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Date : 20170515


Dossier : A‑117‑16

Référence : 2017 CAF 101

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ) et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelants

et

THE WINNING COMBINATION INC.

intimée

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 16 novembre 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 mai 2017.

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20170515


Dossier : A‑117‑16

Référence : 2017 CAF 101

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ) et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelants

et

THE WINNING COMBINATION INC.

intimée

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]  La Cour est saisie d’un appel interjeté par le procureur général du Canada et le ministre de la Santé à l’encontre d’un jugement rendu par le juge Russell de la Cour fédérale (2016 CF 381). Essentiellement, le jugement visé par le présent appel annule une décision, ainsi que les modifications subséquentes et les réexamens de cette décision, rendue par le ministre de la Santé (le ministre) en application du Règlement sur les produits de santé naturels (DORS/2003‑196) (le Règlement). En conséquence de ces décisions, la délivrance d’une licence de mise en marché (licence de produit de santé naturel) a été refusée à l’intimée, The Winning Combination Inc. (TWC), pour le produit Resolve, un produit qui peut aider le sevrage du tabac. Après avoir conclu que les fonctionnaires ayant participé au processus d’examen réglementaire étaient partiaux et qu’il y avait eu de nombreux manquements à l’équité procédurale, le juge a rendu une ordonnance de mandamus obligeant le ministre à délivrer une licence de produit de santé naturel à l’intimée. Il a accordé à TWC les dépens sur la base d’une indemnité complète.

[2]  L’ordonnance de mandamus est l’élément central sur lequel repose l’appel du procureur général. Ce dernier soutient que le juge a commis une erreur de droit en rendant une ordonnance de mandamus et que, ce faisant, il a usurpé une tâche attribuée au ministre par le Règlement. De l’avis du procureur général, le juge a aussi commis une erreur en concluant que la partialité qu’il avait constatée empêchait l’évaluation équitable et objective de la demande de TWC et en imposant au ministre le fardeau de prouver l’existence de circonstances établissant le contraire. De plus, le procureur général fait valoir que le juge a commis une erreur en autorisant le dépôt d’éléments de preuve dont ne disposait pas le ministre et en s’appuyant sur ceux‑ci, qu’il a fait une erreur en radiant certains éléments de preuve pour ensuite s’appuyer sur certains d’entre eux, et qu’il a commis une erreur de principe en accordant des dépens procureur‑client.

[3]  Au début de l’audition de l’appel, le procureur général a admis que la décision concernant la délivrance de la licence et le processus de réexamen en vertu du Règlement ne respectaient pas l’équité procédurale, mais il a tout de même demandé l’annulation de l’ordonnance de mandamus et le renvoi de la question de la délivrance d’une licence de produit de santé naturel pour le produit Resolve au ministre afin qu’il rende une nouvelle décision.

[4]  Il s’agit d’une admission convenable. Il n’y a aucune erreur dans les conclusions de fait de la Cour fédérale sur l’équité procédurale ni dans l’application des principes de l’équité procédurale à ces conclusions. Le juge a conclu que le processus de délivrance de licence et le processus de réexamen subséquent comportaient de nombreux manquements à l’équité procédurale, et il avait raison. Selon la Cour, le procureur général n’a fait aucune admission de partialité, du moins d’un point de vue systémique, puisqu’il a demandé que l’affaire soit renvoyée au ministre.

[5]  Devant la Cour fédérale, TWC a invoqué d’autres motifs pour justifier son droit à une réparation. Pour étayer sa position concernant une ordonnance de mandamus, TWC a affirmé qu’à partir du moment où le ministre a décidé de considérer Resolve comme un produit de santé naturel, la règle du functus officio et la règle de la préclusion l’empêchaient de revenir sur sa décision. Compte tenu des conclusions qu’il a tirées concernant l’équité procédurale, la partialité et le caractère déraisonnable de la décision, le juge n’a pas examiné ces moyens invoqués par TWC; cependant, TWC les reprend devant notre Cour.

[6]  Pour les motifs qui suivent, l’appel devrait être accueilli en partie.

I.  Cadre légal

[7]  Afin d’établir le contexte en vue de l’examen assez approfondi de l’historique de la présente instance, il convient de présenter les principaux éléments du cadre réglementaire régissant les produits de santé naturels (PSN) et d’expliquer ce qui le distingue de celui régissant les drogues.

[8]  Notre Cour, tout comme la Cour fédérale, est bien au fait du processus d’approbation des drogues prévu dans la Loi sur les aliments et drogues (L.R.C., 1985, ch. F‑27). Les règlements régissant les drogues et les PSN ont certaines ressemblances, mais ils ne reposent pas nécessairement sur les mêmes exigences réglementaires scientifiques ou empiriques. Les régimes visant l’approbation des drogues et des PSN sont différents tant sur le plan juridique que sur le plan opérationnel. L’article 3 du Règlement est sans équivoque à cet égard : sauf disposition expresse contraire, le Règlement sur les aliments et drogues (C.R.C., ch. 870) ne s’applique pas aux PSN.

[9]  Le ministre de la Santé est responsable de l’administration du Règlement. La Direction générale des produits de santé et des aliments de Santé Canada comprend la Direction des produits de santé naturels (la DPSN, qui porte maintenant le nom de Direction des produits de santé naturels et sans ordonnance), responsable de la délivrance des licences pour les PSN, et l’Inspectorat de la Direction générale des produits de santé et des aliments (IDGPSA), responsable des activités de conformité et d’application de la loi.

[10]  Pour vendre un PSN au Canada, il est nécessaire de posséder une licence, laquelle doit être obtenue en présentant une demande au ministre. Aux termes de l’alinéa 5g) du Règlement, une demande de licence de mise en marché (DLMM) comporte « les renseignements montrant l’innocuité et l’efficacité du produit ». L’article 6 enjoint au ministre de rendre une décision dans les soixante jours suivant la présentation d’une demande dans le cas où les renseignements montrant l’innocuité et l’efficacité présentés par l’auteur de la demande se trouvent dans le Compendium des monographies du ministère de la Santé. Selon l’alinéa 7d), le ministre « délivre » une licence si le produit « ne risque pas de causer un préjudice à la santé de l’acheteur ou du consommateur ».

[11]  Le Règlement accorde au ministre un vaste éventail de pouvoirs pour l’administration et l’application du régime. Les articles 16 à 19 lui confèrent le pouvoir de demander en tout temps au titulaire de la licence de lui fournir des renseignements lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que le produit peut ne plus être sûr. Le ministre peut ordonner la cessation des ventes s’il ne reçoit pas de réponse. Il peut aussi suspendre la licence s’il existe des motifs raisonnables de croire que le titulaire a contrevenu à la Loi ou au Règlement ou qu’il a fait une déclaration fausse ou trompeuse dans la DLMM présentée aux termes de l’article 5. Le ministre peut également suspendre la licence en toutes circonstances avant d’avoir donné au titulaire la possibilité de se faire entendre s’il a des motifs raisonnables de croire que cela est nécessaire pour prévenir que soit causé un préjudice à la santé du consommateur.

[12]  Exception faite des situations où la suspension est nécessaire pour prévenir que soit causé un préjudice à la santé, les articles 19 et 20 du Règlement enjoignent au ministre d’envoyer un avis au titulaire de la licence et de lui donner la possibilité de se faire entendre avant la prise d’effet de la suspension; il doit également envoyer un avis au titulaire et lui donner la possibilité de se faire entendre avant de prendre des mesures administratives pour rétablir ou annuler la licence suspendue. Par ailleurs, à l’étape de la présentation de la demande de licence, l’article 9 exige que soient communiqués les motifs du refus (l’avis de refus) et prévoit un processus de demande de réexamen de la demande de licence et donne au demandeur la possibilité de se faire entendre.

[13]  Pour déterminer si le Règlement s’applique à un produit en particulier, il faut d’abord savoir si le produit qui fait l’objet de la demande est un PSN. Le paragraphe 1(1) définit le terme « produit de santé naturel » comme une substance mentionnée à l’annexe 1 du Règlement. À l’annexe 1, on peut lire notamment que les matières suivantes sont des substances visées par la définition de « produit de santé naturel »: « Plante ou matière végétale, algue, bactérie, champignon ou matière animale autre qu’une matière provenant de l’humain » (article 1). Par ailleurs, l’article 2 de l’annexe prévoit qu’un « [e]xtrait ou isolat d’une substance mentionnée à l’article 1, dont la structure moléculaire première est identique à celle existant avant l’extraction ou l’isolation » est également une substance visée par cette définition.

[14]  Le fait qu’une substance soit un PSN ou une drogue détermine le cadre réglementaire qui s’applique et, par conséquent, la nature de la preuve devant être fournie à l’appui d’une demande de licence. Cela est cohérent : si les produits de santé naturels étaient assujettis aux mêmes exigences et normes réglementaires que les drogues, il ne serait pas nécessaire d’établir un cadre réglementaire distinct.

II.  Historique des procédures

A.  La demande de licence pour le produit Resolve

[15]  Le Règlement est entré en vigueur en janvier 2004. Les événements en cause ont commencé en 2004 lorsque le propriétaire du produit Resolve à l’époque a présenté à la DPSN une demande de licence de produit de santé naturel. Conformément à la pratique en usage au Ministère, la DPSN a conclu le 2 décembre 2004 que le produit était un PSN au sens de la définition prévue à l’annexe 1 du Règlement puisque son ingrédient actif figurait dans l’ouvrage Dictionary of Natural Products (DNP) (Dictionnaire des produits naturels). Un numéro de présentation a été attribué à la DLMM pour le produit Resolve.

[16]  TWC a acquis les droits relatifs au produit Resolve en 2006 et a commencé à vendre le produit au Canada en octobre de la même année. Cependant, en décembre 2006, Santé Canada a reçu une plainte de Pfizer Canada Inc. (Pfizer) faisant état de préoccupations liées à la santé et à l’innocuité concernant Resolve. Dans sa plainte, Pfizer soutenait que la description de la pharmacologie du produit portait à croire qu’il devait être réglementé comme une drogue. À la suite de cette plainte, l’IDGPSA, la section de Santé Canada responsable de la conformité réglementaire, a lancé une enquête interne. La responsabilité de l’enquête a été confiée à M. Paul Gustafson.

[17]  Cinq mois plus tard, le 4 mai 2007, M. Gustafson a fait parvenir à TWC une lettre d’avertissement dans laquelle il demandait à l’entreprise de cesser la vente et la publicité du produit Resolve et de le retirer du marché. Cette demande se fondait sur une violation alléguée de la Loi et du Règlement et sur la conclusion que Resolve posait un danger pour la santé. Dans la lettre, il était indiqué que, à titre de PSN, Resolve était assujetti au Règlement et qu’il était interdit de le vendre ou d’en faire la publicité sans licence. De plus, à la suite d’une évaluation du danger pour la santé (EDS) demandée lors de l’enquête, le produit a été classifié comme un danger pour la santé de « type II ». Par danger pour la santé de « type II », on entend une « situation dans laquelle l’utilisation d’un produit, ou l’exposition à celui-ci, peut entraîner des conséquences indésirables temporaires pour la santé, ou une situation dans laquelle la probabilité de conséquences indésirables graves pour la santé est faible ». Santé Canada a conclu notamment que Resolve contenait une substance dérivée de la passiflore et qu’il pourrait entraîner des conséquences indésirables sur la santé, à tout le moins temporaires ou légères.

[18]  Dans sa réponse, TWC a indiqué être surprise, plus particulièrement en ce qui avait trait aux préoccupations liées à l’innocuité et à l’efficacité exprimées par Santé Canada. TWC estimait injustifié qu’on lui demande de cesser la vente et la publicité du produit Resolve et de le retirer du marché, mais était désireuse de collaborer avec Santé Canada afin de régler la situation.

[19]  Environ un mois plus tard, le 20 juin 2007, en réponse aux renseignements présentés par TWC, Santé Canada a produit une EDS révisée confirmant que le produit était classifié comme un danger pour la santé de « type II » et faisant état d’une violation alléguée du Règlement. Santé Canada a de nouveau demandé à TWC de cesser immédiatement la vente et la publicité de Resolve, et de le retirer du marché.

[20]  Cette demande a mené à une réunion le 28 juin 2007 entre TWC et des fonctionnaires de Santé Canada. À cette réunion, TWC a reçu une autre EDS révisée, laquelle confirmait que le produit Resolve ne contenait pas de passiflore résiduelle, mais notait toutefois une déclaration d’effets indésirables constituant un cas « grave » ayant un lien de causalité « possible » entre l’utilisation de Resolve et les symptômes d’un patient. Le juge a établi que ni la classification de Resolve comme un PSN ni son efficacité n’étaient en cause lors de la réunion.

[21]  À la fin de la réunion, TWC a convenu de cesser temporairement la vente et la publicité du produit, comme le demandait Santé Canada, mais la question du retrait du marché a été laissée en suspens. Les parties ont correspondu à ce sujet, et TWC a produit des observations écrites, ainsi que 16 pièces jointes et un avis subséquent d’un expert, afin de répondre aux problèmes soulevés dans l’enquête. Or, Santé Canada n’était pas convaincue. Au final, Santé Canada a diffusé un avis public, lequel indiquait que la vente du produit Resolve n’était pas autorisée, que TWC n’avait pas obtempéré à la demande de Santé Canada de retirer le produit du marché et que les Canadiens ne devraient pas utiliser Resolve en raison de dangers éventuels pour la santé.

[22]  Au risque de bousculer l’ordre des faits, je me permets de faire un saut dans le temps pour souligner que le 18 septembre 2008, Santé Canada a reconnu que le produit Resolve ne posait aucun danger pour la santé.

[23]  Le 19 juillet 2007, la DPSN a envoyé un avis de refus (l’avis de refus de juillet). La demande de TWC a été rejetée en application de l’alinéa 7a) et de l’alinéa 7d) du Règlement, notamment pour ce qui est de l’insuffisance des éléments de preuve à l’appui de l’innocuité et de l’efficacité du produit. L’avis de refus de juillet faisait état de préoccupations liées aux effets possibles de l’ingrédient actif sur le foie, de la preuve scientifique présentée, de l’avantage thérapeutique que procure Resolve et de la dose recommandée. L’avis renvoyait à la déclaration d’effets indésirables dont faisait mention l’EDS précédente pour établir un lien de causalité « possible » entre l’utilisation de Resolve et les symptômes d’un patient. L’avis de refus de juillet ne faisait aucune mention de préoccupations quant à la classification adéquate de Resolve comme PSN.

[24]  TWC a exercé deux recours. Le 26 juillet 2007, elle a présenté une demande de réexamen aux termes du paragraphe 9(2) du Règlement (la demande de réexamen) et une demande de contrôle judiciaire de l’avis de refus de juillet.

[25]  Environ un mois après la présentation de la demande de réexamen, le 21 août 2007, la DPSN a écrit à TWC pour faire une [TRADUCTION] « mise au point » au sujet de l’avis de refus de juillet (la lettre de « mise au point »). Resolve n’était plus considéré comme un PSN, mais plutôt comme une drogue, et, à ce titre, il était assujetti au Règlement sur les aliments et drogues. Dans sa lettre, la DPSN indiquait s’être fondée en partie sur le DNP pour procéder à la classification, mais un examen des références du DNP l’avait menée à la conclusion que l’inclusion de l’ingrédient actif était une erreur. La DPSN était d’avis que l’ingrédient actif constituait [TRADUCTION] « en fait une substance synthétique qui n’est pas naturelle ». TWC a modifié son avis de demande en conséquence pour y inclure le contrôle judiciaire de la lettre de mise au point.

[26]  Les motifs sur lesquels se fondait la lettre de mise au point constituaient la première occasion à laquelle la DPSN avait abordé directement avec TWC la question de la classification du produit Resolve à titre de PSN. De l’avis du juge, le traitement de la demande de licence se fondait jusqu’à ce moment‑là sur l’hypothèse selon laquelle Resolve était un PSN, conclusion qui avait été confirmée le 2 décembre 2004, le 25 janvier 2007 et le 18 juin 2007.

[27]  Selon les éléments de preuve dont disposait le juge, le DNP était le document de référence faisant autorité en Amérique du Nord concernant les produits de santé naturels. Ce document était, à ce moment‑là, l’ouvrage de référence ultime sur lequel s’appuyait la DPSN pour le classement des produits de santé naturels. Resolve a été classifié comme un PSN en raison des renseignements figurant dans le DNP. Cependant, le 11 septembre 2007, l’ingrédient actif contenu dans Resolve a été supprimé du DNP.

[28]  Le juge a constaté que la suppression avait eu lieu à l’initiative du Dr Robin Marles, le directeur du Bureau des essais cliniques et des sciences de la santé de la DPSN et le fonctionnaire ayant supervisé le processus d’EDS. Bien que « la motivation et la séquence des événements » avant la lettre de mise au point étaient « nébuleuses », le juge a conclu qu’il était évident à ce moment‑là que l’ingrédient actif figurait toujours dans le DNP et que ni le Dr Marles ni Santé Canada n’avait de raison de croire qu’il ne s’agissait pas d’un produit naturel. TWC n’a reçu aucun avis l’informant de ce changement de position et n’a pas eu l’occasion de présenter d’observations à ce sujet avant que la lettre de mise au point ne lui soit remise.

B.  Le processus de réexamen – d’août 2007 au 30 janvier 2012

[29]  Je me penche maintenant sur le processus de réexamen, soit le mécanisme d’examen ou d’appel réglementaire prévu au paragraphe 9(2) du Règlement.

[30]  À compter de la fin août 2007 et pendant tout le long processus de réexamen, TWC a présenté à la DPSN des observations écrites, des données scientifiques supplémentaires et des analyses d’experts concernant les conclusions de la DPSN sur la classification, l’innocuité et l’efficacité de Resolve. TWC a demandé à ce que le processus de réexamen soit mené par d’autres fonctionnaires que ceux ayant participé à l’évaluation initiale de la DLMM. Tout au long du processus, la DPSN a assuré TWC que des fonctionnaires autres que ceux ayant participé au processus initial de la DLMM avaient été consultés; toutefois, le juge a remis en question l’indépendance des experts embauchés par Santé Canada lors de cet examen.

[31]  Le 7 avril 2008, la DPSN a rendu sa première décision dans le processus de réexamen à l’égard à la fois de la classification et de l’innocuité et l’efficacité. La DPSN a confirmé que Resolve n’était pas un PSN. Selon la DPSN, les données supplémentaires présentées par TWC à l’appui de sa position, soit que l’ingrédient actif était naturel, n’étaient pas concluantes. Par conséquent, l’innocuité et l’efficacité ne pouvaient être prises en compte que lors d’une demande en application du Règlement sur les aliments et drogues.

[32]  Cinq mois après le premier refus prononcé lors du réexamen, le 18 septembre 2008, la DPSN a opposé un deuxième refus. Après avoir examiné les renseignements supplémentaires présentés par TWC, la DPSN est revenue sur sa décision concernant l’innocuité du produit. Cependant, elle a réaffirmé sa position selon laquelle les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour démontrer l’efficacité du produit en tant qu’aide au sevrage ou à la réduction du tabac. Si Santé Canada n’affirmait plus que le produit n’était pas sûr, elle n’a toutefois pas cessé d’exiger que Resolve soit retiré du marché canadien. La DPSN a indiqué qu’elle était disposée à revoir ses conclusions quant à l’efficacité du produit.

[33]  Le 22 juillet 2009, la DPSN a rendu sa décision « définitive » au sujet du réexamen de la classification et de l’efficacité du produit, concluant, encore une fois, que les éléments de preuve étaient insuffisants pour lui permettre de classer Resolve comme un PSN. La DPSN a affirmé qu’elle est parvenue à cette conclusion après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve présentés par TWC tout au long des processus de demande de licence et de réexamen. Compte tenu de sa décision concernant la classification, la DPSN a jugé que la question de l’efficacité de Resolve revêtait uniquement un intérêt théorique, mais elle a néanmoins confirmé ses conclusions précédentes au sujet de l’efficacité de Resolve. La DPSN a délivré un « avis final » en application du paragraphe 10(2) du Règlement indiquant que le produit ne correspondait pas à la définition d’un PSN et que ses conclusions relatives à l’efficacité du produit étaient définitives.

[34]  La DPSN a indiqué à TWC que la décision du 22 juillet 2009 était définitive, mais elle a tout de même accepté d’autres observations concernant le produit Resolve. D’autres décisions concernant le réexamen ont été communiquées à TWC le 19 octobre 2009, le 20 septembre 2011 et le 30 janvier 2012. Le 30 janvier 2012, la DPSN a affirmé que d’autres éléments de preuve avaient été examinés, mais qu’elle maintenait sa position quant à la classification et à l’efficacité du produit. La lettre indiquait que le refus était définitif et que le processus de réexamen était terminé.

C.  Le jugement de la Cour fédérale

[35]  Les processus de contrôle judiciaire et de réexamen se sont déroulés en parallèle. La demande de contrôle judiciaire initiale a été modifiée au fur et à mesure que des décisions étaient rendues dans le processus de réexamen. Par contre, les processus n’étaient pas dissociés l’un de l’autre; les avis d’experts et les rapports de laboratoires indépendants présentés lors du processus de réexamen ont aussi été produits dans le contrôle judiciaire. Le processus de réexamen a duré quatre années, mais le processus de contrôle judiciaire, lui, a été beaucoup plus long. Le processus de réexamen a été mal mené. Aucune décision n’avait un caractère définitif. Même la décision « définitive » de Santé Canada n’avait aucun caractère définitif, puisque le Ministère a continué de recevoir et d’examiner les observations et d’y répondre. Ces observations, ainsi que les réponses de Santé Canada, ont été consignées dans le dossier de la Cour. Comme nous allons le voir, cela n’a pas été sans conséquence sur le contrôle judiciaire.

[36]  Il convient à ce stade‑ci de résumer les principales conclusions de la Cour fédérale, puisqu’elles constituent le fondement de l’analyse juridique du juge et permettent de juger du bien‑fondé de la réparation.

(1)  La classification

[37]  D’abord, selon le juge, pour la période allant du 2 décembre 2004 à la lettre de mise au point du 21 août 2007, Santé Canada estimait, d’après ses propres critères, que Resolve devait être classé comme un PSN. Santé Canada a validé cette conclusion à plus d’une reprise durant cette période. Par exemple, le juge a indiqué que la question de la classification avait été soulevée lorsque M. Gustafson, l’enquêteur chargé de traiter la plainte de Pfizer, avait fait parvenir un courriel au Dr Marles pour contester la classification antérieure de Resolve. Dans sa réponse à M. Gustafson, le Dr Marles a confirmé que l’ingrédient actif était considéré comme un PSN selon le DNP (motifs du jugement, au paragraphe 75).

[38]  Le juge a conclu que, d’après l’économie du Règlement, le fait pour la DPSN d’avoir fait reposer son avis de refus de juillet sur les préoccupations relatives à l’innocuité et à l’efficacité du produit signifiait qu’elle ne considérait pas la classification comme étant litigieuse au moment de rendre sa décision. Autrement dit, s’il ne s’agissait pas d’un PSN, les conclusions relatives à l’efficacité et à l’innocuité seraient sans importance, puisque ces critères auraient été évalués en appliquant les normes et les méthodes qui régissent les présentations de drogues.

[39]  Le juge a indiqué que, même après que la première décision a été rendue, le Dr Marles a écrit dans un courriel le 25 juillet 2007 que [TRADUCTION] « tout le monde sait à l’interne que [l’ingrédient actif] est un PSN ». En dépit de ce courriel, M. Gustafson a effectué ses propres recherches en consultant des articles scientifiques sur lesquels se fondait le DNP, puis a soulevé la question de nouveau auprès du Dr Marles, qui était désormais convaincu que la classification du produit devrait être remise en question. Le juge a conclu que le Dr Marles avait demandé que la lettre de mise au point au sujet de la classification soit envoyée (motifs du jugement, aux paragraphes 75 à 77).

[40]  En octobre 2008, TWC a reçu un rapport produit par M. Arnason, un expert embauché par Santé Canada pour le contrôle judiciaire. À l’avis de M. Arnason, [TRADUCTION] « il n’existe aucune preuve convaincante [voulant que l’ingrédient actif soit naturel] qu’on jugerait acceptable dans une revue en phytochimie à comité de lecture ». Selon le juge, ce rapport constituait la preuve que les normes en fonction desquelles Resolve a été classifié à titre de PSN ont été « établies — puis modifiées » durant le processus de réexamen. Par conséquent, le témoignage de M. Arnason a été radié du dossier au motif qu’il ne s’agissait pas d’un avis d’expert légitime.

(2)  L’innocuité et l’efficacité

[41]  La question de l’innocuité a été soulevée le 4 mai 2007 dans la première lettre d’avertissement adressée à TWC. La lettre était accompagnée d’une EDS révisée établissant que Resolve avait été classifié comme un danger pour la santé de type II. À compter du 18 septembre 2008, l’innocuité a été reconnue.

[42]  Le juge a indiqué que l’efficacité et l’innocuité étaient inextricablement liées, car elles étaient citées toutes deux dans l’avis de refus de juillet. De l’avis du juge, l’absence de préavis et l’écart par rapport aux procédures courantes étaient tous deux source de préoccupation en ce qui a trait à la question de l’efficacité (motifs du jugement, aux paragraphes 131 et 132).

[43]  Le juge a également mis en doute l’interprétation de la DPSN concernant les exigences liées à l’efficacité, lesquelles semblaient exiger « une preuve concluante de l’efficacité sous la forme d’études cliniques humaines dont la validité ne peut être contestée » (motifs du jugement, au paragraphe 132). Le juge a conclu qu’en vertu de l’article 7 et de l’alinéa 5g) du Règlement, un demandeur n’est tenu de fournir que des renseignements qui appuient raisonnablement un certain degré d’efficacité à l’égard des revendications du produit figurant dans la DLMM (motifs du jugement, au paragraphe 142).

[44]  Dans sa DLMM, TWC affirmait que Resolve [TRADUCTION] « pouvait » aider à cesser de fumer et le juge a conclu que les renseignements présentés appuyaient cette affirmation. Le juge a établi que l’interprétation du Règlement faite par la DPSN était « à la fois erroné[e] sur le plan de l’interprétation de la loi et déraisonnable lorsque mis[e] en contexte avec la manière dont l’efficacité a été traitée » (motifs du jugement, au paragraphe 142).

[45]  Le juge a noté à juste titre la différence entre les normes réglementaires applicables à l’évaluation de l’innocuité et de l’efficacité des drogues et celles applicables à l’évaluation de l’innocuité et de l’efficacité des PSN. L’alinéa 5g) du Règlement exige des « renseignements montrant l’innocuité et l’efficacité » des PSN, alors que le paragraphe C.08.002(2) du Règlement sur les aliments et drogues exige, dans le cas d’une drogue nouvelle, une demande d’avis de conformité où figurent :

[…]

f) le détail des épreuves qui doivent être effectuées pour contrôler l’activité, la pureté, la stabilité et l’innocuité de la drogue nouvelle;

(f) details of the tests to be applied to control the potency, purity, stability and safety of the new drug;

g) les rapports détaillés des épreuves effectuées en vue d’établir l’innocuité de la drogue nouvelle, aux fins et selon le mode d’emploi recommandés;

(g) detailed reports of the tests made to establish the safety of the new drug for the purpose and under the conditions of use recommended;

h) des preuves substantielles de l’efficacité clinique de la drogue nouvelle aux fins et selon le mode d’emploi recommandés;

(h) substantial evidence of the clinical effectiveness of the new drug for the purpose and under the conditions of use recommended;

[…]

[46]  Je souscris également à la conclusion du juge selon laquelle, compte tenu des manquements à l’équité procédurale, le processus de réexamen concernant l’efficacité ne pouvait pas remédier aux lacunes du processus de DLMM (motifs du jugement, au paragraphe 143).

(3)  L’équité procédurale et la partialité

[47]  Comme il a été indiqué précédemment, le procureur général a reconnu que des manquements à l’équité procédurale ont affligé la série d’événements. Toutefois, j’ai résumé certains des principaux faits qui étayent cette reconnaissance, car le juge en a tenu compte pour accorder la réparation :

  1. le Dr Marles est à l’origine du retrait de l’ingrédient actif et a demandé le soutien du DNP en vue de légitimer sa décision inacceptable (motifs du jugement, au paragraphe 82);

  2. des personnes responsables de la lettre de mise au point ont aussi participé au processus de réexamen, malgré l’assurance du contraire (motifs du jugement, au paragraphe 91);

  3. la DPSN a répondu à la demande de TWC qu’on consulte des experts indépendants en faisant appel aux services de MM. Arnason et Foster, dont l’impartialité a été remise en question (motifs du jugement, au paragraphe 92);

  4. la DPSN n’a pas effectué ses propres essais en laboratoire qui, de l’aveu du Dr Marles, auraient été nécessaires pour réfuter la preuve des experts de TWC (motifs du jugement, au paragraphe 93);

  5. il existait suffisamment d’éléments de preuve pour soulever des préoccupations quant au fait que le Dr Marles savait à qui s’adresser pour obtenir les avis d’experts dont il avait besoin pour appuyer ses propres conclusions et décisions passées (motifs du jugement, au paragraphe 93);

  6. M. Arnason a affirmé avoir effectué des recherches dans [TRADUCTION] « l’une des bases de données les plus fiables », sans trouver d’article confirmant la présence naturelle de l’ingrédient actif, malgré l’existence d’un tel article (motifs du jugement, au paragraphe 94); et

  7. la décision définitive du 30 janvier 2012 à la suite du réexamen, qui renvoie aux rapports des experts de Santé Canada, soit MM. Arnason et Foster, présente de nouvelles allégations et de nouveaux arguments non transmis à TWC et ne donne pas à TWC l’occasion d’y répondre (motifs du jugement, au paragraphe 95).

[48]  Le juge a aussi conclu à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité découlant de l’examen de l’innocuité de Resolve. Par exemple, il a noté que Santé Canada avait confirmé l’innocuité en juin 2007 (motifs du jugement, au paragraphe 99). Cela contredit les EDS, notamment l’EDS no 6, qui invoquait de nouveaux motifs pour désigner Resolve comme un danger pour la santé de type II, ce qui semblait ne pas être étayé par la preuve. TWC n’a pas eu l’occasion de réagir à ces nouvelles allégations (motifs du jugement, aux paragraphes 98 et 108).

[49]  Le juge a souligné en particulier l’existence d’une déclaration faite par M. Gustafson à un représentant de TWC voulant que, quels que soient les renseignements fournis par TWC, cette dernière n’obtiendrait aucune licence (motifs du jugement, au paragraphe 109). Il convient de noter toutefois que cette conclusion a été contestée au motif qu’il s’agissait de ouï‑dire. Dans les faits, en juillet 2007, TWC a fourni à Santé Canada un rapport d’expert confirmant l’innocuité du produit, soit avant la délivrance de l’avis de refus de juillet (motifs du jugement, au paragraphe 106).

[50]  Le juge a décrit davantage la façon dont le Dr Marles a participé au processus de DLMM. Il a indiqué qu’avant l’intervention du Dr Marles, un fonctionnaire du Bureau de l’examen et de l’évaluation des produits (BEEP) de la DPSN avait confirmé l’innocuité du produit. Le juge a conclu que le BEEP a accepté les préoccupations du Dr Marles sans effectuer d’analyse ou d’examen indépendant et lui a permis d’ordonner qu’on écarte l’évaluation initiale de l’innocuité et de l’efficacité et qu’on la remplace par un rapport qui correspondait davantage à ses propres préoccupations quant à l’innocuité (motifs du jugement, au paragraphe 119). Le juge a conclu que le Dr Marles avait exercé une influence sur le BEEP afin que celui‑ci s’éloigne de ses pratiques normales en matière de licence (motifs du jugement, au paragraphe 121).

[51]  Selon le juge, le fait que le Dr Marles ait orchestré la lettre de mise au point et ait influé sur le processus de réexamen en particulier a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité conformément au critère énoncé dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 45 à 47 (motifs du jugement, au paragraphe 96).

(4)  Les questions liées à la preuve

[52]  Ce qui devait être au départ un contrôle judiciaire distinct de l’avis de refus de juillet s’est transformé en une enquête de six années sur le bien‑fondé de la demande de licence, où la demanderesse et le défendeur ont présenté des preuves contradictoires, cherchant d’une part et d’autre à remporter un débat scientifique devant le juge de la demande. Les rapports et les avis d’experts échangés tout au long du processus de réexamen font partie des éléments de preuve présentés à la Cour fédérale aux fins du contrôle judiciaire. Tant la DPSN que TWC ont présenté des témoignages d’expert dont ne disposait pas le ministre. Par exemple, TWC a présenté un rapport d’un pharmacologue embauché pour examiner le traitement de la DLMM par la DPSN et Santé Canada a présenté des éléments de preuve en réponse. Cette façon de faire a donné lieu, comme on peut s’y attendre, à une multitude de requêtes et d’objections à la preuve lors de l’audience du contrôle judiciaire, alors que les parties tentaient de démêler les faits des opinions et le ouï‑dire des preuves directes.

[53]  Le juge s’est préoccupé du rôle joué par le Dr Marles à titre de seul témoin des faits de Santé Canada, compte tenu de l’ampleur de son influence et de sa participation au traitement de la DLMM et au processus de réexamen. Selon le juge, le Dr Marles cherchait à se justifier dans son affidavit; le juge a aussi critiqué Santé Canada pour ne pas avoir présenté d’éléments de preuve factuels fiables provenant d’autres personnes qui auraient participé au processus. À ce titre, peu de poids a été accordé au témoignage du Dr Marles, dont une importante partie a été radiée du dossier.

[54]  Le juge a également radié la majeure partie du témoignage des experts de Santé Canada, MM. Arnason et Foster, au motif qu’il s’agissait d’avis d’experts illégitimes, de preuve circulaire et de ouï‑dire. Compte tenu de la participation du Dr Marles au processus de DLMM, le juge a indiqué qu’il était nécessaire d’obtenir une « preuve vraiment objective » (motifs du jugement, au paragraphe 92). Le juge a soulevé des doutes quant à l’indépendance et aux compétences de M. Foster, car il était un employé de Santé Canada en matière de médicaments thérapeutiques. Le juge a radié le rapport dans son intégralité. Même si M. Arnason « sembl[ait] être qualifié pour la tâche », le juge a souligné ses liens personnels et professionnels étroits avec Santé Canada, avec le Dr Marles et avec M. Foster. Le juge a radié la majorité du témoignage de M. Arnason.

[55]  Devant la Cour fédérale, en 2015, TWC a déposé en preuve un article d’une revue à comité de lecture, le Journal of Agricultural and Food Chemistry, XXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXX lequel établit, selon les auteurs et TWC, que l’ingrédient actif est présent naturellement dans les mangues (l’article sur les mangues). Devant notre Cour, le procureur général s’oppose au fait que le juge se soit appuyé sur cet article pour délivrer l’ordonnance de mandamus. XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX

[56]  Compte tenu de la façon dont s’est déroulé le contrôle judiciaire, je suis bien à même de comprendre les difficultés qu’a dû surmonter le juge. Le déroulement entier de l’instance et la conduite des parties visaient à mener le juge à trancher la question de fond, une décision qui, selon le Règlement, revenait au ministre. Les deux parties ont tenté d’influencer le dossier au moyen de témoignages et de rapports contradictoires qui ont fait l’objet de modifications. Pour cette raison, la plainte du procureur général selon laquelle le juge a commis une erreur en admettant de nouveaux éléments en preuve sonne faux.

III.  La norme de contrôle

[57]  Les questions soulevées dans le présent appel portent sur les conclusions tirées par le juge lui‑même et non sur son examen des décisions rendues par le ministre défendeur. Pour cette raison, la norme de contrôle applicable en appel énoncée dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, est celle qui s’impose en l’espèce. Par conséquent, pour que son appel soit accueilli, le procureur général doit nous convaincre que la Cour fédérale a commis une erreur portant sur une question de droit, ou sur une question de droit qui peut être dégagée d’une question mixte de fait et de droit. En l’absence d’une telle erreur de droit, l’appelant ne peut obtenir gain de cause que s’il parvient à démontrer que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante lors de l’appréciation de la preuve : Blank c. Ministre de la Justice, 2016 CAF 189, au paragraphe 25.

IV.  Analyse

A.  Mandamus

[58]  Aux termes de la Loi sur les aliments et drogues et du Règlement, la principale responsabilité du ministre est la santé et la sécurité des Canadiens. Tout comme la Loi sur les aliments et drogues, le Règlement vise à « encourager la mise en marché de médicaments efficaces et non nocifs de façon à améliorer l’état de santé de la population » : AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560, au paragraphe 12. Lorsque le ministre exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 7 du Règlement en vue de la délivrance d’une licence de mise en marché de produit de santé naturel, il doit être convaincu de l’innocuité et de l’efficacité du produit, mais il doit appliquer des normes différentes de celles prévues pour l’évaluation de nouvelles drogues. À ce titre, en ce qui a trait à l’innocuité et à l’efficacité des produits, naturels ou autres, le tribunal doit faire preuve de prudence avant de rendre une ordonnance de mandamus. Il revient au ministre de trancher ces questions.

[59]  Cela ne signifie pas qu’une ordonnance de mandamus ne peut être rendue lorsqu’il est question de la conformité d’un médicament ou d’un produit de santé naturel aux exigences en matière d’innocuité et d’efficacité. Il ne fait aucun doute que la Cour fédérale peut obliger le ministre à délivrer un avis de conformité ou une licence de mise en marché de produit de santé naturel : voir, par exemple, Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (Apotex), conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100. Cependant, la question au cœur du présent appel est celle de savoir si le juge a commis une erreur en rendant une ordonnance de mandamus au vu des circonstances particulières de l’espèce.

[60]  La Cour, dans l’arrêt Apotex, et plus récemment dans l’arrêt Lukács c. Office des transports du Canada, 2016 CAF 202, au paragraphe 29, a établi les critères encadrant la délivrance d’une ordonnance de mandamus :

(1)  il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

(2)  l’obligation doit exister envers le requérant;

(3)  il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation;

(4)  lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, des principes additionnels s’appliquent;

(5)  le requérant n’a aucun autre recours;

(6)  l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

(7)  le tribunal estime que rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

(8)  compte tenu de la balance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

[61]  Le juge a conclu que les conditions relatives à la délivrance d’une ordonnance de mandamus étaient remplies. Selon lui, l’examen de la DLMM pour le produit de TWC était dysfonctionnel et partial, de sorte que le renvoi de l’affaire pour réexamen entraînerait simplement d’autres litiges. C’est pourquoi il a ordonné la délivrance de la licence de mise en marché au motif qu’il n’y avait plus aucune préoccupation liée à l’innocuité, que le produit satisfaisait au critère d’efficacité prévu dans le Règlement et que les éléments de preuve dont il disposait, notamment l’article sur les mangues, confirmaient que l’ingrédient actif était un produit naturel.

[62]  À mon avis, le juge a commis une erreur en rendant une ordonnance de mandamus. Pour cela, je m’appuie sur deux motifs.

(1)  La conclusion de partialité systémique

[63]  La première erreur a trait à la justification principale invoquée pour rendre l’ordonnance de mandamus. Le juge a déclaré qu’il ne voyait pas « l’utilité d’ordonner un réexamen » de la demande de licence de TWC (motifs du jugement, au paragraphe 158). D’après les observations du juge, le « système n’a pas fonctionné comme il aurait dû, en l’espèce, et rien ne prouve que cela se produira probablement si la présente affaire est renvoyée pour réexamen » (motifs du jugement, au paragraphe 155). Il a aussi conclu qu’« il est loin d’être évident que des personnes totalement indépendantes et possédant les compétences nécessaires peuvent être trouvées au sein de Santé Canada » (motifs du jugement, au paragraphe 157). Même si le juge n’a pas expressément utilisé les critères énoncés dans l’arrêt Apotex, ces facteurs font ressortir que, d’après lui, aucune réparation adéquate ne pouvait être accordée à TWC.

[64]  Les conclusions du juge quant à la partialité des participants au processus étaient bien étayées par le volumineux dossier. Cependant, l’application de ces conclusions à l’ensemble d’un ministère est d’un tout autre ordre. Le juge a indiqué que le « simple fait de renvoyer la question pour réexamen à un système qui s’est montré tellement dysfonctionnel pourrait ni plus ni moins replonger TWC dans le bourbier et déclencher encore plus de litiges » (motifs du jugement, au paragraphe 155). Je prends acte des préoccupations du juge, mais je ne suis pas convaincu que la preuve permet de conclure que les sections concernées à Santé Canada, ou la haute direction du Ministère, ne sont pas en mesure de s’acquitter de leurs obligations liées à la réglementation d’une manière équitable et impartiale au vu des motifs exprimés par la Cour.

[65]  De plus, le juge a commis une erreur en imposant à Santé Canada le fardeau de prouver que le Ministère est en fait en mesure de mener un processus de réexamen équitable et objectif. S’il existe une présomption, c’est celle voulant qu’un organe décisionnel établi par la loi agira de manière équitable et dans le respect de ses obligations juridiques, en faisant preuve notamment d’une grande fidélité à l’égard du texte et à l’esprit des motifs de la Cour qui renvoie l’affaire pour nouvelle décision. La conclusion de partialité de la part des fonctionnaires ne permet pas, en l’absence d’autres éléments de preuve, d’établir que tout le Ministère ne pouvait procéder à une évaluation équitable de la demande de TWC. Comme le juge a fondé son ordonnance de mandamus sur une conclusion qui n’est pas étayée par la preuve, l’ordonnance doit être annulée.

(2)  Les nouveaux éléments de preuve présentés en appel

[66]  Je me penche maintenant sur la deuxième erreur. Le procureur général fait valoir un argument lié à la preuve sur laquelle repose l’ordonnance de mandamus. De l’avis du juge, l’article sur les mangues permettait de trancher la question de la classification. Selon le procureur général, le ministre ne disposait pas de l’article sur les mangues et, de ce fait, l’article n’avait pas été dûment déposé au dossier. Comme je l’ai indiqué précédemment, le procureur général a présenté en appel de nouveaux éléments de preuve qui semblent remettre en question les conclusions de l’article sur les mangues.

[67]  J’examine maintenant la question de l’admissibilité, puis je me pencherai sur l’utilisation de l’article sur les mangues faite par le juge.

[68]  Lors d’un contrôle judiciaire, le dossier se restreint en général à celui qui était à la disposition du décideur : Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22. Il y a toutefois des exceptions à ce principe, notamment lorsqu’un élément de preuve vise à établir la partialité alléguée. L’article sur les mangues était admissible et pertinent pour ce qui est de la partialité, et le juge l’a utilisé à cette fin. Par conséquent, à cet égard, l’exception s’applique à l’article.

[69]  Je passe maintenant à l’utilisation qui a été faite de cet élément de preuve.

[70]  Le juge s’est aussi appuyé sur l’article sur les mangues pour conclure que l’ingrédient actif doit être classifié à titre de PSN, de sorte que, d’après le dossier dont il disposait, TWC avait clairement le droit d’obtenir une licence.

[71]  Pour conclure que l’article sur les mangues était déterminant quant à la classification, le juge a estimé que le témoignage de l’expert de Santé Canada, M. Arnason, établissait une nouvelle norme selon laquelle seul un article publié dans une revue à comité de lecture attestant qu’un produit est naturel permettait de satisfaire aux exigences de Santé Canada relatives à la classification. L’article sur les mangues était conforme à cette norme et, à ce titre, le juge s’y est fié pour trancher la question scientifique fondamentale.

[72]  TWC soutient qu’il existe une distinction entre l’examen relatif à l’innocuité et à l’efficacité d’un produit et la question préalable visant à établir si le produit est un PSN. TWC fait valoir que la question de la classification de Resolve à titre de PSN est une question de fait, dénuée de considérations discrétionnaires et de principes. La définition d’un produit de santé naturel énoncée à l’annexe 1 est sans équivoque. Selon TWC, la classification, contrairement à l’innocuité et à l’efficacité, n’est pas une notion élastique. La classification établit le régime réglementaire à utiliser. C’est le ministre qui devra se prononcer sur la question de la double exigence d’innocuité et d’efficacité.

[73]  Je ne partage pas cet avis. Les éléments de preuve dont disposait la Cour fédérale et les nouveaux éléments de preuve présentés lors de l’appel démontrent le contraire. Les paramètres de l’annexe 1 et la définition de ce qui constitue un produit de santé naturel peuvent parfois, mais non invariablement, faire l’objet d’un débat scientifique légitime.

[74]  Les nouveaux éléments de preuve présentés en appel prennent d’abord la forme d’un commentaire envoyé au Journal of Agricultural and Food Chemistry pour réfuter certaines affirmations figurant dans l’article sur les mangues. XXXXXXXXXXXXXXXXXX XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX.

[75]  Le dossier devant notre Cour comprend certains éléments de preuve présentés en appel qui semblent indiquer qu’il y a un débat scientifique dont l’issue établira le cadre réglementaire applicable. Ces éléments de preuve remettent en question le fondement sur lequel s’est appuyé le juge pour décider, selon le dossier dont il disposait en 2016, que TWC avait manifestement le droit d’obtenir une licence. Le droit d’en exiger la délivrance n’est donc pas manifeste en 2017. En résumé, le juge a commis une erreur lorsqu’il s’est appuyé sur l’article sur les mangues pour répondre à la question de la classification. Attendu que les recours prévus au paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, sont de nature discrétionnaire, je ne confirmerais pas, compte tenu des nouveaux éléments de preuve présentés lors de l’appel, l’ordonnance de mandamus : Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S 6.

[76]  TWC souligne que le traitement de sa demande a été retardé de manière excessive et indique qu’une ordonnance de mandamus permet dans ces circonstances de contraindre l’exercice particulier d’un pouvoir discrétionnaire.

[77]  Les circonstances de l’espèce ne justifient pas l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Le débat porte sur une question scientifique importante, dont l’issue déterminera les droits et les obligations juridiques de TWC et du ministre. La meilleure façon de répondre à l’argument de TWC à ce sujet est d’accélérer le processus en vue de rendre une nouvelle décision, plutôt que d’imposer un résultat précis.

[78]  Par souci d’exhaustivité, j’examine maintenant l’argument de TWC selon lequel le ministre ne pouvait pas prendre les décisions qu’il a rendues compte tenu des règles du functus officio et de la préclusion.

B.  Les autres motifs : les règles du functus officio et de la préclusion

[79]  TWC soutient que la règle de la préclusion fondée sur une promesse empêche le ministre de réexaminer l’avis de refus de juillet, car le ministre a affirmé et a confirmé pendant trois années que Resolve était un PSN. TWC fait valoir que la règle du functus officio s’applique en l’espèce puisque après avoir rendu sa décision réglementaire le 19 juillet 2007, le ministre a épuisé le pouvoir que lui confère le Règlement.

[80]  Comme il est indiqué précédemment, TWC soutient que la question de la classification de Resolve à titre de produit de santé naturel est une question de fait, dénuée de considérations discrétionnaires et de principes qui limitent la portée et l’application de la règle du functus officio. Selon TWC, en l’espèce, l’argument fondé sur la règle du functus officio est plus impérieux que celui invoqué dans l’arrêt Centre hospitalier Mont‑Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 R.C.S. 281, où le ministre a tenté d’annuler sa décision avant la délivrance d’un permis. TWC établit une distinction entre cette affaire et la situation en l’espèce, où le ministre a cherché à modifier les motifs de sa décision après avoir délivré l’avis de refus de juillet.

[81]  Dans les faits, il convient de se rappeler que la décision de délivrer une licence n’a jamais été rendue. La demande de licence a été refusée à plusieurs reprises et de diverses façons au cours d’une période d’au moins six années, quoique de façon non conforme à la loi. Le pouvoir de délivrer une licence, et la décision de délivrer une licence, continuaient d’exister, à condition que TWC demande un réexamen. La question de l’innocuité n’a pas été réglée avant septembre 2008, quoique pour aucune raison que le juge estimait justifiée. Le ministre n’a jamais reconnu l’efficacité du produit, mais la cour a conclu qu’aucun motif raisonnable ne permettait de refuser l’approbation au motif d’absence d’innocuité ou d’efficacité.

[82]  La question de savoir si la règle du functus officio et la règle de la préclusion s’appliquent dépend nécessairement de la nature de la décision et du contexte légal dans lequel elles sont invoquées. En l’espèce, le Règlement confère au ministre un pouvoir important de réexaminer les décisions concernant les PSN. Après la délivrance d’une licence, l’article 16 permet au ministre de demander des renseignements supplémentaires lorsqu’il « a des motifs raisonnables de croire qu’un produit de santé naturel peut ne plus être sûr ». Les articles 17 à 19 accordent au ministre le pouvoir de faire cesser la vente d’un produit de santé naturel s’il a des motifs raisonnables de croire que le produit n’est plus sûr, ou si des renseignements faux ou trompeurs ont été fournis à l’appui de la demande initiale. Il pourrait notamment s’agir de renseignements liés à l’innocuité et à l’efficacité.

[83]  Il est évident que l’application de la règle du functus officio est limitée lorsque le mandat du ministre consiste à garantir l’innocuité des produits homologués utilisés par les Canadiens. Le cadre réglementaire remplace ou contraint cette règle. Rien dans le cadre réglementaire ne permet d’affirmer que le ministre ne peut réexaminer les exigences liées à la délivrance de licences. En somme, l’application de la règle du functus officio est limitée dans le cas de l’approbation réglementaire des produits dont la consommation pourrait avoir des effets néfastes sur la santé. Le ministre doit toujours disposer de la latitude nécessaire, compte tenu de l’évolution de la science et des renseignements, afin de décider si un produit, naturel ou autre, devrait être mis à la disposition de la population générale.

[84]  Corollairement à l’argument fondé sur la règle du functus officio, TWC cherche à limiter la portée du réexamen aux seules questions qu’elle soulève. Le ministre était lié par l’avis de refus de juillet sur la classification et, plus précisément, le ministre pouvait reconsidérer uniquement les questions de l’innocuité et de l’efficacité. Par contre, le procureur général souligne que l’article 10 autorise le réexamen de la « demande », ce qui laisse supposer que si le demandeur met en branle le processus de réexamen, toutes les questions seront visées par le réexamen.

[85]  Je ne suis pas enclin à donner à la portée du réexamen visé à l’article 10 le sens restrictif que propose TWC. Une telle interprétation ne cadrerait pas avec le principe directeur en matière d’interprétation des lois, selon lequel il faut donner à une disposition légale son sens ordinaire et évident, en tenant compte de son contexte et de son objet : voir Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 3e éd., Toronto, Irwin Law, 2016.

[86]  Cependant, le pouvoir de réexaminer toutes les questions n’est pas sans limite. Il doit être exercé conformément au droit et aux principes de l’équité procédurale. En l’espèce, le processus de réexamen était entaché de manquements à l’équité procédurale, de sorte que le juge l’a estimé sans effet.

[87]  Par conséquent, même s’il permettait l’analyse de toutes les questions, le processus de réexamen n’a pas permis de remédier aux manquements dont était entaché le processus d’évaluation de la DLMM : Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, aux paragraphes 38 à 41.

C.  La réparation

[88]  Le juge a commis une erreur en ordonnant au ministre de délivrer une licence de produit de santé naturel pour Resolve. Il a aussi commis une erreur en appliquant ses conclusions de partialité à l’ensemble de Santé Canada et en s’appuyant sur l’article sur les mangues pour justifier sa conclusion selon laquelle le droit d’obtenir une licence de produit de santé naturel existait manifestement en 2016.

[89]  À l’évidence, la Cour doit respecter le rôle des organes décisionnels établis par la loi dans l’exercice de la responsabilité et des obligations que leur confère le Règlement. Ce principe ne doit pas être écarté inconsidérément. Le juge a tiré des conclusions importantes et préjudiciables sur le comportement des hauts fonctionnaires de Santé Canada, la confusion administrative, l’exclusion délibérée de certains éléments de preuve, les normes d’évaluation variables, la partialité et le manquement reconnu à l’équité procédurale. Bien que je présume que les organes décisionnels établis par la loi agiront de façon équitable et dans le respect de leurs obligations juridiques, force est de constater que les circonstances de l’espèce peuvent ébranler la confiance du public à l’égard du système de délivrance de licence pour les PSN.

[90]  Malgré les conclusions du juge, la réparation convenable consistait à renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il rende une nouvelle décision. La nouvelle décision devra être prise dans les 90 jours de la date de notre décision, à moins que la période soit prolongée par consentement.

D.  Dépens

[91]  Le juge a accordé des dépens procureur‑client à raison d’une indemnité complète. Lorsqu’il a rendu son jugement, le juge a tenu compte des principes pertinents aux termes de l’article 400 des Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106) et de la jurisprudence concernant l’adjudication des dépens procureur‑client. Il a décrit avec précision la conduite qui, selon lui, devait faire l’objet d’une sanction. L’adjudication des dépens revêt un caractère fortement discrétionnaire et je ne crois pas que le juge a commis une erreur en ne retenant pas les principes pertinents ou en faisant une interprétation fausse de la conduite de l’appelant.

[92]  Pour ce qui est des dépens devant notre Cour, les parties ont chacune obtenu en partie gain de cause. La Cour a donné raison au procureur général quant au principal motif d’appel, à savoir l’annulation de l’ordonnance de mandamus. De plus, la Cour a retenu son argument portant que le processus de réexamen englobait tous les éléments du processus de délivrance des licences. Le procureur général a également reconnu que les décisions allaient à l’encontre de l’équité procédurale; par contre, cette reconnaissance a eu lieu durant l’audience, une fois tous les frais connexes versés. Le procureur général a eu gain de cause en partie grâce aux nouveaux éléments de preuve présentés durant l’appel. TWC n’a pas été en mesure de faire confirmer l’ordonnance de mandamus, mais elle a préservé le fondement factuel du jugement.

[93]  Habituellement, les dépens sont accordés à la partie qui a gain de cause. Cependant, l’adjudication des dépens relève d’un pouvoir discrétionnaire, et, en l’espèce, il existe des considérations liées à l’exercice de ce pouvoir qui justifient que l’on s’écarte de la règle habituelle. Ce n’est que la veille de l’audience devant notre Cour, à la suite d’une dizaine d’années de litiges et près d’une année après le prononcé de la décision de la Cour fédérale, qu’ont été reconnus les manquements à l’équité procédurale. La reconnaissance des manquements à l’équité procédurale confirmait ce qui pour le juge était évident, soit que les fonctionnaires ont fait preuve de partialité, que les interprétations et les normes réglementaires étaient variables, qu’on a soulevé des objections à l’égard de l’innocuité qui n’étaient pas fondées et que le Ministère a abandonnées et qu’il y avait eu absence de divulgation.

[94]  Le législateur a confié au ministre le mandat de veiller à ce que les Canadiens aient accès à des produits de santé naturels sûrs et efficaces. Les dispositions régissant le cadre réglementaire, que j’ai examinées de façon assez détaillée, montrent que l’exercice des pouvoirs discrétionnaires conférés au ministre doit être fondé sur des considérations scientifiques objectives et qu’il doit être équitable et transparent. Pour que le public ait confiance en les produits qu’il consomme, quelle que soit leur origine, les décisions doivent être prises sur le fondement de ces principes. En l’espèce, elles ne l’étaient pas; c’est pourquoi j’accorde à TWC les dépens procureur‑client du présent appel.

[95]  En somme, j’accueillerais l’appel en partie et j’annulerais les paragraphes (2) et (3) du jugement de la Cour fédérale. Prononçant le jugement que le juge aurait dû rendre, je renverrais la demande de licence de TWC au ministre pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs. Compte tenu des circonstances, j’ordonnerais au ministre de rendre sa nouvelle décision dans les 90 jours suivant la date de la présente décision, à moins que les parties consentent à une prolongation du délai. Le ministre devra établir un processus lui permettant de s’acquitter de ses responsabilités à titre de décideur réglementaire à l’égard de la demande de TWC d’une façon conforme aux présents motifs.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

  M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

  Yves de Montigny, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL DU JUGEMENT RENDU LE 6 AVRIL 2016 PAR LA COUR FÉDÉRALE, NUMÉRO DE DOSSIER T‑1381‑07 (2016 CF 381)

DOSSIER :

A‑117‑16

 

INTITULÉ :

CANADA (ministre de la santé) et lE procureur général du canada c. THE WINNING COMBINATION INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 16 novembre 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

Le juge RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

le 15 mai 2017

COMPARUTIONS :

Peter Southey

Glynis Evans

Pour les appelants

Rod C. Roy

John A. Myers

pour l’INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

Pour les appelants

Taylor McCaffrey LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

pour l’INTIMÉE

 

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