Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20170202


Dossiers : A‑489‑14

A‑213‑15

Référence : 2017 CAF 24

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

 

Dossier : A‑489‑14

 

ENTRE :

WAYNE ROBBINS

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

Dossier : A‑213‑15

 

ET ENTRE :

 

WAYNE ROBBINS

 

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 2 février 2017.

Jugement rendu à l’audience à Edmonton (Alberta), le 2 février 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20170202


Dossiers : A‑489‑14

A‑213‑15

Référence : 2017 CAF 24

CORAM:

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

 

Dossier : A‑489‑14

 

ENTRE :

WAYNE ROBBINS

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

Dossier : A‑213‑15

 

ET ENTRE :

 

WAYNE ROBBINS

 

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Edmonton (Alberta), le 2 février 2017.)

LE JUGE STRATAS

[1]  Monsieur Robbins affirme avoir droit à des prestations additionnelles d’enfants de cotisant invalide. Il a effectivement ce droit s’il a présenté en 1997 une demande de prestations d’invalidité révélant l’existence de ses enfants. C’est ce qu’il affirme avoir fait.

[2]  Deux décisions sont contestées en l’espèce, qui disposent toutes deux que M. Robbins n’a pas présenté en 1997 de demande révélant l’existence de ses enfants, de sorte qu’il n’a pas droit à des prestations additionnelles.

[3]  Plus précisément, la Cour est appelée à se prononcer dans les deux instances suivantes :

  • Un appel (dossier A‑489‑14), par lequel M. Robbins demande l’annulation du jugement de la Cour fédérale rendu le 11 juillet 2014 (le juge O’Keefe) : 2014 CF 689. Dans cette affaire, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire que M. Robbins avait présentée (dossier A‑489‑14) en vue de faire annuler la décision d’un agent des mesures législatives conformément au paragraphe 66(4) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8. L’agent des mesures législatives avait conclu que M. Robbins n’avait présenté en 1997 aucune demande de prestations d’invalidité révélant l’existence de ses enfants, de sorte que le refus de lui accorder les prestations additionnelles d’enfants de cotisant invalide n’était pas attribuable à une erreur administrative. L’agent n’a pu trouver aucune preuve directe relativement à la demande et il n’a pas recueilli de preuve corroborante non plus, alors que des éléments de ce genre auraient probablement été disponibles si une erreur avait été commise. En outre, il a conclu que le comportement affiché par M. Robbins (sommairement décrit à la page 50 du dossier d’appel) relativement à sa demande de 1999 contredisait l’affirmation qu’il a faite par la suite et selon laquelle il avait déposé une demande en 1997.

  • Une demande de contrôle judiciaire (dossier A‑213‑15), par laquelle M. Robbins sollicite l’annulation de la décision rendue le 16 octobre 2014 par la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. La question en litige que la division d’appel avait à trancher était celle de savoir si M. Robbins avait présenté en 1997 une demande de prestations d’invalidité dans laquelle il avait révélé l’existence de ses enfants. La division d’appel était appelée à se prononcer sur cette question par suite d’un jugement antérieur de notre Cour : Robbins c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 85. La division d’appel, après avoir reçu la décision motivée de la Cour fédérale dont il est question plus haut — selon laquelle M. Robbins n’avait présenté en 1997 aucune demande de prestations d’invalidité révélant l’existence de ses enfants —, a invité les parties à lui présenter des observations écrites. Se fondant sur celles‑ci, elle a conclu que la Cour fédérale avait tranché de manière définitive la question de savoir si M. Robbins avait produit en 1997 une demande de prestations d’invalidité révélant l’existence de ses enfants.

[4]  Ainsi qu’il appert du résumé qui précède, l’appel et la demande de contrôle judiciaire sont étroitement liés. C’est pourquoi nous rédigeons un seul exposé des motifs relativement à ces deux instances. Un exemplaire de cet exposé sera versé dans chacun des dossiers correspondants de la Cour.

[5]  S’agissant de l’appel formé contre le jugement de la Cour fédérale, nous devons décider si la cour a retenu la norme de contrôle appropriée, puis nous demander si nous approuvons la manière dont elle a contrôlé la décision de l’agent des mesures législatives : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 et 46. La décision de cet agent reposait avant tout sur les faits, commandant qu’on en évalue le caractère raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 53. C’est donc selon cette norme que la Cour fédérale a examiné la décision. Elle a conclu au caractère raisonnable de celle‑ci, à l’issue d’une analyse très soignée et dont on ne peut que louer le caractère détaillé.

[6]  À notre avis, c’est à bon droit que la Cour fédérale a retenu la norme de la décision raisonnable et conclu que la décision de l’agent des mesures législatives était raisonnable. Sur ces deux points, nous souscrivons pour l’essentiel aux motifs de la Cour fédérale.

[7]  Monsieur Robbins conteste devant notre Cour certains aspects de l’examen mené par l’agent des mesures législatives. Dans l’ensemble, nous souscrivons à la conclusion de la Cour fédérale (formulée au paragraphe 62) selon laquelle l’agent a accompli « un travail minutieux », comme en témoigne sa description détaillée de la procédure administrative suivie à la réception d’une demande de prestations et sa prise en considération de la possibilité qu’une grève postale ait empêché la demande d’arriver à destination.

[8]  Monsieur Robbins fait valoir que certains des documents sur lesquels s’est fondé l’agent des mesures législatives, par exemple les fiches d’observation rédigées par Mme Ashbey, constituent du ouï‑dire. L’agent avait le droit d’appuyer son enquête sur des notes et des pièces courantes versées au dossier.

[9]  Au cours du débat, M. Robbins a soulevé des questions concernant la décision de l’agent des mesures législatives fondée en partie sur des hypothèses et des renseignements non produits à notre dossier. Nous ne pouvons apprécier le caractère raisonnable de la décision de l’agent des mesures législatives que sur la base du contenu du dossier d’appel produit pour la Cour.

[10]  S’agissant de la décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, M. Robbins fait valoir deux principaux moyens : il affirme d’une part que la décision est erronée sur le fond, ne saurait être justifiée et n’appartient pas aux issues acceptables, et d’autre part qu’elle est viciée en raison d’un manquement à l’équité procédurale. Nous examinerons ces deux moyens dans cet ordre.

[11]  S’agissant de la décision proprement dite de la division d’appel, nous tenons à souligner que la division devait examiner une question de fait, soit celle de savoir si M. Robbins avait présenté en 1997 une demande de prestations d’invalidité révélant l’existence de ses enfants. Normalement, pour les motifs exposés au paragraphe 5 ci‑dessus, la norme de contrôle applicable serait celle de la décision raisonnable. Cependant, la division d’appel n’a pas examiné cette question de fait sur le fond. Elle a plutôt conclu n’avoir rien à décider, puisque le jugement de la Cour fédérale avait répondu à la question.

[12]  Nous sommes portés à conclure que la norme de la décision raisonnable s’applique à cette conclusion : voir, par exemple, Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 r.c.s. 422. La question de savoir si une conclusion prononcée dans une instance antérieure a réglé un point en litige dans l’instance subséquente et si la Cour devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire et examiner ce point de nouveau est essentiellement factuelle. Or les questions de fait et les décisions discrétionnaires commandent l’application de la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir, au paragraphe 53.

[13]  Cependant, eu égard aux circonstances de la présente espèce, nous n’avons pas à déterminer la norme de contrôle applicable, puisque la décision de la division d’appel de ne pas examiner la question sur le fond ne peut être que déraisonnable ou erronée.

[14]  En effet, contrairement à ce que pensait la division d’appel, le jugement de la Cour fédérale ne l’empêchait pas d’examiner la question en litige sur le fond. La Cour fédérale avait seulement jugé que la décision de l’agent des mesures législatives sur cette question était raisonnable et non qu’elle était correcte. Théoriquement, la division d’appel — ayant à statuer sur le fond — aurait pu se trouver en désaccord avec l’agent des mesures législatives et rendre une décision différente sur la base du dossier qui lui avait été présenté.

[15]  Cette conclusion, pourtant, ne règle pas le sort de la demande de contrôle judiciaire. Il faut se rappeler que l’examen d’une demande de contrôle judiciaire auquel se livre la cour de révision comporte au plus trois étapes analytiques : le règlement de questions préliminaires et de nature procédurale ; l’examen des points de fond ou de procédure sur lesquels est fondée la décision administrative ; enfin, s’il y a lieu, la question de savoir si la Cour accordera une réparation et, le cas échéant, la nature de celle‑ci : Budlakoti c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 139, 473 N.R. 283, aux paragraphes 28 à 30. Bien que la décision de la division d’appel ne résiste pas à un examen au fond, il faut néanmoins examiner la question de la réparation.

[16]  Monsieur Robbins demande l’annulation de la décision de la division d’appel. Une annulation, comme toutes les mesures de réparation pouvant être accordées dans le cadre d’un contrôle judiciaire, est de nature discrétionnaire : Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6. Après avoir examiné l’affaire avec le soin voulu, évalué les intérêts en jeu et pris en compte les circonstances particulières de l’espèce, la Cour peut refuser d’accorder réparation.

[17]  Dans l’exercice de notre pouvoir discrétionnaire d’accorder réparation, il est important d’examiner si l’annulation de la décision de la division d’appel aurait une quelconque portée pratique : Mines Alerte, précité; voir également, par exemple, Comité de la bande indienne d’Adams Lake c. Bande indienne d’Adams Lake, 2011 CAF 37, 419 N.R. 385. Dans les cas où le décideur administratif ne pourrait raisonnablement rendre une décision différente, il ne serait d’aucun effet pratique de lui renvoyer l’affaire, de sorte que la cour de révision ne devrait pas accorder une mesure de réparation : Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, 341 D.L.R. (4th) 710, aux paragraphes 44 à 46. Par contre, s’il est concevable que le décideur administratif puisse rendre une décision à la fois différente et raisonnable, il convient d’annuler sa décision et de lui renvoyer l’affaire en sa qualité de juge des faits et du fond : Lemus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114, 372 D.L.R. (4th) 567, au paragraphe 38. Il faut faire preuve de prudence à cet égard et résoudre tout doute en faveur du renvoi de l’affaire : Immeubles Port Louis ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326, à la page 361. On ne doit pas oublier que c’est le décideur administratif, et non la cour de révision, qui est le juge des faits et du fond : Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, 479 N.R. 189, au paragraphe 23 ; Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, 428 N.R. 297, aux paragraphes 16 à 19.

[18]  Dans la présente espèce, annuler la décision de la division d’appel et lui renvoyer l’affaire pour qu’elle statue à nouveau n’auraient à notre sens aucune conséquence pratique. Étant donné ce facteur et toutes les circonstances pertinentes de l’espèce, nous exerçons notre pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder cette mesure de réparation.

[19]  En l’espèce, si l’affaire était renvoyée devant la division d’appel pour que celle‑ci statue à nouveau, l’issue ne ferait aucun doute. Il appert que la division d’appel a pu examiner le résultat du travail l’agent des mesures législatives et sa décision : voir les paragraphes 12 et 13 de la décision de la division. Après avoir examiné l’ensemble du dossier présenté à la division d’appel, nous concluons que la seule conclusion raisonnable qu’elle pouvait tirer était que le bureau compétent n’avait reçu en 1997 aucune demande de prestations d’invalidité révélant l’existence des enfants de M. Robbins. En outre, même si la division d’appel n’est pas liée par le jugement de la Cour fédérale, le raisonnement sur lequel ce jugement est fondé ne laisse aucun doute sur ce point. Bref, les nombreux éléments de preuve en l’espèce ne peuvent mener le décideur raisonnable qu’à une seule conclusion. En conséquence, nous refusons de renvoyer la présente affaire devant la division d’appel pour qu’elle statue à nouveau.

[20]  Comme nous l’avons indiqué ci‑dessus, M. Robbins avance un second moyen contre la décision de la division d’appel : il soutient que celle‑ci a manqué à l’équité procédurale en n’instruisant le différend que sur dossier.

[21]  Vu la nature des questions en litige, la preuve produite au dossier de la division d’appel et les circonstances de l’espèce, nous rejetons son argument. La division d’appel est habilitée à statuer sur dossier (c’est‑à‑dire sur le seul fondement des observations écrites et des documents produits au dossier) : voir l’article 43 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2013‑60. Une certaine marge de manœuvre lui est accordée pour faire ce choix de nature procédurale, dans une certaine mesure parce que ce choix est souvent fonction de son appréciation des questions en litige, de la preuve qui lui est présentée et des circonstances de l’espèce : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193, au paragraphe 27; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, au paragraphe 89. Enfin, nous tenons à souligner que l’alinéa 3(1)a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale oblige la division d’appel à « veille[r] à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent ».

[22]  Même si nous n’accordions aucune marge de manœuvre à la division d’appel et si nous examinions avec la plus grande rigueur sa décision de se contenter d’une procédure écrite, nous estimerions que M. Robbins a amplement eu l’occasion de présenter des éléments de preuve et des observations, et que la tenue d’une audience n’aurait pas changé le résultat : Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, 111 D.L.R. (4th) 1. Monsieur Robbins a d’ailleurs admis avec franchise à l’audience qu’il aurait dans une large mesure répété le contenu des pièces écrites.

[23]  Par conséquent, nous rejetterons l’appel et la demande de contrôle judiciaire. À l’audience, l’intimé et défendeur a renoncé par souci d’équité à solliciter les dépens afférents à ces instances. Nous n’adjugerons donc aucuns dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIERS :

A‑489‑14 et A‑213‑15

APPEL DU JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE RENDU LE 11 JUILLET 2014 PAR MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE DANS LE DOSSIER NO T‑2237‑12, ET DE LA DÉCISION DÉFINITIVE RENDUE LE 16 OCTOBRE 2014 PAR LA DIVISION D’APPEL DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE DANS LE DOSSIER NO CP27185

DOSSIER :

A‑489‑14

 

INTITULÉ :

WAYNE ROBBINS c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

DOSSIER :

A‑213‑15

 

INTITULÉ :

WAYNE ROBBINS c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 FÉVRIER 2017

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE STRATAS

COMPARUTIONS :

Wayne Robbins

POUR L’APPELANT ET DEMANDEUR

Vanessa Luna

POUR L’INTIMÉ ET DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Agissant pour son propre compte.

POUR l’appelant et demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉ ET DÉFENDEUR

 

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