Date : 20161125
Dossiers : A-372-16, A-370-16, A-371-16, A-373-16,
A-374-16, A-375-16, A-376-16, A-377-16, A-378-16, A-379-16,
A-380-16, A-381-16, A-382-16, A-383-16, A-384-16, A-385-16
Référence : 2016 CAF 299
CORAM : |
LE JUGE EN CHEF NOËL LA JUGE TRUDEL LE JUGE SCOTT |
ENTRE : |
LINE DUROCHER (2011-1393(IT)G) XAVIER VALLERAND (2011-1274(IT)G) MARIE-PIER BLONDEAU (2011-1358(IT)G) OLIVIER RINGUET (2011-1365(IT)G) GENEVIÈVE LAGARDE (2011-1352(IT)G) LOIK VALLERAND (2011-1272(IT)G) MARISOL RINGUET (2011-1357(IT)G) FRANCINE BUSSIÈRES (2011-1360(IT)G) G.MARIUS BÉRUBÉ (2011-1284(IT)G) CATHERINE SANSOUCY (2011-1314(IT)G) CLAUDINE LAGARDE (2011-1349(IT)G) NATHALIE MONETTE (2011-1356(IT)G) AISHA BLONDEAU (2011-1305(IT)G) FRANCIS S. LABONTÉ (2011-1351(IT)G) VINCENT LAGARDE (2011-1363(IT)G) ÉLISE LAGARDE (2011-1350(IT)G)
|
appelants |
et |
SA MAJESTÉ LA REINE |
intimée |
Audience tenue à Montréal (Québec), le 27 octobre 2016.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2016.
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE EN CHEF NOËL |
Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE TRUDEL LE JUGE SCOTT |
Date : 20161125
Dossiers : A-372-16, A-370-16, A-371-16, A-373-16,
A-374-16, A-375-16, A-376-16, A-377-16, A-378-16, A-379-16,
A-380-16, A-381-16, A-382-16, A-383-16, A-384-16, A-385-16
Référence : 2016 CAF 299
CORAM : |
LE JUGE EN CHEF NOËL LA JUGE TRUDEL LE JUGE SCOTT |
ENTRE : |
LINE DUROCHER (2011-1393(IT)G) XAVIER VALLERAND (2011-1274(IT)G) MARIE-PIER BLONDEAU (2011-1358(IT)G) OLIVIER RINGUET (2011-1365(IT)G) GENEVIÈVE LAGARDE (2011-1352(IT)G) LOIK VALLERAND (2011-1272(IT)G) MARISOL RINGUET (2011-1357(IT)G) FRANCINE BUSSIÈRES (2011-1360(IT)G) G.MARIUS BÉRUBÉ (2011-1284(IT)G) CATHERINE SANSOUCY (2011-1314(IT)G) CLAUDINE LAGARDE (2011-1349(IT)G) NATHALIE MONETTE (2011-1356(IT)G) AISHA BLONDEAU (2011-1305(IT)G) FRANCIS S. LABONTÉ (2011-1351(IT)G) VINCENT LAGARDE (2011-1363(IT)G) ÉLISE LAGARDE (2011-1350(IT)G)
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appelants |
et |
SA MAJESTÉ LA REINE |
intimée |
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE EN CHEF NOËL
[1] Il s’agit de seize appels dirigés à l’encontre de jugements rendus par le juge de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la CCI) confirmant selon un seul jeu de motifs seize avis de cotisations émis à l’encontre des appelants (Durocher c. la Reine, 2015 CCI 297). Ces cotisations ont pour effet de refuser aux appelants la déduction pour gains en capital prévue par le paragraphe 110.6 (2.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (la LIR). Les années d’imposition en cause se situent entre 2006 et 2008, et varient d’un appelant à l’autre.
[2] Les appels ont été consolidés par ordonnance rendue le 19 octobre 2016 telle que modifiée en date du 23 novembre 2016, le dossier de Line Durocher (A-372-16) étant désigné dossier principal. Conformément à cette ordonnance, les présents motifs disposent des seize appels. La version originale sera déposée dans le dossier principal et une copie sera déposée dans chacun des dossiers connexes pour y valoir comme motifs du jugement.
[3] Au soutien de leurs appels, les appelants prétendent que l’option d’achat qui est à l’origine du refus de la déduction qu’ils ont réclamée est frappée de nullité absolue et que le juge de la CCI a erré en droit en omettant de faire ce constat.
[4] Pour les motifs exposés ci-après, je suis d’avis que le juge de la CCI a, à bon droit, conclu que cette option n’était pas frappée de nullité et que les appels doivent par conséquent être rejetés.
[5] Les dispositions législatives pertinentes à l’analyse sont reproduites en annexe.
LES FAITS PERTINENTS
[6] Les détenteurs des actions du capital-actions de Gestion RJCG Inc. (RJCG) étaient au départ au nombre de neuf, mais suite à un transfert à des fiducies familiales au début du mois d’avril 2005, le nombre d’individus pour lesquels les fiducies détenaient ces actions est passé à seize.
[7] En avril 2006, les seize appelants ont réalisé un gain en capital imposable lors de la vente des actions du capital-actions de RJCG à l’égard duquel ils ont réclamé la déduction pour gains en capital prévue au paragraphe 110.6 (2.1) de la LIR.
[8] Ces déductions furent toutefois refusées par le Ministre du revenu National (le Ministre) au motif que RJCG n’était pas, tout au long de la période de 24 mois qui a précédé la vente, une « société privée sous contrôle canadien » au sens du paragraphe 125(7) de la LIR (Dossier d’appel, vol. 2, p. 308).
[9] Six sociétés différentes sont impliquées, directement ou indirectement, dans les transactions qui sous-tendent les présents appels (Motifs, paras. 7, 8, 27 et 29) :
a) Dale Parizeau L. M. Inc. (Dale Parizeau), société active dans le domaine du courtage d’assurances au Québec.
b) Gestion Lagarde Massicote Inc. (Gestion Lagarde), société qui détient la totalité des actions ordinaires et privilégiées de Dale Parizeau.
c) Gestion RJCG, société qui détenait, avant le 28 avril 2006, la totalité des actions ordinaires de Gestion Lagarde.
d) Aviva Canada Inc. (Aviva), anciennement CGU Group Canada Ltd. (CGU), société constituée sous des lois de l’Ontario, qui détient la totalité des actions privilégiées de Gestion Lagarde.
e) Aviva International Holdings Limited (Aviva International), société non résidente, qui est la compagnie mère d’Aviva.
f) 1695711 Ontario Inc. (1695711 Ontario) dont Aviva détient 20% du capital-actions et à laquelle furent vendues les actions du capital-actions de RJCG en date du 28 avril 2006.
[10] Une convention unanime d’actionnaires (CUA) signée par RCJG, Aviva, Gestion Lagarde et Dale Parizeau en date du 12 avril 2002 est au cœur de la présente affaire (Dossier d’appel, vol. 7, pp. 1071-1104).
[11] Au-delà de l’article 18.2 de la CUA, lequel assujettit cette convention aux lois du Québec, deux articles revêtent une importance particulière dans le contexte du présent litige. À l’article 6 de la CUA, les parties reconnaissaient qu’Aviva – anciennement CGU – s’était vue octroyer l’option d’acquérir 66.305% des actions de catégorie ordinaire « A » de Gestion Lagarde. On y prévoyait également que Gestion Lagarde émettrait le nombre d’actions suffisant pour permettre à Aviva d’acquérir ce pourcentage (Motifs, para. 13) :
6. OPTION DE CGU
Les parties reconnaissent que CGU s’est vue accorder l’option de souscrire et d’acquérir un certain nombre d’actions de catégorie « A » (les « actions visées par l’option »). L’émission de ces actions et leur ajout aux actions de catégorie « A » déjà émises et en circulation porteraient le pourcentage des actions visées par l’option d’achat à 66,305 % de la totalité des actions de catégorie « A » émises et en circulation (qui comprennent les actions visées par l’option), au prix d’un dollar l’action (1 $), conformément à une convention d’option reformulée et modifiée entre CGU et la Corporation le 12 avril 2002 (l’« option de CGU »). Les actionnaires doivent s'assurer que les personnes qu’ils ont respectivement nommées au conseil d’administration de la Corporation donnent effet à l’option de CGU, et que la Corporation émette le bon nombre d’actions à CGU lorsque celle-ci exercera son option.
[12] L’autre disposition d’intérêt est l’article 7.3 de la CUA. On y prévoyait qu’à compter du 1er mai 2005, Aviva aurait le droit d’exiger que RCJG lui vende les actions de catégorie « A » qu’elle détenait dans le capital-actions de Gestion Lagarde (Motifs, para. 13) :
7.3 Achat des actions de RJCG par CGU
CGU aura le droit d’exiger que RJCG lui vende ses actions, le 1er mai de l’année 2005 ou d’une année ultérieure, en totalité seulement et non en partie, après avoir donné un avis de six (6) mois à RJCG (l’avis peut être donné six mois avant le 1er mai 2005) et, en pareil cas, CGU achètera les actions en question à leur juste valeur, majorée d’un montant équivalent à ce qui suit : […] et RJCG sera tenue de vendre les actions en question au prix d’achat en question.
[13] À un moment quelconque précédant la date d’exercice, une somme de 400 000$ fut payée par Aviva pour obtenir le droit d’apporter certains amendements à la CUA. Ce montant qui devait être payé à Gestion Lagarde fut finalement versé à RJCG (Dossier d’appel, vol. 7, p. 1111).
[14] L’article 7.3 fut par la suite assujetti à plusieurs modifications (Motifs, paras. 15-27), ce qui a suscité de nombreux questionnements en cours d’instance, incluant celui à savoir si une lettre datée du 20 décembre 2005 avait eu pour effet de faire porter l’option d’Aviva sur les actions du capital-actions de RJCG comme le prétendait la Couronne, plutôt que sur celles de Gestion Lagarde comme le prétendaient les appelants (Motifs, para. 27). Le juge de la CCI a effectué son analyse en tenant pour acquis que les actions du capital-actions de Gestion Lagarde étaient celles qui étaient ciblées, sans cependant élucider cette question.
[15] Ce sont toutefois les actions du capital-actions de RJCG qui furent éventuellement vendues. En effet, le dossier révèle qu’Aviva a, en date du 28 avril 2006, cédé son option d’achat à 1695711 Ontario, société dont elle détenait 20% du capital-actions, et que le même jour, 1695711 Ontario a acquis les actions que détenaient les fiducies familiales dans le capital-actions de RJCG (Dossier d’appel, vol. 7, pp. 1200-1202 et 1209).
[16] En refusant la déduction réclamée, le Ministre a invoqué la disposition déterminative prévue à l’alinéa 251(5)b) de la LIR et tenu pour acquis que la lettre du 20 décembre 2005 avait eu pour effet d’accorder à Aviva le droit d’acquérir les actions du capital-actions de RJCG, conférant ainsi le contrôle de RJCG à Aviva. Aviva était à son tour contrôlée par Aviva International, société non-résidente. Dès lors, RJCG cessait de répondre à l’exigence selon laquelle elle devait avoir été une « société privée dont le contrôle est canadien » pendant les 24 mois précédant la vente (voir l’alinéa 110.6(1)c) et le paragraphe 125(7) de la LIR).
LA DÉCISION DU JUGE DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT
[17] Le juge de la CCI s’est d’abord penché sur l’argument selon lequel le Ministre ne pouvait s’en remettre à l’option d’achat prévue par la CUA pour refuser la déduction réclamée puisque cette option était frappée de nullité absolue (Motifs, para. 33). Après avoir indiqué qu’une réponse favorable aux appelants sur cette question mettrait fin au litige, le juge de la CCI y a consacré la majeure partie de son analyse (Motifs, paras. 35-69).
[18] Selon les appelants, l’article 6 de la CUA, qui confère à Aviva l’option d’acquérir les actions de Gestion Lagarde, et l’article 7.3 de la CUA, qui confère à Aviva l’option d’acquérir les actions détenues par RJCG dans Gestion Lagarde, enfreignent l’article 148 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, L.R.Q. c. D-9.2 (LDPSF) puisqu’ils confèrent à Aviva plus de 20% du capital-actions de Dale Parizeau (Motifs, para. 47).
[19] Au soutien de cet argument, les appelants invoquent le sous-alinéa 251(5)b)(i) de la LIR lequel prévoit qu’à certaines fins, les options d’achat d’actions sont réputées avoir été exercées, de sorte que le détenteur d’une option d’achat d’actions est traité comme s’il était le propriétaire des actions sous option. Selon les appelants, l’article 148 de la LDPSF, et en particulier les mots « directement ou indirectement » qu’on y retrouve, font en sorte que le détenteur d’une option d’achat doit être traité de la même façon aux fins de cette loi.
[20] Il s’ensuit, selon les appelants, que l’option d’achat conférée par la CUA est contraire à la LDPSF puisqu’elle permettrait à Aviva, en tant qu’institution financière, de détenir plus de 20% du capital-actions de Dale Parizeau, qui elle répond à la définition de cabinet inscrit dans la discipline de l’assurance de dommages. Cette exigence étant d’ordre public, les articles 6 et 7.3 de la CUA seraient nuls et sans effet puisqu’ils permettent d’excéder ce seuil. Les articles 1413 et 1418 du Code civil du Québec, L.R.Q. c. C-1991 (C.c.Q.) sont invoqués au soutien de cette conclusion.
[21] D’entrée de jeu, le juge de la CCI a reconnu que c’est la Cour supérieure qui possède la compétence pour déclarer la nullité de l’option d’achat (Motifs, para. 45). Néanmoins, dans l’exercice de sa compétence pour statuer sur un appel d’une cotisation, la Cour canadienne de l’impôt (CCI) « doit tenir compte de la bonne foi des contrats, notamment de la validité d’un contrat et de l’ensemble de ses clauses » (Motifs, para. 46). Le juge de la CCI a donc procédé sur la base qu’il pouvait considérer la question entourant la nullité alléguée.
[22] Le juge de la CCI a toutefois rejeté l’argument des appelants jugeant qu’une disposition déterminative de la LIR ne peut avoir d’effet aux fins de l’application d’une autre loi (Motifs, paras. 51-52). Le fait pour Aviva d’être réputée, aux termes de l’alinéa 251(5)b), propriétaire des actions de Gestion Lagarde pour les fins du paragraphe 110.6(1) de la LIR ne signifie pas pour autant que cette fiction peut être transposée et appliquée aux fins de l’article 148 de la LDPSF (Ibidem).
[23] Le juge de la CCI a par ailleurs souligné le fait que tant et aussi longtemps que l’option n’était pas exercée, Aviva demeurait en mesure de s’assurer que l’acquisition envisagée s’effectuerait en respectant le seuil de 20% prévu à l’article 148 de la LDPSF. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit puisqu’Aviva, en cédant son option d’achat à 1695711 Ontario et en permettant que celle-ci acquière les actions du capital-actions de RJCG plutôt qu’elle, a respecté ce seuil (Motifs, para. 50).
[24] Le juge de la CCI a ajouté que même si la fiction créée par l’alinéa 251(5)b) de la LIR s’appliquait à la LDPSF, les articles 6 et 7.3 ne seraient pas pour autant frappés de nullité. En effet, non seulement la CUA prévoit-elle la dissociabilité de ses parties illégales à l’article 18.6 (Motifs, para. 53), mais le régime prévu par la LDPSF envisage déjà des sanctions autres que la nullité pour les sociétés qui enfreindraient ses dispositions (Motifs, para. 65).
[25] Le juge de la CCI s’est ensuite questionné sur l’effet des articles 6 et 7.3 de la CUA sur la déduction réclamée par les appelants. Il a effectué son analyse en passant outre à la position du Ministre selon laquelle la lettre du 20 décembre 2005 avait eu pour effet de faire porter l’option sur les actions du capital-actions de RJCG plutôt que sur celles du capital-actions de Gestion Lagarde, disqualifiant ainsi RJCG en tant que « société privée sous contrôle canadien ».
[26] En effet, il a de son propre chef soulevé l’hypothèse selon laquelle les appels étaient de toute façon voués à l’échec selon le critère des actifs et des activités prévu au paragraphe 110.6(1) de la LIR (Motifs, para. 71).
[27] Après avoir invité les parties à se faire entendre sur ce nouvel enjeu, et considéré leurs représentations écrites, le juge de la CCI a expliqué qu’aucune des exceptions à l’application de la disposition déterminative ne s’appliquait en l’instance (i.e.: voir l’alinéa 110.6(14)b)), et que l’alinéa 251(5)b) devait donc être appliqué avec toutes ses conséquences (Motifs, para. 76). L’une de ces conséquences étant que les actions de RJCG ne répondaient pas aux exigences de l’alinéa 110.6(1)c).
[28] Selon cette disposition, les actions devaient, pendant les 24 mois précédant la vente, être celles d’une société dont la juste valeur marchande des actifs était attribuable à des éléments utilisés principalement dans une entreprise exploitée activement et principalement au Canada; ou la société liée devait être une « société privée sous contrôle canadien » dont les actions répondaient par ailleurs au test des actifs (Motifs, paras. 81-83).
[29] Or, le juge de la CCI avait préalablement conclu que selon la preuve, RJCG et Gestion Lagarde n’étaient que des sociétés de gestion; que les actifs de RJCG étaient composés uniquement des actions du capital-actions de Gestion Lagarde; que les actifs de Gestion Lagarde étaient composés uniquement des actions du capital-actions de Dale Parizeau et que compte tenu de la disposition déterminative, Dale Parizeau avait cessé d’être une « société privée sous contrôle canadien » à compter de 2002, lorsque l’option d’achat fut initialement conférée (Motifs, paras. 73-74, 78-79 et 83).
LA POSITION DES PARTIES
[30] Au début de l’audition, l’avocat des appelants nous a informés que seul l’argument portant sur la nullité de l’option d’achat serait mis de l’avant au soutien des appels. Il a reconnu qu’à défaut de réussir sur ce point, les appels devaient être rejetés. Le sommaire des arguments se limite donc à ceux qui portent sur la nullité.
[31] L’avocat des appelants affirme d’abord que le juge de la CCI avait la compétence pour analyser la CUA et constater la nullité de l’option qu’elle conférait à Aviva, puisqu’il s’agit d’une question incidente aux avis de cotisations (Mémoire des appelants, paras. 25-26).
[32] Il ajoute que le juge de la CCI devait donner à la LDPSF une interprétation large et libérale, ce qu’il a omis de faire (Mémoire des appelants, paras. 41-42). Il cite à l’appui la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire les Souscripteurs de Lloyds c. Alimentation Denis et Mario Guillemette, 2012 QCCA 1376 [Souscripteurs Lloyds] où certaines dispositions contractuelles furent déclarées inopérantes puisque contraires à la LDPSF. La Cour d’appel, en tirant cette conclusion, a insisté sur le fait que la LDPSF est une loi d’intérêt public qui a pour objectif la protection du consommateur (Souscripteurs Lloyds, para. 82).
[33] L’avocat des appelants s’en remet aussi à la décision de la Cour supérieure dans l’affaire Formule Pontiac Buick GMC Inc. c. Bureau des Services financiers, 2004 CanLII 7239 [Formule Pontiac] où le mot « rémunération » tel qu’il apparaît à l’article 431 de la LDPSF fut interprété de façon à inclure le concept de dividende (Formule Pontiac, paras. 68-69) :
[68] Le Tribunal a bien compris l’argumentation du procureur de la demanderesse en mentionnant qu’il ne s’agissait pas d’une rémunération, mais d’un dividende ou d’une autre manière d’être payé. Si on prend l’interprétation littérale, le procureur de la demanderesse a peut-être raison. Mais ce n’est pas cette interprétation que le Tribunal doit utiliser pour vérifier l’observation ou l’inobservance de la loi. Le Tribunal doit vérifier la finalité de la loi, s’il n’y a pas d’ambiguïté. Le texte est clair, le législateur veut protéger le consommateur et il veut que celui-ci soit informé du coût de son produit lorsqu’il est vendu par une personne qui n’est pas accréditée.
[69] La demanderesse essaie, par une interprétation littérale, en se servant d’une structure corporative distincte de contourner la loi. Le Tribunal ne peut suivre la demanderesse dans ce cheminement.
[34] La Cour supérieure a donné effet à l’intention du législateur en ces termes (Formule Pontiac, paras. 75-76) :
[75] En effet, la loi veut empêcher que quelqu’un reçoive une rémunération plus importante que 30% sans le divulguer au consommateur. De l’aveu même de la demanderesse à son paragraphe 94, celle-ci a organisé ses affaires pour ne pas qu’elle reçoive plus de 30%, en utilisant comme dit précédemment une interprétation littérale de l’article. Le Tribunal en vient à la conclusion qu’il faut interpréter de façon à ce que la finalité de la loi atteigne son but. Et cette finalité de la loi n’est pas respectée par la structure financière élaborée par la partie demanderesse.
[76] En conclusion, la demanderesse n’a pas le droit d’agir comme elle agit. Elle ne respecte pas l’article 431 de la Loi 188. Les montants d’argent qu’elle reçoit à titre de rémunération ou de dividende ou autrement, sont supérieurs au 30% permis par l’article 431. En effet, il faut interpréter cet article afin qu’il puisse rencontrer tout la finalité que le législateur a voulu lui donner, soit la protection du consommateur.
[35] L’avocat des appelants soutient que l’article 148 de la LDPSF doit être interprété de la même façon. Selon lui, les mots « détenus, directement ou indirectement » doivent être lus de façon large et libérale de façon à inclure « les options obtenues par des contribuables qui ont beaucoup d’argent et qui peuvent payer des sommes considérables pour modifier ces options au moment opportun […] » (Mémoire des appelants, para. 50).
[36] Il ajoute que, contrairement à ce qu’affirme le juge de la CCI, le fait qu’un manquement aux exigences de l’article 148 de la LDPSF puisse donner lieu à l’imposition de pénalités n’empêche pas pour autant une cour de se prononcer sur des questions liées à l’ordre public (Mémoire des appelants, para. 52 citant Formule Pontiac et Souscripteurs de Lloyds), et en l’occurrence, conclure que les articles 6 et 7.3 sont frappés de nullité absolue.
[37] Bien que la Couronne se range derrière la décision du juge de la CCI rejetant l’argument des appelants basé sur la nullité, elle affirme que seule la Cour supérieure était en droit de déclarer la nullité de l’option d’achat (Mémoire de la Couronne, para. 41, note 38). La Couronne ajoute qu’en l’absence d’une telle déclaration, les appelants ne pouvaient invoquer la nullité des articles 6 et 7.3 de la CUA (Ibidem).
[38] Quoi qu’il en soit, la Couronne soutient que l’option n’était pas frappée de nullité. Elle précise que l’article 148 de la LDPSF régit la détention d’actions au-delà du seuil prévu, alors que l’option d’achat ne confère qu’un droit d’acquisition (Mémoire de la Couronne, paras. 42-43). Cette distinction devient incontournable lorsque l’on constate qu’Aviva n’a pas exercé son droit d’acquisition en contravention à l’article 148 de la LDPSF (Mémoire de la Couronne, para. 46).
[39] De toute façon, selon la Couronne, le juge de la CCI a correctement conclu qu’une contravention à l’article 148 de la LDPSF n’entraînait pas la nullité absolue de l’option d’achat compte tenu de la sanction prévue à l’article 485 de cette même loi (Mémoire de la Couronne, paras. 45-47).
ANALYSE
- La compétence de la CCI
[40] La Couronne remet en question la compétence de la CCI de déclarer la nullité de l’option d’achat. En décidant du bien-fondé de la cotisation, le juge de la CCI s’est dit en droit de considérer si l’option d’achat sur laquelle s’était appuyé le Ministre pour émettre la cotisation était frappée de nullité alors même qu’aucun tribunal compétent ne s’était prononcé à cet effet.
[41] Il n’est pas nécessaire de vider cette question puisque, comme nous le verrons, le juge de la CCI a à bon droit rejeté l’argument selon lequel l’option était frappée de nullité. Je souligne cependant que, comme il fut dit lors de l’audition, la Couronne fausse le débat lorsqu’elle laisse entendre que le juge de la CCI aurait été appelé, le cas échéant, à « déclarer » la nullité de l’option avec toutes les conséquences que ceci comporte. Comme le juge de la CCI l’explique aux paragraphes 45 et 46 de ses motifs, il aurait été appelé à constater la nullité de l’option aux seules fins de déterminer la validité des cotisations sous appel.
[42] Ainsi donc, le rôle de la CCI, lorsque confrontée à un argument basé sur la nullité dans le cadre d’un appel en vertu de la LIR, n’est pas assimilable à celui de la Cour supérieure qui elle a le pouvoir de « déclarer » la nullité d’un contrat à toutes fins que de droit en vertu des articles 33, 35 et 142 du Code de procédure civile, L.R.Q. c. C-25.01 (voir à titre comparatif Markou v. The Queen, 2016 TCC 137, paras. 7-21 où la CCI a été confrontée à une problématique semblable dans le cadre d’un litige issu d’une province de common law soulevant un problème de même nature).
[43] Ceci dit, je n’écarte pas la position de l’avocate de la Couronne qui s’insurge face au comportement des appelants qui, selon elle, s’en remettent à la validité légale de l’option octroyée à Aviva lorsque la chose leur convient, mais affirment qu’elle serait contraire à l’ordre public lorsqu’ils trouvent utile de s’en écarter. Il est loin d’être clair que l’ordre public puisse être ainsi invoqué, mais le juge de la CCI ayant à bon droit refusé de donner suite à l’argument portant sur la nullité, il n’est pas nécessaire de s’étendre sur le sujet.
- La nullité de l’option d’achat
[44] La pierre angulaire de l’argument des appelants au soutien de la nullité alléguée de l’option d’achat selon les articles 1413 et 1418 du C.c.Q. est qu’aux fins de l’article 148 de la LDPSF, la détention d’une option d’achat portant sur les actions d’un cabinet inscrit dans la discipline de l’assurance doit être traitée comme si l’option avait été exercée.
[45] En mettant de l’avant cet argument, l’avocat des appelants reconnaît qu’aucune disposition équivalente à l’alinéa 251(5)b) de la LIR n’est inscrite à la LDPSF. Il prétend cependant que les mots « détenu, directement ou indirectement » à l’article 148 de la LDPSF, lorsqu’interprétés de façon large et libérale, visent non seulement la détention d’actions, mais aussi l’option de détenir des actions. Le juge de la CCI a refusé de faire cette lecture, insistant sur le fait que la disposition déterminative prévue à l’alinéa 251(5)b) de la LIR ne retrouve pas son équivalent dans la LDPSF (Motifs, paras. 51-52).
[46] La question ainsi soulevée en est une d’interprétation statutaire, laquelle est assujettie à la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, para. 8).
[47] Avant d’aborder cette question, je rappelle que l’article 148 de la LDPSF doit être lu dans son contexte global en fonction du sens ordinaire et grammatical des mots en leur donnant celui qui s’harmonise avec l’esprit de la LDPSF, son objet et l’intention du législateur (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, para. 21).
[48] Je débute l’analyse en insistant sur le caractère particulier d’une disposition déterminative. Comme l’a souligné la Cour Suprême dans R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838, à la page 845, « [u]ne disposition déterminative est une fiction légale; elle reconnaît implicitement qu’une chose n’est pas ce qu’elle est censée être, mais décrète qu’à des fins particulières, elle sera considérée comme étant ce qu’elle n’est pas ou ne semble pas être ». Aux fins particulières de la LIR, l’alinéa 251(5)b) répute notamment qu’une société qui possède un droit d’acquisition futur et conditionnel d’actions l’a exercé, même si en réalité cette option n’a pas été exercée. Alors même que la réalité qui subsistait en 2002 était que l’option d’achat n’avait pas été exercée, il n’en demeure pas moins qu’aux fins du paragraphe 125(7) de la LIR, une fiction juridique s’imposait déjà. Toutefois, là où une fiction juridique ne s’étend pas, la réalité subsiste. Aux fins de la LDPSF, la réalité était et demeurait qu’Aviva n’avait pas exercé son option.
[49] Cette conclusion ne vide pas entièrement la question puisque l’avocat des appelants nous invite à interpréter l’article 148 de la LDPSF de façon à inclure non seulement la détention d’actions au-delà du seuil prohibé, mais aussi la détention d’une option d’achat d’actions, laquelle, si exercée, permettrait de dépasser ce seuil (Mémoire des appelants, para. 50).
[50] Je reconnais que les mots « détenus, directement ou indirectement » donnent à l’article 148 de la LDPSF une portée large, mais je ne crois pas que ces mots donnent ouverture à la lecture que font les appelants de cet article. Tel qu’énoncé, la réalité est que la détention d’un droit futur d’acquérir des actions n’équivaut pas à la détention des actions sur lesquelles porte ce droit.
[51] L’objet de l’article 148 de la LDPSF lorsque lu dans son contexte est d’empêcher une institution financière de détenir un intérêt de plus de 20% dans un cabinet d’assurance ou d’exercer sur lui l’influence associée à un intérêt qui excéderait ce seuil. C’est donc qu’à première vue, la détention d’actions de façon indirecte plutôt que directe vise la détention d’actions par personne interposée. Cette lecture est fidèle au sens ordinaire des mots et donne à l’article 148 de la LDPSF un effet conforme à l’objectif recherché puisqu’une personne qui détient des actions par personne interposée est en mesure d’exercer tous les droits qui en découlent. À l’inverse, la détention d’un droit d’exercer une option d’achat portant sur ces actions ne confère aucun de ces droits.
[52] Appliqué aux faits en cause, Aviva ne détenait pas directement ou indirectement les actions de Dale Parizeau. Aviva avait le choix d’acquérir les actions visées par l’option. Le simple fait qu’elle avait ce choix ne transforme pas Aviva en propriétaire des actions ciblées par l’option. Seule une fiction législative comparable à celle créée en vertu de la LIR pourrait altérer cette réalité et faire en sorte qu’Aviva soit considérée comme étant propriétaire des actions qu’elle était en droit d’acheter. À cet égard, il serait pour le moins incongru de déclarer Aviva en contravention à l’article 148 de la LDPSF pendant la période précédant l’exercice de l’option face à la preuve qui démontre que cette option fût exercée sans enfreindre les exigences de la LDPSF.
[53] Les décisions citées par l’avocat des appelants n’étayent pas leur thèse. Dans Souscripteurs de Lloyds, la Cour d’appel a conclu qu’une disposition excluant l’indemnisation pour faute lourde contrevenait aux règlements applicables aux polices d’assurance édictées en vertu de la LDPSF, ainsi qu’à son article 196. Mis à part le fait qu’une disposition contractuelle puisse être déclarée inopérante parce que contraire à la LDPSF, cette décision n’accentue pas la position des appelants.
[54] Pareillement, c’est en vain que l’avocat des appelants invoque l’interprétation qu’a faite la Cour supérieure du mot « rémunération » dans Formule Pontiac. Dans cette affaire, la Cour a conclu qu’un dividende avait été versé afin de camoufler une rémunération excédant le seuil prévu à l’article 431 de la LDPSF. C’est dans ce contexte que la Cour supérieure a jugé qu’une interprétation large et libérale du terme « rémunération » pouvait englober le paiement d’un dividende. Si le parallèle est fait avec la présente affaire, non seulement doit-on répéter que la détention d’une option d’achat d’actions ne peut être assimilée à la détention des actions assujetties à l’option, mais rien dans le présent dossier ne laisse croire que l’option d’achat conférée par la CUA avait pour but de contrecarrer l’article 148 de la LDPSF. Le contraire est plutôt évident lorsque l’on tient compte de la façon dont l’option fut exercée.
[55] J’en viens donc à la conclusion que l’article 148 de la LDPSF ne peut être interprété de façon à traiter une personne qui détient une option d’achat de la même façon que celle qui détient les actions visées par l’option. Il s’ensuit que l’argument des appelants basé sur la nullité doit être rejeté.
[56] Ceci suffit pour disposer de ces appels.
CONCLUSION
[57] Je rejetterais les appels avec dépens dans le dossier principal seulement.
« Marc Noël »
Juge en Chef
« Je suis d’accord.
Johanne Trudel, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
A.F. Scott, j.c.a. »
ANNEXE I
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DossierS : |
A-372, A-370-16, A-371-16, A-373-16, A-374-16, A-375-16, A-376-16, A-377-16, A-378-16, A-379-16, A-380-16, A-381-16, A-382-16, A-383-16, A-384-16, A-385-16. |
APPEL DE 16 JUGEMENTS DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT RENDUS PAR MONSIEUR LE JUGE GERALD J. RIP LE 19 FÉVRIER 2015, DOSSIERS NUMÉROS (2011-1393(IT)G), (2011-1274(IT)G), (2011-1358(IT)G), (2011-1365(IT)G), (2011-1352(IT)G), (2011-1272(IT)G), (2011-1357(IT)G), (2011-1360(IT)G), (2011-1284(IT)G), (2011-1314(IT)G), (2011-1349(IT)G), (2011-1356(IT)G), (2011-1305(IT)G), (2011-1351(IT)G), (2011-1363(IT)G), (2011-1350(IT)G).
INTITULÉ : |
LINE DUROCHER (2011-1393(IT)G) XAVIER VALLERAND (2011-1274(IT)G) MARIE-PIER BLONDEAU (2011-1358(IT)G) OLIVIER RINGUET (2011-1365(IT)G) GENEVIÈVE LAGARDE (2011-1352(IT)G) LOIK VALLERAND (2011-1272(IT)G) MARISOL RINGUET (2011-1357(IT)G) FRANCINE BUSSIÈRES (2011-1360(IT)G) G.MARIUS BÉRUBÉ (2011-1284(IT)G) CATHERINE SANSOUCY (2011-1314(IT)G) CLAUDINE LAGARDE (2011-1349(IT)G) NATHALIE MONETTE (2011-1356(IT)G) AISHA BLONDEAU (2011-1305(IT)G) FRANCIS S. LABONTÉ (2011-1351(IT)G) VINCENT LAGARDE (2011-1363(IT)G) ÉLISE LAGARDE (2011-1350(IT)G) |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 27 octobre 2016
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MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE EN CHEF NOËL
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Y ONT SOUSCRIT : |
la juge trudel LE JUGE SCOTT
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DATE DES MOTIFS : |
LE 25 novembre 2016
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COMPARUTIONS :
Louis-Frédérick Côté
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Pour les appelants
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Nathalie Labbé
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Pour l'intimée SA MAJESTÉ LA REINE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
SPIEGEL SOHMER Montréal (Québec)
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Pour les appelants
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William F. Pentney Sous-procureur général du Canada
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Pour l'intimée SA MAJESTÉ LA REINE
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