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Date : 20170606


Dossier : A-427-16

Référence : 2017 CAF 120

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

ANIZ ALANI

appelant

et

LE PREMIER MINISTRE DU CANADA, LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE CONSEIL PRIVÉ DE LA REINE POUR LE CANADA

intimés

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 30 mai 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 juin 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 


Date : 20170606


Dossier : A-427-16

Référence : 2017 CAF 120

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

ANIZ ALANI

appelant

et

LE PREMIER MINISTRE DU CANADA, LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE CONSEIL PRIVÉ DE LA REINE POUR LE CANADA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]               L’appelant a demandé à la Cour fédérale de déclarer que [traduction] « le premier ministre du Canada doit recommander au gouverneur général de nommer une personne qualifiée au Sénat dans un délai raisonnable après qu’un poste au Sénat est devenu vacant. » L’appelant affirmait que le premier ministre était tenu par la Constitution de recommander des nominations pour pourvoir les postes devenus vacants au Sénat.

[2]               La Cour fédérale a rejeté la demande de l’appelant au motif qu’elle était désormais sans objet, et elle a condamné l’appelant aux dépens (2016 CF 1139), qui ont été fixés, sur consentement, à 20 489,52 $.

[3]               L’appelant ne conteste pas devant nous la partie du jugement de la Cour fédérale ayant rejeté sa demande en raison de son caractère théorique. Il sollicite la substitution de l’ordonnance quant aux dépens par une ordonnance le condamnant aux dépens et autres frais engagés par les intimés seulement après le 3 décembre 2015. Cette date est celle de l’annonce par le gouvernement relative à la création du Comité consultatif indépendant sur les nominations au Sénat. La demande serait devenue théorique ce jour-là, et pas avant. Les dépens établis sur cette base totalisent 4 680,14 $.

[4]               Afin de bien saisir les questions soulevées dans le présent appel, il est nécessaire de comprendre les arguments sur les dépens présentés à la Cour fédérale ainsi que les motifs de jugement de cette dernière.

[5]               L’appelant a présenté deux principaux arguments à la Cour fédérale. Premièrement, il a invoqué une jurisprudence selon laquelle des dépens peuvent être adjugés à la partie qui succombe si elle a soulevé une question d’intérêt public. Par conséquent, il a demandé que des dépens lui soient adjugés — de 13 000 $ à 25 000 $ en fonction de la complexité de l’affaire selon la Cour — quelle que soit l’issue de la cause. Deuxièmement, à titre subsidiaire, l’appelant a demandé de ne pas être condamné aux dépens s’il était débouté, car il agissait dans l’intérêt public.

[6]               En réponse, les intimés ont fait valoir que les dépens devraient suivre l’issue de la cause et être taxés selon une évaluation. Les intimés se sont opposés à la prétention de l’appelant voulant qu’il ait présenté sa demande dans l’intérêt public, car, selon eux, il n’avait pas la qualité pour agir dans l’intérêt public et n’avait pas démontré l’existence d’un [traduction] « quelconque désir de la part du public en général de faire trancher judiciairement la question de postes vacants au Sénat ».

[7]               Saisie de ces positions contradictoires, la Cour fédérale a conclu ainsi sur la question des dépens :

Les défendeurs, tout en reconnaissant que M. Alani a présenté sa demande de bonne foi en qualité de citoyen concerné et intéressé, font remarquer qu’il a fait valoir sa cause malgré des indications manifestes de son caractère théorique, ce qui a généré des frais juridiques importants pour le gouvernement. Ils demandent à la Cour de leur accorder les dépens calculés selon le tarif habituel. Je suis d’accord et je rendrai l’ordonnance correspondante.

[8]               Dans le cadre du présent appel, l’appelant reconnaît que le montant des dépens est à l’entière discrétion de la Cour fédérale. L’appelant ne conteste pas la [traduction] « décision de le condamner à certains dépens » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, par. 35). Cela dit, l’appelant soutient que la Cour fédérale a fait erreur en ne tenant pas compte de deux facteurs pertinents et que cette omission a emporté l’adjudication de dépens incompatibles avec ses motifs. Les facteurs pertinents seraient :

i.                     Dès le moment où la demande est devenue théorique, soit le 3 décembre 2015, la seule étape restante était son audition. Par conséquent, on ne peut dire que l’appelant « a fait valoir sa cause malgré des indications manifestes de son caractère théorique, ce qui a généré des frais juridiques importants pour le gouvernement », pour reprendre les termes de la Cour fédérale, au paragraphe 25 de ses motifs.

ii.                   La poursuite de l’affaire était dans l’intérêt public.

Un troisième facteur auquel renvoie le mémoire des faits et du droit de l’appelant a été abandonné durant la plaidoirie.

[9]               Les intimés ont soutenu devant nous que :

i.                     L’appelant n’a jamais sollicité d’ordonnance de la Cour fédérale qui le mettrait à l’abri d’une condamnation aux dépens avant que la demande ne devienne théorique. Il s’ensuit qu’il faudrait l’empêcher de chercher à obtenir une telle ordonnance pour la première fois devant notre Cour.

ii.                   En outre, si cet argument avait été avancé en première instance, le Canada aurait probablement opposé les arguments suivants : la demande n’était pas fondée, l’appelant n’avait pas la qualité pour agir dans l’intérêt public; l’instance n’était pas dans l’intérêt public; l’appelant avait refusé une offre raisonnable de règlement faite après que la demande est devenue théorique.

iii.                  La Cour fédérale pouvait, à sa discrétion, décider comme elle l’a fait.

[10]           Durant la plaidoirie, l’avocat de l’appelant a fait valoir une objection au sujet de la mention de l’offre de règlement par les intimés. Selon l’avocat, sauf dans certaines circonstances limitées ne s’appliquant pas en l’espèce, l’article 422 des Règles des Cours fédérales interdit la « communication concernant une offre de règlement [...] tant que les questions relatives à la responsabilité et à la réparation à accorder, sauf les dépens, n’ont pas été tranchées ».

[11]           Avant d’aborder les observations des parties, il importe de garder à l’esprit que l’adjudication des dépens constitue « un exemple typique d’une décision discrétionnaire » (Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, [2009] 2 R.C.S. 678, par. 126). Le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales confère à la Cour « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, [et] de les répartir ».

[12]           L’ordonnance relative aux dépens est assujettie à la norme de contrôle énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, par. 64 et suivants; Nova Chemicals Corporation v. Dow Chemical Company, 2017 CAF 25, [2017] A.C.F. no 173, par. 6). Il s’ensuit que, pour obtenir gain de cause dans le présent appel, l’appelant doit démontrer une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante de fait ou mixte de fait et de droit.

[13]           Je commence mon analyse en rejetant l’argument des intimés selon lequel l’appelant, puisqu’il n’avait pas demandé que la Cour fédérale rende une ordonnance limitant les dépens auxquels il pourrait être condamné à ceux correspondant aux frais engagés après que la demande est devenue théorique, il ne peut avancer cette position devant nous. En Cour fédérale, l’appelant avait demandé, s’il était débouté, d’obtenir quand même des dépens ou, à tout le moins, de ne pas y être condamné. L’appelant ignorait sur quelle base la Cour fédérale allait adjuger les dépens. Il doit lui être loisible de plaider que la Cour a fait erreur en ordonnance qu’il soit condamné aux entiers dépens, car les motifs de celle-ci n’étayent pas une telle ordonnance.

[14]           En d’autres termes, l’argument de l’appelant n’est pas différent, sur les plans factuel et juridique, des questions qui ont été débattues devant la Cour fédérale au point de constituer une nouvelle question inadmissible.

[15]           Je ne suis pas non plus convaincue que l’examen de cette question emporte préjudice pour les intimés. Le dossier démontre que les intimés ont en fait plaidé, en ce qui a trait aux dépens, que l’appelant n’avait pas qualité pour agir et que l’instance n’était pas dans l’intérêt public. Cet argument suivait immédiatement celui selon lequel la demande était mal fondée. Si les intimés avaient respecté l’article 422, ils auraient pu mentionner l’offre de règlement. En effet, on comprend mal pourquoi les intimés n’ont pas demandé à la Cour fédérale de prendre la question des dépens en délibéré afin de pouvoir mentionner l’offre de règlement après le rejet de la demande et lorsqu’il ne restait plus que la question des dépens à trancher.

[16]           Je reviendrai à l’offre de règlement. Elle figure au dossier, une décision définitive a été rendue à l’égard de la demande de l’appelant et je ne vois aucune raison d’empêcher notre Cour de tenir compte de l’offre.

[17]           Examinons les arguments de l’appelant voulant que la Cour fédérale ait commis une erreur en concluant qu’il avait fait valoir sa cause malgré les indications manifestes qu’elle fût théorique et en faisant fi de la nature de l’affaire, qui ressortit à l’intérêt public.

[18]           Je suis d’accord pour dire qu’il peut sembler étrange a priori de dire qu’une partie a poursuivi sa démarche malgré les indications manifestes de son caractère théorique si elle n’a pris qu’une seule mesure une fois que la demande est devenue théorique. Or, toute étrangeté s’estompe au vu de l’offre de règlement.

[19]           Le 21 janvier 2016, après que la demande est devenue théorique, l’avocat des intimés a présenté une offre de règlement assortie de conditions : les parties mettaient immédiatement fin à leurs instances respectives devant la Cour fédérale et devant notre Cour sans solliciter les dépens. L’appelant n’a pas accepté l’offre, et les intimés ont dû poursuivre leur appel de l’ordonnance rejetant leur requête visant à faire radier la demande et annuler l’audition de la demande.

[20]           À mon avis, l’appelant ayant rejeté l’offre de règlement, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en estimant que l’appelant avait poursuivi la démarche malgré les indications manifestes de son caractère théorique. L’offre visait à permettre à l’appelant d’abandonner le litige devenu théorique sans risquer d’être condamné aux dépens. Or, il n’en a rien fait.

[21]           Quant à la seconde erreur reprochée, bien que je sois d’accord pour dire que les motifs de la Cour fédérale sont laconiques, celle-ci a néanmoins souligné que l’appelant avait « présenté sa demande de bonne foi en qualité de citoyen concerné et intéressé ». À la lumière de cette allusion apparente à un intérêt public, et non privé, et vu que les deux parties ont abordé l’intérêt public dans leurs observations sur les dépens, je ne suis pas prête à dire que la Cour fédérale a fait fi de la prétention de l’appelant selon laquelle il agissait dans l’intérêt public.

[22]           Il existe incontestablement des affaires de nature publique d’une grande importance présentant des questions nouvelles qu’il est dans l’intérêt public d’avancer. Dans de tels cas, la partie agissant dans l’intérêt public ne devrait pas être condamnée aux dépens. Cependant, elle n’est pas d’office à l’abri d’une telle conséquence (Assoc. canadienne du droit de l’environnement c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2000 CanLII 15579 (CAF). Il était donc loisible à la Cour fédérale de rendre l’ordonnance qu’elle a rendue en matière de dépens malgré la prétention quant à l’intérêt public. Aucune erreur de fait ou de droit n’a été démontrée.

[23]           Par conséquent, je rejetterais l’appel. À mon avis, il est opportun que les dépens restent à la charge des parties qui les ont exposés; je n’adjugerai donc aucuns dépens devant notre Cour.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J. Woods, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-427-16

 

 

INTITULÉ :

ANIZ ALANI c. LE PREMIER MINISTRE DU CANADA, LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE CONSEIL PRIVÉ DE LA REINE POUR LE CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 30 mai 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Mark Freiman

Me Lucas E. Lung

 

Pour l’appelant

 

Me Jan Brongers

Me Oliver Pulleyblank

 

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lerners LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour les intimés

 

 

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