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Date : 20170314


Dossier : A‑131‑16

Référence : 2017 CAF 52

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

ELIZABETH BERNARD

demanderesse

et

CECILIA CLOSE, ANDREA STEVENS et
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 14 mars 2017.

Jugement prononcé à l’audience à Ottawa (Ontario), le 14 mars 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20170314


Dossier : A‑131‑16

Référence : 2017 CAF 52

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

ELIZABETH BERNARD

demanderesse

et

CECILIA CLOSE, ANDREA STEVENS et
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 14 mars 2017).

LE JUGE STRATAS

[1]  La demanderesse sollicite de la Cour une ordonnance infirmant une décision de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique en date du 2 mars 2016 (dossiers 566‑02‑7231 et 566‑02‑7232) : 2016 CRTEFP 18.

[2]  La demanderesse n’était pas partie à l’instance devant la Commission. Elle n’est ni membre du syndicat en cause dans cette instance, ni son employée, et n’a aucun lien avec les défendeurs auteurs des griefs portés devant la Commission. La demanderesse n’a produit aucune preuve tendant à indiquer que la décision de la Commission a porté atteinte à ses droits, lui a imposé des obligations juridiques ou lui a, de quelque manière que ce soit, causé préjudice : Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith Canada c. Odynsky, 2010 CAF 307, [2012] 2 R.C.F. 312; La compagnie Rothmans of Pall Mall Canada Ltée c. Canada (M.R.N.), [1976] 2 C.F. 500  (C.A.); Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488. Partant, la demanderesse n’est pas, au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, « directement touchée » par la procédure engagée devant la Commission.

[3]  La demanderesse n’a pas non plus qualité pour agir dans l’intérêt public. Pour se prononcer sur cette question, la Cour doit, à la fois, se demander si une question sérieuse relevant de la compétence des tribunaux est soulevée, si la demanderesse a un « intérêt réel ou véritable » dans l’issue de cette question et si, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, la poursuite proposée constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux : Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524, par. 37.

[4]  Il convient, en appliquant ces facteurs à la situation en cause, de garder à l’esprit leur justification sous‑jacente : « l’affectation appropriée des ressources judiciaires limitées et la nécessité d’écarter les trouble‑fête; l’assurance que les tribunaux entendront les principaux intéressés faire valoir contradictoirement leurs points de vue; et la sauvegarde du rôle propre aux tribunaux et de leur relation constitutionnelle avec les autres branches du gouvernement » : Downtown Eastside, par. 25.

[5]  D’après la demande dont est saisie la Cour, la décision de la Commission serait invalide en raison d’une violation de deux dispositions législatives : la commissaire qui a rendu la décision ne répondait pas aux conditions de résidence prévues par la loi et cette même commissaire a rendu sa décision après le délai prescrit par la loi. Nous allons partir de l’hypothèse que la demanderesse soulève une question sérieuse relevant de la compétence des tribunaux.

[6]  Précisons que la commissaire en question est depuis partie à la retraite et qu’il s’est sans doute écoulé trop de temps pour que puissent être contestées d’autres décisions qu’elle aurait rendues. Cependant, la question de l’interprétation et de l’application des deux dispositions législatives mentionnées pourrait bien un jour être soulevée à l’égard d’autres commissaires. Les parties directement touchées et représentées en justice pourraient vouloir en saisir elles‑mêmes la justice. Les dispositions législatives en question sont en outre à peu près identiques à de nombreuses dispositions figurant dans d’autres lois. Il ne s’agit pas d’une situation où une question importante risque d’échapper à l’examen judiciaire.

[7]  En l’espèce, les parties mécontentes de la décision rendue par la Commission étaient représentées, et rien ne les empêchait de solliciter le contrôle judiciaire de la décision en cause. Or, ces parties n’ont présenté aucune demande en ce sens. Il est possible que leur syndicat, songeant aux intérêts de l’ensemble de ses membres, ait été satisfait des conclusions de la Commission. On peut penser que les parties, ou leur syndicat, ont décidé, sciemment, d’accepter la décision de la Commission ou, à tout le moins, de refuser de la contester. Reconnaître à la demanderesse la qualité pour agir viendrait modifier ce choix : voir les préoccupations dont fait état la Cour suprême dans Downtown Eastside, précité, au paragraphe 27, ainsi que dans Hy and Zel’s Inc. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675, à la page 694.

[8]  Compte tenu de ces circonstances, il faudrait que la Cour, pour permettre à la demanderesse de lui soumettre l’affaire,  dispose d’un minimum d’éléments expliquant l’intérêt de la demanderesse dans cette affaire. La demanderesse n’a pas, à cet égard, produit la moindre preuve, faisant uniquement valoir que sa convention collective contient une clause analogue à celle en cause en l’espèce. Or, à supposer que la clause figurant dans sa convention collective donne lieu à un différend, la question pourra être portée devant les tribunaux par les personnes directement touchées.

[9]  Selon nous, dans un cas comme celui de l’espèce, ce ne serait pas faire un bon usage des ressources judiciaires que d’autoriser un justiciable ayant dans une affaire un intérêt tout au plus jurisprudentiel, à obtenir le contrôle judiciaire d’une décision qui intéresse surtout les parties privées concernées, alors que ces personnes n’entendent pas elles-mêmes porter l’affaire plus avant. Des dizaines de milliers de personnes se trouvant dans une situation analogue à celle de la demanderesse pourraient, elles aussi, avoir qualité pour agir si nous accordons en l’espèce cette qualité à la demanderesse : voir les préoccupations dont fait état la Cour suprême dans Downtown Eastside, précité, au paragraphe 26, et dans Conseil canadien des églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, à la page 252. Les questions dont se préoccupe en l’espèce la demanderesse pourraient être soulevées à nouveau à un autre moment et n’échappent aucunement à l’examen judiciaire.

[10]  Au début de l’audience, nous avons abordé avec les parties la question de savoir si la cause était correctement intitulée, et nous avons recueilli leurs observations à cet égard. Nous estimons que le défendeur « Conseil du Trésor (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration) » est une entité qui n’existe pas en droit. Nous allons donc remplacer cet intitulé par « Procureur général du Canada ». C’est cet intitulé modifié qui figurera sur les présents motifs et sur le jugement de la Cour.

[11]  La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée pour défaut de qualité pour agir. Les défendeurs conviennent que, étant donné les circonstances de l’affaire, il n’y aura pas d’adjudication des dépens.

« David Stratas »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A‑131‑16

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA DÉCISION DE LA COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL ET DE L’EMPLOI DANS LA FONCTION PUBLIQUE, EN DATE DU 2 MARS 2016, DOSSIERS Nos 566‑02‑7231 ET 566‑02‑7232

INTITULÉ :

ELIZABETH BERNARD c. CECILIA CLOSE, ANDREA STEVENS ET PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MARS 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE WOODS

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE STRATAS

COMPARUTIONS :

Elizabeth Bernard

 

Pour son propre compte

 

Patricia H. Harewood

POUR LES défenderessES, CECILIA CLOSE ET ANDREA STEVENS

Caroline Engmann

POUR Le défendeur, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alliance de la fonction publique du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES défenderessES, CECILIA CLOSE ET ANDREA STEVENS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR Le défendeur, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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