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Date : 20160915


Dossier : A-404-15

Référence : 2016 CAF 230

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

TEVA CANADA LIMITÉE

appelante

et

NOVARTIS PHARMACEUTIQUES CANADA INC., NOVARTIS AG et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 septembre 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 


Date : 20160915


Dossier : A-404-15

Référence : 2016 CAF 230

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

TEVA CANADA LIMITÉE

appelante

et

NOVARTIS PHARMACEUTIQUES CANADA INC., NOVARTIS AG et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               Pour les motifs dont la référence est 2015 CF 770, la Cour fédérale a rendu un jugement interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Teva Canada Limitée relativement à une version générique du produit breveté de Novartis Pharmaceutiques Canada inc. appelé EXJADE. La Cour fédérale a conclu que les allégations de Teva d'absence d'utilité, d'évidence et d'insuffisance de la divulgation n'étaient pas justifiées. Dans le présent appel du jugement de la Cour fédérale, Teva met uniquement en cause la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle l'allégation d'absence d'utilité qu'elle a avancée n'était pas justifiée.

[2]               À mon avis — et Teva est d'accord — le présent appel porte sur une seule question : la Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur de droit dans son interprétation de la promesse du brevet en cause?

[3]               Au paragraphe 34 de ses motifs, la Cour fédérale énonce les principes de droit se rapportant à l'exigence d'utilité :

J'estime que cette interprétation est étayée par des principes bien établis en droit des brevets. D'une manière générale, l'exigence d'utilité renvoie à un critère assez souple, à moins que les inventeurs promettent explicitement un résultat, surtout lorsque l'utilité est énoncée dans les revendications plutôt que dans la divulgation. La promesse explicite qui figure dans la divulgation peut se rapporter à toutes les revendications, mais en même temps, il peut être opportun de distinguer la promesse des revendications concernant les composés, d'une part, et celle des revendications concernant les usages, de l'autre (Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2014 CAF 250, aux paragraphes 64, 65, 71, 77, 87 et 88).

[4]               Teva reconnaît que la Cour fédérale n'a commis aucune erreur dans cet énoncé des principes pertinents. Cependant, Teva soutient que la Cour fédérale s'est trompée lors de l'application de ces principes aux éléments de preuve qui lui avaient été présentés.

[5]               Le passage clé de la divulgation du brevet est le suivant :

[TRADUCTION]

Il est maintenant établi que certains 3,5‑diphényl‑1,2,4-triazoles substitués possèdent des propriétés pharmaceutiques avantageuses lorsqu'ils sont utilisés dans le traitement de troubles entraînant un excès de métaux chez l'homme ou l'animal ou causés par celui‑ci, notamment une liaison notable aux ions métalliques trivalents, et à ceux du fer en particulier.

[6]               Teva soutient que :

                    i.                        cette phrase promet explicitement que les composés brevetés ont été testés chez l'homme et qu'ils se sont révélés non toxiques et utiles dans le traitement des troubles liés à un excès de fer chez l'homme du fait de leur capacité à se lier notablement au fer;

                  ii.                        cette promesse s'applique à toutes les revendications du brevet, y compris à celles qui visent les composés nouveaux, notamment les revendications 5 et 32 qui revendiquent le composé qui est le principe actif de l'EXJADE.

[7]               La Cour fédérale a rejeté ces allégations. Elle a conclu que « la personne versée dans l'art comprendrait la phrase clé du brevet [...] comme décrivant les propriétés désirables des composés de l'invention, à savoir leur faculté particulière à se lier au fer, leur solubilité et leur capacité à entraîner l'excrétion » (motifs, au paragraphe 22). Il s'agissait de la promesse du brevet selon l'interprétation de la Cour fédérale.

[8]               Au paragraphe 24 de ses motifs, la Cour fédérale explique le passage clé en ces termes :

Les [TRADUCTION] « propriétés pharmaceutiques avantageuses » mentionnées au début de la phrase sont précisées en fin de phrase : principalement une liaison notable aux métaux trivalents, et à ceux du fer en particulier. Les composés présentent donc des propriétés utiles dont la plus importante est une remarquable affinité pour le fer. Le milieu de la phrase explique en quoi ces propriétés sont avantageuses : [TRADUCTION] « ils s'avèrent avantageux lorsqu'ils sont utilisés dans le traitement de troubles caractérisés par un excès de fer ». Ce sont ces propriétés qui sont qualifiées d'avantageuses dans le traitement des troubles liés à une surcharge en fer; le brevet ne dit pas que les composés ont été utilisés à cette fin.

[9]               En l'espèce, Teva soutient que la Cour fédérale a commis une erreur dans son interprétation de la promesse du brevet :

                    i.                        en s'appuyant sur l'abrégé du brevet pour interpréter la promesse;

                  ii.                        en faisant une distinction entre la promesse faite relativement aux composés brevetés de la formule I et à ceux de la formule II;

                iii.                        en appliquant la règle de la différenciation des revendications.

[10]           Je reconnais que la Cour fédérale n'aurait pas dû s'appuyer sur l'abrégé lorsqu'elle a interprété la promesse du brevet (Apotex Inc. c. ADIR, 2009 CAF 222, aux paragraphes 104 et 105). Toutefois, je pense que cette erreur n'a pas eu d'effet déterminant sur la décision de la Cour fédérale. Avant de renvoyer à l'abrégé du brevet, la Cour avait, au paragraphe 24 de ses motifs, interprété le passage clé textuellement et contextuellement. La Cour fédérale avait également étayé son interprétation sur un passage subséquent du paragraphe contenant le passage clé qui traitait des tests effectués chez le rat et le singe, et non pas chez l'homme (motifs, au paragraphe 28). Il est également pertinent que ce paragraphe renvoie à un élément d'antériorité mentionnant la liaison au fer observée lors d'une étude in vitro (une étude qui n'a pas tenu compte de la toxicité).

[11]           Je rejette également la thèse voulant que la Cour fédérale ait commis une erreur en faisant une distinction entre les composés de la formule I et ceux de la formule II lorsqu'elle s'est penchée sur la promesse du brevet.

[12]           Le brevet fait expressément une distinction entre les deux classes de composés, tant dans les revendications que dans la divulgation. Les composés de la formule I sont décrits à partir du bas de la page 2 du brevet jusqu'au milieu de la page 10. Les composés de la formule II sont décrits aux pages 10 et suivantes du brevet. Les composés de la formule II sont un sous‑groupe des composés de la formule I.

[13]           Contrairement à ce qu'affirme Teva, la Cour fédérale était parfaitement au courant du fait que les composés de la formule II étaient un sous‑groupe des composés de la formule I (voir les motifs aux paragraphes 13 et 14).

[14]           On affirme que les composés de la formule II sont nouveaux. Selon le brevet, l'une des inventions vise ces nouveaux composés, qui sont décrits aux exemples présentés aux pages 18 à 31 du brevet.

[15]           Inversement, les composés de la formule I renferment certains composés qui avaient déjà été fabriqués. La nouveauté de ces composés réside dans leur usage et non dans les composés mêmes. Aux pages 3 et 6, le brevet indique, au sujet de ces composés, que l'invention se rapporte à l'usage des composés de la formule I :

[TRADUCTION]

[...] dans le traitement de troubles entraînant un excès de métal chez l'homme ou l'animal ou causés par celui-ci; de préférence sous forme de préparation pharmaceutiquement acceptable, en particulier dans une méthode pour le traitement thérapeutique de l'homme et une méthode de traitement de ce genre.

[16]           Le brevet comprend 43 revendications. Toutes ces revendications portent sur les 3,5‑diphényl‑1,2,4-triazoles substitués qui sont visés par la formule I ou la formule II. Certaines des revendications portent sur l'usage de ces composés (ou de leurs sels ou de préparations pharmaceutiques qui contiennent ces composés) pour le traitement de troubles qui causent un excès de fer chez l'homme ou l'animal, ou qui sont causés par un tel excès (voir, par exemple, la revendication 1). D'autres revendications traitent de l'usage de ces composés (ou de leurs sels) dans le traitement de l'excès de fer chez l'homme ou l'animal (voir, par exemple, la revendication 41). La revendication 43 porte sur un processus pour fabriquer les composés de la formule II.

[17]           Des revendications telles que les revendications 5 et 32 sont des revendications de composés (plutôt que des revendications d'usage). La revendication 5 porte sur tous les composés de la formule II et leurs sels. La revendication 32 porte sur le composé en cause dans la procédure en interdiction.

[18]           On peut constater, à la lecture du brevet, que toutes les déclarations concernant l'usage contenues dans la divulgation à partir du bas de la page 2 jusqu'à la page 10 traitent uniquement des composés de la formule I. La divulgation ne renferme aucune déclaration sur l'usage des composés de la formule II, sauf le passage clé précité au paragraphe 5.

[19]           Dans son témoignage, M. Baillie a souligné que le brevet fait une distinction entre les deux formules [TRADUCTION] « pour des raisons pratiques, les composés de la formule II étant tous de nouvelles structures », tandis que certains des composés de la formule I étaient précédemment connus (contre‑interrogatoire de M. Baillie, dossier d'appel, volume 12, onglet 104, page 2304). M. Baillie est un chimiste médical qui a témoigné pour le compte de Novartis.

[20]           La Cour fédérale s'est montrée vigilante et attentive au fait que les expressions « formule I » et « formule II » étaient employées comme moyen pratique d'étayer les revendications précises de la divulgation. Lorsque le titulaire du brevet voulait faire référence à tous les composés visés par les deux expressions, il les a décrits au moyen de l'expression [TRADUCTION] « certains 3,5‑diphényl‑1,2,4‑triazoles substitués » (par exemple dans le passage clé à la page 2 de la divulgation). Par conséquent, la Cour fédérale a conclu correctement que les autres passages sur lesquels s'appuyait Teva (aux pages 6 à 9 de la divulgation) n'étaient pas particulièrement utiles pour l'interprétation de la promesse relativement aux composés de la formule II aux revendications 5 et 32.

[21]           Un autre exemple de la distinction faite entre les deux classes de composés est le fait que les revendications 1 à 4 du brevet revendiquent l'usage des composés de la formule I pour le traitement d'un trouble, tandis que les revendications 40 à 42 revendiquent les composés de la formule II, ou leurs sels pharmaceutiquement acceptables, pour le traitement d'un excès de fer chez l'homme ou l'animal.

[22]           Peu importe les distinctions que le brevet fait entre les composés de la formule I et ceux de la formule II, Teva soutient que, parce que chaque composé de la formule II est un sous‑groupe des composés de la formule I, il n'y a aucune raison pour laquelle la promesse de l'utilité chez l'homme des composés de la formule I ne s'appliquerait pas aux composés de la formule II.

[23]           À mon avis, cette thèse ne tient pas compte du fait qu'en droit, différentes revendications peuvent faire valoir différentes utilités pour un même composé (voir, par exemple, l'arrêt Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2014 CAF 250 (Celebrex), et la décision Teva Canada Limitée c. Novartis AG, 2013 CF 141, [2013] 2 R.C.F. F‑5 (imatinib)).

[24]           Compte tenu de la manière dont le brevet fait une distinction entre les composés de la formule I et ceux de la formule II (notamment dans la divulgation et les revendications 1 et 5), les déclarations d'usage à partir du bas de la page 2 jusqu'à la page 10 de la divulgation ne peuvent porter que sur les revendications 1 à 4. Elles ne peuvent pas porter sur les composés nouveaux (revendications 5 à 37).

[25]           L'interprétation de la promesse du brevet faite par la Cour fédérale était conforme à la distinction faite dans la divulgation et les revendications. Elle est également conforme à l'utilité revendiquée par rapport aux antériorités décrites dans le brevet. L'interprétation de la Cour fédérale était correcte.

[26]           Avant de clore le sujet, il est pertinent de mentionner que selon le principe de la promesse du brevet, l'invention est soumise à une norme d'utilité élevée « uniquement lorsque cette promesse a été faite de façon claire et non ambiguë. Lorsque la validité d'un brevet est contestée au motif que la promesse n'a pas été respectée, le brevet sera interprété en faveur du titulaire du brevet lorsque la personne versée dans l'art pourrait raisonnablement comprendre que le brevet ne contient pas cette promesse » (Celebrex, au paragraphe 66).

[27]           Comme l'a conclu la Cour fédérale, la personne versée dans l'art pourrait conclure que le brevet exclut l'utilité plus grande qu'invoque Teva.

[28]           Je rejette également la thèse voulant que la Cour fédérale ait commis une erreur en ayant recours à la « différenciation des revendications » pour conclure que la promesse des composés nouveaux de la formule II différait de la promesse de l'usage des composés de la formule I. Pour les raisons qui précèdent, la Cour fédérale a eu raison de procéder par différenciation des revendications des composés et des usages.

[29]           Enfin, dans sa plaidoirie orale, Teva a soutenu que la Cour fédérale avait commis une erreur lorsqu'elle a décidé qu'une personne versée dans l'art pouvait être un médecin, mais ne l'était pas nécessairement (motifs, au paragraphe 21). Cette question n'a pas été soulevée dans le mémoire des faits et du droit de Teva. Quoi qu'il en soit, j'estime que la conclusion de la Cour fédérale relativement aux caractéristiques de la personne versée dans l'art était étayée par la preuve.

[30]           Ayant établi que l'utilité invoquée dans le brevet réside dans la capacité des composés d'effectuer une liaison notable avec le fer et dans leur solubilité suffisante pour entraîner l'excrétion du fer, la Cour fédérale a conclu que l'utilité en question avait été clairement démontrée ou prédite de façon valable à la date de dépôt du brevet (motifs, au paragraphe 40). Il s'ensuit que l'allégation d'absence d'utilité de Teva n'est pas justifiée.

[31]           Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

D. G. Near, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-404-15

 

 

INTITULÉ :

TEVA CANADA LIMITÉE c. NOVARTIS PHARMACEUTIQUES CANADA INC., NOVARTIS AG ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 7 septembre 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Jonathan Stainsby

Scott Beeser

 

Pour l'appelante

 

Anthony G. Creber

Alex Gloor

 

Pour les intimés

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aitken Klee LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'appelante

 

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour les intimées

NOVARTIS PHARMACEUTIQUES CANADA INC. ET NOVARTIS AG

 

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