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Date : 20160705

Dossiers : A‑311‑15

A‑187‑12

Référence : 2016 CAF 194

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

ASTRAZENECA CANADA INC.

appelante

et

APOTEX INC.

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 18 mai 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON


Date : 20160705

Dossiers : A‑311‑15

A‑187‑12

Référence : 2016 CAF 194

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

ASTRAZENECA CANADA INC.

appelante

et

APOTEX INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               L’alinéa 399(2)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, permet à une cour d’annuler ou de modifier une ordonnance ou un jugement au motif de faits nouveaux survenus ou découverts après son prononcé.

[2]               AstraZeneca Canada Inc., l’appelante au dossier de la Cour A‑311‑15, a formé une requête en modification du jugement de la Cour fédérale rendu par le juge Hughes le 11 mai 2012 dans le dossier de la Cour T‑2300‑5. Pour les motifs exposés sous la référence 2015 CF 799, le juge Hughes a rejeté cette requête avec dépens. Notre Cour est maintenant saisie d’un appel interjeté par AstraZeneca contre cette ordonnance de la Cour fédérale.

[3]               Les faits pertinents sont acquis aux débats et n’ont rien de complexe.

[4]               En janvier 2004, Apotex Inc. a mis sur le marché sa version générique de l’oméprazole sous la marque Apo‑oméprazole, en conséquence de quoi AstraZeneca lui a intenté une action en contrefaçon de brevet.

[5]               Apotex a alors à son tour intenté contre AstraZeneca, en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement), une action en indemnisation de la perte subie attribuable au retardement de son entrée sur le marché de l’oméprazole (dossier de la Cour T‑2300‑5). AstraZeneca a opposé entre autres la thèse qu’Apotex n’avait pas droit à des dommages-intérêts, au motif que toute vente d’Apo‑oméprazole qu’elle aurait réalisée pendant la période en cause aurait contrefait un autre brevet d’AstraZeneca (le brevet 693). AstraZeneca soutenait en outre que cette contrefaçon était un facteur pertinent à prendre en considération sous le régime du paragraphe 8(5) du Règlement, lorsqu’il s’agit d’établir s’il y avait lieu de réduire le montant de l’indemnité à verser à Apotex ou de lui refuser toute indemnisation.

[6]               Le juge Hughes a prononcé le 11 mai 2012 son jugement dans le dossier de la Cour T‑2300‑05, exposant ses motifs sous la référence 2012 CF 559. Il a rejeté la défense d’AstraZeneca aux paragraphes 140 à 150 et 175 à 181 de ses motifs. La conclusion qu’il a formulée dans les termes suivants au paragraphe 148 se révèle particulièrement pertinente pour le présent appel :

[…] Advenant le cas où le tribunal qui instruira l’action en contrefaçon pendante conclurait que le brevet est valide et a été contrefait par Apotex lorsqu’elle a fabriqué le médicament à base d’oméprazole faisant l’objet de la présente instance, il peut en même temps élaborer une réparation appropriée en tenant compte de l’indemnité accordée dans la présente instance.

[7]               Ce jugement portait en substance qu’Apotex avait le droit, en vertu du paragraphe 8(1) du Règlement, de se voir indemniser de la perte subie du 3 janvier 2002 au 30 décembre 2003 en raison de la demande d’interdiction présentée par AstraZeneca. Il concluait en outre que rien ne justifiait qu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 8(5) du Règlement lui confère et lui permettant de réduire le montant de l’indemnité à verser à Apotex ou de lui refuser toute indemnisation. Enfin, le même jugement ordonnait la tenue d’un renvoi pour que soit déterminé montant de l’indemnité qu’AstraZeneca devait verser à Apotex.

[8]               AstraZeneca a formé contre ce jugement de la Cour fédérale un appel devant notre Cour, qui l’a rejeté avec dépens (2013 CAF 77).

[9]               AstraZeneca faisait valoir notamment que le juge Hughes avait commis une erreur en concluant à la non-pertinence de l’action pendante en contrefaçon dans l’action en dommages-intérêts intentée en vertu de l’article 8 du Règlement. Notre Cour a rejeté cet argument d’AstraZeneca et a réitéré expressément la validité du passage cité plus haut au paragraphe 6, qui représente le motif fondamental étayant la décision du juge Hughes. Et notre Cour d’ajouter « [c]’est au juge chargé d’instruire l’action en contrefaçon qu’il reviendra de s’assurer que, globalement et compte tenu des deux instances, l’intéressé est, le cas échéant, indemnisé de ses pertes prouvables, conformément aux principes appropriés, ni plus et ni moins. »

[10]           C’est dans ce contexte qu’AstraZeneca a formé une requête en modification du jugement du 11 mai 2012. Cette requête était fondée sur une conclusion, formulée par le juge Barnes de la Cour fédérale dans l’instruction de l’action en contrefaçon de brevet, selon laquelle Apotex avait contrefait certaines revendications du brevet 693 (2015 CF 322 et 2014 CF 671). AstraZeneca assimilait cette conclusion à un fait nouveau survenu après le jugement par lequel le juge Hughes avait tranché l’action fondée sur l’article 8.

[11]           Cette requête d’AstraZeneca sollicitait deux modifications du jugement. Premièrement, AstraZeneca voulait y faire ajouter que le juge du renvoi, au moment de calculer les dommages-intérêts à verser à Apotex, pourrait tenir compte du jugement du juge Barnes. Deuxièmement, elle demandait que soit infirmée la conclusion du juge Hughes selon laquelle rien ne justifiait l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 8(5) du Règlement permettant de réduire l’indemnité d’Apotex ou de lui refuser toute indemnisation. La version du jugement que proposait AstraZeneca porterait plutôt que le juge du renvoi pourrait tenir compte du jugement du juge Barnes dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 8(5).

[12]           Comme on l’a vu, le juge Hughes a rejeté cette requête en modification. Il a motivé amplement sa décision. Pour les besoins du présent appel, il suffira d’examiner deux raisons.

[13]           Le juge Hughes avait principalement rejeté la requête parce qu’il avait expressément prévu dans sa décision originale la possibilité qu’un jugement de contrefaçon d’un autre brevet soit rendu contre Apotex par la suite. En outre, notre Cour avait souscrit à sa conclusion selon laquelle il appartiendrait au juge de l’action en contrefaçon de faire en sorte que l’indemnisation de la partie lésée ne soit ni excessive ni insuffisante. Par conséquent, écrivait le juge Hughes, [TRADUCTION] « le seul fait nouveau est ici que le cas hypothétique envisagé d’abord par moi, puis par la Cour d’appel, s’est matérialisé. Cela ne change rien à l’affaire. J’avais déjà pris en considération ce qui est maintenant devenu réalité et je m’étais prononcé à ce sujet. Rien n’a changé. »

[14]           Je suis d’accord avec le juge Hughes sur ce point, pour la raison même qu’il expose. La décision du juge Barnes selon laquelle le brevet 693 a été contrefait n’est pas assimilable, pour l’application de l’alinéa 399(2)a) des Règles, à un fait nouveau survenu ou découvert après le jugement qu’a rendu le juge Hughes dans l’action fondée sur l’article 8 du Règlement. Cette conclusion règle le sort du présent appel.

[15]           Le deuxième motif invoqué par le juge Hughes pour rejeter la requête découle de l’arrêt rendu par notre Cour dans l’affaire Grenier c. Canada, 2008 CAF 63, [2008] A.C.F. no 256.  Selon lui, comme notre Cour avait en l’occurrence confirmé le jugement de la Cour fédérale, il lui appartenait également de modifier, s’il y avait lieu, ce jugement.

[16]           AstraZeneca soutient que le juge a commis sur ce point une erreur de droit. Cependant, par souci de prudence, elle a formé devant notre Cour une requête en vue d’obtenir la même modification du jugement que celle qu’elle avait sollicitée devant la Cour fédérale. AstraZeneca invoque encore une fois à ce propos l’alinéa 399(2)a) des Règles. C’est là l’objet du dossier A‑187‑12.

[17]           Soit dit en tout respect, je ne puis souscrire à la conclusion du juge selon laquelle la requête en modification aurait dû être formée devant notre Cour, et ce, pour les motifs dont l’exposé suit.

[18]           Premièrement, le passage de l’arrêt Grenier invoqué par le juge porte qu’un tribunal de première instance ne peut corriger un jugement qu’il a rendu si celui‑ci a fait l’objet d’un jugement de notre Cour. La raison en est, à mon sens, que le premier jugement a été remplacé et n’est donc pas susceptible de correction. Dans l’arrêt Grenier, notre Cour n’était pas appelée à examiner la question de savoir devant quel tribunal il convient de présenter la requête visée à l’article 399 des Règles et elle n’a pas tranché cette question.

[19]           Deuxièmement, si notre Cour rejette un appel, c’est qu’elle a conclu que le jugement d’instance inférieure n’est vicié ni par une erreur de droit, ni par une erreur manifeste et dominante soit de fait, soit mixte de fait et de droit. Une telle décision est différente sur le plan qualitatif de celle portant que le jugement attaqué doit être annulé ou modifié, non pas en raison d’une erreur, mais parce que des faits découverts après son prononcé ont démontré qu’il présente des lacunes.

[20]           La personne la mieux placée pour décider si les faits nouveaux découverts auraient influé sur le jugement d’origine est le décideur initial.

[21]           Enfin, le paragraphe 59.06(2) des Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194, autorise un tribunal à annuler ou à modifier une ordonnance « en raison […] de faits survenus ou découverts après qu’elle a été rendue ». Les tribunaux ontariens ont donné à cette disposition une interprétation similaire à la nôtre, suivant laquelle les requêtes en modification doivent être présentées au tribunal qui a prononcé le jugement en question (voir par exemple Mehedi c. 2057161 Ontario Inc. (Job Success), 2014 ONCA 604, 123 O.R. (3d) 73; et Aristocrat c. Aristocrat (2004), 73 O.R. (3d) 275, 190 O.A.C. 327).

[22]           Cette conclusion est également conforme à l’arrêt Royal Trust Company c. E.M. Jones, [1962] R.C.S. 132, 31 D.L.R. (2D) 292, dans lequel la Cour suprême a conclu que toute demande tendant à faire annuler un jugement déjà confirmé par une cour d’appel intermédiaire doit être introduite devant le tribunal de première instance. Cette règle, à mon sens, s’applique tout autant aux requêtes en modification d’un jugement.

[23]           Il s’ensuit que la requête en modification a été valablement présentée à la Cour fédérale, et la requête de même nature introduite devant notre Cour devrait être rejetée sur ce fondement.

[24]           Une dernière remarque s’impose. Le présent appel et la requête illustrent les difficultés qui découlent de conclusions contradictoires formulées dans des instances parallèles portant respectivement sur la contrefaçon de brevets et sur l’indemnisation sous le régime de l’article 8. Je ne puis ici que répéter la mise au point donnée par la juge Sharlow dans l’appel antérieur, selon laquelle « [c]’est au juge chargé d’instruire l’action en contrefaçon qu’il reviendra de s’assurer que, globalement et compte tenu des deux instances, l’intéressé est, le cas échéant, indemnisé de ses pertes prouvables, conformément aux principes appropriés, ni plus et ni moins ».

Conclusion

[25]           Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel formé contre l’ordonnance de la Cour fédérale, ainsi que la requête en modification du jugement de notre Cour, avec dépens dans les deux cas.

[26]           Un exemplaire des présents motifs sera versé aux dossiers de la Cour A‑187‑12 et A‑311‑15.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIERS :

A‑311‑15 ET A‑187‑12

 

INTITULÉ :

ASTRAZENECA CANADA INC. c. APOTEX INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 MAI 2016

 

DÉPÔT DE CONCLUSIONS SUPPLÉMENTAIRES :

 

LES 27 MAI ET 3 JUIN 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Me J. Sheldon Hamilton

Me Abigail Smith

POUR L’APPELANTE

Me Andrew Brodkin

M Daniel Cappe

POUR L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

Goodmans, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

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