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Date : 20170315


Dossier : A‑559‑15

Référence : 2017 CAF 53

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

BENJAMIN MOORE & CO. LIMITED

appelante

et

HOME HARDWARE STORES LIMITED

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 27 octobre 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 mars 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20170315


Dossier : A‑559‑15

Référence : 2017 CAF 53

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

BENJAMIN MOORE & CO. LIMITED

appelante

et

HOME HARDWARE STORES LIMITED

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

[1]  Benjamin Moore & Co. Limited a sollicité, en vertu de l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), l’enregistrement de deux marques de commerce : les mots servant de marque « BENJAMIN MOORE NATURA », et le dessin‑marque illustré ci‑dessous. Les deux marques doivent être employées en liaison avec des peintures d’intérieur et d’extérieur.

[2]  Home Hardware Stores Limited a produit des déclarations d’opposition aux demandes d’enregistrement, conformément à l’article 38 de la Loi. Elle affirme, entre autres choses, que les marques de Benjamin Moore créent de la confusion avec neuf des marques de Home Hardware qui comprennent le mot « natura ». Les marques de Home Hardware apparaissent à l’appendice A.

[3]  Sept des marques de Home Hardware sont des dessins‑marques déposés qui possèdent deux caractéristiques communes, le nom d’un produit ou d’une gamme de produits et une forme stylisée du mot « natura ». Un exemple typique est le dessin‑marque qui contient les mots « natura wood prep », et qui est associé à une préparation servant à nettoyer le bois d’extérieur.

[4]  Les deux autres marques de Home Hardware sont des mots servant de marque qui ne sont pas enregistrés; à la date pertinente, les demandes d’enregistrement de ces marques étaient pendantes.

[5]  L’une de ces marques est « BEAUTI‑TONE NATURA », qui est employée en liaison avec des peintures et des produits apparentés. C’est la seule marque pertinente de Home Hardware qui est employée explicitement en liaison avec des peintures, et c’est aussi la seule marque pertinente qui comprend l’expression « BEAUTI‑TONE », une marque de Home Hardware associée aux peintures.

[6]  L’autre marque pertinente de Home Hardware est le mot servant de marque « NATURA ». Dans la demande d’enregistrement, cette marque est associée à un groupe diversifié de marchandises qui ne comprend pas de peintures.

I.  Historique de la procédure

[7]  Les oppositions de Home Hardware ont été rejetées par la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) dans une décision datée du 29 septembre 2014 (2014 COMC 211). La décision de la Commission procédait essentiellement du constat selon lequel il n’y avait pas de confusion entre les marques de commerce de Benjamin Moore et celles de Home Hardware à aucune des dates pertinentes auxquelles devait être établie l’existence ou l’absence de confusion.

[8]  Home Hardware a interjeté appel de cette décision à la Cour fédérale, conformément au paragraphe 56(1) de la Loi. Devant la Cour fédérale, elle a produit de nouveaux éléments de preuve substantiels conformément au paragraphe 56(5) de la Loi. La Cour fédérale a donc procédé à un examen de novo de l’affaire.

[9]  Par décision datée du 4 décembre 2015, la Cour fédérale a conclu qu’il y avait confusion entre les marques, « d’autant mieux que ces marques sont employées en liaison avec la peinture » (motifs, par. 73). Les demandes d’enregistrement produites par Benjamin Moore ont donc été rejetées (Home Hardware Stores Limited c. Benjamin Moore & Co., Limited, 2015 CF 1344).

[10]  Benjamin Moore a fait appel du jugement de la Cour fédérale.

II.  Cadre législatif

[11]  Les dispositions applicables sont reproduites à l’appendice B.

[12]  Selon l’article 38 de la Loi, toute personne peut s’opposer à une demande d’enregistrement d’une marque de commerce en invoquant l’un des motifs suivants :

a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30;

(a) that the application does not conform to the requirements of section 30;

b) la marque de commerce n’est pas enregistrable;

(b) that the trade-mark is not registrable;

c) le requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement;

(c) that the applicant is not the person entitled to registration of the trade-mark; or

d) la marque de commerce n’est pas distinctive.

(d) that the trade-mark is not distinctive.

[13]  Les motifs d’opposition ci‑dessus sont rattachés à d’autres dispositions de la Loi qui traitent des conditions d’enregistrement. Voici, parmi ces conditions, celles qui sont pertinentes en l’espèce.

  • a) Une marque de commerce n’est pas enregistrable si elle crée de la confusion avec une marque déposée (al. 38(2)b) et 12(1)d) de la Loi). La date à retenir pour déterminer si des marques de commerce créent de la confusion est la « date à laquelle l’affaire est tranchée suivant la preuve produite » (Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413, p. 422; [1991] A.C.F. no 546 (QL) (C.A.F.)).

  • b) Le requérant n’a pas droit à l’enregistrement d’une marque de commerce projetée si celle‑ci crée de la confusion avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne (al. 38(2)c) et 16(3)a) de la Loi). La date à retenir à cet égard est la date de production de la demande d’enregistrement (paragraphe 16(3) et Park Avenue Furniture, p. 422).

  • c) Le requérant n’a pas droit à l’enregistrement d’une marque de commerce projetée si celle‑ci crée de la confusion avec une marque de commerce à l’égard de laquelle une demande d’enregistrement produite par une autre personne est pendante (al. 38(2)c) et 16(3)b), et par. 16(4) de la Loi). La date à retenir à cet égard est la date de production de la demande d’enregistrement (par. 16(3) et Park Avenue Furniture, p. 422).

  • d) Une marque de commerce n’est pas enregistrable si elle n’est pas distinctive. Est « distinctive » la marque de commerce qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des produits ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi (al. 38(2)d) et art. 2 de la Loi). La date à retenir à cet égard est la date de production de la déclaration d’opposition (Park Avenue Furniture, p. 423 et 424).

[14]  L’article 6 de la Loi expose le cadre servant à déterminer si une marque de commerce crée de la confusion avec une autre. En général, il s’agit de savoir si l’emploi des deux marques dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits ou services concernés sont fabriqués ou vendus par la même personne. À cette fin, l’article 4 de la Loi donne un sens large au terme « emploi ».

[15]  Le paragraphe 6(5) énumère les facteurs qui doivent être pris en compte dans l’analyse relative à la confusion. Il prévoit que toutes les circonstances de l’espèce doivent être considérées, notamment :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

III.  Décision de la Cour fédérale

[16]  Tel qu’il a été mentionné, la Cour fédérale a conclu que les marques de commerce de Benjamin Moore et de Home Hardware portaient à confusion, plus particulièrement celles employées en liaison avec des peintures.

[17]  Les motifs à l’origine de cette conclusion sont résumés aux paragraphes 72 et 73 de la décision et sont reproduits ci‑après, au paragraphe 27. Qu’il me suffise de dire que, selon la Cour fédérale, la plupart des facteurs pertinents de l’analyse relative à la confusion militaient en faveur de Home Hardware.

[18]  La conclusion de la Cour fédérale est très différente de celle de la Commission, mais il n’est pas contesté que la Cour fédérale était fondée à procéder à un examen de novo de l’affaire, puisqu’elle a été saisie de nouveaux éléments de preuve substantiels dont ne disposait pas la Commission.

IV.  Position de Benjamin Moore

[19]  Dans le présent appel, Benjamin Moore sollicite une ordonnance enjoignant au registraire des marques de commerce de faire droit à ses demandes d’enregistrement. Elle affirme que les motifs de la Cour fédérale contiennent trois principales erreurs de droit : 1) il n’y a pas d’analyse distincte relative à la confusion, fondée sur une comparaison de marque à marque; 2) les motifs d’opposition ne sont pas analysés séparément; et 3) il n’est pas tenu compte des dates pertinentes dans l’examen de chacun des motifs d’opposition.

V.  Position de Home Hardware

[20]  Selon Home Hardware, la Cour fédérale n’a pas omis de faire une analyse fondée sur une comparaison de marque à marque, ni de considérer séparément les motifs d’opposition, ni de tenir compte des dates pertinentes. Elle affirme que le juge a procédé à une analyse adéquate, de manière pragmatique. Le juge n’a pas non plus commis d’erreur dans son examen du mot « natura ».

[21]  En outre, Home Hardware affirme que la décision de la Cour fédérale est correcte parce que sa famille de marques de commerce NATURA confère des droits antérieurs solidement établis.

VI.  Analyse

[22]  Au paragraphe 73 de ses motifs, la Cour fédérale a conclu qu’il y avait une probabilité de confusion entre les marques, et particulièrement entre les marques employées en liaison avec des peintures. J’examinerai d’abord si une analyse adéquate de la confusion a été faite à l’égard des marques en général, pour ensuite examiner l’analyse de la Cour fédérale relative à la confusion à l’égard des marques employées en liaison avec des peintures.

A.  La Cour fédérale a‑t‑elle fait une analyse adéquate de la confusion?

[23]  Il est bien établi que l’analyse relative à la confusion faite en application de la Loi doit reposer sur une comparaison de marque à marque (Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387, par. 45) et qu’il doit être tenu compte des dates pertinentes dans l’examen de chacun des motifs d’opposition.

[24]  Pour les motifs exposés ci‑après, je ne partage pas l’avis de Home Hardware selon qui la Cour fédérale a effectué une analyse fondée sur une comparaison de marque à marque et tenu compte des dates pertinentes pour chacun des motifs d’opposition. Ces omissions constituent des erreurs de droit, qui doivent être revues selon la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

[25]  Dans son analyse relative à la confusion, la Cour fédérale examine chacune des circonstances de l’espèce comme le requiert le paragraphe 6(5) de la Loi. Cependant, les distinctions entre les marques respectives des parties et entre les dates pertinentes particulières sont formulées d’une manière très générale. Par exemple, pour ce qui concerne le caractère distinctif, la Cour fédérale conclut que le facteur du caractère distinctif « favorise de façon globale [Home Hardware], si ce n’est que légèrement pour quelques‑unes de ses marques de commerce à certaines des dates pertinentes » (motifs, par. 38).

[26]  Cette lacune imprègne la décision tout entière, au point que j’arrive à la conclusion qu’il n’y a pas eu de véritable comparaison de marque à marque en fonction des dates pertinentes applicables.

[27]  La conclusion de la Cour fédérale, aux paragraphes 72 et 73 de ses motifs, en est une illustration.

[72]  Récapitulation des conclusions auxquelles je suis parvenu plus haut :

1) le facteur du caractère distinctif favorise la demanderesse;

2) le facteur de la période d’emploi favorise légèrement la demanderesse;

3) le facteur de la nature des marchandises milite en faveur de la demanderesse;

4) il existe un certain chevauchement dans les canaux de distribution;

5) le facteur du degré de ressemblance favorise la demanderesse;

6) l’argument de la « famille des marques de commerce » appuie la thèse de la demanderesse;

[73]  Par conséquent, je conclus qu’un consommateur ordinaire serait probablement embrouillé pour ce qui est de savoir si les marques de commerce des parties proviennent de la même source, d’autant mieux que ces marques sont employées en liaison avec la peinture, peu importe les aspects modifiants de BEAUTI‑TONE et BENJAMIN MOORE, respectivement. Selon moi, à première vue, un consommateur occasionnel, un peu pressé qui se trouve devant une peinture BENJAMIN MOORE NATURA, alors qu’il n’a rien de plus qu’un souvenir imprécis de la peinture BEAUTI‑TONE NATURA, serait probablement embrouillé quant à la source de ces marchandises, à tout le moins aux dates pertinentes ultérieures auxquelles la marque NATURA de la défenderesse avait acquis un certain caractère distinctif pour ce qui est de la peinture. Un consommateur serait probablement embrouillé quant à savoir si la marque de commerce de la défenderesse provient de la même source que la marque de commerce de la demanderesse.

[28]  Il est particulièrement important de faire une analyse par comparaison de marque à marque en fonction des dates pertinentes applicables parce que, sinon, il est impossible d’apprécier correctement les facteurs de confusion énumérés au paragraphe 6(5).

[29]  Home Hardware est d’avis qu’il n’est pas nécessaire, dans le cas qui nous occupe, de faire une analyse distincte relative à la confusion, fondée sur une comparaison de marque à marque, parce qu’elle détient une famille de marques « NATURA » qui s’est constituée sur plusieurs années (mémoire de l’intimée, par. 50). À cet égard, Home Hardware a produit devant la Cour fédérale de nouveaux éléments de preuve établissant qu’elle avait largement employé des marques de commerce comportant le mot « NATURA » sur des marchandises écologiques, y compris des marchandises qui ne figuraient pas dans les déclarations d’opposition.

[30]  La notion de « famille de marques » est reconnue par la Cour fédérale depuis de nombreuses années. Il y a presque 20 ans que la protection conférée par une famille de marques a été décrite par notre Cour dans l’arrêt Techniquip Ltd. c. Association olympique canadienne, 1999 CanLII 8993 (CAF) :

[15]  La notion de famille de marques a été élaborée dans le contexte d'instances fondées sur l'article 6 de la Loi. Dans l'affaire Molnlycke Aktiebolag c. Kimberly-Clark of Canada Ltd., le juge Cattanach a expliqué :

Lorsqu'il s'agit d'une série de marques qui possèdent toutes les mêmes caractéristiques et appartiennent au même commerçant, la personne qui demande l'enregistrement d'une marque présentant ce trait commun se trouve alors désavantagée puisque le public pourrait penser qu'une telle marque annonce des marchandises provenant de la même source que celle des marchandises visées par les autres marques.

[…]

Si les marques qui présentent des caractéristiques communes sont enregistrées au nom de différents propriétaires, on présume alors que ces caractéristiques communes constituent un trait commun de l'entreprise et l'enregistrement devrait être accordé. Le fait que les marques appartiennent à différentes personnes tend à nier l'importance de l'existence du trait commun et favorise ainsi la personne qui demande l'enregistrement

[31]  Si l’emploi par Home Hardware d’une famille de marques « NATURA » est pertinent pour l’analyse par comparaison de marque à marque, c’est parce que cet emploi est susceptible d’augmenter la probabilité de confusion entre les produits « natura » de Benjamin Moore et l’une ou la totalité des marques de Home Hardware indiquées à l’appendice A. Plusieurs facteurs sont susceptibles d’influer sur cet examen, notamment la mesure dans laquelle la famille de marques de Home Hardware est devenue connue. Il se pourrait aussi que la probabilité de confusion soit réduite en raison du fait que les marques de Benjamin Moore n’emploient pas le mot « natura » seul, mais en conjonction avec le nom de la société, « Benjamin Moore ». D’ailleurs, Benjamin Moore soutient que la probabilité de confusion est diminuée parce qu’une forme du mot « natura » est couramment employée par d’autres sociétés. Il faut tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce pour savoir en quoi la famille de marques peut influer sur l’analyse relative à la confusion.

[32]  La « famille de marques » de Home Hardware est pertinente en l’espèce, mais je ne puis souscrire à l’argument de Home Hardware pour qui il n’est donc pas nécessaire d’effectuer une analyse relative à la confusion, par comparaison de marque à marque, en prenant en compte les dates pertinentes . La jurisprudence n’appuie pas cet argument, qui entre en conflit avec les dispositions législatives applicables. L’emploi d’une famille de marques ne dispense pas de faire, pour chacun des motifs d’opposition, une analyse en règle relative à la confusion, au moyen d’une comparaison de marque à marque.

[33]  Je passe maintenant à l’analyse de la confusion à laquelle la Cour fédérale s’est livrée en ce qui concerne les marques de peintures.

B.  La Cour fédérale a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les marques de peinture créaient de la confusion?

[34]  Comme nous l’avons mentionné, la Cour fédérale a conclu expressément à l’existence d’une confusion entre les marques de commerce associées à des peintures (motifs, par. 73). Les marques concernées sont les mots servant de marque « BENJAMIN MOORE NATURA », le dessin‑marque connexe Benjamin Moore et les mots servant de marque de Home Hardware, « BEAUTI‑TONE NATURA ».

[35]  Puisque la marque de commerce des peintures de Home Hardware n’a pas été déposée, l’alinéa 16(3)b) de la Loi est la disposition applicable pour l’analyse relative à la confusion.

[36]  Déterminer la disposition applicable est important en l’espèce puisque cela a une incidence sur la date pertinente. Cette date, pour l’application de l’alinéa 16(3)b), est la date des demandes d’enregistrement produites par Benjamin Moore, à savoir le 9 janvier 2009. C’est en l’espèce la première de toutes les dates pertinentes à retenir et, à cette date‑là, ni l’une ni l’autre des parties ne vendaient des peintures sous ces marques. Home Hardware a commencé à vendre des peintures sous la marque « BEAUTI‑TONE NATURA » peu après le 9 janvier 2009, et c’est en avril 2009 que Benjamin Moore a commencé à vendre des peintures sous la marque « BENJAMIN MOORE NATURA ».

[37]  À mon avis, la Cour fédérale a commis une erreur dans son analyse relative à la confusion parce qu’elle n’a pas limité son examen à la première date pertinente pour ce qui est des marques de peinture. Plusieurs aspects de ses motifs m’amènent à tirer cette conclusion.

[38]  D’abord, inexplicablement, la Cour fédérale ne fait pas mention de l’alinéa 16(3)b) de la Loi comme étant la disposition en cause dans l’appel (motifs, par. 20). C’est là une omission notable parce qu’il s’agit de la seule disposition qui requiert, pour les marques de peinture, une analyse relative à la confusion.

[39]  Deuxièmement, tout au long de son analyse relative à la confusion, la Cour fédérale fait état des ventes réelles de peintures comme facteur à prendre en compte. C’est le cas par exemple pour le caractère distinctif (motifs, par. 37 et 38), la période d’usage (motifs, par. 41), et le degré de ressemblance (motifs, par. 51). En général, les ventes constituent un facteur non pertinent pour l’analyse relative à la confusion entre les marques de peinture parce que ni l’une ni l’autre des parties ne vendaient de peinture sous ces marques à la date pertinente.

[40]  Troisièmement, au paragraphe 73 de ses motifs, la Cour fédérale conclut que les consommateurs seraient susceptibles de confondre la source de la peinture associée à ces marques, « à tout le moins aux dates pertinentes ultérieures ». Les dates pertinentes ultérieures n’entrent pas en ligne de compte dans cette analyse. Seule la première des dates pertinentes, à savoir le 9 janvier 2009, est utile.

[41]  La seule conclusion qui puisse raisonnablement être tirée de l’ensemble des motifs est que la Cour fédérale s’est servie des mauvaises dates pertinentes pour conclure que les marques de peinture créaient de la confusion. Il s’agit là d’une erreur de droit.

VII.  Conclusion

[42]  Les erreurs relevées dans les motifs de la Cour fédérale sont au cœur de la conclusion qu’elle a tirée. Cependant, puisque la Cour fédérale a estimé que la plupart des circonstances pertinentes militaient en faveur de Home Hardware, je me suis demandé si les erreurs commises ont pu influer sur l’issue du litige. Prenant en compte les motifs dans leur globalité, et en particulier l’importance que la Cour fédérale a accordée aux ventes de peinture, je ne suis pas convaincue que sa conclusion générale aurait été la même si elle avait procédé à une analyse adéquate.

[43]  La question est donc de savoir si notre Cour devrait rendre le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, ou bien si elle devrait renvoyer l’affaire à la Cour fédérale pour une décision initiale sur le fond. Notre Cour pourrait rendre le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, mais il est habituellement préférable de renvoyer une affaire à la Cour fédérale lorsque cette affaire requiert une appréciation de la preuve. Cela est d’autant plus vrai que la Commission n’a pas examiné le bien-fondé de l’opposition de Home Hardware à l’enregistrement des marques de Benjamin Moore à la lumière de l’ensemble du dossier de preuve.

[44]  En conséquence, j’accueillerais l’appel avec dépens devant notre Cour et devant la Cour fédérale, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale et je renverrais l’affaire à la Cour fédérale pour nouvelle décision conforme aux présents motifs.

« Judith M. Woods »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je suis d’accord

Donald J. Rennie, j.c.a. »


APPENDICE A

Marques de commerce de Home Hardware

Marque de commerce

No de demande ou d’enregistrement

Marchandises / Services

LMC 661 115

(Enregistrée)

Engrais et herbicides granulaires et hydrosolubles, nommément un produit naturel sous forme granulaire ou liquide qui élimine les mauvaises herbes ou la végétation; composteur et activateurs de compost, nommément un produit qui accélère la décomposition du compost de jardin et/ou des ordures ménagères.

LMC 736 137

(Enregistrée)

Produit chimique sécuritaire et prêt à l’emploi pour éliminer rapidement les moisissures de surfaces extérieures non métalliques comme le bois, la brique, le béton, le plastique, le vinyle et la pierre.

LMC 698 311

(Enregistrée)

Solution nettoyante à utiliser avant de peindre, nommément liquide écologique servant à décaper un plancher ou à préparer une surface avant de peindre.

LMC 702 664

(Enregistrée)

Solution nettoyante à utiliser avant de peindre, nommément liquide écologique servant à décaper un plancher ou à préparer une surface avant de peindre.

LMC 739 190

(Enregistrée)

Produit sécuritaire et prêt à l’emploi pour enlever les taches d’eau, d’huile, de matières solides ou de matière semi-transparentes et la peinture des surfaces extérieures en bois.

LMC 732 563

(Enregistrée)

Feuilles assouplissantes pour sécheuses

LMC 738 815

(Enregistrée)

Préparation sécuritaire prête à l’emploi pour le nettoyage et l’avivage de bois d’extérieur abîmé par le mauvais temps.

1 422 393

(Visée par une demande d’opposition)

Peinture d’intérieur, nommément peinture pour plafonds, peinture d’intérieur au latex, peinture laquée pour la cuisine et la salle de bain, peinture d’intérieur pour mélamine aux résines alkydes, peinture d’intérieur pour garnitures et portes, apprêt; textures pour murs; enduits spéciaux, nommément revêtement transparent, peinture acrylique pour couche d’impression, glacis liquide; peinture d’extérieur, nommément peinture laquée d’intérieur et d’extérieur pour le porche et le sol, peinture laquée lustrée d’intérieur et d’extérieur, peinture laquée semi-lustrée d’extérieur, peinture au latex d’extérieur satinée, apprêt; teinture pour terrasse et parements; rénovateur de bois; produit d’imperméabilisation; peinture transparente hydrofuge pour couche d’impression; décapants pour peinture et vernis; nettoyant à pinceaux et à rouleaux; bouche-pores; rehausseur de parquets en bois dur; teinture d’intérieur pour le bois; produit à conditionner le bois; apprêt à poncer; revêtement transparent de finition du bois; peinture antirouille; peinture à vaporiser.

1 294 003

(Autorisée)

Produit de préservation du bois, décapant pour le bois naturel, litière pour chats, éponges de mer, déglaçage, emballage dans de la toile, mousse de tourbe.


APPENDICE B

Loi sur les marques de commerce, L.R.C., 1985, ch. T‑13

Définitions

Definitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 In this Act,

[…]

distinctive Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des produits ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. (distinctive)

distinctive, in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the goods or services in association with which it is used by its owner from the goods or services of others or is adapted so to distinguish them; (distinctive)

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

When mark or name confusing

6 (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

6 (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

[…]

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

(c) the nature of the goods, services or business;

d) la nature du commerce;

(dthe nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

Marque de commerce enregistrable

When trade-mark registrable

12 (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

12 (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

[…]

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

(d) confusing with a registered trade-mark;

[…]

Enregistrement des marques employées ou révélées au Canada

Registration of marks used or made known in Canada

[…]

16 (3) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce projetée et enregistrable, a droit, sous réserve des articles 38 et 40, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard des produits ou services spécifiés dans la demande, à moins que, à la date de production de la demande, elle n’ait créé de la confusion :

16 (3) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a proposed trade-mark that is registrable is entitled, subject to sections 38 and 40, to secure its registration in respect of the goods or services specified in the application, unless at the date of filing of the application it was confusing with

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

(a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;

b) soit avec une marque de commerce à l’égard de laquelle une demande d’enregistrement a été antérieurement produite au Canada par une autre personne;

(b) a trade-mark in respect of which an application for registration had been previously filed in Canada by any other person; or

[…]

Si une demande relative à une marque créant de la confusion est pendante

Where application for confusing mark pending

16 (4) Le droit, pour un requérant, d’obtenir l’enregistrement d’une marque de commerce enregistrable n’est pas atteint par la production antérieure d’une demande d’enregistrement d’une marque de commerce créant de la confusion, par une autre personne, à moins que la demande d’enregistrement de la marque de commerce créant de la confusion n’ait été pendante à la date de l’annonce de la demande du requérant selon l’article 37.

16 (4) The right of an applicant to secure registration of a registrable trade-mark is not affected by the previous filing of an application for registration of a confusing trade-mark by another person, unless the application for registration of the confusing trade-mark was pending at the date of advertisement of the applicant’s application in accordance with section 37.

Déclaration d’opposition

Statement of opposition

38 (1) Toute personne peut, dans le délai de deux mois à compter de l’annonce de la demande, et sur paiement du droit prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration d’opposition.

38 (1) Within two months after the advertisement of an application for the registration of a trade-mark, any person may, on payment of the prescribed fee, file a statement of opposition with the Registrar.

Motifs

Grounds

(2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

(2) A statement of opposition may be based on any of the following grounds:

a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30;

(a) that the application does not conform to the requirements of section 30;

b) la marque de commerce n’est pas enregistrable;

(b) that the trade-mark is not registrable;

c) le requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement;

(c) that the applicant is not the person entitled to registration of the trade-mark; or

d) la marque de commerce n’est pas distinctive.

(d) that the trade-mark is not distinctive.

Appel

Appeal

56 (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

56 (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

[…]

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A‑559‑15

APPEL D’UN JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE CAMP, DATÉ DU 4 DÉCEMBRE 2015, No T‑2441‑14

INTITULÉ :

BENJAMIN MOORE & CO. LIMITED c. HOME HARDWARE STORES LIMITED

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 OCTOBRE 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 MARS 2017

 

COMPARUTIONS :

D. Paul Tackaberry

Christopher D. Langan

 

POUR L’APPELANTE

 

Monique M. Couture

POUR L’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ridout & Maybee LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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