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Date : 20161110


Dossier : A-457-15

Référence : 2016 CAF 275

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

ABORIGINAL VOICES RADIO INC.

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 8 novembre 2016.

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 10 novembre 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 


Date : 20161110


Dossier : A-457-15

Référence : 2016 CAF 275

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

ABORIGINAL VOICES RADIO INC.

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               Dans la décision de radiodiffusion CRTC 2015‑282, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) a révoqué les licences de radiodiffusion des stations de radio autochtone de type B détenues par Aboriginal Voices Radio Inc. (AVR) —CKAV‑FM Toronto, CKAV‑FM‑2 Vancouver, CKAV‑FM‑3 Calgary, CKAV‑FM‑4 Edmonton et CKAV‑FM‑9 Ottawa. La Cour est saisie de l’appel de la décision du CRTC, par suite de son ordonnance du 21 août 2015 accordant l’autorisation d’interjeter appel de la décision.

[2]               L’ordonnance rendue le 16 août 2016 fixait au 8 novembre 2016 la date de l’audition de l’appel. L’ordonnance du 3 octobre 2016 accordait à l’avocat d’AVR l’autorisation de cesser d’occuper. Le 4 novembre 2016, le président d’AVR a demandé par écrit à la Cour un ajournement de l’audience. Il a indiqué dans sa lettre qu’AVR se retrouvait sans représentation du fait de son [traduction] « incapacité à payer entièrement les honoraires qui sont dus ». Il a demandé l’ajournement au motif qu’AVR [traduction] « mène actuellement une campagne de financement pour payer ses honoraires d’avocat et qu’il lui faut un peu plus de temps pour pouvoir atteindre son objectif ».

[3]               Au début de l’audience le 8 novembre 2016, le président d’AVR a présenté des observations orales à l’appui de sa demande d’ajournement. Le procureur général s’est opposé à cette demande et a déposé une preuve par affidavit. Après avoir entendu l’avocat du procureur général et le président d’AVR en réponse, la Cour a brièvement mis l’affaire en délibéré. Elle a examiné la demande d’ajournement, puis a informé les parties qu’elle refusait d’accorder l’ajournement et qu’elle rendrait à une date ultérieure les motifs de sa décision, qui sont présentés ci-après.

[4]               Premièrement, il ressort de la jurisprudence que, dans les cas où la date d’audience est fixée, les parties n’obtiennent un ajournement que dans des circonstances exceptionnelles.

[5]               Deuxièmement, AVR n’a pas précisé la durée de l’ajournement demandé puisqu’elle mène, pour payer ses honoraires d’avocat, une campagne de financement dont elle n’a pas précisé la nature. Voilà qui est source de grande préoccupation, étant donné que le CRTC, dans la décision faisant l’objet de l’appel, a souligné que la viabilité financière d’AVR l’a toujours préoccupé (motifs, paragraphe 63) et a conclu que le nouveau plan d’affaires présenté par AVR « ne comprend pas le type ou le niveau de détails pouvant convaincre le Conseil de sa viabilité » (motifs, paragraphe 67).

[6]               Plus important encore, dans la décision faisant l’objet de l’appel, le CRTC a souligné qu’« il existe un besoin urgent de desservir la communauté autochtone dans son ensemble étant donné que des questions d’importance vitale aux canadiens (sic) autochtones ne font pas l’objet d’une couverture complète ou ne sont pas traitées du tout dans les médias non autochtones ». Ainsi, le CRTC a indiqué qu’à titre prioritaire, il entendait « publier un appel de demandes et tenir une audience afin d’attribuer des licences à des nouveaux services qui serviraient à l’atteinte de ce mandat » (motifs, paragraphe 86).

[7]               Par la suite, notre Cour a sursis à la décision du CRTC de révoquer les licences, précisant dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 21 août 2015 que les parties devaient respecter rigoureusement les délais prévus dans les Règles des Cours fédérales.

[8]               AVR ne conteste pas les éléments de preuve suivants déposés par le procureur général :

i.                     Les stations de radio d’AVR d’Ottawa, de Calgary et d’Edmonton ne diffusent pas actuellement.

ii.                   La station d’AVR de Toronto est en service, mais celle de Vancouver n’est active que par intermittence.

iii.                  Tout en prenant acte de l’ordonnance de la Cour de surseoir à sa décision, le CRTC a publié un appel de demandes de services.

iv.                 Le CRTC a reçu de cinq organismes douze propositions portant sur l’exploitation de stations de radio desservant les communautés autochtones de Vancouver, de Calgary, d’Edmonton, de Toronto et d’Ottawa.

v.                   Ces propositions ne seront pas examinées avant que la Cour ait rendu une décision définitive en l’espèce.

[9]               En conséquence, la Cour a conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt de la justice d’accorder l’ajournement demandé.

[10]           La Cour a informé les parties de son refus d’accorder l’ajournement et a offert à AVR deux possibilités : présenter des observations orales ou accepter que le présent appel soit décidé sur le fondement des mémoires des faits et du droit déposés par les avocats des parties. AVR a opté pour la seconde.

[11]           Par conséquent, je statuerai sur le fond du présent appel en fonction de la preuve écrite.

[12]           Dans le cas qui nous occupe, AVR soutient que le CRTC a commis un certain nombre d’erreurs. Je ne suis pas de cet avis pour les motifs qui suivent.

[13]           Tout d’abord, contrairement aux prétentions d’AVR, le CRTC a fait un examen suffisant de l’incidence sur AVR de sa politique en matière de radiotélédiffusion autochtone. En effet, au paragraphe 58 de ses motifs, le CRTC a pris acte de l’argument du titulaire fondé sur les « contraintes associées au fait d’exploiter une société sans but lucratif en vertu de la politique en matière de radiotélédiffusion autochtone ». Toutefois, il l’a rejeté, soulignant qu’AVR « ne consacrait pas de sommes suffisantes à des éléments aussi fondamentaux que la programmation, les ventes et le marketing » :

59.       Le titulaire a donné des explications similaires lors de chacune des trois dernières audiences de renouvellement. Lors de la dernière audience de renouvellement, le Conseil a expressément déclaré qu’il était préoccupé du fait qu’AVR ne consacrait pas de sommes suffisantes à des éléments aussi fondamentaux que la programmation, les ventes et le marketing. Il a ajouté qu’il estimait que si AVR voulait vaincre ses difficultés financières, il devait absolument répartir ses ressources limitées de façon efficace.

60.       Nonobstant ces avertissements mentionnés ci-dessus, au cours de la période de licence actuelle, AVR a mis à pied presque tout son personnel affecté aux ventes et à la programmation en 2014. Il ne reste que cinq employés, dont quatre sont des dirigeants. De son propre aveu, ces employés sont davantage préoccupés par les grandes questions de viabilité financière que par les questions de conformité réglementaire. Par exemple, en expliquant comment AVR pouvait ne pas savoir que ses stations de Calgary et d’Edmonton avaient cessé de diffuser, le titulaire a répondu ce qui suit : [traduction] « Vous savez, nous ne nous occupions pas nécessairement de surveiller la station tous les jours; nous n’avions pas de personnel pour le faire et nous tentions plutôt de relancer les activités d’AVR ».

[14]           En outre, le CRTC n’avait pas à se pencher davantage sur cet argument parce que, durant l’audience, AVR a retiré sa demande d’exemption de l’application de la politique en matière de radiotélédiffusion autochtone. AVR a précisé au CRTC que son plan d’affaires ne dépendait pas de l’obtention d’une telle exemption (voir le paragraphe 93 de la transcription de l’audience du CRTC).

[15]           Par ailleurs, AVR a fait valoir que le CRTC n’a pas examiné convenablement la proposition de plan d’affaires qu’elle a présentée.

[16]           Cette prétention est sans fondement. Au paragraphe 15 de sa décision, le CRTC a souligné qu’au début de l’audience, il avait indiqué son intention de tenir compte, entre autres choses, de « la viabilité du plan d’affaires d’AVR ». Plus loin, aux paragraphes 66 à 68 et 73, le CRTC s’est exprimé en ces termes :

66.       Ce n’est qu’à la fin de la journée du 8 mai 2015, soit cinq jours avant l’audience, qu’AVR a fourni des détails sur ses stratégies en vue d’accroître ses revenus si ses licences étaient renouvelées. Le plan d’affaires prévoit que le financement des activités d’AVR proviendra des revenus de publicité. L’augmentation nécessaire des revenus de publicité se base sur une augmentation de l’écoute, laquelle sera possible, selon le titulaire, grâce à la mise en place de deux stratégies en vue d’améliorer sa position dans les marchés radiophoniques qu’il dessert, soit une nouvelle formule de musique contemporaine légère pour adultes et l’offre [traduction] « d’un contenu orienté vers les annonceurs, c’est-à-dire un contenu qui a ses propres mérites à titre de contenu attrayant et sert aussi les besoins des clients en matière de marketing ».

67.       Bien que ce plan soit approuvé par un groupe de consultation possédant une vaste expérience, il ne comprend pas le type ou le niveau de détails pouvant convaincre le Conseil de sa viabilité. Plus précisément, le Conseil conclut que les projections financières indiquées dans le plan d’affaires déposé par AVR sont intenables compte tenu du rendement financier de ce dernier jusqu’à présent. En outre, la croissance projetée des revenus dépend d’une augmentation de l’écoute, mais cette augmentation prévue n’est soutenue par aucune étude de marché ou preuve quantitative convaincante.

68.       Cependant, encore plus important, le plan ne demeure qu’un plan. À l’audience, AVR a parlé des types d’annonceurs qu’il prévoyait solliciter et des messages publicitaires (surtout du contenu orienté vers les annonceurs) qu’il entendait diffuser. Cependant, AVR a été incapable de donner des exemples concrets d’annonceurs qui avaient accepté d’acheter du temps d’antenne de ses stations. En réalité, AVR a déclaré qu’il n’avait pas encore mis au point ses présentations aux annonceurs en raison de l’incertitude entourant le renouvellement de ses licences. Dans sa description de son plan d’affaires, AVR n’a cessé d’utiliser des expressions comme « en développement », « en train d’être mis en place », « relativement nouveau » ou « en préparation ».

[…]

73.       En outre, l’attitude d’AVR pendant le processus de renouvellement n’a pas réussi à convaincre le Conseil que le titulaire comprend ou peut remplir son mandat à titre de station de radio autochtone de type B devant desservir les communautés autochtones des marchés urbains. Par exemple, le plan d’affaires de Bray propose de supprimer le mot « autochtone » de la marque de commerce des stations et d’adopter une formule de musique contemporaine légère pour adultes visant un auditoire surtout féminin axé sur les 35-64 ans. Bien qu’AVR ait allégué que cette formule convenait bien à la musique autochtone et aux émissions culturelles qu’il diffuse, il est clair que l’auditoire qu’il entend viser est celui des femmes et non celui des Autochtones.

[17]           En outre, selon AVR, le CRTC a tenu compte d’un facteur non pertinent pour rendre sa décision : l’interprétation que fait le CRTC de ce qui constitue une programmation qui concerne « directement et en particulier la communauté autochtone ».

[18]           Je ne puis me rallier à ce point de vue non plus. Au paragraphe 42 de sa décision, le CRTC a fait référence au témoignage d’un représentant de la Canadian Association of Aboriginal Broadcasters (CAAB) concernant ce qui constitue un contenu [traduction] « qui concerne directement et en particulier » les communautés autochtones en milieu urbain. Ce témoignage est conforme à la demande de licence d’AVR concernant sa station d’Edmonton, dans laquelle on indique que « [l]es nouvelles choisies mettront l’accent sur les événements qui ont une incidence sur les communautés autochtones canadiennes en milieu urbain qui ont été ignorées ou insuffisamment signalées par d’autres sources de nouvelles ». Le CRTC laisse entendre dans ses motifs qu’il retient ce témoignage.

[19]           Quoi qu’il en soit, au paragraphe 43 de ses motifs, le CRTC a souligné que, même si on acceptait la position d’AVR au sujet de ce qui constitue une nouvelle qui concerne directement et en particulier la communauté autochtone, AVR n’a pas diffusé cinq nouvelles locales distinctes le 29 mai 2014, comme l’exigeait une condition de sa licence. Au bout du compte, le CRTC n’était pas convaincu qu’AVR avait prouvé qu’elle offrait un point de vue distinctement autochtone et diffusait des nouvelles qui concernaient directement et en particulier les Autochtones canadiens (motifs, paragraphe 44).

[20]           AVR avance également que le CRTC a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne répondant pas aux attentes légitimes d’AVR, qui croyait que le CRTC appliquerait des mesures réglementaires progressivement plus sévères, comme le veut sa pratique. Toutefois, la théorie de l’attente légitime a trait aux garanties procédurales dans la prise de décisions administratives. Elle n’offre pas une réparation substantielle.

[21]           L’alinéa 9(1)e) de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, accorde au CRTC le vaste pouvoir de « suspendre ou [de] révoquer toute licence ». La théorie de l’attente légitime ne peut avoir pour effet d’entraver ou de restreindre le pouvoir du CRTC de révoquer une licence.

[22]           Enfin, AVR a fait valoir que le CRTC n’a pas bien étayé sa décision de révoquer les cinq licences. Je rejette cette prétention également. S’agissant des stations de radio exploitées par AVR, le CRTC a conclu à la non-conformité de chacune avec les conditions de licence suivantes :

i.                     l’obligation de déposer les registres des émissions et les rubans-témoins, que prévoient les paragraphes 8(4) et 8(6) du Règlement de 1986 sur la radio (le Règlement) (motifs, paragraphes 22 à 26);

ii.                   l’obligation de déposer les rapports annuels, que prévoit le paragraphe 9(2) du Règlement (motifs, paragraphes 27 à 30);

iii.                  l’obligation de répondre aux demandes de renseignements du CRTC relatives au respect par AVR des conditions de sa licence, de la Loi sur la radiodiffusion et du Règlement, que prévoit l’alinéa 9(4)b) du Règlement (motifs, paragraphes 31 à 35);

iv.                 l’obligation de déposer des rapports annuels faisant état des progrès réalisés par AVR relativement à ses objectifs d’affaires pour chaque marché, comme l’exige la condition de licence 9 (motifs, paragraphes 46 à 50);

v.                   l’obligation de déposer les états financiers vérifiés pour chacune des cinq stations de radio exploitées par AVR, comme l’exige la condition de licence 10 (motifs, paragraphes 51 à 57).

[23]           Par conséquent, je rejetterais l’appel, avec dépens.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

« Judith M. Woods, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Andrée Morin, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-457-15

 

 

INTITULÉ :

ABORIGINAL VOICES RADIO INC. c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 novembre 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

DATE DES MOTIFS :

Le 10 NOVEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Me Wil Campbell

 

Pour l’appelante

 

Me Sean Gaudet

Me Jon Bricker

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimé

 

 

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