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Date : 20170331


Dossier : A-91-16

Référence : 2017 CAF 66

CORAM :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

DAVID FÉTHIÈRE

Défendeur

Audience tenue à Montréal (Québec), le 10 janvier 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 mars 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20170331


Dossier : A-91-16

Référence : 2017 CAF 66

CORAM :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

et

DAVID FÉTHIÈRE

Défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

I.                   Introduction

[1]               Le Procureur général du Canada (le PGC) présente une demande de contrôle judiciaire dans le but de faire annuler une décision de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la Commission) en date du 22 février 2016 et publiée sous la référence 2016 CRTEFP 16 (la décision de la Commission). La Commission a d’abord déterminé qu’elle avait compétence non seulement en vertu de l’alinéa 209(1)b) mais aussi en vertu de l’alinéa 209(1)c) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, c. 22, art. 2 (LRTFP) pour trancher les griefs de monsieur David Féthière (le défendeur). Sur le fond, la Commission a déterminé que la suspension et la révocation de la cote de fiabilité du défendeur ne reposaient pas sur des motifs légitimes de sécurité, mais constituaient plutôt une mesure disciplinaire camouflée. En conséquence, la Commission a annulé la suspension et le licenciement du défendeur puisqu’ils étaient fondés sur un faux prétexte. La Commission a donc accueilli tous les griefs du défendeur, sauf celui ayant trait à la discrimination.

II.                Faits pertinents et contexte

[2]               Le défendeur, un employé civil de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), occupait un poste de commis (CR-04) dans l’unité d’enquête du Centre opérationnel de lutte contre le télémarketing frauduleux. Dans le cadre de ses fonctions, le défendeur avait accès à des banques de données de la GRC et offrait un soutien administratif aux opérations de l’unité.

[3]               Le 7 juillet 2012 survient l’événement déclencheur à l’origine du litige. Lors d’une fête organisée chez le dirigeant de son unité, le défendeur consomme de la marijuana. Deux policières présentes sur les lieux lui retirent ses clés de voiture et lui confisquent le reste de la marijuana. Compte tenu de la quantité minime de marijuana qui a été remise aux policières par le défendeur, ces dernières appliquent le lendemain la pratique de destruction locale, une sorte de tolérance quant à la confiscation (no-case seizure). Un rapport est également déposé et deux enquêtes distinctes, quoique menées en parallèle, sont déclenchées : (i) une enquête disciplinaire concernant une allégation d’inconduite en lien avec l’incident du 7 juillet 2012; et (ii) une enquête de sécurité afin de déterminer si le défendeur peut conserver sa cote de fiabilité en lien aussi avec le même incident.

[4]               Le ou vers le 15 août 2012, le défendeur tombe en congé de maladie.

[5]               Un peu plus d’une semaine plus tard, soit le 24 août 2012, le défendeur reçoit une lettre l’informant que sa cote de fiabilité est suspendue compte tenu de sa situation financière précaire, sa consommation d’alcool, sa consommation de drogues illicites et le fait qu’il ne prend pas la situation au sérieux (décision de la Commission aux paragraphes 39-41).

[6]               Le 28 août 2012, à la suite de la suspension de sa cote de fiabilité, le défendeur est suspendu sans solde de ses fonctions car il ne satisfait plus à une des conditions essentielles d’emploi, soit la détention d’une cote de fiabilité de la GRC.

[7]               Le 4 novembre 2013, alors que le défendeur s’apprête à retourner au travail sur les conseils de son médecin, il reçoit une lettre de suspension de dix jours reliée à l’incident du 7 juillet 2012. Une nouvelle enquête relativement à la cote de fiabilité du défendeur est déclenchée car ce dernier est absent du travail depuis plus d’un an et son dossier doit être réévalué afin de déterminer si le risque qui a mené à la suspension de la cote de fiabilité a changé.

[8]               Le 20 juin 2014, à la suite de cette nouvelle enquête, la cote de fiabilité du défendeur est révoquée.

[9]               Le 31 juillet 2014, l’employeur recommande le licenciement du défendeur.

[10]           Le 28 août 2014, le défendeur est licencié pour motif valable en vertu de l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), c. F-11 (LGFP) car, ayant perdu sa cote de fiabilité, il ne rencontre plus une condition essentielle à son emploi.

[11]           À la suite de son licenciement, le défendeur dépose plusieurs griefs contestant la suspension et la révocation de sa cote de fiabilité ainsi que la suspension de ses fonctions et son licenciement. Il dépose également un grief alléguant la discrimination.

[12]           Le 22 février 2016, la Commission accueille tous les griefs du défendeur, sauf celui relié à la discrimination. La Commission annule la suspension et la révocation de la cote de fiabilité du défendeur car la démarche de l’employeur était de nature disciplinaire. Elle annule également la suspension et le licenciement de ses fonctions car fondés sur un faux prétexte.

[13]           Devant notre Cour, le PGC cherche à faire casser la décision de la Commission.

[14]           À mon avis, la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle judiciaire et je rejetterais la demande avec dépens.

III.             Analyse

A.                La norme de contrôle

[15]           La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable et les parties s’entendent sur cette question. La Commission est reconnue pour son expertise en matière de relations de travail dans la fonction publique fédérale et l’interprétation de la LGFP ainsi que de la LRTFP se situe au cœur de cette expertise. Le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

B.                 La question soulevée concernant la compétence de la Commission

[16]           La question principale qui se pose dans la présente affaire concerne la compétence de la Commission. Plus particulièrement : la Commission a-t-elle compétence en vertu de l’alinéa 209(1)c) de la LRTFP pour examiner le fond de la décision de l’employeur afin de déterminer si le motif invoqué, soit la révocation de la cote de fiabilité, est fondé?

[17]           L’article 209 de la LRTFP permet à un fonctionnaire de soumettre certains griefs précis à l’arbitrage. Le paragraphe 209(1) de la LRTFP se lit comme suit :

Renvoi d’un grief à l’arbitrage

Reference to adjudication

209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

209 (1) An employee may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the grievance is related to

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

(b) a disciplinary action resulting in termination, demotion, suspension or financial penalty;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(c) in the case of an employee in the core public administration

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(i) demotion or termination under paragraph 12(1)(d) of the Financial Administration Act for unsatisfactory performance or under paragraph 12(1)(e) of that Act for any other reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct, or

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

(ii) deployment under the Public Service Employment Act without the employee’s consent where consent is required; or

[…]

[Mon soulignement]

[Emphasis added]

[18]           L’alinéa 209(1)c) de la LRTFP fait référence aux alinéas 12(1)d) et (e) de la LGFP. Ces alinéas se lisent comme suit :

Pouvoir des administrateurs généraux de l’administration publique centrale

Power of deputy heads in core public administration

12 (1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l’égard du secteur de l’administration publique centrale dont il est responsable :

12 (1) Subject to paragraphs 11.1(1)(f) and (g), every deputy head in the core public administration may, with respect to the portion for which he or she is deputy head,

[…]

d) prévoir le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur de toute personne employée dans la fonction publique dans les cas où il est d’avis que son rendement est insuffisant;

(d) provide for the termination of employment, or the demotion to a position at a lower maximum rate of pay, of persons employed in the public service whose performance, in the opinion of the deputy head, is unsatisfactory;

e) prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur d’une personne employée dans la fonction publique;

(e) provide for the termination of employment, or the demotion to a position at a lower maximum rate of pay, of persons employed in the public service for reasons other than breaches of discipline or misconduct; and

[…]

[19]           Quant au paragraphe 12(3), il prévoit qu’un licenciement qu’il soit fondé sur des motifs disciplinaires ou pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite doit être motivé :

Motifs nécessaires

For cause

12 (3) Les mesures disciplinaires, le licenciement ou la rétrogradation découlant de l’application des alinéas (1)c), d) ou e) ou (2)c) ou d) doivent être motivés.

12 (3) Disciplinary action against, or the termination of employment or the demotion of, any person under paragraph (1)(c), (d) or (e) or (2)(c) or (d) may only be for cause.

[20]           Dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire devant notre Cour, l’argument principal du PGC repose sur la prémisse que la Commission a erré en s’appuyant sur une interprétation trop libérale et sans précédent de l’alinéa 209(1)c) de la LRTFP pour en venir à la conclusion qu’elle avait effectivement compétence pour examiner les motifs de la décision de l’employeur de révoquer la cote de fiabilité de son employé. Selon le PGC, la Commission ne possède pas ce pouvoir.

[21]           Le PGC allègue plus précisément qu’au terme de l’alinéa 209(1)c) de la LRTFP, la compétence de la Commission pour entendre un grief portant sur un licenciement qui découle de la révocation d’une cote de fiabilité se limite à constater que le licenciement est fondé sur la perte de la cote de fiabilité, sans plus. Dans l’affirmative, l’analyse de la Commission en vertu de l’alinéa 209(1)c) prend fin et l’analyse en vertu de l’alinéa 209(1)b) peut débuter afin de déterminer si le licenciement constitue une « mesure disciplinaire ». Selon cette lecture des alinéas 209(1)b) et c), le PGC reproche à la Commission d’avoir excédé sa compétence en considérant si le motif de la révocation de la cote de fiabilité était valable au terme de l’alinéa 12(1)e) de la LGFP. Le PGC soutient donc que la Commission a commis une erreur en examinant si le défendeur posait un risque inacceptable à la sécurité des opérations, de l’information, des biens et du personnel de la GRC et d’avoir conclu que la révocation de la cote de fiabilité ne répondait pas à de réelles préoccupations de sécurité.

C.                 La controverse décisionnelle

[22]           La présente affaire s’inscrit dans une controverse décisionnelle qui a récemment vu le jour au sein même de la Commission.

[23]           D’une part, il existe un courant d’interprétation majoritaire, sur lequel s’appuie le PGC, en vertu duquel la Commission n’a pas compétence en vertu de l’alinéa 209(1)c) de la LRTFP pour examiner le fond de la décision d’un employeur de révoquer la cote de fiabilité d’un employé en l’absence de discipline déguisée ou si la décision a été prise de mauvaise foi ou en violation de l’équité procédurale (Hillis c. Conseil du Trésor (ministère du Développement des ressources humaines), 2004 CRTFP 151, [2004] C.R.T.F.P.C. no 137 (QL); Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé), 2005 CRTFP 173, [2005] C.R.T.F.P.C. no 175 (QL); Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CRTFP 19, [2009] C.R.T.F.P.C. no 19 (QL); Braun c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2010 CRTFP 63, [2010] C.R.T.F.P. no 62 (QL); Nasrallah c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2012 CRTFP 12, [2012] C.R.T.F.P.C. no 13 (QL); Bergey c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada) et Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2013 CRTFP 80, [2013] C.R.T.F.P.C. no 94 (QL)). Selon ce courant décisionnel, la Commission ne peut considérer si les motifs de la révocation de la cote de fiabilité sont raisonnables, seule la Cour fédérale y étant habilitée dans le cadre d’une procédure en contrôle judiciaire.

[24]           D’autre part, ce courant majoritaire fait face à un autre courant décisionnel émergeant en vertu duquel la Commission s’octroie la compétence sur la base de l’alinéa 209(1)c) pour examiner le fond de la décision de l’employeur de révoquer la cote de fiabilité de l’employé (Heyser c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2015 CRTEFP 70, [2015] LNCRTEFP 70 (QL) [Heyser]; Grant c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 37, [2016] LNCRTEFP 37 (QL) [Grant]).

[25]           Les affaires Heyser et Grant, qui reconnaissent la compétence à la Commission, ont été portées en contrôle judiciaire par le PGC devant notre Cour. L’audition devant notre Cour dans l’affaire Heyser a eu lieu et la décision demeure en délibéré. Dans l’affaire Grant, notre Cour a rendu sa décision mais la question de la compétence de la Commission en vertu de l’alinéa 209(1)c) de la LRTFP n’a pas été abordée car elle ne s’est pas révélée nécessaire pour trancher le débat.

[26]           Cette question de la compétence de la Commission a de nouveau refait surface dans une autre décision récente de notre Cour impliquant une employée de la GRC : Bergey v. Canada (Attorney General), 2017 FCA 30, [2017] F.C.J. No. 142 (QL) [Bergey-CAF]. Dans cette décision, notre Cour, sous la plume de la juge Gleason, a fait un résumé détaillé de l’historique législatif des dispositions statutaires pertinentes de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, c. 22, art. 12 et 13 (la LEFP), de la LGFP et de la LRTFP (Bergey-CAF aux paragraphes 11-20). Notre Cour y fait notamment trois constats que je considère pertinents en l’espèce : (i) la jurisprudence rendue sous l’égide des lois qui précèdent la LRTFP doit être lue avec prudence (paragraphe 11); (ii) les dispositions pertinentes de la LRTFP, la LGFP et la LEFP consacrent le principe que le licenciement d’employés indéterminés au sein de la fonction publique doit être motivé (paragraphe 12); et (iii) les amendements législatifs apportés au cours des dernières décennies ont élargi et clarifié l’étendue de la compétence de la Commission en ce qui a trait aux licenciements non disciplinaires des employés permanents (paragraphe 15). Toujours dans Bergey-CAF, même si la question de la compétence de la Commission a été mentionnée par notre Cour, cette dernière n’y a toutefois pas directement répondu car madame Bergey ne l’a pas soulevée en appel (paragraphe 72). Notre Cour a toutefois pris soin d’indiquer en obiter qu’il semble a priori y avoir un argument de taille en vertu de l’alinéa 209(1)c) de la LRTFP permettant à la Commission d’examiner si les motifs invoqués par l’employeur pour révoquer la cote de fiabilité de l’employé sont fondés (Bergey-CAF aux paragraphes 68 et 71).

[27]           Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que la Commission n’a pas erré en s’octroyant compétence en vertu de l’alinéa 209(1)c) pour examiner le fond de la décision de l’employeur afin de déterminer si le motif invoqué, soit la révocation de la cote de fiabilité, est fondé. Il s’ensuit que le courant d’interprétation majoritaire qui prévaut au sein de la Commission et dont il est question au paragraphe 23 de ces motifs doit être écarté.

D.                La compétence de la Commission

[28]           Dans la présente affaire, à la suite de l’événement du 7 juillet 2012 au cours duquel le défendeur a consommé de la marijuana, une lettre de recommandation de licenciement pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite le visant a été signée le 31 juillet 2014 par le Commandant adjoint, François Deschênes. Cette lettre a été envoyée à monsieur Gordon Cook, Directeur des relations de travail et droits de la personne :

[…]

Une enquête a été menée, révélant que le 7 juillet 2012, dans la région de St‑Hippolyte lors d’un événement relié au travail, l’employé [le défendeur] a été en possession et a consommé de la marijuana. Les résultats de cette enquête ont ensuite été transmis à la sous-direction de la Sécurité ministérielle à Ottawa, pour fins de révision et de décision. Subséquemment, la cote de fiabilité de Monsieur Féthière [du défendeur] a été suspendue le 24 août 2012, puis révoquée de façon permanente le 20 juin 2014.

De ce fait, Monsieur Féthière [le défendeur] ne rencontre plus les normes sécuritaires exigées par la Gendarmerie royale du Canada [GRC] lors de l’embauche, soit la conservation d’une cote de fiabilité pendant la période d’emploi. Ainsi, il nous est impossible de considérer l’employé [le défendeur] pour d’autres positions dans l’organisation.

Conséquemment, je recommande le licenciement de Monsieur David Féthière [du défendeur] pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite. […]

(lettre de recommandation de licenciement, dossier du demandeur, vol. 2, onglet 29 à la page 466)

[29]           À la suite de cette lettre, le défendeur a été congédié le 28 août 2014 par le commissaire de la GRC, pour motif valable au terme de l’alinéa 12(1)e) de la LGFP, le motif allégué étant la révocation de sa cote de fiabilité, une condition essentielle à son emploi :

[…] La cote de fiabilité de la GRC est une condition d’emploi pour votre poste. Étant donné que vous ne rencontrez plus l’une des conditions exigées pour la continuation de votre emploi au sein de la GRC, je dois vous informer de ma décision de mettre fin à votre emploi pour motif valable, conformément à l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques [LGFP]. Cette décision est rétroactive au 24 août 2012, date à laquelle vous avez été suspendue [sic] sans solde en attendant la tenue d’une enquête. […]

(lettre du 28 août 2014, dossier du demandeur, vol. 2, onglet 30 à la page 467)

[30]           Le paragraphe 12(3) de la LGFP, coiffé du titre « Motifs nécessaires », précise que le licenciement d’un employé de la fonction publique fédérale découlant de l’application notamment de l’alinéa 12(1)e) de la LGFP doit être motivé. En anglais, le paragraphe 12(3) de la LGFP utilise l’expression « may only be for cause ».

[31]           Partant, le libellé de l’article 209 de la LRTFP, jumelé à celui de l’article 12 de la LGFP, ne pose pas la contrainte de compétence que le PGC souhaite imposer à la Commission et je ne peux souscrire à son interprétation restrictive. J’estime plutôt que le libellé des alinéas 209(1)c) et 12(1)e) favorise une interprétation octroyant à la Commission la compétence nécessaire pour examiner si les motifs de licenciement relativement à la révocation de la cote de fiabilité du défendeur étaient valables et reposaient sur des préoccupations en matière de sécurité plutôt qu’à une réaction à une inconduite.

[32]           Plus particulièrement, que le fondement du licenciement soit disciplinaire ou administratif, le paragraphe 12(3) de la LGFP ne crée pas de distinction et prévoit que le licenciement doit être motivé. Il va sans dire que pour déterminer s’il existe un motif, la Commission doit nécessairement examiner la cause alléguée du licenciement. Je suis donc d’avis que la Commission détient la compétence de vérifier si le licenciement fondé sur l’alinéa 12(1)e) de la LGFP, qu’il soit disciplinaire ou administratif, repose sur un motif valable. En somme, l’interprétation que fait la Commission de sa compétence est conforme au texte et à l’esprit de la LRTFP et de la LGFP et je suis d’avis qu’elle est raisonnable (Dunsmuir; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union]).

E.                 La décision de la Commission

[33]           Le PGC allègue de façon subsidiaire que si la LRTFP permet à la Commission de déterminer le bien-fondé de la décision de l’employeur de révoquer la cote de fiabilité, la Commission a erré dans son analyse. Les arguments du PGC se résument comme suit (mémoire des faits et du droit du demandeur aux paragraphes 19-22) :

I.       la Commission a erré en omettant de procéder à l’analyse d’un élément essentiel des motifs de l’employeur, soit l’insouciance du défendeur;

II.     la Commission a erré dans la mesure où sa conclusion selon laquelle le défendeur ne pose pas un risque inacceptable comporte des conclusions dépourvues de fondement rationnel;

III.    la Commission a spéculé sur les différentes réponses du défendeur en ce qui a trait aux différentes questions qui lui ont été posées en 2012 et 2013 sur sa consommation actuelle et antérieure de drogues illicites;

IV.    la conclusion de la Commission selon laquelle il y avait mesure disciplinaire est déraisonnable.

[34]           Le PGC ne m’a pas convaincu du bien-fondé de ses prétentions.

[35]           D’une part, la décision de la Commission, qui compte 242 paragraphes, comporte une analyse complète, exhaustive et approfondie des questions en cause. D’autre part, la Commission a analysé les facteurs de risque posés par le défendeur et a décidé, après un examen soigné de la preuve, que la révocation ne répondait pas à de véritables préoccupations de sécurité. Ayant noté que le défendeur travaillait à titre de commis aux enquêtes sur le télémarketing frauduleux, la Commission a rejeté sur la base de la prépondérance des probabilités le seul risque avancé par l’employeur, soit l’infiltration de la GRC par le crime organisé (décision de la Commission aux paragraphes 176-180) :

[176] On est ici au cœur de l’argument de risque de l’employeur. D’après Mme Quesnel, le fait de passer un joint constitue du trafic, un acte criminel. On aurait pu croire que la GRC aurait voulu retracer les connaissances du fonctionnaire [défendeur] qui font du trafic lorsque la drogue du fonctionnaire [défendeur] a été saisie le 7 juillet 2012. On a plutôt choisi d’y appliquer la politique de la destruction locale.

[177] Mme Quesnel et M. Aubin ont cherché à me convaincre que la consommation d’un joint le vendredi soir par le fonctionnaire [défendeur] risquait de permettre au crime organisé d’avoir accès aux renseignements contenus dans les banques de données de la GRC.

[178] Le fonctionnaire [défendeur] travaillait à la section des délits commerciaux, dans la section du télémarketing frauduleux. La principale base de données dont le fonctionnaire [défendeur] se servait était celle qui contient les rapports d’incidents. Il est vrai qu’il avait accès à d’autres banques de données, mais selon son témoignage, non contredit, il s’en servait peu.

[179] J’accepte que la GRC a une expérience policière que je n’ai pas. J’accepte aussi que l’évaluation du risque fait partie de son quotidien. Mais l’infiltration de la GRC par le biais du fonctionnaire manipulé par le crime organisé me paraît tellement invraisemblable que je dois rejeter cette hypothèse déraisonnable sur laquelle repose l’ensemble des prétentions de l’employeur. Si on écarte ce risque de fuite (encore une fois, pour un employé qui travaille à titre de commis aux enquêtes sur le télémarketing frauduleux), tout s’écroule.

[180] Je crois le fonctionnaire [défendeur] quand il dit qu’il prend un joint quand il passe, et qu’il accepte volontiers les quantités minimes de marijuana qu’on lui donne. J’ai tenté de comprendre la position de l’employeur en posant la question à M. Aubin – quelle est la crainte? Qu’en apprenant que le fonctionnaire [défendeur] fume un joint une fois par semaine, le crime organisé tente d’exercer de la pression par le chantage? En divulguant à la GRC ce qu’elle sait déjà? Qu’on lui offre ce qu’il reçoit déjà? M. Aubin m’a répondu que l’infiltration de la GRC est la préoccupation constante du crime organisé. Soit. Si j’applique la prépondérance de la probabilité, la balance ne penche pas vers l’infiltration possible par l’entremise du fonctionnaire [défendeur] que j’ai devant moi.

[36]           Contrairement aux prétentions du PGC, je suis satisfait que la Commission a soupesé le facteur de l’insouciance pour conclure que le lien entre le risque et l’insouciance n’a pas été établi (décision de la Commission aux paragraphes 198-200). La Commission a aussi déterminé après avoir entendu le défendeur que bien qu’il eût tendance à être vague, il n’a jamais menti (décision de la Commission aux paragraphes 165-166) :

[165] Ce qui me frappe, au contraire, c’est l’honnêteté du fonctionnaire [défendeur]. Combien plus facile pour lui de mentir en 2013, pour ravoir sa cote de fiabilité. Quand, le 7 juillet 2012, les policières lui demandent de leur remettre la marijuana qu’il a en sa possession, il le fait promptement. Il avoue à chaque entrevue sa consommation de marijuana, ne la dissimule pas.

[166] J’ai constaté lors du témoignage du fonctionnaire [défendeur] qu’il a tendance à être vague, notamment en matière de dates. Par exemple, pour établir les dates où il était en congé de maladie, j’ai dû faire un effort continu, et m’appuyer sur les documents d’évaluation de rendement. Cependant, je ne vois pas dans cette imprécision de la malhonnêteté de la part du fonctionnaire [défendeur]. Je conçois qu’à des moments différents, selon la façon dont l’intervieweur pose les questions, le fonctionnaire [défendeur] puisse avoir répondu différemment. À la question importante pour la GRC sur sa consommation de marijuana, le fonctionnaire [défendeur] n’a jamais menti, alors que la tentation de mentir a dû être forte, en novembre 2013, alors qu’il voulait revenir au travail.

[37]           Cette évaluation de la preuve et de la crédibilité du défendeur fait partie de l’expertise de la Commission et commande la déférence.

[38]           Je suis toutefois d’accord avec le PGC que les propos de la Commission suivant lesquels « [l]es supérieurs du fonctionnaire [défendeur] ne lui disent jamais de façon non équivoque qu’il est interdit de fumer de la marijuana » laissent perplexe (décision de la Commission au paragraphe 220). La Commission prétend-t-elle que l’employeur avait l’obligation d’indiquer de façon explicite l’interdiction de fumer de la marijuana sans quoi un employé pourrait être justifié d’en faire la consommation? Je rappelle que dans l’état du droit actuel, la marijuana est une substance interdite (Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996 c. 19, article 4 et Annexe II). Dans les circonstances de la présente affaire et compte tenu de l’historique du défendeur, l’employeur eût peut-être été avisé d’informer « officiellement » ce dernier de l’interdiction de fumer de la marijuana. Cela étant, on ne peut cependant pas lui tenir rigueur de cette absence d’information « officielle ». Il tombe en effet sous le sens qu’un fonctionnaire, nommément de la GRC comme le défendeur, devrait se rendre compte par lui‑même que la consommation de drogues illicites est par définition interdite. La Commission aurait pu s’abstenir de laisser entendre qu’il revenait à l’employeur d’expliciter cette interdiction. Quoiqu’il en soit, cela ne justifie pas l’intervention de cette Cour. En prenant en compte l’ensemble du dossier, cet écart demeure circonscrit et isolé et ne saurait à lui seul porter un coup fatal à la décision de la Commission (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union).

[39]           L’approche parcellaire et fragmentée que privilégie le PGC pour attaquer la conclusion de la Commission sur les mesures disciplinaires déguisées ou camouflées ne peut davantage être retenue. Sur cet aspect, une lecture objective de la décision de la Commission dans son ensemble me convainc qu’il était aussi loisible à la Commission de conclure qu’il y avait eu des mesures disciplinaires déguisées ou camouflées de la part de l’employeur du défendeur.

[40]           Finalement, le PGC allègue que s’il y a eu mesures disciplinaires, la Commission a rendu une décision déraisonnable en omettant de déterminer s’il y avait inconduite et si le licenciement était une mesure justifiable. Cet argument est aussi rejeté car ces questions n’ont pas fait l’objet d’un débat devant la Commission.

IV.             Conclusion

[41]           Pour tous ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je suis d’accord

A.F. Scott j.c.a. »

« Je suis d’accord

Yves de Montigny j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-91-16

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. DAVID FÉTHIÈRE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 janvier 2017

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MARS 2017

 

 

COMPARUTIONS :

Sean Kelly

 

Pour le demandeur

 

Kim Patenaude

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le demandeur

 

Raven, Camron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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