Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20170217

Dossier : A‑222‑16

Référence : 2017 CAF 37

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

C. STEVEN SIKES, AQUERO, LLC

ET AQUIAL, LLC

appelants

et

ENCANA CORPORATION, CENOVUS FCCL LTD., FCCL PARTNERSHIP ET CENOVUS ENERGY INC.

intimées

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 15 février 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 février 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY


 


Date : 20170217

Dossier : A‑222‑16

Référence : 2017 CAF 37

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

C. STEVEN SIKES, AQUERO, LLC

ET AQUIAL, LLC

appelants

et

ENCANA CORPORATION, CENOVUS FCCL LTD., FCCL PARTNERSHIP ET CENOVUS ENERGY INC.

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF NOËL

[1]  La Cour est saisie d’un appel de la décision de la Cour fédérale par laquelle le juge Bell (le juge de la Cour fédérale) a rejeté un appel interjeté à l’encontre d’une ordonnance interlocutoire du protonotaire Lafrenière (le protonotaire) refusant d’accueillir la requête de C. Steven Sikes (M. Sikes), Aquero, LLC et Aquial, LLC (collectivement désignés les « appelants ») visant à faire radier le cabinet Smart & Biggar / Fetherstonhaugh (Smart & Biggar) à titre d’avocats inscrits au dossier des sociétés EnCana Corporation, Cenovus FCCL Ltd., FCCL Partnership et Cenovus Energy Inc. (collectivement désignées les « intimées »).

[2]  Pour les motifs qui suivent, j’estime que l’appel ne peut pas être accueilli.

I.  Rappel des faits

[3]  Au milieu de 2008, M. Sikes a communiqué avec huit cabinets d’avocats afin que les appelants puissent être représentés par un avocat qui pourrait faire valoir leurs droits découlant d’un brevet canadien en instance. Smart & Biggar, le cabinet actuellement inscrit au dossier pour les intimées, comptait parmi les bureaux contactés par M. Sikes qui ont refusé de représenter les appelants en raison d’un conflit d’intérêts (motifs du protonotaire, au paragraphe 12).

[4]  Suivant les conseils d’un avocat du cabinet Ogilvy Renault, M. Sikes a consulté le profil de Me Garland sur le site Web de Smart & Biggar et lui a téléphoné le 16 juin 2008 (motifs du protonotaire, au paragraphe 13). Il appert de l’exposé des faits – non contesté – produit devant le protonotaire que cet appel a donné lieu à un entretien de 15 minutes pendant lequel M. Sikes a informé Me Garland qu’il cherchait un avocat « pour un brevet canadien en instance et au sujet d’une possible situation de contrefaçon concernant les processus et les produits chimiques de clarification de l’eau dans la région des sables bitumineux » (motifs du protonotaire, au paragraphe 13). Conformément à la politique de Smart & Biggar en matière de conflits d’intérêts, Me Garland a demandé de plus amples renseignements à M. Sikes et ouvert un dossier général intitulé « Aquero Company » (motifs du protonotaire, au paragraphe 13).

[5]  Selon les courriels échangés, M. Sikes a réitéré son souhait de se faire représenter par Smart & Biggar, et Me Garland a répondu qu’il lui faudrait d’abord effectuer un examen standard relatif aux conflits d’intérêts (motifs du protonotaire, au paragraphe 15). M. Sikes a communiqué avec Me Garland deux autres fois avant que ce dernier l’informe, le 23 juin 2008, qu’il ne pourrait pas agir au nom des appelants en raison d’un conflit d’intérêts (motifs du protonotaire, au paragraphe 16). Me Garland a toutefois recommandé à M. Sikes des cabinets d’avocats susceptibles de pouvoir représenter les appelants (motifs du protonotaire, au paragraphe 16).

[6]  En mai 2015, soit plus d’un an après la nomination de Smart & Biggar à titre d’avocats inscrits au dossier des intimées dans l’instance qui opposait les parties (motifs du protonotaire, aux paragraphes 17 à 20), l’avocat des appelants a présenté une requête en vue de faire radier l’inscription de ce cabinet d’avocats compte tenu des communications de juin 2008 entre M. Sikes et Me Garland (motifs du protonotaire, au paragraphe 29).

[7]  À l’appui de leur requête, les appelants ont fait valoir que M. Sikes avait communiqué des renseignements confidentiels à Me Garland et que celui‑ci lui avait donné des conseils juridiques (motifs du protonotaire, au paragraphe 3). Les appelants ont déposé un affidavit signé par M. Sikes, auquel les intimées ont répondu en déposant des affidavits signés par Me Garland et par Me Graham, un autre avocat de Smart & Biggar (motifs du protonotaire, au paragraphe 30). Seul M. Sikes a été contre‑interrogé sur son affidavit (motifs du protonotaire, au paragraphe 31).

[8]  Le protonotaire, qui était aussi chargé de la gestion de l’instance, a rejeté la requête en radiation de l’inscription au dossier de Smart & Biggar, ayant conclu que le témoignage non contesté de Me Garland établissait que les renseignements communiqués par M. Sikes étaient de nature générale et non confidentielle et que Me Garland ne lui avait pas donné de conseils juridiques. Ce dernier ne se rappelait peut‑être pas précisément de l’entretien téléphonique de 15 minutes, mais son témoignage était corroboré par les notes qu’il avait prises pendant cet entretien et concordait avec la procédure d’examen appliquée par Smart & Biggar pour éviter les conflits d’intérêts (motifs du protonotaire, au paragraphe 31). Bref, le protonotaire a accepté l’affirmation de Me Garland selon laquelle il ne se serait pas écarté de cette procédure.

[9]  Le protonotaire a adjugé les dépens aux parties défenderesses (les intimées au présent appel) et en a ordonné le paiement sans délai, indépendamment de l’issue de la cause (ordonnance du protonotaire, au paragraphe 2).

[10]  Le juge de la Cour fédérale a rejeté l’appel interjeté contre la décision du protonotaire. Il s’est contenté de rappeler que le protonotaire avait conclu à l’absence d’une relation avocat‑client et a affirmé qu’il n’y avait aucun fondement qui lui permettait de modifier cette conclusion (motifs du juge de la Cour fédérale, au paragraphe 16). Le juge de la Cour fédérale a estimé qu’il fallait faire preuve d’une grande déférence à l’égard de la décision du protonotaire puisque la décision de radier l’inscription de l’avocat au dossier relève d’un pouvoir discrétionnaire et est principalement fondée sur des conclusions de fait, et que ledit protonotaire était chargé de la gestion de l’instance au principal (motifs du juge de la Cour fédérale, au paragraphe 13).

[11]  La Cour fédérale a aussi refusé d’aller à l’encontre de la décision du protonotaire en ce qui concerne l’adjudication des dépens et elle a ordonné aux appelants de payer « solidairement aux défendeurs des dépens [afférents à l’appel], indépendamment de l’issue de la cause » (ordonnance du juge de la Cour fédérale, au paragraphe 2).

II.  Analyse et décision

[12]  Notre Cour a conclu au paragraphe 79 de l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2016] A.C.F. no 943, (Hospira), que les décisions discrétionnaires de protonotaires devraient désormais être contrôlées suivant le critère formulé dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33. Dans une affaire telle que la présente où les décideurs des deux échelons s’accordent sur le résultat, notre Cour doit examiner la décision du protonotaire afin d’établir si le juge de la Cour fédérale a commis une erreur de droit, ou une erreur manifeste et dominante, en refusant d’infirmer ou de modifier la décision du protonotaire (Hospira, aux paragraphes 83 et 84).

[13]  Le protonotaire a justifié son rejet de la requête par deux motifs distincts. Premièrement, les appelants avaient selon lui échoué à prouver l’existence d’une relation avocat‑client entre M. Sikes et Smart & Biggar. Deuxièmement, passant à l’examen de ce qu’il a défini comme « [l]a véritable question à trancher », il a conclu que M. Sikes n’avait communiqué à Smart & Biggar aucun renseignement confidentiel susceptible d’être utilisé au détriment des appelants (motifs du protonotaire, aux paragraphes 7, 8 et 55).

[14]  À propos de ce second motif, les appelants reconnaissent que, pour pouvoir accueillir leur requête, le protonotaire devait être convaincu qu’il existait [traduction] « un risque de mauvais usage de renseignements confidentiels » (mémoire des appelants, paragraphe 18, où l’on cite Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235, aux paragraphes 15, 23 et 44 à 51 [Succession MacDonald]). Ils contestent cependant la conclusion du protonotaire selon laquelle un tel risque n’existait pas.

[15]  Les appelants fondent cette contestation sur divers arguments, lesquels reposent tous sur l’interprétation supposément erronée faite par le protonotaire du critère formulé dans l’arrêt Succession MacDonald, lequel oblige la Cour à se poser les questions suivantes : 1) L’avocat a‑t‑il appris, du fait d’une relation avocat‑client, des faits confidentiels qui concernent l’objet du litige? 2) Y a‑t‑il un risque que ces renseignements soient utilisés au détriment du client? (Succession MacDonald, au paragraphe 45).

[16]   Le principal moyen d’appel des appelants est que les renseignements communiqués par M. Sikes à Smart & Biggar sont présumés confidentiels et que le protonotaire a omis de donner effet à cette présomption. En fin de compte, les appelants soutiennent qu’on leur a imposé à tort la charge de prouver [traduction] « une chose qu’il [leur] était impossible de prouver » (mémoire des appelants, paragraphes 13 et 45, où l’on cite les paragraphes 44 à 46 de Succession MacDonald, ainsi que Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, à la page 876 [Descôteaux]).

[17]  Je reconnais que la communication de renseignements par M. Sikes à Me Garland a eu lieu dans le cadre de l’examen de la possibilité d’établir une relation avocat‑client et que, étant donné la règle formulée dans l’arrêt Descôteaux, on peut soutenir que la présomption de confidentialité s’applique aux renseignements ainsi communiqués.

[18]  Cependant, cette thèse ne cadre pas bien avec les paramètres du critère formulé dans Succession MacDonald puisque la présomption de confidentialité appliquée dans cette affaire est fondée sur l’existence d’une relation avocat‑client. La Cour suprême n’a pas fait référence à Descôteaux dans Succession MacDonald, vraisemblablement parce que la relation avocat‑client qui avait donné lieu au différend dans cette dernière affaire existait déjà au moment pertinent (Succession MacDonald, au paragraphe 2), de sorte que ne se posait pas la question de savoir à partir de quel moment les renseignements sont présumés être communiqués sous le sceau du secret dans le processus menant à l’établissement d’un mandat de représentation en justice (Descôteaux, aux pages 876 et 877).

[19]  On pourrait soutenir, j’en conviens avec les appelants, que compte tenu de l’arrêt Descôteaux, les deux questions formulées dans Succession MacDonald doivent recevoir réponse même lorsqu’une relation avocat‑client ne se matérialise pas, de sorte qu’il serait permis de penser que la présomption de confidentialité examinée dans ce dernier arrêt s’applique aux renseignements communiqués par M. Sikes à Me Garland.

[20]  On pourrait déduire de la manière dont le protonotaire s’exprime dans l’un des derniers paragraphes de ses motifs qu’il s’est fondé sur cette présomption et que, en outre, elle jouait selon lui contre les appelants. Sa dernière conclusion commence en effet par les termes : « je suis d’avis que les [appelants] ne se sont pas acquittés du fardeau […] » (motifs du protonotaire, au paragraphe 55).

[21]  Je n’ai pas à décider si le protonotaire a commis une erreur à ce propos parce que, en supposant, sans trancher la question, que la présomption jouait en faveur des appelants, sa décision ne repose pas sur la question de savoir qui supportait le fardeau de la preuve ou qui bénéficiait de cette présomption.

[22]  Les appelants ne se sont pas fondés sur la présomption, mais ont plutôt choisi de produire des éléments de preuve spécifiques. M. Sikes a signé un long affidavit, sur lequel il a subi un contre‑interrogatoire approfondi, où il exposait dans le détail ses échanges confidentiels et les conseils qu’il avait reçus (motifs du protonotaire, aux paragraphes 32 et 34). Me Garland a contesté cette version des faits dans l’affidavit déposé en réponse.

[23]  Le protonotaire a fondé sa conclusion sur son appréciation de la preuve contradictoire dont il disposait. En fin de compte, il a retenu la preuve claire et incontestée de Me Garland et a écarté les éléments de preuve « désagrégés » de M. Sikes (motifs du protonotaire, au paragraphe 54). Plus précisément, il a conclu que le contre‑interrogatoire de M. Sikes avait permis d’exposer des inexactitudes, des mauvaises interprétations et des embellissements (motifs du protonotaire, au paragraphe 42), et que ses éléments de preuve étaient en partie trompeurs (motifs du protonotaire, au paragraphe 52).

[24]  Le protonotaire explique comme suit sa conclusion au paragraphe 51 de ses motifs, sous la rubrique « Analyse et conclusion » :

Les éléments de preuve figurant dans les affidavits présentés par les parties étaient contradictoires sous plusieurs aspects. À première vue, les allégations faites par M. Sikes dans son affidavit semblaient assez graves. Toutefois, à la lumière de concessions et d’aveux importants par M. Sikes lors du contre‑interrogatoire par l’avocat des défendeurs, je ne suis pas convaincu que M. Sikes a fourni des renseignements confidentiels pertinents liés à cette affaire à M. Garland, ou bien que ce dernier a donné des conseils juridiques à M. Sikes.

[25]  En concluant ainsi, le protonotaire n’a pas mis les appelants dans une situation où ils devaient prouver une chose impossible à prouver. La Cour suprême faisait observer dans Succession MacDonald la quasi‑impossibilité de prouver que ne seront pas utilisés de manière préjudiciable les renseignements confidentiels portés à la connaissance de membres d’un cabinet d’avocats visé par une requête en déclaration d’inhabilité (Succession MacDonald, au paragraphe 44). Cependant, elle a aussi précisé qu’il peut y avoir des cas où « l’avocat convainc le tribunal qu’aucun renseignement pertinent [au différend sous‑jacent] n’a été communiqué » (Succession MacDonald, au paragraphe 46). Or, c’est précisément ce que le protonotaire a conclu en l’espèce, en se fondant sur les éléments de preuve spécifiques produits par les deux parties.

[26]  Me Garland ne pouvait pas se rappeler précisément de l’entretien ayant eu lieu sept ans auparavant, mais le protonotaire a reconnu en lui un avocat expérimenté, habitué à appliquer la procédure d’examen prévue par son cabinet pour éviter les conflits d’intérêts. Les notes manuscrites qu’il avait prises pendant l’entretien téléphonique corroboraient ses affirmations qu’aucun conseil juridique n’avait été demandé ni donné et que les renseignements communiqués étaient de nature générale (motifs du protonotaire, au paragraphe 39). Ces éléments de preuve, s’ajoutant au contre‑interrogatoire de M. Sikes, ont amené le protonotaire à conclure qu’aucun renseignement pertinent au litige n’avait été communiqué (motifs du protonotaire, au paragraphe 55). C’est là une conclusion qu’il était permis au protonotaire de tirer au vu de la preuve dont il disposait.

[27]  Il s’ensuit que le juge de la Cour fédérale n’avait aucune raison de modifier la décision du protonotaire, de sorte que l’appel devrait être rejeté.

[28]  Dernier point en litige, les appelants contestent les dépens adjugés par le protonotaire et par le juge de la Cour fédérale. Or, je ne vois aucune raison de les modifier.

[29]  Je rejetterais l’appel avec dépens.

« Marc Noël »

Juge en chef

« Je suis d’accord

Richard Boivin, j.c.a. »

« Je suis d’accord

Yves de Montigny, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

A‑222‑16

 

INTITULÉ :

C. STEVEN SIKES, AQUERO, LLC ET AQUIAL, LLC c. ENCANA CORPORATION, CENOVUS FCCL LTD., FCCL PARTNERSHIP ET CENOVUS ENERGY INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

ottawa (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 FÉVRIER 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

lE JUGE EN CHEF noël

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 FÉVRIER 2017

COMPARUTIONS :

Craig A. Bell

POUR LES APPELANTS

David W. Aitken

POUR LES INTIMÉES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Craig A. Bell

Avocat

Calgary (Alberta)

 

POUR LES APPELANTS

 

Aitken Klee LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

 

 

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