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Date : 20161216


Dossier : A-362-15

Référence : 2016 CAF 315

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

 

ENTRE :

PAUL LUBEGA-MATOVU

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 28 septembre 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2016.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20161216


Dossier : A-362-15

Référence : 2016 CAF 315

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE BOIVIN

 

ENTRE :

PAUL LUBEGA-MATOVU

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]  L’appelant est un ancien vérificateur de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Au cours des années 2006, 2007 et 2008 (les années visées par l’appel), il travaillait comme vérificateur auprès de l’ARC et touchait un revenu d’emploi de 70 000 $ à 80 000 $. Il a aussi déclaré des pertes d’entreprise et de location de 52 748 $ pour 2006, de 61 625 $ pour 2007 et de 67 768 $ pour 2008. L’ARC a rejeté ces pertes et a imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). L’appelant a interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt (CCI), et son appel a été rejeté (2015 CCI 147). L’appelant fait appel de cette décision de la CCI.

[2]  Pour les raisons qui suivent, je rejetterais le présent appel.

I.  Le contexte

[3]  L’appelant a déduit des pertes en lien avec trois aspects - la formule de commissions qu’il avait conclue avec PanelForm International Ltd. (PanelForm); une société de personnes qui s’occupait de la distribution de produits alimentaires pour le compte d’une entreprise appelée Market America; et des pertes de location liées à la présumée location d’une partie de son lieu de résidence principale. L’appelant a déduit les pertes découlant de la société de personnes en prenant pour base qu’il détenait dans cette dernière un intérêt de 80 %, et Rose Lukwago en a fait de même en prenant pour base qu’elle détenait l’intérêt restant, soit 20 %. Rose Lukwago avait le statut d’appelante devant la CCI, mais pas dans le présent appel.

[4]  PanelForm avait pour objectif de vendre du matériel de fabrication de panneaux destinés à la construction de logements à prix modique. Selon l’entente qu’il avait conclue avec PanelForm, l’appelant se chargerait de la vente du matériel de PanelForm en Afrique en échange d’une commission de 10 %. Rien n’indique que l’appelant a vendu ce matériel au cours des années visées par l’appel.

[5]  La juge de la CCI a décrit Market America comme un [traduction« système de ventes pyramidales caractéristique ». L’appelant a indiqué qu’il touchait des revenus de la vente de produits ainsi que de la gestion d’autres personnes participant à ce système.

[6]  Lors de son audience devant la CCI, l’appelant a déposé plus de 1 200 pages de documents, dont des copies d’états bancaires, des annexes établies par lui et qui illustraient la répartition de montants entre diverses activités, des copies de relevés de carte de crédit, des copies de diverses factures ainsi que des copies de divers courriels. Malgré la grande quantité de documents que l’appelant a déposée, la difficulté a consisté à relier ces derniers à une activité particulière quelconque.

[7]  La juge de la CCI a signalé que l’appelant n’avait pas réussi à contester de nouvelles cotisations établies pour ses années d’imposition 2004 et 2005, relativement au rejet de dépenses d’entreprise que l’appelant avait déclarées en lien avec cinq entreprises commerciales différentes, dont PanelForm et Market America (2010 CCI 291). L’appelant a toutefois eu gain de cause, dans le cadre d’un appel interjeté devant notre Cour (2011 CAF 265), en obtenant l’annulation de pénalités imposées, mais non en lien avec le rejet des montants qu’il avait déduits à titre de pertes d’entreprise.

[8]  En évaluant la preuve de l’appelant dans le cadre de son appel devant la CCI au sujet des nouvelles cotisations établies pour ses années d’imposition 2004 et 2005, la juge Campbell a déclaré :

17  Les questions en litige en l’espèce sont généralement simples; il ne s’agit certainement pas de questions de droit complexes. Dans de tels appels, un contribuable fournit généralement les documents qu’il a en sa possession à l’appui des dépenses dont il demande la déduction. Lorsque certains éléments sont absents de la documentation, le contribuable peut témoigner de vive voix pour justifier les déductions demandées.

18  La présente audience a duré une journée complète et je dois avouer qu’à la fin de celle‑ci, j’avais le sentiment de n’avoir eu que des vérités partielles et des éléments de preuve contradictoires, sans que jamais l’appelant ait présenté l’ombre d’une preuve pour corroborer le fait que ces dépenses étaient réellement liées à ses activités commerciales.

[9]  Dans la présente affaire, le témoignage de l’appelant a présenté les mêmes difficultés. Après avoir cité le paragraphe 18 des motifs de la juge Campbell, la juge de la CCI a fait remarquer :

[traduction]

7  Les activités en cause en l’espèce et dans le cadre de l’appel interjeté antérieurement sont les mêmes. Il semble que la juge Campbell était mécontente de la durée de l’instance antérieure, qui avait pris une journée complète. La durée des présents appels, à savoir cinq jours et demi, était elle aussi beaucoup trop longue. Elle est principalement attribuable au manque d’organisation de M. Lubega-Matovu, qui représentait les deux appelants.

8  Dans le cadre de la présente audience, de nombreux éléments de preuve documentaire ont été présentés au nom des appelants. En outre, j’ai entendu les témoignages de vive voix des appelants et de deux connaissances d’affaires, soit John Clark et Eric Alexander. Le seul témoin de la Couronne était l’agent des appels, Karol Maar.

9  Je tiens à formuler des commentaires en particulier sur la fiabilité des témoignages livrés. J’ai conclu que les témoignages de M. Lubega-Matovu et de Mme Lukwago étaient tellement vagues et contradictoires qu’ils n’étaient pas fiables, sauf dans la mesure où les témoignages s’appuyaient sur d’autres éléments de preuve. J’ai conclu que les témoignages livrés par les autres témoins étaient généralement fiables, mais les questions que M. Lubega-Matovu a posées à M. Clark et à M. Alexander ont peu, voire aucunement, contribué à étayer les pertes alléguées.

10 Bien que de nombreux éléments de preuve aient été présentés à la présente audience, ma conclusion est semblable à celle tirée par la juge Campbell dans l’appel interjeté antérieurement.

[10]  L’appel de l’appelant devant la CCI a donc été rejeté.

II.  Les questions en litige

[11]  Dans son mémoire des faits et du droit, l’appelant a soulevé un certain nombre de questions, qu’il est possible de regrouper et de résumer comme suit :

  • a) La juge de la CCI a-t-elle manqué à une règle d’équité procédurale quelconque?

  • b) La juge de la CCI a-t-elle commis une erreur en déterminant que la question en litige était celle de savoir si l’appelant pouvait établir qu’il avait engagé les montants déclarés à titre de dépenses dans le but de gagner un revenu, plutôt que de savoir s’il avait une ou plusieurs sources de revenus tirés d’une entreprise ou d’un bien?

  • c) La juge de la CCI a-t-elle commis une erreur en concluant que l’appelant n’avait pas établi qu’il avait engagé les montants en question à titre de dépenses dans le but de tirer un revenu d’une ou de plusieurs entreprises liées à PanelForm et à Market America?

  • d) La juge de la CCI a-t-elle commis une erreur en concluant que l’appelant n’était pas parvenu à établir qu’il était en droit de déduire les pertes de location dont il avait fait état dans ses déclarations de revenus?

  • e) La juge de la CCI a-t-elle commis une erreur en rejetant son appel concernant les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi?

III.  Les normes de contrôle applicables

[12]  Les normes de contrôle applicables seront la décision correcte pour les questions de droit,  et l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit pour lesquelles il n’existe aucune question de droit isolable (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235). Pour tout présumé manquement à l’équité procédurale de la part de la juge de la CCI, la question consiste simplement à savoir s’il y a bel et bien eu un tel manquement (Carleton Road Industries Association c. Sanford, 2015 NSCA 95, 366 N.S.R. (2d) 104, au paragraphe 22).

IV.  Analyse

A.  L’équité procédurale

[13]  L’allégation d’inéquité procédurale de l’appelant a trait au déroulement de l’audience. Au paragraphe 5 de son mémoire, l’appelant indique : [traduction« l’un des motifs d’appel sur lesquels se fondent les appelants est un manquement à la justice naturelle, en ce sens que ceux-ci n’ont pas pu se faire entendre devant la Cour ». L’audience tenue devant la juge de la CCI a duré cinq jours et demi, et l’appelant n’a fait état d’aucun moment au cours de ces cinq jours et demi où il a été privé d’une possibilité quelconque de présenter ses arguments. Cette allégation est dénuée de tout fondement.

[14]  L’appelant a fait valoir que la juge de la CCI avait été impatiente avec lui parce que ses documents étaient désorganisés. Il a ajouté que si ses documents étaient désorganisés c’était parce qu’on ne lui avait pas permis de les présenter de la façon dont il les avait établis et que, le premier jour de l’audience de la CCI, il avait fallu qu’il trouve une copie de ses documents pour le ministère public. Il n’a pas expliqué de quelle façon ses documents étaient organisés, en quoi on l’avait empêché de les présenter de la façon dont il les avait établis, ou pourquoi cela avait été la cause de sa désorganisation. Il n’a pas fait savoir non plus qu’on l’avait empêché de déposer un document qu’il voulait présenter – juste qu’il n’avait pas pu déposer ses documents de la façon dont il les avait établis.

[15]  Ce n’était pas la première fois que l’appelant se présentait devant la CCI et il aurait dû savoir qu’il aurait à remettre au ministère public une copie des documents qu’il allait présenter à la Cour et de quelle façon ceux-ci seraient présentés à l’audience. Le simple fait d’affirmer que la juge de la CCI a été impatiente avec lui ne donne pas ouverture à une prétention d’inéquité procédurale.

[16]  L’appelant inclut, dans le cadre de son présumé [traduction« motif de justice naturelle », une erreur que la juge de la CCI a censément commise au sujet du financement de ses dépenses. Au paragraphe 8 de son mémoire, l’appelant indique :

[traduction]

8  Dans l’appel, l’appelant invoque le motif de la justice naturelle qui, en plus du problème de l’impatience de la juge du procès, inclut les questions de procédure entourant le fait que l’intimée n’a pas formulé de présomptions appropriées ni plaidé les questions soulevées au procès. L’une de ces présomptions est le moment où la juge du procès a déclaré, au paragraphe 2 des motifs du jugement, que les appelants avaient payé leurs dépenses d’entreprise à partir de leur revenu d’emploi au cours de la période visée par l’appel, revenu qui se situait entre 70 000 $ et 80 000 $. Cela est inexact. La juge a indiqué que les appelants avaient déduit de ce revenu les pertes d’entreprise et de location suivantes : 52 748 $ pour 2006, 61 625 $ pour 2007 et 67 768 $ pour 2008. Elle n’a pas fait état du fait que les pertes qu’elle mentionnait étaient dues à des dépenses payées pour utiliser de l’argent comptant et que ce fait avait été révélé en établissant les documents relatifs aux opérations bancaires et par carte de crédit auxquelles l’appelant faisait référence dans ses livres et ses registres. La plupart des fonds que les appelants ont consacrés à ces dépenses ont été empruntés. À l’heure actuelle, les appelants ont des dettes de plus de 300 000 $, et cela n’inclut pas les deux hypothèques et les dettes de carte de crédit.

[non souligné dans l’original]

[17]  L’appelant affirme que la juge de la CCI a indiqué, au paragraphe 2 de ses motifs, qu’il avait payé les montants engagés à partir de son revenu d’emploi. Ce n’est toutefois pas ce qui est indiqué au paragraphe 2 des motifs :

2  M. Lubega-Matovu est un vérificateur de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») à la retraite. Au cours des années d’imposition en cause, il occupait un poste supérieur au sein de l’ARC dans le cadre duquel il était responsable d’effectuer des vérifications dans de grandes sociétés. Au cours de ces années, son revenu d’emploi se situait entre 70 000 $ et 80 000 $, comme l’indiquent ses déclarations de revenus.

[18]  Le paragraphe 2 est simplement une description de l’emploi que l’appelant exerçait auprès de l’ARC, ainsi que de son niveau de revenu d’emploi au cours de ces années. De plus, la source du financement des dépenses que l’appelant a engagées n’était pas en litige dans cet appel. La question en litige consistait à savoir si l’appelant avait engagé les montants en question et, dans l’affirmative, s’il les avait engagés en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Le mode de financement de ces dépenses n’était tout simplement pas pertinent, et la juge de la CCI n’en a pas discuté non plus. Ce que l’appelant allègue au sujet de cette question est inexact.

[19]  Les arguments de l’appelant au sujet de l’équité procédurale sont donc dénués de tout fondement.

B.  La détermination de la question soumise à la Cour canadienne de l’impôt

[20]  Au paragraphe 9 de son mémoire des faits et du droit, l’appelant indique :

[traduction]

9  Par ailleurs, l’appelant soutient que la manière dont la juge du procès a traité son dossier fait montre d’une incompréhension fondamentale de ce qui était en litige. Il soutient que, selon les actes de procédure, la question en litige consistait à savoir si Market America ou PanelForm avait des activités commerciales. La question n’était pas la justification des pertes. Cependant, quels que soient les motifs, la juge du procès a décidé que l’affaire portait sur le fait de savoir si les appelants justifiaient ou non les dépenses qui avaient été déclarées. Cela était inéquitable du point de vue procédural et il s’agissait d’une erreur susceptible de contrôle. De plus, elle a adapté [sic] sans réserve les éléments de preuve et les observations de l’intimée.

[21]  Je ne suis pas d’avis que la juge de la CCI a mal saisi la question qui lui était soumise.

[22]  Les déclarations de revenus de l’appelant pour les années 2006, 2007 et 2008 ont tout d’abord été l’objet d’une cotisation, tel qu’elles avaient été produites, ce qui signifie qu’au départ on a fait droit aux pertes qu’il avait déduites. Par des avis datés du 21 mars 2011, l’appelant a fait l’objet de nouvelles cotisations en vue de :

  • a) rejeter une partie des dépenses déduites à l’égard des activités de PanelForm et de Market America pour les années 2006, 2007 et 2008;

  • b) rejeter la totalité des dépenses déduites à l’égard de la location de sa maison et réduire à zéro son revenu de location pour l’année 2006;

  • c) imposer des pénalités pour faute lourde.

En rejetant une partie des dépenses (mais pas toutes) qui étaient liées aux activités de PanelForm et de Market America, l’ARC a reconnu que ces activités étaient des sources de revenus d’entreprise.

[23]  L’appelant s’est opposé à ces nouvelles cotisations. Par des avis de nouvelle cotisation datés du 5 novembre 2012, les pertes que l’appelant disait avoir subies en raison des activités de PanelForm et de Market America pour les années 2006, 2007 et 2008 ont été réduites à zéro, tout comme ses revenus de location pour les années 2007 et 2008. Les pénalités pour faute lourde ont été rajustées elles aussi. Dans une lettre datée du 5 octobre 2012, l’ARC a écrit que les pertes liées aux activités de PanelForm et de Market America étaient réduites à zéro parce que, à son avis, l’appelant n’avait pas une source de revenu qui était liée aux activités de PanelForm ou aux activités de Market America. Elle a également indiqué que, subsidiairement, si les activités de PanelForm et de Market America étaient des sources de revenus d’entreprise ou de bien, dans ce cas elle n’acceptait pas que les documents produits par l’appelant établissaient que celui-ci avait engagé les montants déduits en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. L’ARC a également écrit que, à son avis, les activités de location étaient de nature personnelle, et non une source de revenu tiré d’un bien.

[24]  Dans l’arrêt Stewart c Canada, 2002 CSC 46, [2002] 2 RCS 645, la Cour suprême du Canada a décrit la notion de « source de revenu » comme un « élément fondamental du régime fiscal canadien » (au paragraphe 5). Si les activités de PanelForm et de Market America ne sont pas des sources de revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien pour l’appelant, cela signifie qu’aucun montant reçu (ou à recevoir) ni aucun montant engagé par lui en lien avec ces activités ne seraient pris en compte en vue de déterminer son revenu pour l’application de la Loi. C’est ce qui apparaît dans les nouvelles cotisations sur lesquelles porte le présent appel, car aucun montant n’a été inclus dans la détermination de son revenu pour aucune des années visées par l’appel en lien avec les activités de PanelForm ou de Market America, et ce, même si la société de personnes a déclaré, pour les activités de Market America, des revenus d’un montant de 8 400 $ pour 2006, de 8 900 $ pour 2007 et de 7 800 $ pour 2008, et qu’un revenu modeste a été déclaré pour les activités de PanelForm, soit 1 000 $ en 2007 et 189 $ en 2008.

[25]  Au paragraphe 50 de l’arrêt Stewart, la Cour suprême du Canada décrit une méthode à deux volets qui permet de déterminer si un contribuable a une source de revenu pour l’application de l’article 9 de la Loi :

50 Il est manifeste que, pour que l’art. 9 s’applique, le contribuable doit d’abord déterminer s’il a une source de revenu constituée soit d’une entreprise, soit d’un bien. Comme nous l’avons vu, une activité commerciale qui ne constitue pas véritablement une entreprise peut néanmoins être une source de revenu constituée d’un bien. De même, il est clair que certaines démarches de contribuables ne sont ni des entreprises, ni des sources de revenus constituées d’un bien, mais sont uniquement des activités personnelles. On peut recourir à la méthode à deux volets suivante pour trancher la question de l’existence d’une source :

(i)  L’activité du contribuable est-elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s’agit-il d’une démarche personnelle?

(ii)  S’il ne s’agit pas d’une démarche personnelle, la source du revenu est-elle une entreprise ou un bien?

Le premier volet du critère vise la question générale de savoir s’il y a ou non une source de revenu; dans le deuxième volet, on qualifie la source d’entreprise ou de bien.

[26]  Si les activités de PanelForm et de Market America ont été exercées en vue de réaliser un profit (et qu’il s’agit donc de sources de revenus tirés d’une entreprise ou d’un bien), les dépenses déduites doivent quand même répondre à l’exigence selon laquelle ces dépenses ont été engagées par l’appelant dans le but de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien (alinéa 18(1)a) de la Loi). En présumant que les activités de PanelForm et de Market America ont été les sources d’un revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien et que l’appelant n’a pas pu établir que les dépenses qu’il avait déduites avaient été engagées dans le but de tirer un revenu de ces sources, cela donnerait lieu à une augmentation de sa cotisation puisque des revenus ont été tirés de ces activités. Cependant, la CCI ne peut majorer le montant imposé à un contribuable (Harris c. Minister of National Revenue, [1965] 2 Ex. C.R. 653, [1964] C.T.C. 562, au paragraphe 17). C’est donc dire que, en réalité, les seules dépenses soumises à la CCI étaient celles qui excédaient le revenu relatif à chaque activité, car les nouvelles cotisations ont été établies en prenant pour base que le revenu net pour chaque activité était égal à zéro.

[27]  L’effet net de la décision de la CCI serait le même, peu importe que l’on ait déterminé que l’appelant n’avait pas une source de revenu tirés d’une entreprise ou d’un bien en lien avec les activités de PanelForm ou de Market America ou que les dépenses en litige devant la CCI n’aient pas été engagées par lui dans le but de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien (avec le résultat que le revenu lié à chaque activité serait égal aux dépenses admises pour chacune). Dans l’un ou l’autre cas, le revenu net tiré de ces activités serait égal à zéro.

[28]  Dans la réplique qu’il a déposée devant la CCI, le ministère public a soulevé ces deux questions, et l’argument selon lequel ni les activités de PanelForm ni celles de Market America n’étaient une source de revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien est invoqué au paragraphe 21. Les hypothèses que le ministre a formulées au moment d’établir les nouvelles cotisations de l’appelant comprennent également ceci :

[traduction]

PanelForm International

f)  pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008, l’appelant a déduit des montants à titre de dépenses d’entreprise et de commission en lien avec la présumée exploitation de PanelForm International, ainsi qu’il est indiqué à l’annexe « A » de la présente réplique;

g)  l’appelant n’a pas engagé les montants déduits à titre de dépenses d’entreprise et de commission de PanelForm International, ainsi qu’il est indiqué à l’annexe « A » de la présente réplique;

h)  les montants liés à PanelForm International qui ont été rejetés, s’ils ont été faits ou engagés, ne l’ont pas été dans le but de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien; il s’agissait plutôt des dépenses personnelles ou de subsistance de l’appelant;

Market America

r)  l’appelant n’a pas engagé les montants déduits à titre de dépenses d’entreprise de Market America, ainsi qu’il indiqué à l’annexe « A » de la présente réplique;

s)  les montants liés à Market America qui ont été rejetés, s’ils ont été faits ou engagés, ne l’ont pas été dans le but de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien; il s’agissait plutôt des dépenses personnelles ou de subsistance de l’appelant;

[29]  Il ressort clairement de ces hypothèses que la question de savoir si l’appelant avait engagé ou non les montants en question était en litige et que, si ces montants avaient été engagés, la question suivante consistait à savoir s’ils l’avaient été dans le but de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. La question de savoir si les montants en question ont été engagés et, dans l’affirmative, s’ils l’ont été dans le but de tirer un revenu est également confirmée comme une question en litige devant la CCI aux paragraphes 19, 20 et 23 de la réplique. C’est donc dire que la juge de la CCI avait été clairement saisie de ces questions.

[30]  En l’espèce, la juge de la CCI s’est concentrée sur les montants déduits à titre de dépenses (dépenses qui donnaient lieu aux pertes déclarées). Elle a également fait référence à [traduction« l’entreprise de PanelForm » au paragraphe 12, ainsi qu’à [TRADUCTION] « cette entreprise » au paragraphe 15 et aux [TRADUCTION] « pertes d’entreprise » de Market America au paragraphe 31. Même s’il n’a pas été conclu de manière explicite que les activités de PanelForm et de Market America étaient des sources de revenus d’entreprise ou de bien, il ressort implicitement de la décision que la juge de la CCI a soit présumé que les activités de PanelForm et de Market America étaient des sources de revenus d’entreprise ou de bien, soit tiré une telle conclusion.

[31]  Étant donné que le résultat serait le même, que l’on ait conclu, selon le cas :

  • a) que les activités de PanelForm et de Market America n’étaient pas des sources de revenu d’entreprise ou de bien;

  • b) que l’appelant n’avait pas établi qu’il avait engagé les dépenses soumises à la CCI ou que les dépenses qui avaient été engagées ne l’avaient pas été en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien;

la juge de la CCI n’a pas commis d’erreur en se concentrant sur la question de savoir si l’appelant avait justifié les montants déduits à titre de pertes.

C.  Les montants en litige

[32]  L’appelant allègue que la juge de la CCI a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas démontré qu’il avait engagé les divers montants en litige à titre de dépenses en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. La question de savoir quels montants ont été engagés par l’appelant, de même que l’objet de ces dépenses, sont des questions de fait. Comme il a été mentionné plus tôt, les présumées erreurs de fait sont contrôlées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. Dans l’arrêt Benhaim c St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] ACS No 48, le juge Wagner, s’exprimant au nom de la majorité, a décrit ce qu’est une erreur de cette nature :

38 Il est tout aussi utile de rappeler ce qu’on entend par « erreur manifeste et dominante ». Le juge Stratas décrit la norme déférente en ces termes dans l’arrêt South Yukon Forest Corp. c. R., 2012 CAF 165, par. 46 :

L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue […] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

39 Ou, comme le dit le juge Morissette dans l’arrêt J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, au par. 77 (CanLII), « une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil. Et il est impossible de confondre ces deux dernières notions ».

[33]  L’erreur manifeste et dominante est une norme d’un degré élevé.

[34]  En l’espèce, l’appelant a produit plus de 1 200 pages de documents divers. Ce n’est pas la quantité qui posait problème, mais plutôt ce que les documents établissaient ou non. Le lien entre les montants dépensés et le but de ces dépenses était absent. L’appelant a tenté d’établir ce lien à l’audience tenue devant la CCI en faisant déposer quatre témoins : l’appelant lui-même, Mme Lukwago, John Clark et Eric Alexander.

[35]  L’appelant, semble-t-il, soutient qu’il a payé les voyages en Afrique de M. Clark dans le cadre de son entreprise PanelForm. Cependant, M. Clark n’a pas fait ces voyages avant 2009 ou plus tard et, de ce fait, n’importe quelle dépense liée à ces voyages ne serait pas pertinente pour les années d’imposition visées par l’appel, soit 2006, 2007 et 2008.

[36]  Pour ce qui est d’Eric Alexander, l’appelant reconnaît dans son mémoire ne l’avoir rencontré qu’en 2012. Les années d’imposition en litige étant 2006, 2007 et 2008, la déposition d’une personne que l’appelant n’a rencontrée que quelques années plus tard est de peu d’utilité, sinon aucune, pour établir que celui-ci avait engagé les montants au cours des années en litige, ou dans quel but.

[37]  L’appelant a déclaré qu’au cours des années en litige M. Bisase s’était rendu en Afrique pour le compte de l’appelant, ainsi qu’aux frais de ce dernier. Cependant, M. Bisase n’a pas été appelé à témoigner à l’audience tenue devant la CCI. Les documents sur lesquels l’appelant a attiré l’attention de notre Cour lors de l’audition de son appel ne permettent pas d’établir que M. Bisase avait fait un voyage quelconque pour le compte de l’appelant en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien.

[38]  À l’audition de son appel, l’appelant n’est pas parvenu à établir que la juge de la CCI a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que les documents qu’il avait déposés ne corroboraient pas sa prétention selon laquelle les dépenses avaient été faites en vue de tirer un revenu. L’appelant n’a pas souligné non plus un élément quelconque de la transcription de l’audience qui aurait montré que la juge de la CCI a commis une erreur en concluant que sa déposition et celle de Mme Lukwago étaient [traduction] « vagues et contradictoires au point d’être peu fiables, sauf dans la mesure où d’autres éléments de preuve les étayaient ».

[39]  L’appelant n’est pas parvenu à établir que la juge de la CCI a commis une erreur manifeste et dominante à l’égard de sa conclusion selon laquelle il n’avait pas justifié les montants qu’il avait déduits à titre de dépenses (et qui donnaient lieu aux pertes déclarées).

D.  Les pertes de location

[40]  À l’audition du présent appel, l’appelant n’a pas traité des montants déduits à titre de pertes de location. La validité de cette prétention aurait été fondée en grande partie sur la déposition de l’appelant et de Mme Lukwago. Comme l’appelant l’a fait remarquer, une conclusion importante que la juge de la CCI a tirée est que, pendant les années en litige,  Mme Lukwago n’était pas une locataire de l’appelant, mais plutôt sa conjointe de fait. Ce que déclare l’appelant dans son mémoire, à savoir qu’il n’a pas obtenu le divorce de son épouse de l’époque avant 2013 ne mène pas forcément à la conclusion que Mme Lukwago n’aurait pas pu être sa conjointe de fait en 2006, en 2007 et en 2008. L’appelant n’a pas établi que la juge de la CCI a commis une erreur manifeste et dominante en rejetant les montants déclarés à titre de pertes de location dans les années visées par l’appel.

E.  Les pénalités pour fautes lourdes

[41]  L’appelant n’a pas établi non plus que la juge de la CCI a commis une erreur en confirmant l’imposition des pénalités pour faute lourde.

V.  Conclusion

[42]  En conséquence, je rejetterais l’appel avec dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT, daté du 12 juin 2015, no 2012-4553(IT)G

DOSSIER :

A-362-15

 

INTITULÉ :

PAUL LUBEGA-MATOVU c. sa majesté la reine

 

lieu de l’audience :

Toronto (Ontario)

DATE de l’audience :

le 28 Septembre 2016

motifs du jugement :

le juge WEBB

y ont souscrit :

la juge DAWSON

le juge BOIVIN

DATE du jugement :

le 16 DéCEMBRe 2016

COMPARUTIONS :

Paul Lubega-Matovu

L’appelant

Kathleen Beahen

Lorraine Edinboro

POUR L’INTIMÉE

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

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