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Date : 20170517


Dossier : A-420-16

Référence : 2017 CAF 104

CORAM :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

ABBES BELLIL

défendeur

Audience tenue à Montréal (Québec), le 16 mai 2017.

Jugement rendu à Montréal (Québec), le 17 mai 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20170517


Dossier : A-420-16

Référence : 2017 CAF 104

CORAM :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

ABBES BELLIL

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

 

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]               Le Procureur général du Canada demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 9 septembre 2016 par la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (le TSS-DA), par laquelle elle confirmait la décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale (le TSS-DG) établissant que le défendeur n’avait pas sciemment fait de déclarations fausses ou trompeuses dans ses demandes de prestations d’assurance-emploi. Ce faisant, le TSS-DA a conclu que l’imposition d’une pénalité était non fondée aux termes de l’article 38 de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, c. 23 (la Loi), et que l’émission d’un avis de violation était également non fondée aux termes de l’article 7 de la même Loi.

[2]               M. Bellil est détenteur d’un doctorat en génie nucléaire. Il a perdu son emploi le 12 octobre 2012 à la suite de la fermeture de la Centrale nucléaire Gentilly-II, et a établi une période de prestations d’assurance-emploi prenant effet le 14 avril 2013.

[3]               Le régime d’assurance-emploi se fonde sur le principe d’auto-déclaration. Conformément aux articles 48 à 50 de la Loi, le prestataire doit d’abord remplir une demande initiale, puis des cartes de déclaration pour chaque semaine de chômage.

[4]               Selon les renseignements tirés des cartes de déclaration de l’Agence des Services frontaliers du Canada, M. Bellil se trouvait à l’extérieur du Canada du 24 juin au 10 août 2013 et du 3 septembre au 4 octobre 2013, soit un total de 11 semaines. M. Bellil a séjourné en Tunisie, dont il a également la citoyenneté, pour passer des entrevues et effectuer un stage de travail dans le cadre de sa recherche d’emploi. Or, lorsqu’il a rempli par voie électronique ses cartes de déclaration à l’assurance-emploi pour les périodes en litige, M. Bellil a répondu « non » à la question « [é]tiez-vous à l’extérieur du Canada entre le lundi et le vendredi pendant la période visée par cette déclaration? ».

[5]               L’alinéa 37b) de la Loi prévoit qu’un prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations pour toute période pendant laquelle il est à l’étranger. L’alinéa 55(1)f) du Règlement sur l’assurance-emploi, D.O.R.S./96-332 (le Règlement), établit cependant qu’un prestataire n’est pas inadmissible du fait qu’il est à l’étranger pour faire une recherche d’emploi sérieuse, mais limite à 14 jours la période pendant laquelle il peut se trouver à l’étranger. Conformément à ces dispositions, la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) a informé M. Bellil en février 2015 qu’il était inadmissible aux prestations d’assurance-emploi du 10 juillet au 10 août 2013, et du 3 septembre au 4 octobre 2013. Le montant du trop payé découlant de l’inadmissibilité a été évalué à 4 710,00$. Un avis de violation grave a donc été émis à M. Bellil ainsi qu’une pénalité monétaire de 2 355,00$, aux termes du paragraphe 7.1(5) et de l’article 38 de la Loi.

[6]               Suite à une demande de révision présentée par M. Bellil, la Commission lui a accordé une réduction des sommes dues. La Commission a considéré M. Bellil admissible au régime d’assurance-emploi durant les 14 premiers jours de sa deuxième période d’absence en Tunisie, dans la mesure où il était toujours à la recherche d’un emploi. Elle a également tenu compte de sa recherche d’emploi à titre de circonstances atténuantes pour réduire le montant de la pénalité monétaire. La dette de M. Bellil a donc été révisée à 3 608,00$ pour les prestations excédentaires, et à 1 082,00$ pour la pénalité. L’avis de violation grave a cependant été maintenu, en raison du nombre de fausses déclarations et de la valeur du versement excédentaire découlant de l’acte délictueux.

[7]               M. Bellil a contesté cette décision. En appel, le TSS-DG a noté que M. Bellil avait bel et bien produit des déclarations erronées, mais a accepté ses explications à l’effet qu’il n’avait pas eu l’intention de frauder. Retenant de son témoignage que M. Bellil était un homme intègre, le tribunal a conclu qu’il était plus qu’improbable qu’il ait choisi délibérément de risquer d’entacher sa réputation en commettant un acte frauduleux. Le TSS-DG a également retenu que M. Bellil est un professionnel qui évolue dans un marché mondial, que ses séjours à l’étranger étaient motivés par sa recherche d’emploi, qu’il croyait sincèrement avoir droit à ses prestations d’assurance-emploi lors de ses déplacements à l’extérieur du pays à des fins de recherche d’emploi, et qu’il était peu familier avec la Loi et le Règlement. En conséquence, le TSS-DG a annulé la pénalité monétaire et l’avis de violation.

[8]               En appel, le TSS-DA a rejeté les prétentions du Procureur général voulant que le TSS-DG avait erré dans son appréciation de la preuve et dans son interprétation du terme « sciemment » à l’alinéa 38(1)a) de la Loi. Après avoir cité de larges extraits de la décision rendue par le TSS-DG, le TSS-DA s’est dit d’avis que le TSS-DG avait correctement appliqué la jurisprudence de cette Cour à l’effet que la connaissance d’une personne relativement à la fausseté d’une déclaration fautive s’apprécie en fonction de sa connaissance subjective, et qu’il appartient au TSS-DG d’apprécier cette connaissance. Le TSS-DA a donc rejeté l’appel au motif que le TSS-DG avait accordé foi et crédibilité au témoignage de M. Bellil, et que l’exigence relative au fait que le prestataire devait savoir subjectivement que sa déclaration était fausse n’avait pas été respectée.

[9]               Les parties conviennent, à bon droit, que la norme de révision applicable à l’égard d’une décision du TSS-DA portant sur l’admissibilité à des prestations d’assurance-emploi, et plus particulièrement sur l’interprétation qu’il convient de donner à une disposition de la Loi, est celle de la décision raisonnable. Il est maintenant bien établi que la déférence est de mise lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para. 54, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Procureur général) c. Jean, 2015 CAF 242 au para. 14, [2015] A.C.F. no. 1315; Thibodeau c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 167 aux paras. 40-41, 477 N.R. 104). Compte tenu des alinéas 58(1)b) et c) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, c. 34, la question que doit trancher cette Cour est donc celle de savoir si le TSS-DA pouvait raisonnablement conclure que le TSS-DG n’a pas rendu une décision entachée d’une erreur de droit ou fondée sur une conclusion de fait erronée.

[10]           L’alinéa 38(1)a) de la Loi prévoit que la Commission peut infliger une pénalité lorsqu’un prestataire fait « sciemment » une déclaration fausse ou trompeuse à l’occasion d’une demande de prestations. Cette disposition (de même que le paragraphe 33(1) de la Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. 1985, c. U-1, qui est sensiblement au même effet), a été interprétée à quelques reprises par cette Cour, notamment dans les affaires Canada (Procureur Général) c. Gates, [1995] 3 C.F. 17, 125 D..L.R. (4th) 348 (C.A.F.) [Gates]; Canada (Procureur général) c. Purcell, [1996] 1 R.C.F. 644, 40 Admin. L.R. (2d) 40 (C.A.F.) [Purcell]; et Mootoo c. Canada (Ministre du développement des ressources humaines), 2003 CAF 206, 304 N.R. 198. Il ressort de cette jurisprudence que cette disposition ne crée pas une infraction criminelle mais entraîne une simple pénalité administrative, dont le fardeau de la preuve incombe à la Commission selon la prépondérance des probabilités.

[11]           S’agissant de l’interprétation à donner au mot « sciemment », cette Cour a précisé qu’il fallait utiliser un critère subjectif pour déterminer si la connaissance requise existe. La question n’est donc pas de déterminer si le prestataire aurait dû savoir que sa déclaration était fausse ou trompeuse; une déclaration fausse mais innocente ne donnera pas lieu à des pénalités. Ceci dit, il ne suffit pas de proclamer son ignorance pour échapper à des sanctions; il est permis de tenir compte du bon sens et de facteurs objectifs pour décider si un prestataire avait une connaissance subjective de la fausseté de ses déclarations. Comme l’écrivait le juge Linden dans l’arrêt Gates (au para. 5) :

Pour décider si le prestataire avait une connaissance subjective de la fausseté des déclarations, la Commission ou le Conseil peuvent toutefois tenir compte du bon sens et de facteurs objectifs. En d’autres termes, si un prestataire prétend ignorer un fait connu du monde entier, le juge des faits peut, à bon droit, refuser de le croire et conclure qu’il connaissait bel et bien ce fait, malgré qu’il le nie. Le fait que le prestataire ignore une évidence peut donc mener à une inférence légitime selon laquelle il ment. Le critère appliqué n’est pas objectif pour autant; mais il permet de tenir compte d’éléments objectifs pour trancher la question de la connaissance subjective.

[12]           En l’occurrence, j’estime que le TSS-DA a erré tant dans son interprétation que dans son application de l’alinéa 38(1)a).

[13]           D’une part, le TSS-DG a introduit un élément de fraude dans son analyse du comportement du défendeur que le libellé de l’alinéa 38(1)a) ne justifie pas. Ainsi a-t-il noté à plus d’une reprise qu’il croyait le défendeur lorsqu’il affirme « n’avoir jamais voulu frauder sciemment l’assurance-emploi en faisant des déclarations erronées » (voir Décision du TSS-DG aux paras. 37 et 59). Retenant de son témoignage qu’il est un homme intègre, il a estimé « plus qu’improbable que [le défendeur] ait choisi délibérément de risquer d’entacher sa réputation en commettant un acte frauduleux » (au para. 56). Loin d’exprimer son désaccord avec cette approche, comme l’y avait invité le Procureur général, le TSS-DA s’est contenté de reproduire les conclusions fautives du TSS-DG et s’est dit d’avis que la décision était conforme aux dispositions législatives et à la jurisprudence.

[14]           En entérinant implicitement la décision du TSS-DG selon laquelle l’intention de frauder serait requise pour qu’une personne soit considérée avoir fait « sciemment » une déclaration fausse ou trompeuse, le TSS-DA a erré. Tel que mentionné précédemment, la seule exigence posée par le législateur est celle d’avoir fait une déclaration fausse ou trompeuse sciemment, c’est-à-dire en toute connaissance de cause. L’absence de frauder ou le fait d’être intègre n’ont aucune pertinence. Le TSS-DA se devait d’intervenir, aux termes de l’alinéa 58(1)b) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, pour corriger cette erreur de droit. En ne le faisant pas et en entretenant de la sorte la confusion dénoncée par cette Cour entre la connaissance subjective d’une représentation fausse ou trompeuse et l’intention de frauder, le TSS-DA a rendu une décision déraisonnable.

[15]           D’autre part, cette erreur du TSS-DA n’a pas été sans conséquence sur son évaluation de la preuve. Dans les arrêts Gates et Purcell, cette Cour a statué qu’il y a renversement du fardeau de la preuve à partir du moment où un prestataire a donné une réponse inexacte à une question très simple ou à des questions figurant sur la carte de déclaration. En l’occurrence, la question à laquelle devait répondre le défendeur sur ses cartes de déclaration était fort simple: « Étiez-vous à l’extérieur du Canada entre le lundi et le vendredi pendant la période visée par cette déclaration? ». Par conséquent, c’était à M. Bellil qu’il revenait d’expliquer l’existence de ses réponses inexactes; il devait démontrer qu’il ne savait pas que ses réponses étaient inexactes.

[16]           La seule explication fournie par M. Bellil pour justifier ses réponses erronées est son manque d’attention portée aux questions. Dans sa réponse au questionnaire que lui a transmis la Commission, il a fait valoir qu’il avait prêté attention au questionnaire la première fois, et qu’il l’avait par la suite rempli de façon mécanique. Non seulement la question à laquelle il devait répondre était-elle sans ambiguïté, mais au surplus les prestataires font l’objet de nombreuses mises en garde. Dans la section « Droits et responsabilités » de la demande initiale de prestations d’assurance-emploi, en dessous du sous-titre « Vos responsabilités », il est indiqué : « Lorsque vous demandez des prestations régulières, […] vous devez […] déclarer les périodes où vous êtes absent de votre lieu de résidence et/ou toute absence du Canada ». De plus, sous la rubrique « Autres renseignements importants », en dessous du sous-titre « Absence du Canada », le prestataire reçoit également l’avertissement suivant : « Vous devez nous aviser de tous vos déplacements hors du pays ».

[17]           Un avertissement est également donné au prestataire au sujet des déclarations fausses ou trompeuses, et le prestataire doit également attester avoir lu et compris la partie sur ses droits et responsabilités. Enfin, le prestataire doit attester que les réponses fournies dans sa déclaration sont exactes à la fin de chaque carte de déclaration qu’il complète pour chaque semaine de chômage.

[18]           À mon avis, le TSS-DG a erré en acceptant les explications fournies par le défendeur et n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve. M. Bellil est ingénieur et il est certainement en mesure de comprendre le sens d’une question aussi claire que celle à laquelle il devait répondre. D’autre part, il était en Tunisie au moment où il répondait à la question de savoir s’il était à l’extérieur du Canada. En supposant même qu’il ait pu développer un « automatisme » après n’avoir rempli que deux déclarations (sa déclaration du 30 juin n’était que sa troisième), M. Bellil n’a pas expliqué comment il avait pu passer outre aux nombreuses instructions et mises en garde mentionnées précédemment, ni pourquoi il n’avait pas compris la question la première fois qu’il l’a lue. Enfin, il a fourni des renseignements erronés à sept reprises.

[19]           Comme l’a souligné cette Cour dans l’arrêt Gates, le critère de la connaissance subjective permet de tenir compte d’éléments objectifs. Contrairement à ce qu’a mentionné le TSS-DA, une telle approche n’implique pas qu’un prestataire a agi sciemment à chaque fois qu’il répond incorrectement à une question simple et sans ambiguïté. Chaque cas est évidemment un cas d’espèce. En l’occurrence, le TSS-DG a erré en ne tenant pas compte de la preuve objective qui lui avait été soumise et en s’appuyant sur des facteurs non pertinents comme la bonne foi du défendeur. C’est une chose d’affirmer que c’est au juge des faits qu’il appartient d’apprécier la connaissance par le prestataire. Encore faut-il que cette évaluation s’appuie sur la preuve au dossier, fasse abstraction de considérations écartées par la jurisprudence et tienne compte des présomptions qui peuvent s’appliquer. Je suis donc d’avis que le TSS-DA a rendu une décision déraisonnable en confirmant une décision rendue sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, et en permettant à toutes fins pratiques à un prestataire d’échapper à une pénalité administrative en invoquant sa propre négligence sous le couvert d’un automatisme.

[20]           La demande de contrôle judiciaire devrait donc être accueillie, et le dossier retourné au TSS-DA pour qu’une nouvelle décision soit rendue en tenant compte des présents motifs.

« Yves De Montigny »

j.c.a.

«Je suis d’accord.

A.F. Scott, j.c.a.»

«Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a.»


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-420-16

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. ABBES BELLIL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 mai 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LE JUGE BOIVIN

DATE DES MOTIFS :

LE 17 MAI 2017

 

COMPARUTIONS :

Carole Vary

 

Pour le demandeur

 

Jean-Guy Ouellet

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

OUELLET, NADON ET ASSOCIÉES

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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