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Date : 20170331


Dossier : A-127-16

Référence : 2017 CAF 65

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

CBS CANADA HOLDINGS CO.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 15 février 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 mars 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS


Date : 20170331


Dossier : A-127-16

Référence : 2017 CAF 65

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

CBS CANADA HOLDINGS CO.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]  CBS Canada Holdings Co. (CBS) interjette appel d’une décision rendue par la juge Lyons, de la Cour canadienne de l’impôt, dont la référence est 2016 CCI 85 (les motifs). La juge Lyons (la juge de la Cour canadienne de l’impôt) a accueilli la requête du ministre du Revenu national (le ministre) présentée en vue d’obtenir la radiation de l’affidavit que CBS avait déposé à l’appui de sa requête visant à obtenir l’exécution d’une transaction conclue entre ses avocats et l’avocate du ministre. Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais l’appel avec dépens et j’annulerais l’ordonnance de la Cour canadienne de l’impôt.

[2]  Les faits essentiels ne sont pas contestés. La question à l’origine du litige entre les parties est celle de la capacité de CBS de déduire certaines pertes autres qu’en capital de son revenu pour certaines années d’imposition. CBS a interjeté appel à l’encontre de la nouvelle cotisation établie par le ministre à son égard pour certaines années d’imposition. La question à trancher était de savoir si CBS avait des pertes autres qu’en capital qu’elle pouvait déduire de son revenu pour ces années d’imposition.

[3]  Le 24 avril 2014, CBS (par l’entremise de ses avocats) a fait une offre de transaction qui comprenait une annexe où figuraient les pertes de CBS, à savoir l’annexe A. Les avocats ont communiqué les uns avec les autres pendant une période d’environ huit mois, au cours de laquelle diverses questions ont été réglées. Ils ont signé au nom de leurs clients respectifs le procès‑verbal de transaction, qui comprenait l’annexe A. Le 7 janvier 2015, les avocats ont avisé la Cour canadienne de l’impôt qu’ils avaient conclu une transaction et qu’ils attendaient l’établissement des avis de nouvelle cotisation pour exécuter la transaction.

[4]  Peu de temps après, l’avocate du ministre a avisé les avocats de CBS que le ministre avait du mal à exécuter le procès‑verbal de transaction. Le 20 février 2015, l’avocate du ministre a avisé par écrit les avocats de CBS que le ministre avait conclu à l’inexistence de pertes autres qu’en capital dont CBS pouvait se prévaloir et que le ministre ne pouvait pas établir une nouvelle cotisation qui était contraire aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch.1 (5suppl.) (la Loi).

[5]  À la suite de certaines démarches faites dans le cadre du processus de gestion de l’instance à la Cour canadienne de l’impôt, les avocats de CBS ont déposé un avis de requête et un affidavit à l’appui en vue d’obtenir l’exécution de la transaction. La déposante de l’affidavit en question était Me Toaze, une avocate du même cabinet que celui des avocats de CBS. L’affidavit énonçait, par référence à une série de documents qui avaient été annexés comme pièces à l’affidavit, ainsi que par référence à un petit nombre de communications de nature non controversée entre les avocats, le déroulement des événements ayant mené au dépôt de la requête.

[6]  L’avocate du ministre a contre‑interrogé Me Toaze au sujet de son affidavit, un exercice qui s’est avéré insatisfaisant, de l’avis de l’avocate. Me Toaze et les avocats de CBS ont soutenu que Me Toaze n’avait pas le droit de divulguer quelque renseignement que ce soit qui était protégé par le privilège. De plus, Me Toaze a refusé de confirmer ou de nier l’existence des pertes indiquées à l’annexe A. Elle a refusé également de confirmer ou de nier qu’elle était avocate de CBS. En raison de ces restrictions à son contre‑interrogatoire, l’avocate du ministre a présenté une requête en radiation de l’affidavit de Me Toaze.

[7]  La juge de la Cour canadienne de l’impôt a accueilli la requête. Elle a conclu que la question centrale ou « controversée » dans la requête en exécution et dans la requête dont elle était saisie concernait « l’exactitude, la véracité et l’origine des pertes autres qu’en capital de l’annexe A » : motifs, au paragraphe 23.

[8]  Cela l’a amenée à examiner l’article 72 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS 90‑688a (les Règles), qui permet qu’un affidavit à l’appui d’une requête fasse état des éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements, pourvu que la source de ces renseignements et le fait qu’ils sont tenus pour véridiques y soient indiqués. Ces renseignements manquaient dans plusieurs paragraphes de l’affidavit.

[9]  Selon le raisonnement de la juge de la Cour canadienne de l’impôt, l’article 72 des Règles était compatible avec l’approche fondée sur les principes applicable en matière de recevabilité de la preuve par ouï-dire, approche selon laquelle la preuve par ouï-dire est recevable si elle satisfait aux critères de la nécessité et de la fiabilité. Elle a conclu que la preuve par ouï-dire dans un affidavit doit pouvoir être vérifiée pour permettre à la Cour d’apprécier sa fiabilité. Le manque de renseignements concernant l’annexe A, en raison des diverses objections soulevées au cours du contre‑interrogatoire de Me Toaze, a fait en sorte qu’elle constituait une preuve par ouï-dire : motifs, au paragraphe 36. Les restrictions au contre‑­interrogatoire de la déposante ont amené la juge de la Cour canadienne de l’impôt à conclure que le contenu de l’annexe A n’était pas fiable.

[10]  La juge de la Cour canadienne de l’impôt a ensuite examiné si le choix de Me Toaze en tant que déposante en ce qui concerne la question controversée était approprié, compte tenu de sa participation au dossier. En particulier, la juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que la réticence de Me Toaze à dire si elle était avocate de CBS ou non visait à « embrouiller des questions simples qui appell[aient] des réponses simples » : motifs, au paragraphe 42. Après s’être référée à ce que dit le Code de déontologie du Barreau du Haut‑Canada relativement à la question de savoir s’il est approprié que des avocats fassent des affidavits sur des questions controversées dans des affaires où ils agissent à titre d’avocats, la juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’affidavit aurait pu être fait par un représentant de CBS plutôt que par Me Toaze.

[11]  La juge de la Cour canadienne de l’impôt a ensuite examiné la portée du contre‑interrogatoire sur un affidavit. Elle a fait remarquer que la portée du contre‑interrogatoire peut varier en fonction de la nature de la demande. La juge de la Cour canadienne de l’impôt a fait observer qu’en l’espèce les renseignements figurant dans l’annexe A étaient cruciaux pour la requête en exécution. La juge de la Cour canadienne de l’impôt a ensuite conclu que les restrictions à la possibilité pour le ministre de procéder à un contre‑interrogatoire étaient préjudiciables à la position de celui-ci.

[12]  La conclusion à laquelle la juge de Cour canadienne de l’impôt est finalement arrivée est succinctement énoncée au paragraphe 67 de ses motifs :

En appliquant ces principes à une requête en radiation fondée sur le ouï‑­dire et sur les motifs qui précèdent, j’en conclus que l’affidavit comportant des ouï‑­dire, dont la déposante en qualité d’avocate de CBS sur une question controversée, ne répondait pas au critère cumulatif de la fiabilité et de la nécessité pour m’aider à apprécier la preuve relative à la requête de CBS. Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire de ne pas admettre l’affidavit, comme l’enseigne la Cour d’appel fédérale par la jurisprudence Pluri Vox, la Cour doit rechercher si des éléments de preuve auraient pu être produits par une personne autre qu’un avocat. Le personnel CBS aurait pu le faire. […]

[13]  Après avoir décidé de radier l’affidavit de CBS, la juge de la Cour canadienne de l’impôt a néanmoins autorisé CBS à déposer un autre affidavit.

I.  Les questions en litige

[14]  L’appel dont la Cour est saisie soulève les questions suivantes :

  1. Quel est le critère applicable pour radier un affidavit?

  2. L’annexe A constitue-t‑elle une preuve par ouï-dire?

  3. Quelle est la portée appropriée d’un contre‑interrogatoire sur un affidavit?

  4. Me Toaze était-elle une déposante appropriée?

II.  Analyse

[15]  La décision de la juge de la Cour canadienne de l’impôt de radier l’affidavit est une décision discrétionnaire. Elle est susceptible de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, sauf dans le cas où il s’agit d’une erreur de principe, celle-ci constituant une question de droit isolable : Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2016] A.C.F. n943 (QL).

1.  Quel est le critère applicable pour radier un affidavit?

[16]  Un affidavit déposé dans le contexte d’une requête vise à fournir des éléments de preuve à l’appui du redressement demandé par une partie ou à l’appui de l’opposition à l’octroi du redressement demandé par l’autre partie.

[17]  Un affidavit, ou des parties de celui‑ci, peut être radié (au lieu qu’on lui accorde peu ou pas de valeur probante) dans certaines circonstances :

[…] En général, l’affidavit doit contenir des renseignements pertinents qui aideraient la Cour à trancher la demande. Comme l’a souligné notre Cour dans Dwyvenbode c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 120, l’affidavit a pour but de présenter les faits pertinents quant au litige sans commentaires ni explications. La Cour peut radier des affidavits ou des parties de ceux‑ci lorsqu’ils sont abusifs ou n’ont clairement aucune pertinence, lorsqu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit ou encore lorsque la Cour est convaincue qu’il est préférable de régler la question de l’admissibilité au stade préliminaire de façon à permettre le déroulement ordonné de l’audience (McConnell c. Commission canadienne des droits de la personne, 2004 CF 817, décision confirmée dans 2005 CAF 389).

Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 47 au paragraphe 18, 399 N.R. 33.

[18]  En l’espèce, il semble que la juge de la Cour canadienne de l’impôt a radié l’affidavit parce qu’il contenait une preuve par ouï-dire produite pour établir l’existence et l’origine des pertes, preuve dont la nécessité et la fiabilité n’ont pas été vérifiées au moyen d’un contre‑interrogatoire. La juge de la Cour canadienne de l’impôt a également été influencée par le fait qu’on aurait pu trouver chez CBS un déposant autre qu’un avocat pour faire l’affidavit.

2.  L’annexe A constitue‑t‑elle une preuve par ouï-dire?

[19]  La preuve par ouï-dire est définie comme étant une déclaration extrajudiciaire présentée pour établir la véracité de son contenu. L’énoncé classique de la définition du ouï-dire se trouve dans l’arrêt Subramaniam v. Public Prosecutor (Malaya), [1956] UKPC 21, [1956] 1 W.L.R. 965, à la page 969 :

[traduction]

La preuve d’une déclaration faite à un témoin par une personne qui n’est pas elle‑même appelée à témoigner peut être ou ne pas être du ouï‑dire. Cette preuve constitue du ouï‑dire et est inadmissible lorsqu’elle vise à établir la véracité du contenu de la déclaration. Elle ne constitue pas du ouï‑dire et est admissible lorsqu’elle vise à établir non pas que la déclaration est exacte, mais qu’elle a été faite.

[20]  Étant donné que la réponse à la question de savoir si une déclaration constitue ou non du ouï-dire dépend du but dans lequel elle est présentée, aucune preuve ne constitue a priori du ouï-dire : R. c. Baldree, 2013 CSC 35 au paragraphe 3, [2013] 2 R.C.S. 520.

[21]  La juge de la Cour canadienne de l’impôt était d’avis que la question dont elle était saisie, ainsi que celle soulevée dans la requête en exécution qui n’avait pas encore été entendue, concernait « l’exactitude, la véracité et l’origine des pertes autres qu’en capital de l’annexe A » : motifs, aux paragraphes 23 et 24. La juge a ensuite conclu que l’annexe A avait été présentée afin de prouver la véracité de son contenu, c’est-à-dire pour « démontrer l’existence des pertes autres qu’en capital » (motifs, au paragraphe 36), et non « simplement [afin] de prouver que les déclarations avaient été faites » (motifs, au paragraphe 25).

[22]  L’on peut raisonnablement se demander comment la juge de la Cour canadienne de l’impôt est parvenue à cette conclusion. Il n’y avait dans l’affidavit rien qui appuyait cette position, et les mémoires des faits et du droit des parties concernant la requête en exécution n’avaient pas encore été déposés au moment où la juge de la Cour canadienne de l’impôt a entendu la requête dont elle était saisie.

[23]  CBS a fait valoir la validité de la transaction et a présenté une requête en vue d’obtenir l’exécution de celle‑ci. À l’appui de cette requête, CBS a déposé un affidavit qui mettait devant la Cour l’accord de transaction et le déroulement des négociations ayant mené à sa conclusion. En réponse, le ministre a soutenu que la transaction qu’il avait conclue avec CBS était nulle parce qu’elle était contraire aux dispositions de la Loi, position qui a plus tard été décrite comme étant une erreur de fait. Étant donné que c’est le ministre qui a affirmé que la transaction avait été conclue à la suite d’une erreur de fait et que les faits ne lui permettaient pas de donner effet à la transaction, les avocats de CBS ne voyaient apparemment pas la nécessité de tenter de réfuter l’affirmation du ministre.

[24]  La règle du ouï-dire s’applique tant aux documents qu’aux déclarations verbales. Les exceptions à cette règle, telles que les aveux contre intérêt, s’appliquent également à des déclarations faites dans des documents. Toutefois, les documents qui constituent une preuve d’une transaction sont admissibles, indépendamment de la règle du ouï-dire, pour prouver que les engagements mutuels entre les parties ont réellement été pris. De tels documents ne sont pas présentés pour prouver la véracité de leur contenu, mais pour prouver que les mots qu’ils contiennent ont été prononcés, littéralement ou au sens figuré : voir Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada, 2016 CAF 161 au paragraphe 89.

[25]  Dans la mesure où les documents annexés à l’affidavit de Me Toaze ont été présentés pour prouver l’existence et les modalités de la transaction conclue entre les parties, ils étaient admissibles, à condition qu’ils puissent vérifiés au moyen d’un contre‑interrogatoire, dont la portée appropriée sera abordée plus loin dans les présents motifs.

[26]  La juge de la Cour canadienne de l’impôt a eu raison de conclure que, dans la mesure où l’Annexe A a été présentée pour prouver la réalité et l’origine des pertes qu’elle mentionnait, elle était inadmissible, sauf dans la mesure de ce que permet l’approche fondée sur les principes applicable relativement à la règle du ouï-dire. Toutefois, la juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en prêtant à CBS une intention qu’elle n’avait pas manifestée, à savoir celle de prouver ses pertes autres qu’en capital en présentant en preuve l’annexe A. La juge de la Cour canadienne de l’impôt ne pouvait pas conclure, au motif que certains paragraphes de l’affidavit de Me Toaze ne disaient pas qu’ils faisaient état d’éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements ou au motif qu’ils portaient sur des faits plutôt que sur des documents, que l’annexe A avait été présentée pour prouver son contenu. Dans la mesure où il y des paragraphes précis de l’affidavit que la juge de la Cour canadienne de l’impôt trouvait problématiques, ces paragraphes sont indépendants des autres paragraphes.

[27]  En résumé, les conclusions de la juge de la Cour canadienne de l’impôt quant à la raison pour laquelle l’annexe A et d’autres documents annexés à l’affidavit de Me Toaze ont été présentés n’étaient pas compatibles avec le contenu de l’affidavit, qui faisait simplement état des faits ayant mené à la transaction et de la preuve de la transaction sous la forme du procès‑verbal de transaction. Il n’était pas loisible à la juge de la Cour canadienne de l’impôt de conclure que CBS avait présenté les documents en question dans un but plus général et de décider ensuite que leur contenu était inadmissible à cette fin (et susceptible d’être radié) parce que la nécessité et la fiabilité de l’affidavit n’avaient pas été vérifiées au moyen d’un contre‑interrogatoire.

3.  Quelle est la portée appropriée d’un contre‑interrogatoire sur un affidavit?

[28]  Même si la juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur sur la question relative au but dans lequel l’annexe A avait été présentée, la question qui demeure est de savoir si l’avocate du ministre pouvait néanmoins contre‑interroger MToaze sur l’origine et l’exactitude des pertes autres qu’en capital figurant à l’annexe A au motif que « le contre‑interrogateur a le droit de poser des questions portant sur tous les points pertinents à la décision relative aux questions de la requête » : motifs, au paragraphe 63.

[29]  La portée du contre‑interrogatoire sur un affidavit a fait l’objet de nombreuses décisions dans lesquelles les principes pertinents ont été énoncés : voir Ontario v. Rothmans Inc., 2011 ONSC 2504 au paragraphe 143, [2011] O.J. no 1896 (QL), et Ottawa Athletic Club Inc. (f.a.s. Ottawa Athletic Club) c. Athletic Club Group Inc., 2014 CF 672 aux paragraphes 130 à 133, [2014] A.C.F. n743 (QL), (Ottawa Athletic Club). Pour les besoins de la requête dont nous sommes saisis, je suis disposé à tenir pour exactes les observations suivantes tirées du paragraphe 132 de la décision  Ottawa Athletic Club :

[…] Cependant, il semble être généralement admis que [traduction] « l’auteur d’un affidavit qui formule certaines déclarations sous serment ne devrait pas échapper à un contre‑interrogatoire légitime au sujet des renseignements qu’il fournit volontairement dans son affidavit » et « qu’il peut être contre‑interrogé non seulement sur des questions précisément énoncées dans son affidavit, mais également sur les questions connexes que soulèvent ses réponses » : Merck Frosst Canada Inc c Canada (Minister of National Health and Welfare), [1996] ACF no 1038, au paragraphe 9, 69 CPR (3d) 49 [Merck (1996)], citant Wyeth Ayerst Canada Inc c Canada (Minister of National Health and Welfare) (1995), 60 CPR (3d) 225 (CF 1re inst.).

[30]  En l’espèce, l’affidavit de Me Toaze mettait en preuve les négociations ayant mené à la transaction et le procès‑verbal de transaction qui en constitue la preuve. Toute question portant sur ces sujets serait une question appropriée à laquelle la déposante serait tenue de répondre. Les questions connexes qui pourraient se poser se rapporteraient, à mon avis, à des précisions pertinentes découlant de réponses données aux premières questions.

[31]  Les questions visant à examiner le fondement factuel des pertes indiquées à l’annexe A ne sont pas des questions qui concernent les renseignements figurant dans l’affidavit ni des questions connexes.

[32]  Si l’on adopte un point de vue plus large de la portée du contre-interrogatoire, comme l’a fait la juge de la Cour canadienne de l’impôt, la question qui se pose alors est de savoir si le fait que MToaze n’a pas répondu aux questions portant sur les pertes qui figurent à l’annexe A est pertinent relativement à une question en litige dans l’instance. Étant donné que l’affaire n’a pas encore été entendue par la Cour canadienne de l’impôt, je me contenterai de dire qu’il me semble que le refus de Me Toaze de répondre aux questions concernant les pertes figurant à l’annexe A n’a pas privé le ministre d’une audience équitable. S’il est question des pertes dans la requête en exécution, CBS sera liée par ses choix quant aux éléments de preuve qu’elle a présentés. Si les questions de la nécessité et de la fiabilité sont soulevées, il incombera à CBS, en tant que partie qui présente la preuve, d’établir ces facteurs, et non au ministre d’établir leur inexistence. Par contre, si les pertes ne sont pas en cause, le refus de Me Toaze de répondre aux questions s’y rapportant ne peut avoir porté préjudice au ministre.

[33]  En fin de compte, le refus de Me Toaze de répondre aux questions concernant l’existence des pertes peut avoir privé le ministre d’un avantage tactique, mais il n’a pas eu pour effet de le priver d’une audience équitable. L’avantage tactique consisterait à pouvoir faire sa preuve par le témoignage de la déposante de CBS (à supposer que la question en litige soit l’existence des pertes). La perte d’un avantage tactique ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale : voir Canada c. ACI Properties Ltd., 2014 CAF 45 au paragraphe 25, 459 N.R. 184.

4.  Me Toaze était-elle une déposante appropriée?

[34]  La juge de la Cour canadienne de l’impôt a formulé des critiques au sujet du choix de Me Toaze comme déposante de CBS et concernant le fait que Me Toaze a invoqué le secret professionnel de l’avocat pour refuser de répondre à diverses questions que lui a posées l’avocate du ministre.

[35]  Une bonne partie des critiques formulées par la juge de la Cour canadienne de l’impôt tenaient à son point de vue selon lequel l’annexe A constituait une preuve par ouï-dire, de sorte que CBS devait présenter un témoin qui pouvait répondre aux questions portant sur la nécessité et la fiabilité de la preuve par affidavit. Dans la mesure où CBS n’a à ce jour présenté que l’affidavit pour prouver le fait de la transaction, les critiques formulées par la juge de la Cour canadienne de l’impôt ne sont pas fondées.

[36]  L’objection formulée à l’égard du recours à de Me Toaze comme déposante était qu’il n’était pas nécessaire de se fier à elle pour cela puisque d’autres personnes chez CBS auraient pu donner la preuve qu’elle a mise devant la Cour. Encore une fois, cela tient au point de vue de la juge de la Cour canadienne de l’impôt quant au but dans lequel l’affidavit a été déposé. Toutes les négociations en vue de la transaction ont été menées par les avocats. Un témoin ordinaire n’aurait pas été mieux placé que MToaze pour témoigner concernant les circonstances ayant mené au procès‑verbal de transaction.

[37]  La juge de la Cour canadienne de l’impôt s’est également montrée critique à l’égard des tergiversations de Me Toaze sur la question de savoir si elle était avocate de CBS. Cette question semble se rapporter au caractère approprié du recours à Me Toaze comme déposante dans le contexte de la requête.

[38]  Le langage  a tendance à évoluer, de telle sorte que des distinctions qui étaient autrefois claires peuvent ne plus l’être. La distinction entre un avocat et d’autres membres d’un cabinet d’avocats peut être constatée dans la plupart des recueils officiels de jurisprudence, tels que le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada. Après le sommaire de l’arrêt et la liste de la jurisprudence et des lois et règlements cités dans les motifs, les noms des avocats qui ont comparu pour le compte des parties au litige sont mentionnés. Après les motifs du jugement apparaît une liste des cabinets d’avocats qui ont représenté les différentes parties au litige. Ces cabinets d’avocats sont désignés comme étant les procureurs des parties.

[39]  Autant que je sache, cette façon de faire nous vient de la pratique anglaise où les avocats plaidants exercent seuls et reçoivent des instructions d’un cabinet de procureurs. Dans la mesure où cette distinction est toujours valable, il est inexact de dire, comme l’a fait l’avocat qui a comparu devant nous pour le compte de CBS que son cabinet était l’avocat de CBS. Le cabinet est peut‑être le cabinet d’avocats de CBS — ses procureurs, si l’on suit l’usage anglais —, mais l’avocat de CBS est celui qui parle pour elle devant la Cour, soit son avocat plaidant. Par conséquent, la réponse à la question de savoir si Me Toaze était avocate de CBS va de soi. Elle ne l’était pas. Elle était témoin de CBS.

[40]  Il se pourrait que la raison sous‑jacente à cette controverse ait été le secret professionnel de l’avocat et le droit de MToaze de l’invoquer. Il s’agit toutefois d’un faux problème, étant donné que le privilège appartient au client et non à l’avocat, bien qu’il puisse être invoqué pour le client par son avocat.

[41]  La juge de la Cour canadienne de l’impôt s’est référée au Code de déontologie du Barreau du Haut‑Canada, selon lequel un avocat qui comparait à titre d’avocat ne doit pas déposer son propre affidavit, à moins qu’il s’agisse d’une affaire purement formelle ou non controversée. La juge de la Cour canadienne de l’impôt a ensuite conclu que l’annexe A était controversée, laissant ainsi entendre que Me Toaze avait contrevenu au Code de déontologie en faisant son affidavit.

[42]  Il s’agissait d’une atteinte regrettable à la réputation professionnelle d’une avocate. Bien qu’il y ait eu des échanges sur la question de savoir si Me Toaze était une avocate de CBS, personne n’a prétendu, ni ne pouvait prétendre, que Me Toaze avait comparu ou comparaissait en tant qu’avocate de CBS. Il n’était pas nécessaire que la juge de la Cour canadienne de l’impôt s’aventure sur ce terrain pour statuer sur la requête dont elle était saisie.

III.  Conclusion

[43]  En résumé, la juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur de principe en concluant prématurément que les documents joints à l’affidavit de Me Toaze avaient été présentés comme preuve de leur contenu. Cette erreur a entraîné d’autres erreurs quant à la portée du contre‑interrogatoire de Me Toaze sur son affidavit et quant au caractère approprié d’un affidavit dont c’était elle l’auteur. Cette combinaison d’erreurs a conduit la juge de la Cour canadienne de l’impôt à radier l’affidavit de Me Toaze sans justification, ce qui constitue une erreur manifeste et dominante. Par conséquent, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais l’ordonnance de la juge de la Cour canadienne de l’impôt et je rejetterais la requête en radiation de l’affidavit de Me Toaze, également avec dépens.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d’accord,

J. Woods, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme,

Erich Klein, réviseur.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-127-16

 

 

INTITULÉ :

CBS CANADA HOLDINGS CO. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 février 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MARS 2017

 

COMPARUTIONS :

Edwin G. Kroft

Jeffrey Trossman

 

POUR L’APPELANTE

CBS CANADA HOLDINGS CO.

 

Samantha Hurst

 

POUR L’INTIMÉE

SA MAJESTÉ LA REINE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

CBS CANADA HOLDINGS CO.

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

SA MAJESTÉ LA REINE

 

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