Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170221


Dossier : A‑331‑16

Référence : 2017 CAF 38

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

ANNIE PUI KWAN LAM

appelante

intimée à l'appel incident

et

CHANEL S. DE R.L.,

CHANEL LIMITED

et CHANEL INC.

intimées

appelantes à l'appel incident

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 15 février 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 février 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE WOODS


Date : 20170221


Dossier : A‑331‑16

Référence : 2017 CAF 38

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

ANNIE PUI KWAN LAM

appelante

intimée à l'appel incident

et

CHANEL S. DE R.L.,

CHANEL LIMITED

et CHANEL INC.

intimées

appelantes à l'appel incident

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]  Les questions en litige dans le présent appel et la décision de la Cour quant à celui-ci exigent une connaissance du déroulement de l’instance, aussi bien devant la Cour fédérale que devant notre Cour. C’est pourquoi j’exposerai ici ce déroulement de manière assez détaillée.

[2]  Par jugement rendu le 18 septembre 2015 (2015 CF 1091), la Cour fédérale a déclaré les défenderesses en cause responsables d’avoir contrefait des marques déposées des demanderesses et d’avoir vendu des marchandises de manière à causer de la confusion au titre de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13. Cette responsabilité découlait de la vente de marchandises contrefaites de la demanderesse durant la période allant de 2011 à 2013. Le juge a condamné solidairement les défenderesses à des dommages-intérêts compensatoires de 64 000 $, à des dommages-intérêts punitifs de 250 000 $ et à des dépens de 66 000 $.

[3]  En appel, la Cour a conclu (2016 CAF 111) que les motifs du juge péchaient par ambiguïté sur le point de savoir si l’appelante était responsable de trois ou quatre actes de vente de marchandises contrefaites. Elle a donc renvoyé l’affaire au juge pour qu’il apporte des précisions quant à cette conclusion. En conséquence, notre Cour a annulé les conclusions sur les dommages-intérêts punitifs et les dépens, au motif qu’elles dépendaient de manière indissociable du nombre d’actes de contrefaçon. Elle a par ailleurs rejeté tous les autres moyens d’appel, ne voyant « pas de raison d’annuler les autres conclusions du juge concernant la participation et la responsabilité de l’appelante en l’espèce ».

[4]  Notre Cour a fait observer que, même si le montant des dommages-intérêts punitifs (250 000 $) était proportionnellement plus élevé que dans des affaires antérieures, il était possible, étant donné les conclusions du juge et la nécessité de la dissuasion, qu’il soit justifié, à la lumière d’un examen plus détaillé des principes formulés dans l’arrêt Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595 (Whiten).

[5]  À l’audience de réexamen tenue devant la Cour fédérale, le juge a précisé que l’appelante était responsable de quatre actes de contrefaçon. Il a réitéré les conclusions de sa première décision en ce qui concerne les dommages-intérêts compensatoires et les dépens. Il a également fourni des motifs supplémentaires à l’appui de sa conclusion se rapportant aux dommages‑intérêts punitifs. C’est cette seconde décision (Chanel S. de R.L. c. Lam Chan Kee Company Ltd., 2016 CF 987) qui fait l’objet du présent appel.

[6]  L’appelante, dans son avis d’appel, ne conteste pas la conclusion qui la déclare responsable du quatrième acte de contrefaçon. Elle limite plutôt son appel à l’adjudication de dommages-intérêts compensatoires et punitifs ainsi que de dépens. Les conclusions sur sa responsabilité sont par conséquent définitives, de même que les conclusions de fait sur lesquelles se fonde l’adjudication de dommages-intérêts.

[7]  J’examinerai d’abord l’adjudication du montant de 64 000 $ à titre de dommages‑intérêts compensatoires.

[8]  Dans son arrêt rendu le 11 avril 2016, notre Cour a constaté que le montant des dommages-intérêts, qui a été fixé à 8 000 $ par acte de contrefaçon pour chacune des défenderesses, était compatible avec la jurisprudence. Comme notre Cour a confirmé la base de calcul des dommages-intérêts compensatoires, elle ne pourrait modifier la décision du juge sur ce point que si, après nouvel examen, il avait déclaré les défenderesses responsables de trois actes de contrefaçon plutôt que de quatre. Or, la conclusion sur le quatrième acte de contrefaçon n’étant pas contestée en appel, la règle de la préclusion pour question déjà tranchée interdit à l’appelante de contester une deuxième fois devant notre Cour la méthode de calcul des dommages-intérêts compensatoires.

[9]  J’examinerai maintenant le moyen d’appel relatif à l’octroi de dommages-intérêts punitifs. Comme je le disais plus haut, la Cour d’appel a conclu que, si l’attribution de 250 000 $ à ce titre pouvait se justifier comme mesure de réparation, une explication « plus étoffée » que celle donnée par le juge était toutefois nécessaire. La question en litige dans le présent appel est donc à cet égard celle de savoir si le juge a justifié cette adjudication à la lumière de ses conclusions de fait et des principes applicables aux dommages-intérêts punitifs.

[10]  La contestation de l’adjudication de dommages-intérêts punitifs ne saurait réussir. Le juge a recensé un bon nombre de facteurs relatifs à la conduite de l’appelante qui se révèlent propres à justifier la conclusion que l’octroi de dommages-intérêts punitifs était « rationnellement nécessaire pour punir la conduite répréhensible du défendeur » (Whiten, au para. 107). Je conclus également que l’adjudication est conforme aux objectifs des dommages-intérêts punitifs, à savoir le châtiment, la dissuasion et la dénonciation.

[11]  Je relève, entre autres points, les conclusions du juge selon lesquelles les défenderesses étaient motivées par le profit; la vulnérabilité des demanderesses et l’érosion de la réputation de leurs marques découlant de la contrefaçon de celles‑ci; les efforts déployés par les défenderesses pour induire la Cour en erreur; le transfert frauduleux de la propriété de leur société qu’elles ont opéré après le dépôt de la déclaration afin d’éviter la responsabilité; le récidivisme des défenderesses, révélé par les ordonnances antérieures sur la même conduite; le fait qu’elles savaient que leurs activités étaient illicites; l’importance quantitative de la violation des droits; la continuation de la vente de produits contrefaits après le dépôt et la signification de la déclaration; le fait que les défenderesses n’aient produit aucune trace écrite de leur activité et la conclusion du juge selon laquelle la contrefaçon était continue et délibérée. Le juge a en outre situé sa décision sur les dommages-intérêts punitifs dans le contexte de la jurisprudence applicable.

[12]  L’argument de l’appelante selon lequel il devrait y avoir une proportion déterminée entre le montant des dommages-intérêts compensatoires et celui des dommages-intérêts punitifs n’est pas fondé. La Cour suprême a en effet explicitement rejeté cette démarche. Le juge Binnie, au paragraphe 73 de Whiten, a fait observer que « [l’]aspect auquel il faut s’attacher n’est pas la perte du demandeur, mais la conduite répréhensible du défendeur », et qu’en appliquant une proportion entre les dommages-intérêts compensatoires et les dommages-intérêts punitifs, on n’accorde pas une place suffisante aux nombreuses variables qui doivent être prises en considération lorsqu’il s’agit d’établir le montant à allouer.

[13]  La jurisprudence enseigne que la décision quant à savoir s’il y a lieu d’allouer des dommages‑intérêts punitifs et, le cas échéant, quant à la détermination de leur montant, est de nature hautement contextuelle, et que ce contexte est orienté par les caractéristiques propres à la conduite des défendeurs et par les facteurs spécifiques à la contrefaçon des marques de commerce. En l’occurrence, l’évaluation par le juge du montant des dommages-intérêts reposait dans une large mesure sur la conduite des défenderesses et sur sa conclusion selon laquelle le seul octroi de dommages-intérêts compensatoires ne serait pas une dissuasion suffisante. Ce moyen d’appel est donc rejeté.

[14]  Il ne reste donc plus que la contestation de l’adjudication de dépens de 66 000 $. L’adjudication des dépens est de nature discrétionnaire et ne sera pas infirmée en appel en l’absence d’une erreur de principe. L’appelante n’ayant pas établi que le juge a commis une erreur de cet ordre, ce moyen d’appel est rejeté.

I.  L’appel incident

[15]  Les intimées se pourvoient incidemment en appel contre le fait que le juge n’aurait pas tenu compte d’une offre de règlement qu’elles ont faite à l’appelante avant l’audience de réexamen devant la Cour fédérale. Elles prétendent que le fait que l’appelante ait rejeté cette offre et qu’elles aient obtenu entièrement gain de cause en réexamen déclenche l’application du paragraphe 420(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, à l’égard des dépens. S’il est vrai que le juge n’a pas expressément tenu compte de cette disposition dans son calcul des dépens, la question du doublement de ceux‑ci que prévoit le paragraphe 420(1) des Règles se trouve implicitement réglée par le paragraphe 83 des motifs du juge, où il déclare qu’aucune des parties ne devrait supporter de dépens additionnels du fait du réexamen. L’appel incident sera donc rejeté.

II.  Les dépens afférents à l’appel

[16]  Les intimées demandent qu’on leur accorde les dépens afférents au présent appel sur la base avocat-client. Elles font remarquer que l’appelante n’a pas présenté de conclusions sur la norme de contrôle applicable ni fait état d’une quelconque erreur dans la décision visée par l’appel. L’exposé des arguments de l’appelante, ajoutent-elles, n’est dans une grande mesure qu’une liste de jurisprudence identique à celle qu’elle avait invoquée devant la Cour, et que la Cour avait rejetée lors du premier appel. Les intimées qualifient le présent appel de procédure abusive, dont le but est de contrecarrer leurs efforts de recouvrement des indemnités qui leur avaient été accordées.

[17]  Nous avons conclu que le présent appel est dénué de fondement et que l’appelante n’a avancé aucun moyen d’appel valable à l’encontre de la décision de la Cour fédérale. Il est donc approprié d’adjuger en l’espèce les dépens sur la base procureur-client.

[18]  L’appel sera rejeté avec dépens, taxés sur la base avocat-client. Quant à l’appel incident, il sera rejeté, sans frais.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d’accord

J. Woods, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉ DU 30 août 2016, RENDU DANS LE DOSSIER NO T‑653‑13 (2016 CF 987)

DOSSIER :

A‑331‑16

 

INTITULÉ :

ANNIE PUI KWAN LAM c. CHANEL S. DE R.L., CHANEL LIMITED et CHANEL INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 FÉVRIER 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE WOODS

DATE DES MOTIFS :

LE 21 FÉVRIER 2017

COMPARUTIONS :

Richard H. Parker, c.r.

POUR L’APPELANTE

(intimée à l’appel incident)

Karen F. MacDonald

Mathew D. Brechtel

POUR LES INTIMÉES

(appelantes à l’appel incident)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Coutts Crane

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

(intimée à l’appel incident)

Norton Rose Fulbright

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES INTIMÉES

(appelantes à l’appel incident)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.