Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20170420


Dossier : A-145-16

Référence : 2017 CAF 80

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

INDUSTRIELLE ALLIANCE,

ASSURANCE ET SERVICES FINANCIERS INC.

appelante

et

KASSEM MAZRAANI

intimé

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

Audience tenue à Montréal (Québec), le 5 avril 2017.

Jugement rendu à l’audience à Montréal (Québec), le 5 avril 2017.

Motifs du jugement rendus à Ottawa (Ontario), le 20 avril 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20170420


Dossier : A-145-16

Référence : 2017 CAF 80

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

INDUSTRIELLE ALLIANCE,

ASSURANCE ET SERVICES FINANCIERS INC.

appelante

et

KASSEM MAZRAANI

intimé

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie de l’appel d’une décision rendue par le juge Archambault (le juge) de la Cour canadienne de l’impôt (CCI), dont la référence est 2016 CCI 65.

[2]               Le 5 avril 2017, notre Cour a tranché l’affaire à l’audience, indiquant que les motifs de sa décision suivraient. Ainsi, la Cour a accueilli l’appel, annulé le jugement de première instance et renvoyé l’affaire à la CCI pour qu’elle soit entendue de nouveau, et ce par un autre juge.

[3]               Devant nous, l’appelante, Industrielle Alliance, Assurance et Services Financiers Inc. (Industrielle Alliance), affirme essentiellement que les droits des témoins et de son avocat en matière de langues officielles ont été enfreints à plusieurs reprises au cours de l’audience devant la CCI.

[4]               L’un des intimés, M. Mazraani, n’est pas représenté par un avocat. À son avis, il n’y a eu aucune violation de la sorte, car la langue ne constitue qu’un moyen de communication, et la preuve documentaire était suffisamment éloquente. En outre, selon lui (i) les témoins et l’avocat étaient tous bilingues; (ii) tous les participants à l’audience devant la CCI avaient accepté de s’adresser à cette dernière en anglais; et (iii) Industrielle Alliance soulève la question des droits linguistiques à des fins stratégiques [traduction] « pour saper le jugement de la CCI ».

[5]               Le ministre du Revenu national (le ministre), l’autre intimé, souscrit à la thèse avancée par Industrielle Alliance et soutient de plus que les droits de M. Mazraani en matière de langues officielles n’ont pas été respectés.

II.                Questions soulevées dans l’appel

[6]               L’appel soulève trois questions :

1.         Les droits constitutionnels et quasi constitutionnels des témoins et de l’avocat en matière de langues officielles ont-ils été enfreints au cours de l’audience devant la CCI?

2.         Les questions adressées par le juge aux témoins cités par Industrielle Alliance ont-elles donné lieu à une crainte raisonnable de partialité?

3.         Le juge a-t-il décidé à tort que M. Mazraani occupait un emploi assurable au sein d’Industrielle Alliance?

[7]               Vu la conclusion de notre Cour selon laquelle les droits constitutionnels et quasi constitutionnels en matière de langues officielles garantis aux témoins et à l’avocat d’Industrielle Alliance, ainsi qu’à M. Mazraani, n’ont pas été respectés au cours de l’audience devant la CCI, point n’est besoin de décider si M. Mazraani occupait un emploi assurable au sein d’Industrielle Alliance ou de trancher la question de la crainte raisonnable de partialité. Je ferai toutefois une remarque à propos de la dernière question. 

III.             Droits en matière de langues officielles dans les instances se déroulant devant des cours fédérales

[8]               Il est bien établi que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada et qu’elles ont un statut et des droits et privilèges égaux devant les tribunaux constitués par une loi fédérale, dont la CCI. Partant, la Constitution accorde à toute personne, qu’elle comparaisse devant une cour fédérale ou y dépose des actes de procédure, le droit de le faire dans la langue officielle de son choix (Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.), art. 133, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 5). Ce droit constitutionnel est également repris et confirmé aux articles 16 et 19 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui figure à la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.).

[9]               La Cour suprême dans l’arrêt MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, à la page 483, rappelle que le droit que la Constitution reconnaît d’employer la langue officielle de son choix devant les cours de justice visées par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 doit être interprété largement comme celui « des justiciables, des avocats, des témoins, des juges et autres officiers de justice ».

[10]           Il est important de signaler que la faculté d’une personne de s’exprimer dans les deux langues officielles ne change rien à son droit constitutionnel d’opter soit pour le français, soit pour l’anglais, dans le cadre d’une instance. Cette faculté « n’est pas pertinente ». Pour reprendre les propos de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, au paragraphe 45 [Beaulac] :

On a beaucoup discuté, en l’espèce, de l’aptitude de l’accusé à s’exprimer en anglais.  Cette aptitude n’est pas pertinente parce que le choix de la langue n’a pas pour but d’étayer la garantie juridique d’un procès équitable, mais de permettre à l’accusé d’obtenir un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle.

[11]           La Cour suprême affirme également :

La langue est si intimement liée à la forme et au contenu de l’expression qu’il ne peut y avoir de véritable liberté d’expression linguistique s’il est interdit de se servir de la langue de son choix.  Le langage n’est pas seulement un moyen ou un mode d’expression.  Il colore le contenu et le sens de l’expression.  Comme le dit le préambule de la Charte de la langue française elle-même, c’est aussi pour un peuple un moyen d’exprimer son identité culturelle. [Je souligne.]

Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 748-749; cité dans Beaulac, par. 17 et 34.

[12]           La Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, ch. 31 (4e suppl.) (LLO), qui fait partie de cette catégorie privilégiée des lois dites quasi constitutionnelles (Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340, par. 12), dispose ainsi aux articles 14 et 15 :

14 Le français et l’anglais sont les langues officielles des tribunaux fédéraux; chacun a le droit d’employer l’une ou l’autre dans toutes les affaires dont ils sont saisis et dans les actes de procédure qui en découlent.

14 English and French are the official languages of the federal courts, and either of those languages may be used by any person in, or in any pleading in or process issuing from, any federal court.

15 (1) Il incombe aux tribunaux fédéraux de veiller à ce que tout témoin qui comparaît devant eux puisse être entendu dans la langue officielle de son choix sans subir de préjudice du fait qu’il ne s’exprime pas dans l’autre langue officielle.

15 (1) Every federal court has, in any proceedings before it, the duty to ensure that any person giving evidence before it may be heard in the official language of his choice, and that in being so heard the person will not be placed at a disadvantage by not being heard in the other official language.

(2) Il leur incombe également de veiller, sur demande d’une partie, à ce que soient offerts, notamment pour l’audition des témoins, des services d’interprétation simultanée d’une langue officielle à l’autre langue.

(2) Every federal court has, in any proceedings conducted before it, the duty to ensure that, at the request of any party to the proceedings, facilities are made available for the simultaneous interpretation of the proceedings, including the evidence given and taken, from one official language into the other.

[…]

[13]           Le paragraphe 15(1) de la LLO impose donc une obligation expresse aux cours fédérales, entre autres, à veiller à ce que toute personne qui témoigne devant elles puisse le faire dans la langue officielle de son choix, et ce sans qu’elle en soit lésée. Le paragraphe 15(2) crée une obligation semblable à l’égard des cours fédérales qui exige qu’elles offrent des services d’interprétation simultanée d’une langue officielle à l’autre lorsqu’une partie le demande dans le cadre de toute instance. Ainsi, la LLO exprime la notion selon laquelle « la liberté de choisir [soit le français, soit l’anglais] est dénuée de sens en l’absence d’un devoir de l’État de prendre des mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques » (Beaulac, par. 20).

[14]           Le contexte étant esquissé, abordons les questions en litige.

IV.             Analyse

[15]           Le pourvoi découle de la décision prise par l’Agence du revenu du Canada selon laquelle M. Mazraani n’occupait pas un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23. Le ministre a confirmé cette décision, que M. Mazraani a portée devant la CCI.

[16]           L’appel devant la CCI s’est déroulé suivant les prescriptions du paragraphe 18.15(3) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, ch. T-2, qui prévoit que les appels « sont entendus d’une manière informelle et le plus rapidement possible, dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent ». M. Mazraani, qui n’était pas représenté par un avocat devant la CCI, a déposé son avis d’appel en anglais. Le ministre, conformément à l’article 18 de la LLO, a déposé sa réplique en anglais. L’employeur, Industrielle Alliance, qui était intervenante dans l’instance devant la CCI, a déposé son avis d’intervention en français.

[17]           Dès le deuxième jour d’audience, la question de la langue d’instruction a été soulevée. L’avocat représentant Industrielle Alliance, Me Turgeon, a indiqué que son premier témoin, M. Michaud, témoignerait en français, ce à quoi M. Mazraani a clairement répondu qu’il lui faudrait dans ce cas un interprète (transcription, vol. 1, p. 269-270) :

[traduction]

LE JUGE ARCHAMBAULT: D’accord. Allons-y avec M. Michaud. C’est Michaud. Et non Comeau. C’est Michaud.

Me TURGEON: Bruno Michaud. Monsieur Bruno Michaud.

LE JUGE ARCHAMBAULT: OK. Donc ---

Me TURGEON: Qui va témoigner en français si vous n’y voyez pas ---

LE JUGE ARCHAMBAULT: Je n’y vois pas d’inconvénient, sauf que la partie – vous ne comprenez pas très bien le français?

M. MAZRAANI: Non.

LE JUGE ARCHAMBAULT: Bon ---

Me TURGEON: Et j’hésite à imposer au témoin ---

LE JUGE ARCHAMBAULT: OK. Parce que ---

Me TURGEON: Bien, mon collègue fait référence à la pièce E-4—A-4, qui est – qu’il parle français.

Me JILWAN: Sa demande d’emploi.

--- (COURTE PAUSE)

Me TURGEON: Et mon client sait pertinemment qu’il parle français.

LE JUGE ARCHAMBAULT: Il maîtrise le plus bas ---

Me TURGEON: Oui.

LE JUGE ARCHAMBAULT: --- le plus bas niveau de français.

Seriez-vous gêné si ce témoin faisait sa déposition en français?

M. MAZRAANI: Bien entendu.

LE JUGE ARCHAMBAULT: Auriez-vous besoin – auriez-vous besoin d’un interprète?

M. MAZRAANI: Bien entendu.

LE JUGE ARCHAMBAULT: Bien entendu quoi?

M. MAZRAANI: J’ai besoin d’un interprète. Je ne peux ---

LE JUGE ARCHAMBAULT: Vous avez besoin d’un interprète.

M. MAZRAANI: --- parce que l’affaire est ---

Me TURGEON: OK. Permettez-moi ---

LE JUGE ARCHAMBAULT: Parce que je dois – vous savez, je dois me montrer juste envers les deux parties. Vous savez, je suis disposé à le laisser témoigner en français, mais je devrais alors faire venir un interprète pour lui.

[Je souligne.]

[18]           Dès lors que l’avocat, Me Turgeon, a indiqué que le témoin, M. Michaud, voulait faire sa déposition en français et qu’une des parties, soit M. Mazraani, avait besoin des services d’un interprète, il incombait au juge de lever la séance pour obtenir des services d’interprétation. Il était obligé de respecter le choix de M. Michaud, qui voulait témoigner en français, de même que la demande de M. Mazraani, qui avait besoin des services d’un interprète (LLO, par. 15(1) et (2)).

[19]           Or, le juge a plutôt accordé une pause pour permettre à Me Turgeon de trouver un compromis. Me Turgeon a proposé que M. Michaud témoigne en anglais, mais qu’il lui soit permis de s’exprimer en français au sujet des questions techniques, et que ces déclarations soient traduites vers l’anglais. Le juge a accepté ce compromis « pragmatique ». Il a ainsi manqué à son obligation expresse de faire en sorte que les témoins soient entendus dans la langue officielle de leur choix.

[20]           Une autre violation des droits en matière de langues officielles a découlé du traitement réservé à un autre témoin, M. Charbonneau, qui avait aussi exprimé le souhait de faire sa déposition en français. Le juge a interrompu l’interrogatoire de M. Charbonneau par Me Turgeon, qui venait de commencer et se déroulait en français, pour demander qu’il soit mené en anglais. M. Charbonneau a alors demandé s’il pouvait répondre aux questions en français. Au lieu d’accéder à sa demande, comme l’exige le paragraphe 15(1) de la LLO, le juge a insisté sur l’incapacité de M. Mazraani de comprendre le français (transcription, vol. 2, p. 608-609) :

Me TURGEON: Monsieur Charbonneau, pouvez-vous nous dire vous êtes lié à Industrielle Alliance depuis combien…

LE JUGE ARCHAMBAULT: Est-ce que c’est possible de  -- [traduction] le faire en anglais?

Me TURGEON: [traduction] Oh, oh oui, je suis désolé, je ne suis pas certain ---

LE JUGE ARCHAMBAULT: [traduction] Pouvez-vous parler?

M. CHARBONNEAU: Est-ce que je peux mentionner quelque chose?

LE JUGE ARCHAMBAULT: Oui.

M. CHARBONNEAU: Oui, en fait je suis mieux en français

LE JUGE ARCHAMBAULT: Oui.

M. CHARBONNEAU: …et puis je suis un petit peu surpris parce que dans le fond les réunions qu’on fait à notre bureau, tout se passe en français.

LE JUGE ARCHAMBAULT: M’hm.

M. CHARBONNEAU: Est-ce que je peux répondre en français?

LE JUGE ARCHAMBAULT: Mais le contribuablela personne qui est devant nous aujourd’hui [M. Mazraani] dont c’estdont c’est l’appel

M. CHARBONNEAU: Oui.

LE JUGE ARCHAMBAULT: …nous dit qu’il a de la difficulté à comprendre le français. Donc on demande autant que possible aux témoins de s’exprimer en anglais. Est-ce que vous vous sentez relativement à l’aise pour parler en anglais?

M. CHARBONNEAU: Ben je vais essayer

[Je souligne.]

[21]           Pendant l’instruction de l’affaire par la CCI, Me Turgeon et d’autres témoins ont été traités de manière semblable et se sont vus privés de leur droit de s’exprimer en français en raison de leur maîtrise de l’anglais (voir, par exemple, transcription, vol. 2, p. 555 (Mme Lambert) et transcription, vol. 4, p. 1256 et 1336-1337 (Me Turgeon)). Le juge a traité chaque demande visant à s’exprimer dans la langue officielle de leur choix comme une demande d’accommodement, plutôt que comme l’exercice de leurs droits protégés en matière de langues officielles.

[22]           Dans chaque cas, le juge a incité l’avocat et les témoins à employer l’anglais. Tout au long de l’instruction, il a favorisé l’anglais au détriment du français, car M. Mazraani maîtrise peu le français. De ce fait, les droits en matière de langues officielles de Me Turgeon et des témoins ont été enfreints. Le juge a exercé une subtile pression sur Me Turgeon et les témoins les invitant à renoncer à leur droit de s’exprimer dans la langue officielle de leur choix, en l’occurrence le français (Chiasson c. Chiasson, [1999] A.N.-B. no 621 (C.A.)(QL)). M. Mazraani fait valoir que personne n’a obligé les témoins et Me Turgeon à s’exprimer en anglais et qu’Industrielle Alliance invoque les droits linguistiques à des fins purement stratégiques. Or, la transcription des débats n’étaye tout simplement pas cette conclusion.

[23]           En outre, selon M. Mazraani, il ne saurait y avoir préjudice lorsqu’une personne peut s’exprimer dans les deux langues officielles. Un tel argument n’est pas fondé. La Constitution reconnaît à toute personne qui comparaît devant une cour fédérale le droit de s’exprimer dans la langue officielle de son choix, peu importe qu’elle soit bilingue ou non. Autrement dit, être bilingue ne prive pas une personne du droit de s’exprimer dans la langue officielle de son choix (Beaulac, par. 45).

[24]           De plus, malgré les efforts déployés par le juge pour inciter les témoins à faire leur déposition en anglais et comme certains d’entre eux avaient du mal à s’exprimer en anglais, une partie importante des témoignages s’est déroulée en français. Soulignons celui d’Éric Leclerc, fait en grande partie en français (voir, par exemple, transcription, vol. 4, p. 1206-1207, 1222, 1228, 1266, 1323-1324 et 1332). Si le juge a traduit en anglais à l’intention de M. Mazraani certaines déclarations faites en français par des témoins, de nombreux échanges sont demeurés dans la langue originale. Parfois, M. Mazraani affirmait ne pas comprendre ce qui se passait et disait « il faut que je comprenne » (transcription, vol. 4, p. 1249 et 1320). Comme ce dernier avait demandé l’assistance d’un interprète si des témoignages devaient se dérouler en français, que des témoins et Me Turgeon se sont adressés au juge en français et que leurs propos ont été peu ou pas traduits, les droits de M. Mazraani en matière de langues officielles ont été enfreints (mémoire des faits et du droit du ministre, par. 59).

[25]           À l’audience devant nous, M. Mazraani a prétendu que Me Turgeon avait demandé aux témoins de s’exprimer en français pour l’empêcher de comprendre leur déposition. Je ne me prononce pas sur ce point. Or, je signale que cette question ne se poserait pas si le juge avait levé la séance afin d’obtenir des services d’interprétation.

[26]           En fin de compte, les efforts du juge qui visait à se montrer « pragmatique » pour éviter de lever la séance et d’obtenir des services d’interprétation ont donné lieu à la violation non seulement des droits en matière de langues officielles de Me Turgeon et des témoins, mais également de ceux de M. Mazraani. Il n’était tout simplement pas loisible au juge de transiger sur les droits en matière de langues officielles de tous les participants à l’instance. En ne s’acquittant pas de son obligation de veiller à la protection des droits en matière de langues officielles en l’espèce, le juge a causé la violation de ces droits, mais également des retards qui auraient pu être évités s’il avait levé la séance et obtenu des services d’interprétation, comme il le fallait. Le pragmatisme ne l’emporte pas sur l’obligation de respecter les droits en matière de langues officielles de tous au cours de l’instruction des instances judiciaires.

[27]           Enfin, Industrielle Alliance prétend que les interventions du juge et les questions de ce dernier adressées à ses témoins donnaient lieu à une crainte raisonnable de partialité. Il suffit de dire que le nombre d’interruptions et de questions semble excessif, même compte tenu du fait que l’une des parties n’était pas représentée par un avocat et que la procédure était informelle (voir NCJ Educational Services Limited c. Canada (Revenu national), 2009 CAF 131). Par exemple, selon Industrielle Alliance, le juge a posé non moins de 102 questions à M. Michaud (mémoire des faits et du droit d’Industrielle Alliance, par. 50). Toutefois, vu ma conclusion sur les droits en matière de langues officielles, je ne me prononce pas sur ce point.

[28]           De même, il n’est pas nécessaire de se pencher sur la question relative à l’emploi.

V.                Conclusion

[29]           Je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler le jugement de première instance et de renvoyer l’affaire à la Cour canadienne de l’impôt pour qu’elle ordonne la tenue d’une nouvelle audience, présidée par un autre juge. Il va sans dire que la transcription des débats du premier procès ne pourra être invoquée ni par les parties ni par le juge qui siégera dans le deuxième procès. Comme les parties ne les ont pas sollicités, je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.

“Richard Boivin”

j.c.a.

« Je suis d’accord

Johanne Gauthier j.c.a. »

« Je suis d’accord

Yves de Montigny j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-145-16

 

 

INTITULÉ :

INDUSTRIELLE ALLIANCE, ASSURANCE ET SERVICES FINANCIERS INC. c. KASSEM MAZRAANI ET MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

lieu de l’audience :

Montréal (Québec)

 

DATE de l’audience :

le 5 avril 2017

 

jugement rendu à l’audience, à MONTRÉAL (QUéBEC)

 

le 5 avril 2017

motifs du jugement rendus à ottawa (ontario) par :

 

le juge BOIVIN

 

y ont souscrit :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE des motifs :

le 20 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Nicolas Simard

Me Yves Turgeon

 

pour l’appelante

 

Kassem Mazraani

 

pour l’intimé

m. kassem mazraani

(non représenté)

 

Me Simon Petit

Me Emmanuel Jilwan

 

pour l’intimé

le ministre du revenu national

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin

Montréal (Québec)

 

pour l’appelante

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

pour l’intimé

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

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