Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20160902


Dossier : A-422-14

Référence : 2016 CAF 218

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RYER*

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC.

appelante

et

TEVA CANADA LIMITÉE

intimée

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2016.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

Y A SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

N’A PAS PARTICIPÉ À L’ORDONNANCE :

LE JUGE RYER*

 


Date : 20160902


Dossier : A-422-14

Référence : 2016 CAF 218

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RYER*

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC.

appelante

et

TEVA CANADA LIMITÉE

intimée

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]               Pfizer Canada Inc. présente par écrit une requête en vue du réexamen et de la modification du jugement rendu par notre Cour dans le présent appel (motifs figurant sous la référence 2016 CAF 161).

A.                Faits à la base de la requête

[2]               Par le jugement que Pfizer souhaite faire modifier, notre Cour a accueilli l’appel de la décision de la Cour fédérale, annulé les dommages-intérêts auxquels elle avait condamné Pfizer et renvoyé l’affaire à la Cour fédérale à des fins de réexamen.

[3]               Dans la présente requête, Pfizer attire l’attention de la Cour sur le fait qu’à la suite de l’adjudication des dommages-intérêts, l’entreprise a payé les dommages-intérêts à Teva Canada Limitée, et s’est acquittée ainsi de ses obligations. Ensuite, Pfizer a présenté un avis d’appel à notre Cour. À la suite du jugement rendu par notre Cour annulant les dommages-intérêts, Pfizer a demandé à Teva de s’acquitter de ses obligations et de rembourser les dommages-intérêts payés par Pfizer avec intérêts. Teva a refusé.

[4]               À la lumière du jugement et des documents dont notre Cour est saisie, nous sommes d’avis que Teva n’a strictement pas le droit de conserver les fonds payés par Pfizer. Dans ses observations concernant la présente requête, Teva n’a pas prétendu le contraire. Évidemment, la solution serait que Teva admette ses obligations, respecte les conséquences du jugement de notre Cour et remette à Pfizer les fonds versés par cette dernière ainsi que des intérêts. Or, Teva a décidé de n’en rien faire.

[5]               Pfizer demande à notre Cour de modifier son jugement en y ajoutant l’obligation pour Teva de lui remettre le paiement ainsi que des intérêts. Pfizer allègue les alinéas 397(1)(b) et 399(2)(a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et leurs modifications. Aux termes de la première de ces dispositions, la Cour peut réexaminer les modalités de son ordonnance si « une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement ». Aux termes de la dernière, elle peut modifier une ordonnance si « des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue ».

[6]               Cependant, notre Cour ne peut donner suite à la requête de Pfizer que si l’objet visé relève de sa compétence.

[7]               Dans les documents déposés dans le cadre de la requête, les parties n’ont pas soulevé la question de la compétence. Toutefois, ce fait ne libère pas notre Cour de son obligation de s’assurer que l’objet de l’action relève de sa compétence. Un tribunal doit toujours vérifier qu’il est habilité en droit à agir. Un tribunal qui agit sans être autorisé à le faire contrevient aux principes juridiques et aux arrangements constitutionnels fondamentaux.

[8]               À la suite de l’examen des documents déposés par les parties dans le cadre de la requête, notre Cour s’est interrogée sur sa compétence en la matière. Ce souci découle du départ à la retraite du juge Ryer, l’un des trois juges de la formation qui a rendu le jugement de notre Cour. Après son départ à la retraite, conformément au paragraphe 45(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, le juge Ryer a continué à participer aux instances qu’il avait déjà instruites. Cependant, conformément à ce paragraphe, huit semaines après son départ à la retraite, il était désormais assujetti au principe du functus. Le délai de huit semaines est expiré.

[9]               Les deux autres juges de la formation peuvent-ils examiner une requête en vue de modifier un jugement rendu par la formation de trois juges? Les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur cette question.

[10]           La Cour a maintenant examiné les observations des parties. Elle conclut qu’elle est compétente.

B.                La compétence

[11]           En règle générale, les appels sont tranchés par une formation de trois juges (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, paragraphe 16(1)). Il s’ensuit qu’en règle générale la modification d’un jugement demandée en vertu des articles 397 et 399 des Règles des Cours fédérales ne peut être ordonnée que par une formation de trois juges. Il faut tenir compte de ces exigences énoncées dans les dispositions légales lorsqu’il s’agit d’interpréter les instruments subordonnés que sont les règlements. Les Règles des Cours fédérales sont prises en vertu de la Loi sur les Cours fédérales.

[12]           Cependant, le paragraphe 16(1) n’est toutefois pas autonome. La Loi sur les Cours fédérales prévoit une exception dans des circonstances telles que celles de l’espèce. En vertu du paragraphe 45(3), lorsqu’un juge qui a instruit une affaire en vertu du paragraphe 45(2) — en l’occurrence le juge Ryer — est ensuite assujetti au principe du functus, « les autres juges peuvent rendre le jugement et, à cette fin, sont censés constituer le tribunal » (Association des pilotes d’Air Canada c. Kelly, 2012 CAF 209, [2012] 1 R.C.F. 308; Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204). Il s’ensuit du raisonnement énoncé au présent paragraphe et au paragraphe précédent que les deux autres juges peuvent ordonner la modification de jugements en vertu des articles 397 et 399.

[13]           Teva n’est pas d’accord. Elle commence par affirmer qu’en vertu de l’article  399, la Cour peut constituer une nouvelle formation de trois juges à qui il incombera de décider s’il y a lieu de modifier un jugement antérieur de la Cour. Teva ajoute qu’en règle générale les modifications sont apportées par trois juges. Ces observations sont incontestablement justes (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Santé), 2011 CAF 215, par. 3; Ayangma c. Canada, 2003 CAF 382).

[14]           Teva va plus loin en affirmant que la Cour, lorsqu’elle agit en vertu de l’article 399, ne peut que le faire par le ministère de trois juges. C’est tout simplement exagéré. Teva fait fi du paragraphe 45(3). Aux termes de ce paragraphe, la formation composée de deux des juges originaux peut trancher dans une situation telle que celle-ci.

[15]           Teva ajoute que la jurisprudence de notre Cour confirme ses prétentions. Teva invoque Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417, au paragraphe 3. Cette jurisprudence ne lui est d’aucune utilité. Elle n’appuie pas la proposition selon laquelle le juge qui a rédigé les motifs de la Cour ne peut de son propre chef modifier unilatéralement le jugement de la Cour en vertu de l’article 397. Dans Consorzio, le juge Décary a laissé entendre qu’un jugement de la Cour ne pouvait être modifié que par une formation de trois juges. En règle générale, il a raison. Cependant, il n’a abordé ni le paragraphe 45(3) de la Loi sur les Cours fédérales ni le fait que la Cour peut agir à deux membres à la suite du départ à la retraite de l’un des trois juges; en outre, les faits dans cette affaire n’exigeaient pas que cette question soit débattue.

[16]           Teva a également cité la jurisprudence de cours d’appel provinciales (Beriault (Trustee of) c. Pacific National Leasing Corp. (1996), 93 O.A.C. 233, 66 A.C.W.S. (3d) 193 (C.A.); Mullins c. Levy, 2010 BCCA 294, 320 D.L.R (4th) 752). Ces sources vont dans le même sens que Consorzio et n’abordent pas le paragraphe 45(3) de la Loi sur les Cours fédérales, ni la compétence que ce paragraphe confère à la Cour de permettre à deux juges de trancher une instance. En outre, il est établi que tous les appels et toutes les cours d’appel sont prévus par des lois. Les différentes lois qui constituent les cours d’appel et leur confèrent des pouvoirs particuliers circonscrivent leur compétence. Les décisions de cours d’appel provinciales qui tirent leur juridiction de lois qui ne concernent pas le système judiciaire fédéral ne sont d’aucune utilité pour l’affaire dont nous sommes saisis.

[17]           La compétence de la Cour en ce qui concerne les questions élémentaires relatives à la procédure et à ses pouvoirs est floue. Cette plénitude de compétence existe parallèlement aux pouvoirs explicites et implicites que lui confèrent des lois (voir notamment Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, par. 35 à 38; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50, par. 35 et 36; Mazhero c. Fox, 2014 CAF 226, par. 9). Il ne faut pas déduire de l’analyse qui précède que la discussion sur la faculté de la Cour pour connaître d’une telle requête en vertu de sa plénitude de compétence est close. En particulier, je n’émets aucun commentaire sur les circonstances exceptionnelles où un jugement doit être modifié en vertu de l’article 397, que la formation initiale a un empêchement, que la Cour doit agir de toute urgence et que l’ordre privé ou public doit être maintenu.

C.                Le bien-fondé de la requête

[18]           L’alinéa 399(2)(a) ne s’applique pas dans la présente instance. Cette disposition permet la modification, entre autres, lorsque des faits nouveaux pertinents, qui n’auraient pu être traités au cours de l’audience d’appel, sont découverts après que l’ordonnance a été rendue.

[19]           En l’espèce, la situation était prévisible et aurait pu être traitée dans le cadre de l’appel. Pfizer a signifié un avis d’appel après avoir payé les dommages-intérêts à Teva. Dans son avis d’appel, Pfizer aurait pu demander expressément que Teva lui remette ce paiement avec intérêts si elle avait gain de cause. Pfizer ne l’a pas fait.

[20]           De même, le recours prévu à l’alinéa 397(1)(b) est impossible. Cette disposition prévoit uniquement le cas d’une « question qui aurait dû être traitée » et « a été oubliée ou omise involontairement » dans le jugement de la Cour. Le paiement par Pfizer des dommages-intérêts accordés à Teva n’a pas été soulevé dans l’avis d’appel, et aucun recours n’y était mentionné. En conséquence, rien dans l’avis d’appel n’a été « oublié ou omis involontairement » dans le jugement de notre Cour.

[21]           Il n’y a qu’une phrase ou deux à la fin du mémoire des faits et du droit soumis par Pfizer dans l’appel faisant allusion à un remboursement sans en préciser le montant. Toutefois, aucun élément de preuve n’a été soumis à la Cour à ce sujet et, en conséquence, celle-ci ne peut trancher. Quoi qu’il en soit, une brève mention vague dans un mémoire ne peut remplacer dans un avis d’appel une demande expresse en règle à l’égard d’un recours précis. L’avis d’appel de Pfizer ne contient rien de tel.

[22]           L’avis définit la portée de l’appel, fixe les paramètres des débats et enclenche l’instance. À défaut d’une demande formelle expresse visant un recours précis, la Cour ne peut en être saisie. Jusqu’au moment du jugement, Pfizer aurait pu demander l’autorisation de modifier l’avis d’appel de manière à y ajouter un recours et à produire de nouveaux éléments de preuve, à savoir les paiements effectués conformément au jugement rendu par la Cour fédérale. Pfizer ne l’a pas fait. Maintenant que le jugement a été rendu, il n’est pas possible d’élargir rétroactivement la portée de l’appel et de modifier le jugement.

D.                Quels recours s’offrent à Pfizer?

[23]           Pfizer peut déposer une requête en vue d’obtenir le recouvrement des fonds retenus à tort et toute autre réparation justifiée par les actes de Teva. Si le temps presse, Pfizer peut soumettre une requête en jugement sommaire et instruction accélérée. Cependant, dans les présentes circonstances, il existe une autre option. Notre Cour a renvoyé l’affaire à la Cour fédérale, qui décidera si Pfizer doit payer des dommages-intérêts à Teva et fixera, le cas échéant, le montant de ceux-ci. Dans un tel cas, les dommages-intérêts doivent être accordés en guise de compensation pour les dommages subis par Teva. Pour reprendre le libellé des motifs de notre Cour dans l’arrêt 2016 CAF 161, au paragraphe 47, Teva « doit être indemnisé[e] ni plus et ni moins ». Partant de ce principe, la Cour fédérale sera obligée de prendre en considération tout paiement que Teva pourrait avoir reçu sans y avoir droit. Pour cette raison, elle voudra entendre les observations quant aux intérêts que Teva devrait verser à Pfizer pour la période au cours de laquelle elle a conservé à tort le paiement de Pfizer.

[24]           Lorsque la Cour fédérale aura tranché cette question, son jugement rendra compte, sur le plan juridique, de l’état des faits, tels qu’ils auraient dû exister dès le départ. Selon la décision que rendra la Cour, il se pourrait que Teva ait toujours droit aux dommages-intérêts. Si c’est le cas, en appliquant le principe de la compensation, la Cour fédérale pourrait conclure que le fait que Teva a retenu le paiement des dommages-intérêts versé par Pfizer ne porte pas à conséquence.

E.                 Dispositif proposé

Dans ces circonstances inhabituelles, je rejetterais la requête, mais ne prononcerais aucune ordonnance quant aux dépens. Or, comme il est mentionné plus haut, Teva aurait pu se
comporter différemment, les deux parties auraient pu s’entendre il y a longtemps pour déterminer la manière de donner suite à des jugements rendus dans l’attente de décisions, notamment sur l’appel. Cette requête aurait pu être évitée.

« David Stratas »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-422-14

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

PFIZER CANADA INC. c. TEVA CANADA LIMITÉE

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

Y A SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

N’A PAS PARTICIPÉ À L’ORDONNANCE :

LE JUGE RYER

DATE DES MOTIFS :

Le 2 septembre 2016

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Peter Wilcox

Jason Markwell

Benjamin Reingold

Stefanie Di Giandomenico

 

Pour la PARTIE REQUÉRANTE, PFIZER CANADA INC.

 

David W. Aitken

Marcus Klee

 

Pour l’intimée

TEVA CANADA LIMITÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belmore Neidrauer LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour la PARTIE REQUÉRANTE, PFIZER CANADA INC.

 

Aitken Klee LLP

Ottawa (Ontario)

Pour l’intimée

TEVA CANADA LIMITÉE

 

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