragraphe 64(1) de la Loi sur les télécommunications, il ne peut être interjeté appel d’une décision du CRTC devant notre Cour, sous réserve de l’autorisation de cette dernière, que sur une question de droit ou de compétence. Par conséquent, les conclusions de faits du CRTC (qui sont récapitulées plus haut et relèvent, en tout état de cause, de son domaine d’expertise) ne sont pas susceptibles de contrôle dans le présent appel.

[18]           Bell Mobilité soutient que la norme de contrôle pertinente en l’espèce est celle de la décision correcte, au motif que, selon elle, la question à trancher est celle de savoir si le CRTC a appliqué la bonne loi et elle constitue donc une question de compétence. Bell Mobilité soutient également que la question de savoir si ses services de télédiffusion mobile relevaient de la Loi sur les télécommunications est une question « touchant véritablement à la compétence ». Quelle que soit la formulation de la thèse, la question se rapporte à l’interprétation par le CRTC de la Loi sur les télécommunications et de la Loi sur la radiodiffusion.

[19]           La Cour suprême du Canada a observé au paragraphe 18 de l’arrêt Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471 (Mowat) :

18        L’arrêt Dunsmuir reconnaît que la norme de la décision correcte continue de s’appliquer aux questions constitutionnelles, aux questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, ainsi qu’aux questions portant sur la « délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents » (par. 58, 60-61; voir également l’arrêt Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160, par. 26, le juge Fish). La norme de la décision correcte vaut aussi pour les questions touchant véritablement à la compétence. À cet égard, la Cour se distancie expressément des définitions larges de la compétence de façon qu’une question se rapportant à celle-ci se pose uniquement lorsque le tribunal administratif « doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question » (par. 59; voir également l’arrêt United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), 2004 CSC 19, [2004] 1 R.C.S. 485, par. 5).

[Non souligné dans l’original.]

[20]           La Cour suprême du Canada a observé en outre à l’occasion de l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135 que la norme de la décision correcte est pertinente si la question en litige se rapporte à la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents :

55        Il est aujourd’hui bien établi que la déférence est habituellement de mise lorsqu’un décideur interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie (Dunsmuir, par. 54; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160, par. 28; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 30). En pareil cas, l’examen en fonction d’une norme déférente est présumé, sauf si la question en litige relève de l’une des catégories à laquelle s’applique la norme de la décision correcte, en l’occurrence, les questions constitutionnelles, les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, les questions portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents, de même que la catégorie exceptionnelle des questions touchant véritablement à la compétence (Dunsmuir, par. 58-61, et Alberta Teachers’ Association, par. 30, citant Canada (Commission canadienne des droits de la personne), par. 18, ainsi que Dunsmuir).

[Non souligné dans l’original.]

[21]           S’il est vrai que l’applicabilité de l’une ou l’autre des deux lois donne lieu à des conséquences différentes, c’est néanmoins au CRTC qu’il appartient de se prononcer sur les questions qui relèvent de la Loi sur les télécommunications et de la Loi sur la radiodiffusion. Il n’y a pas de concurrence entre des tribunaux spécialisés pour ce qui concerne ces deux lois. À mon sens, la question en litige dans la présente espèce se rapporte à l’interprétation par un tribunal spécialisé de deux de ses lois constitutives, soit la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion. Il convient donc de faire preuve de réserve à l’égard de l’interprétation que le CRTC donne de ces deux textes. Par conséquent, la norme de contrôle pertinente en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

V.                Analyse

[22]           La technologie a évolué de telle sorte que l’on peut transmettre des émissions de télévision au moyen du même réseau que la voix et les autres données. Par conséquent, la ligne de démarcation entre la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion devient floue. Par ailleurs, l’article 4 de la Loi sur les télécommunications soustrait conditionnellement à l’application de celle-ci des activités déterminées, qui se trouvent ainsi entrer dans le champ d’application de la Loi sur la radiodiffusion.

[23]           Dans le présent appel, Bell Mobilité a concentré son argumentation sur cet article de la Loi sur les télécommunications, dont voici le texte :

4. La présente loi ne s’applique pas aux entreprises de radiodiffusion pour tout ce qui concerne leurs activités de radiodiffusion.

4. This Act does not apply in respect of broadcasting by a broadcasting undertaking.

[24]           Il résulterait de l’applicabilité de cet article que, même dans l’hypothèse où Bell Mobilité serait intervenue à titre d’entreprise canadienne assurant des services de télécommunication en transportant ses services de télédiffusion mobile à ses abonnés, le paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications ne serait pas d’application en l’espèce, au motif que cette loi même ne le serait pas.

[25]           Le CRTC a rejeté la thèse de Bell Mobilité portant que l’article 4 de la Loi sur les télécommunications s’appliquerait en l’espèce. Il a conclu au paragraphe 25 de ses motifs :

25.    Le Conseil rejette donc les arguments de Bell Mobilité et de Vidéotron selon qui le redressement demandé en vertu de la Loi sur les télécommunications devrait être rejeté parce qu’elles ne sont pas assujetties à ladite loi. L’article 4 de la Loi sur les télécommunications ne peut servir de bouclier contre l’application de la Loi sur les télécommunications dans le présent cas étant donné que Bell Mobilité et Vidéotron agissent à titre d’entreprises canadiennes en fournissant les services de transport et de connectivité de données requis pour le transport de leurs services de télé mobile, tel qu’il en a été débattu ci-dessus.

[26]           La principale question à trancher dans le présent appel est donc celle de rechercher si est raisonnable la conclusion du CRTC portant que l’article 4 de la Loi sur les télécommunications ne soit pas applicable à l’espèce.

[27]           L’interprétation d’une disposition législative « doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble » (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10).

A.                Analyse textuelle

[28]           Le texte de l’article 4 de la Loi sur les télécommunications dit clairement que l’exclusion ne vise que les « entreprises de radiodiffusion », avant d’ajouter : « pour tout ce qui concerne leurs activités de radiodiffusion ». Cet article ne vise donc pas toutes les activités de radiodiffusion, mais seulement celles des « entreprises de radiodiffusion ».

[29]           La Loi sur les télécommunications, si elle définit les mots « entreprise de radiodiffusion », ne définit pas le mot « radiodiffusion ». Ce mot est cependant défini dans la Loi sur la radiodiffusion. Il y a des rapports étroits entre la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion. Selon l’alinéa 15(2)b) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, les dispositions interprétatives d’un texte « s’appliquent, sauf indication contraire, aux autres textes portant sur un domaine identique ». Or, rien ne donne à penser que le législateur aurait voulu que le mot « radiodiffusion », tel qu’employé dans la Loi sur les télécommunications, revête une signification différente de celle que lui donne la Loi sur la radiodiffusion, et nulle des parties ne soutient qu’on doive lui attribuer un sens différent. D’ailleurs, le législateur fédéral a explicitement disposé que les mots « entreprise de radiodiffusion » devaient s’entendre de la même manière dans les deux lois; il semble donc légitime d’en conclure que le mot « radiodiffusion » y a aussi le même sens. Par conséquent, le sens donné au mot « radiodiffusion » par la Loi sur la radiodiffusion vaut pour la Loi sur les télécommunications.

[30]           Les mots « radiodiffusion » et « entreprise de radiodiffusion » sont ainsi définis dans la Loi sur la radiodiffusion :

radiodiffusion Transmission, à l’aide d’ondes radioélectriques ou de tout autre moyen de télécommunication, d’émissions encodées ou non et destinées à être reçues par le public à l’aide d’un récepteur, à l’exception de celle qui est destinée à la présentation dans un lieu public seulement.

“broadcasting” means any transmission of programs, whether or not encrypted, by radio waves or other means of telecommunication for reception by the public by means of broadcasting receiving apparatus, but does not include any such transmission of programs that is made solely for performance or display in a public place;

entreprise de radiodiffusion S’entend notamment d’une entreprise de distribution ou de programmation, ou d’un réseau.

“broadcasting undertaking” includes a distribution undertaking, a programming undertaking and a network;

[31]           La Loi sur la radiodiffusion définit aussi les mots « entreprise de distribution », « entreprise de programmation » et « réseau ». Il faut conclure de ces définitions que l’« entreprise de radiodiffusion » est définie comme l’agent d’activités ou d’opérations déterminées, et non comme une personne. En outre, le paragraphe 2(2) de la Loi sur la radiodiffusion dispose :

Pour l’application de la présente loi, sont inclus dans les moyens de télécommunication les systèmes électromagnétiques — notamment les fils, les câbles et les systèmes radio ou optiques —, ainsi que les autres procédés techniques semblables.

For the purposes of this Act, other means of telecommunication means any wire, cable, radio, optical or other electromagnetic system, or any similar technical system.

[32]           On trouve les définitions suivantes des mots « information » et « télécommunication » dans la Loi sur les télécommunications :

information Signes, signaux, écrits, images, sons ou renseignements de toute nature.

intelligence means signs, signals, writing, images, sounds or intelligence of any nature;

[…]

télécommunication La transmission, l’émission ou la réception d’information soit par système électromagnétique, notamment par fil, câble ou système radio ou optique, soit par tout autre procédé technique semblable.

telecommunications means the emission, transmission or reception of intelligence by any wire, cable, radio, optical or other electromagnetic system, or by any similar technical system;

[33]           On peut déduire de ces définitions que la « télécommunication » et la « radiodiffusion » comportent toutes deux la transmission d’une forme d’information, sauf que la « radiodiffusion » se limite à la transmission d’émissions, tandis que la « télécommunication » comporte la transmission, non seulement d’émissions, mais aussi d’autres sortes d’information. Le CRTC a confirmé par la décision Télécom CRTC 96-1, en date du 30 janvier 1996 et intitulée Réglementation des entreprises de distribution de radiodiffusion qui fournissent des services hors programmation, que la définition de « télécommunication » englobe la « radiodiffusion ».

[34]           Par conséquent, conclure qu’une personne donnée est une entreprise canadienne fournissant des services de télécommunication n’empêche pas de conclure qu’elle exerce aussi des « activités de radiodiffusion », si elle transmet des émissions. Cependant, la question de savoir si ces « activités de radiodiffusion » sont celles d’une « entreprise de radiodiffusion » constitue une tout autre question.

[35]           Bell Mobilité soutient que, une fois que le CRTC eut conclu, au paragraphe 15 de ses motifs, qu’elle exerçait « des activités de radiodiffusion » et que « des services de télé mobile sont des services de radiodiffusion au sens de l’Ordonnance d’exemption », il fallait en rester là. Selon l’appelante, le CRTC aurait alors dû conclure que c’était la Loi sur la radiodiffusion, et non la Loi sur les télécommunications, qui s’appliquait à la transmission d’émissions à ses abonnés dans le cadre de ses services de télédiffusion mobile.

[36]           Je ne puis souscrire à la thèse portant que ces conclusions auraient dû mettre fin à l’affaire. La conclusion selon laquelle Bell Mobilité exerçait « des activités de radiodiffusion » paraît être fondée sur les fonctions que le CRTC recense au paragraphe 15 de ses motifs, soit l’acquisition des droits de distribution, le regroupement des émissions, ainsi que l’assemblage et la mise en marché des services. La « transmission d’émissions » ne fait pas partie de ces fonctions. Par conséquent, la conclusion selon laquelle Bell Mobilité exerçait « des activités de radiodiffusion » en remplissant ces fonctions n’amène pas nécessairement à conclure qu’elle exerçait des « activités de radiodiffusion » à titre d’ « entreprise de radiodiffusion » lorsqu’elle assurait ses services de télédiffusion mobile à ses abonnés.

[37]           L’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de médias numériques (l’Ordonnance d’exemption) figure en annexe de l’Ordonnance de radiodiffusion CRTC 2012-409. On ne trouve dans l’Ordonnance d’exemption nulle disposition portant qu’une entité qui transmet à la fois des émissions et des données hors programmation serait considérée comme transmettant ces émissions à titre d’ « entreprise de radiodiffusion », et que cette transmission d’émissions serait donc exclue du champ d’application de la Loi sur les télécommunications.

[38]           Par conséquent, la question demeure de savoir si, sur le fondement d’une analyse contextuelle et téléologique, est raisonnable la conclusion du CRTC selon laquelle Bell Mobilité n’exerçait pas d’« activités de radiodiffusion » à titre d’« entreprise de radiodiffusion » lorsqu’elle transmettait des émissions dans le cadre de son service de télédiffusion mobile.

B.                 Analyse contextuelle et téléologique

[39]           Comme nous le disions plus haut, il existe des rapports étroits entre la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion. Le procureur général, dans son mémoire des faits et du droit, a cité l’alinéa 9(1)f) de la Loi sur la radiodiffusion, ainsi que les paragraphes 28(1) et (2) de la Loi sur les télécommunications, à l’appui de sa thèse portant que des lois différentes peuvent viser [TRADUCTION] « respectivement des activités multiples qui s’inscrivent dans la même chaîne de fourniture d’émissions ».

[40]           Les faits de la présente espèce ne font jouer nulle de ces dispositions. Cependant, il n’en reste pas moins que des dispositions non directement pertinentes peuvent guider l’interprète qui recherche si la lecture de telle ou telle disposition d’une loi s’harmonise avec l’ensemble de cette loi. Comme le rappelait le juge Bastarache, s’exprimant au nom des juges dissidents (mais pas dissidents sur ce point), au paragraphe 42 de Charlebois c. Saint John (Ville), 2005 CSC 74, [2005] 3 R.C.S. 563, « le contexte législatif est toujours un facteur important pour interpréter une loi ». Il s’agit en l’espèce de savoir si ces dispositions citées par le procureur général peuvent nous aider à interpréter l’article 4 de la Loi sur les télécommunications pour ce qui concerne une entreprise qui transmet à la fois des émissions et des données vocales ou autres données hors programmation.

[41]           Comme l’alinéa 9(1)f) de la Loi sur la radiodiffusion et le paragraphe 28(2) de la Loi sur les télécommunications sont les premières dispositions invoquées par le procureur général, et comme elles peuvent être examinées ensemble, ce sont elles que nous étudierons en premier lieu. En voici le texte :

Loi sur la radiodiffusion

9 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Conseil peut, dans l’exécution de sa mission :

9 (1) Subject to this Part, the Commission may, in furtherance of its objects,

[…]

f) obliger les titulaires de licences à obtenir l’approbation préalable par le Conseil des contrats passés avec les exploitants de télécommunications pour la distribution — directement au public — de programmation au moyen de l’équipement de ceux-ci;

(f) require any licensee to obtain the approval of the Commission before entering into any contract with a telecommunications common carrier for the distribution of programming directly to the public using the facilities of that common carrier;

Loi sur les télécommunications

28(2) En cas de désaccord entre une entreprise de radiodiffusion et une entreprise canadienne sur l’attribution des canaux de satellite en vue de la transmission par celle-ci d’émissions — au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la radiodiffusion — par satellite, le Conseil peut attribuer des canaux à certaines entreprises de radiodiffusion, s’il est convaincu que cela favorisera la mise en œuvre de la politique canadienne de radiodiffusion.

28(2) Where a person who carries on a broadcasting undertaking does not agree with a Canadian carrier with respect to the allocation of satellite capacity for the transmission by the carrier of programs, as defined in subsection 2(1) of the Broadcasting Act, the Commission may allocate satellite capacity to particular broadcasting undertakings if it is satisfied that the allocation will further the implementation of the broadcasting policy for Canada set out in subsection 3(1) of that Act.

[42]           Ces dispositions reflètent le chevauchement entre la transmission d’émissions et la transmission de données vocales et autres données hors programmation. Elles prévoient que la personne qui souhaite transmettre des émissions à ses clients puisse vouloir utiliser les installations d’une autre personne – exploitant de télécommunications ou « entreprise canadienne » au sens de la Loi sur les télécommunications – qui transmet d’autres sortes de contenus. Cependant, ces deux dispositions jouent avant que l’exploitant de télécommunications ou l’entreprise canadienne ne transmette d’émissions pour le radiodiffuseur. L’alinéa 9(1)f) de la Loi sur la radiodiffusion dispose que le CRTC peut exiger que le contrat soit soumis à son approbation préalable, et le paragraphe 28(2) de la Loi sur les télécommunications joue lorsqu’une entreprise de radiodiffusion ne peut parvenir à un accord avec l’entreprise canadienne (fournissant des services de télécommunication) sur l’attribution des canaux de satellite.

[43]           Si le CRTC décide qu’un contrat visé par l’alinéa 9(1)f) de la Loi sur la radiodiffusion appelle son approbation préalable et accorde cette approbation, l’exploitant de télécommunications transmet les émissions. Comme on l’a vu plus haut, le mot « radiodiffusion » est défini comme suit dans la Loi sur la radiodiffusion : « Transmission, à l’aide d’ondes radioélectriques ou de tout autre moyen de télécommunication, d’émissions encodées ou non et destinées à être reçues par le public à l’aide d’un récepteur […] ». Par conséquent, l’activité susdite de l’exploitant de télécommunications sera englobée par la définition du terme « radiodiffusion » que donne la Loi sur la radiodiffusion. Cependant, l’alinéa 9(1)f) de la Loi sur la radiodiffusion, à lui seul, ne répond pas à la question de savoir si l’exploitant de télécommunications exercerait alors son activité de radiodiffusion à titre d’entreprise de radiodiffusion, de sorte qu’il laisse aussi sans réponse la question de savoir si l’article 4 de la Loi sur les télécommunications viserait la transmission de ces émissions. Cet alinéa, en effet, ne porte que sur l’approbation qui pourrait se révéler nécessaire pour passer un contrat dont résulterait la transmission d’émissions par l’exploitant de télécommunications.

[44]           De même, le paragraphe 28(2) de la Loi sur les télécommunications ne répond pas, en soi, à la question de savoir si l’entreprise canadienne (au sens de cette loi), dans le cas où elle serait tenue d’attribuer des canaux de satellite à l’entreprise de radiodiffusion, exercerait alors des activités de radiodiffusion à titre d’entreprise de radiodiffusion en transmettant des émissions destinées à être reçues par le public.

[45]           À mon sens, la réponse à la question de savoir si telle ou telle entreprise de télécommunications qui transmet des émissions pour un radiodiffuseur exerce alors des activités de radiodiffusion en tant qu’entreprise de radiodiffusion se trouve dans la jurisprudence Renvoi relatif à la Loi sur la radiodiffusion, 2012 CSC 4, [2012] 1 R.C.S. 142 (FSI), par laquelle la Cour suprême du Canada enseigne que le fournisseur de services Internet n’entre pas dans le champ d’application de la Loi sur la radiodiffusion lorsqu’il transmet simplement des émissions pour une autre personne :

3       Pour les motifs qu’invoque le juge Noël, nous convenons avec lui, eu égard au contexte du libellé de la Loi sur la radiodiffusion et vu l’objet de celle-ci, que les termes « radiodiffusion » et « entreprise de radiodiffusion » ne sont pas censés assujettir l’entité qui ne fournit que le moyen de transmission.

4       Suivant le par. 2(1) de la Loi sur la radiodiffusion, « radiodiffusion » s’entend de la « [t]ransmission, à l’aide d’ondes radioélectriques ou de tout autre moyen de télécommunication, d’émissions […] destinées à être reçues par le public ». Il appert clairement de la Loi que les « entreprises de radiodiffusion » peuvent jusqu’à un certain point décider du contenu de leurs émissions. Le paragraphe 2(3) dispose que « [l]’interprétation et l’application de la [Loi] doivent se faire de manière compatible avec la liberté d’expression et l’indépendance, en matière de journalisme, de création et de programmation, dont jouissent les entreprises de radiodiffusion ». Aussi, les objectifs énoncés au par. 3(1) de la Loi s’attachent au contenu (enrichissement culturel du Canada, promotion du contenu canadien, offre d’une programmation originale de haute qualité, variété de la programmation, etc.).

5       Le FSI qui se contente de fournir le moyen de transmission ne peut contribuer à la réalisation de ces objectifs. Il permet à l’utilisateur final d’avoir accès à Internet, et lorsqu’il fournit cet accès, ce qui constitue son seul rôle visé par la question soumise dans le renvoi, il ne participe aucunement à la sélection et à la création de contenu et à sa mise à disposition sous forme de forfaits. Le juge Noël affirme avec raison que le terme « entreprise de radiodiffusion » ne vise pas l’entité qui ne joue aucun rôle dans la réalisation des objectifs de la politique énoncée dans la Loi sur la radiodiffusion.

[46]           À l’occasion de l’affaire des FSI, la Cour suprême du Canada interprétait les mots « entreprise de radiodiffusion » aux fins de la Loi sur la radiodiffusion. En l’espèce, c’est l’emploi de ces mots à l’article 4 de la Loi sur les télécommunications qui est en cause. Cependant, comme les mots « entreprise de radiodiffusion » ont la même signification dans les deux lois, leur interprétation consacrée par la Cour suprême vaut, à mon sens, également en l’espèce. Par conséquent, la personne qui n’a aucun pouvoir sur le contenu des émissions et ne fait que les transmettre pour une autre personne ne peut être considérée comme les transmettant à titre d’entreprise de radiodiffusion.

[47]           Le procureur général a aussi cité le paragraphe 28(1) de la Loi sur les télécommunications:

28 (1) Le Conseil doit tenir compte de la politique canadienne de radiodiffusion exposée au paragraphe 3(1) de la Loi sur la radiodiffusion pour déterminer s’il y a eu discrimination, préférence ou désavantage injuste, indu ou déraisonnable, selon le cas, dans une transmission d’émissions — au sens du paragraphe 2(1) de cette loi — principalement destinée à être captée directement par le public et réalisée soit par satellite, soit au moyen des installations de distribution terrestre de l’entreprise canadienne, en liaison ou non avec des installations de l’entreprise de radiodiffusion.

28 (1) The Commission shall have regard to the broadcasting policy for Canada set out in subsection 3(1) of the Broadcasting Act in determining whether any discrimination is unjust or any preference or disadvantage is undue or unreasonable in relation to any transmission of programs, as defined in subsection 2(1) of that Act, that is primarily direct to the public and made

(a) by satellite; or

(b) through the terrestrial distribution facilities of a Canadian carrier, whether alone or in conjunction with facilities owned by a broadcasting undertaking.

[48]           Ces dispositions prévoient l’application de la Loi sur les télécommunications à telle ou telle personne qui transmet des émissions. Elles n’ajoutent cependant rien à ce que nous apprend l’article 4 de la même loi – à savoir que ce ne sont pas toutes les activités de radiodiffusion qui sont exclues du champ d’application de la Loi sur les télécommunications –, et elles laissent en suspens la question de savoir dans quel cas les « activités de radiodiffusion » ne seront pas exercées par une « entreprise de radiodiffusion » et seront par voie de conséquence exclues du champ d’application de la Loi sur les télécommunications.

[49]           Bell Mobilité soutient qu’il y a lieu d’opérer une distinction entre les faits de l’affaire FSI, les dispositions citées par le procureur général, et les faits de la présente espèce au motif qu’elle était la seule personne à jouer un rôle dans la chaîne de fourniture d’émissions. La fonction de radiodiffusion, raisonne l’appelante, n’est pas divisible, et elle ne prenait fin qu’avec la réception des émissions par ses abonnés. Bell Mobilité a invoqué à ce propos une jurisprudence du Conseil privé – Reference re Regulation and Control of Radio Communication, [1932] A.C. 304, [1932] 2 D.L.R. 81 (C.P.) – et une jurisprudence de la Cour suprême du Canada, Capital Cities Communications Inc. c. Conseil de la Radio-Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141, [1977] 81 D.L.R. (3d) 609. Cependant, ni l’une ni l’autre de ces autorités ne se révèle éclairante, étant donné qu’elles portent toutes deux sur la question de la compétence du législateur fédéral. Or, en l’espèce, il n’est pas controversé entre les parties que la Loi sur la radiodiffusion aussi bien que la Loi sur les télécommunications relèvent de cette compétence.

[50]           La question pertinente est ici celle de savoir si est raisonnable la conclusion du CRTC selon laquelle Bell Mobilité, même si certaines de ses activités relevaient de la radiodiffusion, ne radiodiffusait pas en tant qu’entreprise de radiodiffusion en transmettant ses émissions. Il importe à cet égard de bien voir que l’article 4 de la Loi sur les télécommunications exclut une activité (la radiodiffusion par une entreprise de radiodiffusion), et non une personne ou toute une entreprise.

[51]           L’activité en cause en l’espèce est la transmission d’émissions. Bell Mobilité transmettait des émissions dans le cadre de son service de télédiffusion mobile en même temps que des données vocales et autres, et au moyen du même réseau. La transmission à ses abonnés de données vocales et autres données hors programmation ne relève pas de la « radiodiffusion », puisque ces données ne sont pas des émissions, de sorte que l’article 4 de la Loi sur les télécommunications ne vise pas la transmission de ce contenu. Si la transmission d’émissions par Bell Mobilité devait être considérée comme une « activité de radiodiffusion » menée par une « entreprise de radiodiffusion », certains des éléments transmis au moyen du même réseau relèveraient de la Loi sur la radiodiffusion, et d’autres entreraient dans les prévisions de la Loi sur les télécommunications. Or, à mon sens, la solution saine est que tous les éléments transmis par Bell Mobilité relève de la même loi.

[52]           À mon avis, cette solution se révèle également raisonnable à la lumière des objets de ces deux lois. Comme le faisait remarquer la Cour suprême du Canada à l’occasion de l’affaire FSI, « les objectifs énoncés au par. 3(1) de la Loi [c’est-à-dire la Loi sur la radiodiffusion] s’attachent au contenu (enrichissement culturel du Canada, promotion du contenu canadien, offre d’une programmation originale de haute qualité, variété de la programmation, etc.) ». Les objectifs de la Loi sur les télécommunications, tels qu’ils sont énoncés à son article 7, sont quant à eux centrés sur le système des télécommunications et les services de télécommunication. Par conséquent, la politique que veut mettre en œuvre la Loi sur les télécommunications est axée sur la fourniture de l’« information » et non sur le contenu de celle-ci.

[53]           Il était à mon sens raisonnable de la part du CRTC de conclure que Bell Mobilité, lorsqu’elle transmettait des émissions au moyen d’un réseau qui transmettait simultanément des données vocales et autres, ne faisait que fournir le mode de transmission de ces émissions – indépendamment de leur contenu – et que, en remplissant cette fonction, elle ne faisait pas jouer les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion. L’activité en question en l’espèce se rapportait à la fourniture des émissions et non à leur contenu, de sorte qu’elle relevait des objectifs de la Loi sur les télécommunications qui concernent la fourniture de l’« information ».

[54]           En l’espèce, le CRTC est chargé de mettre en œuvre à la fois la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur les télécommunications. Sa décision sur le point de savoir laquelle des deux est applicable commande la retenue judiciaire. À mon avis, c’est une interprétation raisonnable des mots « entreprise de radiodiffusion », au vu des objets des deux lois considérées, de conclure que Bell Mobilité n’intervenait pas à titre d’« entreprise de radiodiffusion » en transmettant des émissions de télévision mobile dans le cadre de l’ensemble des éléments qu’elle transmettait, qui comprenait aussi des données vocales et autres données hors programmation. Comme l’article 4 de la Loi sur les télécommunications ne vise que les « activités de radiodiffusion » exercées par des « entreprises de radiodiffusion », il ne paraît pas viser à la transmission d’émissions de télévision mobile que pratiquait Bell Mobilité, au motif que celle-ci ne transmettait pas ce contenu à titre d’« entreprise de radiodiffusion ».

VI.             Le paragraphe 4(4) de la Loi sur la radiodiffusion

[55]           Bell Mobilité a aussi cité le paragraphe 4(4) de la Loi sur la radiodiffusion:

Il demeure entendu que la présente loi ne s’applique pas aux entreprises de télécommunication — au sens de la Loi sur les télécommunications — n’agissant qu’à ce titre.

For greater certainty, this Act does not apply to any telecommunications common carrier, as defined in the Telecommunications Act, when acting solely in that capacity.

[56]           Cependant, comme le CRTC a conclu que jouait de la Loi sur les télécommunications et comme cette conclusion me paraît raisonnable, il n’est pas nécessaire d’examiner le moyen de Bell Mobilité puisé dans le paragraphe 4(4) de la Loi sur la radiodiffusion.

VII.          Conclusion

[57]           L’analyse textuelle, contextuelle et téléologique permet de conclure qu’appartient aux issues possibles acceptables la décision du CRTC selon laquelle Bell Mobilité n’intervenait pas à titre d’« entreprise de radiodiffusion » en fournissant une connectivité de données à ses abonnés et en leur transmettant ses émissions de télévision mobile, de sorte que ces services entraient dans les prévisions de la Loi sur les télécommunications.

[58]           En conséquence, je rejetterais l’appel, en condamnant Bell Mobilité à payer un mémoire de dépens au Consortium des Opérateurs de Réseaux Canadiens Inc., et un autre aux intimés Klass, Ellis et McKelvey, pris collectivement.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.


LA JUGE DAWSON (Motifs concourants)

[59]           Je souscris aussi bien aux motifs de mon confrère qu’à la décision qu’il propose de l’appel. Je me contenterai d’ajouter que l’analyse suivante pourrait contribuer à confirmer l’interprétation contextuelle et téléologique de la Loi sur la radiodiffusion et de la Loi sur les télécommunications.

[60]           Le nœud de la thèse de Bell Mobilité est qu’il n’existe pas d’[TRADUCTION] « applicabilité concurrente » entre la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur les télécommunications. Il s’ensuit, selon elle, qu’une entité assurant des services de télécommunication :

               i.                   soit exerce des activités de radiodiffusion à titre d’entreprise de radiodiffusion et relève à ce titre exclusivement de la Loi sur la radiodiffusion (bien qu’elle retransmette au moyen de techniques de télécommunication);

             ii.                   soit est régie exclusivement par la Loi sur les télécommunications.

[61]           Je rejette cette thèse.

[62]           À mon sens, il ressort de l’alinéa 9(1)f) de la Loi sur la radiodiffusion et de l’article 28 de la Loi sur les télécommunications que ces deux lois peuvent viser respectivement des activités différentes s’inscrivant dans la même chaîne de fourniture d’émissions.

[63]           L’alinéa 9(1)f) de la Loi sur la radiodiffusion permet au CRTC d’obliger les titulaires de licences à obtenir son approbation préalable des contrats qu’ils souhaitent passer avec des « exploitants de télécommunications » pour la « distribution […] de programmation ».

[64]           Donc, comme le fait valoir le procureur général, l’alinéa 9(1)f) prévoit la possibilité qu’un exploitant de télécommunications pratique la « distribution […] de programmation » en collaboration avec une entreprise de radiodiffusion. Il s’ensuit que la fourniture d’émissions peut comporter des activités de natures différentes dont certaines seront régies par la Loi sur la radiodiffusion et d’autres par la Loi sur les télécommunications.

[65]           De même, le paragraphe 28(2) de la Loi sur les télécommunications permet au CRTC d’« attribuer des canaux [de satellite] à certaines entreprises de radiodiffusion » en cas de désaccord entre une entreprise de radiodiffusion et une entreprise canadienne (fournissant des services de télécommunication) sur l’attribution de tels canaux.

[66]           Il faut donc en déduire que, selon le paragraphe 28(2), la transmission d’une émission par satellite pour une entreprise de radiodiffusion demeure un service de télécommunication, régi par la Loi sur les télécommunications.

[67]           Le paragraphe 28(1) de la Loi sur les télécommunications prescrit au CRTC de tenir compte de la politique canadienne de radiodiffusion consacrée par le paragraphe 3(1) de la Loi sur la radiodiffusion lorsqu’il est appelé à rechercher s’il y a eu discrimination, préférence ou désavantage injuste, indu ou déraisonnable, selon le cas, « dans une transmission d’émissions » réalisée soit par satellite, soit au moyen des installations de distribution terrestre d’une entreprise canadienne de télécommunications.

[68]           Ce texte est lui aussi fondé sur la possibilité d’une transmission d’émissions au moyen de l’infrastructure d’une entreprise de télécommunications. Or, ainsi que le fait observer le procureur général, une telle transmission n’a pas pour effet, comme le soutient Bell Mobilité, de transformer l’entreprise de télécommunications en une entreprise de radiodiffusion et de l’exclure en conséquence du champ d’application de la Loi sur les télécommunications.

[69]           Vu ces dispositions, la conclusion du CRTC selon laquelle les abonnés de Bell Mobilité accédaient aux émissions de télévision mobile de celle-ci au moyen de services de connectivité de données et de transport régis par la Loi sur les télécommunications me paraît raisonnable vu les éléments de preuve dont il disposait. En même temps, les autres activités afférentes à l’application Télé mobile de Bell – acquisition des droits, regroupement des émissions, assemblage et mise en marché des services – relevaient d’une fonction distincte de radiodiffusion, régie par la Loi sur la radiodiffusion.

[70]           En outre, je souscris à la thèse du CRTC selon laquelle une entreprise ne peut se soustraire à l’application de la Loi sur les télécommunications en choisissant une structure organisationnelle particulière. Bell Mobilité a décidé de faire offrir ses services de télédiffusion mobile par la même société que celle qui assure ses services de télécommunication sans fil. Ce choix ne peut influer sur la compétence du CRTC à l’égard des activités de télécommunication et de radiodiffusion de Bell Mobilité.

[71]           En conséquence, je rejetterais l’appel, en condamnant Bell Mobilité à payer un mémoire de dépens au Consortium des Opérateurs de Réseaux Canadiens Inc., et un autre aux intimés Klass, Ellis et McKelvey, pris collectivement.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


(APPEL D’UNE DÉCISION DU CONSEIL DE LA RADIODIFFUSION ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS CANADIENNES RENDUE LE 29 JANVIER 2015, DÉCISION 2015-26)

DOSSIER :

A-193-15

 

INTITULÉ :

BELL MOBILITÉ INC. c. BENJAMIN KLASS et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JANVIER 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

MOTIFS CONCOURANTS :

LA JUGE DAWSON

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

LE 20 JUIN 2016

COMPARUTIONS :

Neil Finkelstein

Brandon Kain

Richard Lizius

Adam Goldenberg

POUR L’APPELANTE

Philip Palmer

POUR LES INTIMÉS

Benjamin Klass

David Ellis

Fenwick McKelvey

Christopher C. Rootham

Daniel Roussy

Carolyn Pinsky

POUR L’INTIMÉE

Société Telus Communications

Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes

Christian S. Tacit

Christopher Copeland

Stewart Cattroll

pour l’intimé

Consortium des Opérateurs de Réseaux Canadiens Inc.

John S. Tyhurst

Sarah Sherhols

POUR L’INTERVENANT

Procureur général du Canada

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

Philip Palmer Law

Kanata (Ontario)

POUR LES INTIMÉS

Benjamin Klass

David Ellis

Fenwick McKelvey

Nelligan O’Brien Payne, s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

pour l’intimée

Société Telus Communications

Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes

Gatineau (Québec)

Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes

Tacit Law

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

Consortium des Opérateurs de Réseaux Canadiens Inc.

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTERVENANT

Procureur général du Canada

 

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