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Date : 20170612


Dossier : A-389-16

Référence : 2017 CAF 124

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

STEPHEN BYGRAVE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 10 mai 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 juin 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 


Date : 20170612


Dossier : A-389-16

Référence : 2017 CAF 124

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

ENTRE :

STEPHEN BYGRAVE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]  M. Bygrave interjette appel d’une décision inédite de la Cour canadienne de l’impôt (la Cour de l’impôt) rejetant sa demande de prorogation, en vertu de l’article 167 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), du délai pour déposer son avis d’appel concernant la nouvelle cotisation d’impôt que le ministre du Revenu national (le ministre) a établie à son égard pour l’année d’imposition 2010. La même année, M. Bygrave avait vendu une copropriété qu’il avait acquise trois ans auparavant. Il a déclaré le gain réalisé sur la vente dans sa déclaration de revenus de 2010 comme un gain en capital. En 2014, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de M. Bygrave, traitant le gain réalisé sur la vente de la copropriété comme un revenu et imposant une pénalité.

[2]  M. Bygrave a déposé un avis d’opposition. Le 12 janvier 2016, le ministre a ratifié la nouvelle cotisation et il a envoyé son avis de ratification à M. Bygrave, et c’est à partir de la date d’envoi de cet avis que courait le délai de 90 jours prévu au paragraphe 169(1) de la Loi pour déposer un avis d’appel auprès de la Cour de l’impôt.

[3]  À ce moment-là, le commis-comptable qui prêtait assistance à M. Bygrave l’a dirigé vers un comptable agréé qui lui aurait dit qu’il avait les compétences nécessaires pour l’aider à régler son problème d’impôt sur le revenu. Les événements ultérieurs démontrent que ce n’était pas le cas.

[4]  Le comptable a communiqué avec les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada (ARC) dans l’espoir de les persuader que la ratification de la nouvelle cotisation était une erreur. Peu de temps après, l’ARC a avisé le comptable que le dossier avait été fermé et que M. Bygrave allait devoir déposer un avis d’appel auprès de la Cour de l’impôt s’il désirait contester la nouvelle cotisation du ministre. Le comptable estimait qu’il ne serait pas professionnel de déposer un avis d’appel à moins d’avoir en main toute la preuve documentaire qu’il avait l’intention de soumettre à la Cour dans le cadre de l’appel. Il a donc demandé à M. Bygrave d’obtenir ces documents, processus qui a mené M. Bygrave au-delà du délai de 90 jours pour déposer son avis d’appel.

[5]  Environ 52 jours après l’expiration du délai, le comptable de M. Bygrave a déposé en vertu du paragraphe 167(1) de la Loi une demande de prorogation du délai pour déposer son avis d’appel.

[6]  À l’audition de la demande, le comptable, poursuivant son incursion en territoire inconnu, a agi à titre d’avocat de M. Bygrave.

[7]  Le paragraphe 167(5) énonce les conditions devant être réunies pour l’octroi d’une prorogation du délai :

(5) Il n’est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

 

(5) No order shall be made under this section unless

a) la demande a été présentée dans l’année suivant l’expiration du délai imparti en vertu de l’article 169 pour interjeter appel;

(a) the application is made within one year after the expiration of the time limited by section 169 for appealing; and

 

b) le contribuable démontre ce qui suit :

 

(b) the taxpayer demonstrates that

(i) dans le délai par ailleurs imparti pour interjeter appel, il n’a pu ni agir ni charger quelqu’un d’agir en son nom, ou il avait véritablement l’intention d’interjeter appel,

 

(i) within the time otherwise limited by section 169 for appealing the taxpayer

[En blanc / Blank]

(A) was unable to act or to instruct another to act in the taxpayer’s name, or

 

[En blanc / Blank]

(B) had a bona fide intention to appeal,

 

(ii) compte tenu des raisons indiquées dans la demande et des circonstances de l’espèce, il est juste et équitable de faire droit à la demande,

(ii) given the reasons set out in the application and the circumstances of the case, it would be just and equitable to grant the application,

 

(iii) la demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient,

(iii) the application was made as soon as circumstances permitted, and

 

(iv) l’appel est raisonnablement fondé.

(iv) there are reasonable grounds for the appeal.

[8]  La Cour de l’impôt a rendu sa décision à la conclusion de l’audience. La Cour de l’impôt a conclu que la demande de prorogation du délai avait été présentée dans un délai d’un an, que pendant la période pertinente M. Bygrave avait une intention constante d’interjeter appel de la nouvelle cotisation du ministre et que l’appel était raisonnablement fondé. Le dernier point a été concédé par l’avocat du ministre de sorte que le fondement de cette conclusion ne ressort pas du dossier. Toutefois, la Cour de l’impôt n’était pas convaincue qu’il avait été satisfait aux conditions des sous-alinéas 167(5)b)(ii) et (iii). En d’autres termes, la Cour de l’impôt n’était pas persuadée que la demande avait été présentée dès que les circonstances le permettaient et qu’il serait juste et équitable de faire droit à la demande. Par conséquent, la Cour de l’impôt a rejeté l’appel de M. Bygrave.

[9]  Les questions en litige dans l’appel devant notre Cour se rapportent aux conclusions de la Cour de l’impôt concernant les sous-alinéas 167(5)b)(ii) et (iii) de la Loi; plus précisément, les questions sont de savoir si la demande de prorogation du délai a été présentée dès que les circonstances le permettaient et s’il serait juste et équitable d’accueillir la demande.

[10]  Étant donné qu’il s’agit d’un appel d’une décision rendue par la Cour de l’impôt à la suite d’une audience, la norme de contrôle est celle établie dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 31, [2002] 2 R.C.S. 235, à savoir celle de la décision correcte pour les questions de droit, et celle de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit, à moins qu’il n’y ait une question de droit isolable. Le fait que la décision de la Cour de l’impôt puisse être considérée comme une décision discrétionnaire (« juste et équitable ») n’affecte pas la norme de contrôle puisque la norme Housen est applicable aux décisions discrétionnaires : Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 au paragraphe 79, 402 D.L.R. (4th) 497.

[11]  En traitant la question de savoir si M. Bygrave avait présenté sa demande dès que les circonstances l’avaient permis, la Cour de l’impôt a fait remarquer que tant M. Bygrave que son comptable étaient au courant du délai de 90 jours pour déposer un avis d’appel. Elle a fait remarquer également que la raison du retard était la nécessité dans laquelle on croyait se trouver d’obtenir toute la documentation pertinente avant de déposer un avis d’appel, processus qui a pris du temps.

[12]  Pour arriver à sa décision sur cet aspect de l’affaire, la Cour de l’impôt s’est référée à deux causes dans lesquelles le fait de s’être fié à des conseillers professionnels a été jugé insuffisant comme explication du retard dans le dépôt de la demande de prorogation du délai : Carrier c. La Reine, 2005 CCI 182, [2007] 2 C.T.C. 2121, et Kolmar c. La Reine, 2003 CCI 829, [2004] 1 C.T.C. 3047. Bien que le recours à des conseillers professionnels puisse être une considération pertinente, il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où le contribuable n’a pas agi parce qu’il croyait, à tort, que son conseiller professionnel s’occupait de l’appel. Il s’agit d’un cas où le contribuable a entrepris à l’appui de son appel des démarches qu’il n’a pu terminer dans le délai de 90 jours prescrit pour le dépôt de son avis d’appel.

[13]  Dans l’examen d’une demande de prorogation du délai pour déposer un avis d’appel présentée en vertu du paragraphe 167(5), il existe deux périodes pertinentes. La première est celle de 90 jours qui suit l’envoi par le ministre de sa ratification de la cotisation, pendant laquelle le contribuable peut interjeter appel de la cotisation du ministre devant la Cour de l’impôt en vertu de l’article 169. Pour obtenir une prorogation du délai, le contribuable doit démontrer que, pendant cette période, il « n’a pu ni agir ni charger quelqu’un d’agir en son nom » ou il avait « véritablement l’intention d’interjeter appel », c’est-à-dire qu’il a satisfait à l’une des deux exigences établies au sous-alinéa 167(5)b)(i).

[14]  La seconde période commence à la fin de la première période et elle dure jusqu’à la date de la demande de prorogation du délai, qui doit être présentée dans l’année suivant la fin de la première période. Cette seconde période est la période pertinente pour évaluer si la demande de prorogation du délai a été présentée dès que les circonstances le permettaient en application du sous-alinéa 167(5)b)(iii).

[15]  Aux fins de notre examen, la question est celle de l’utilisation par le demandeur du temps entre l’expiration de la période d’appel de 90 jours et la date du dépôt de la demande de prorogation du délai. Il ne s’agit pas simplement de se demander pourquoi la demande n’a pas été présentée dans les meilleurs délais après l’expiration de la période de 90 jours. Il faut examiner la situation personnelle du demandeur pour déterminer si le demandeur avait agi avec une diligence appropriée compte tenu des circonstances.

[16]  À mon avis, la Cour de l’impôt n’a pas tenu compte de la période appropriée lorsqu’elle a examiné si l’appel de M. Bygrave avait été interjeté dès que les circonstances le permettaient. En énonçant le droit, la Cour de l’impôt a souligné à juste titre que si [TRADUCTION] « un contribuable dépose un avis d’appel en retard, il doit agir avec diligence pour présenter une demande de prorogation du délai pour interjeter appel et pour déposer un avis d’appel » : Bygrave v. The Queen (12 septembre 2016), Toronto, 2016-2201(IT)APP au paragraphe 9 (motifs). La Cour de l’impôt, toutefois, a conclu que M. Bygrave était au courant du délai de 90 jours et qu’il aurait pu déposer son avis d’appel dans ce délai. Cette conclusion révèle que la Cour de l’impôt s’est demandé si les circonstances permettaient à M. Bygrave de déposer un avis d’appel pendant la période de 90 jours, au lieu de se demander si, à l’expiration de ce délai, il avait présenté sa demande de prorogation du délai dès que les circonstances le permettaient. Il s’agit là d’une erreur de droit justifiant notre intervention.

[17]  Mon interprétation des motifs de la Cour de l’impôt est étayée par l’examen antérieur, par la Cour de l’impôt, du sous-alinéa 167(5)b)i). Bien que cet examen se soit limité à la période de 90 jours, la Cour de l’impôt a conclu que M. Bygrave avait [TRADUCTION] « une intention continue d’interjeter appel de cette nouvelle cotisation pendant toute la période de 90 jours et jusqu’au dépôt de la demande dont la Cour se trouve saisie; il a par conséquent satisfait à l’exigence énoncée au sous-alinéa 167(5)b)(i) » : motifs au paragraphe 10. Il ressort clairement de cet extrait que la Cour de l’impôt avait considéré les deux périodes en se penchant sur cette question alors qu’elle n’aurait dû considérer que la première. De toute évidence, la Cour de l’impôt s’est trompée sur les périodes pertinentes tant pour le sous-alinéa 167(5)b)(i) que pour le sous-alinéa 167(5)b)(iii).

[18]  L’alinéa 52c) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, prévoit que dans le cas d’un appel autre qu’un appel d’une décision de la Cour fédérale, notre Cour peut rendre la décision qui aurait dû être rendue, ou renvoyer l’affaire pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées. À mon avis, il s’agit en l’espèce d’un cas où la Cour devrait rendre la décision que la Cour de l’impôt aurait dû rendre. Ayant engagé les frais occasionnés par une audience devant la Cour de l’impôt et, maintenant, par un appel, il faudrait épargner à M. Bygrave la nécessité d’une autre audience sur la même question si je suis en mesure de rendre une décision en me fondant sur le dossier constitué devant la Cour de l’impôt. Bien que le dossier soit assez maigre, je crois que je peux le faire.

[19]  Il semble que M. Bygrave, dès la confirmation par l’ARC de la fermeture de son dossier, ait commencé à recueillir la preuve documentaire dont, selon ce que lui avait dit son comptable, il avait besoin pour son appel. Selon la preuve, M. Bygrave a passé la période entre l’expiration de la période de 90 jours et le dépôt de sa demande de prorogation du délai à recueillir cette preuve documentaire.

[20]  Nous n’avons aucune information concernant le fondement de la nouvelle cotisation du ministre, mais vu qu’elle résulte d’une seule opération portant sur une copropriété qui appartenait à M. Bygrave pendant une période de trois ans et que la caractérisation du gain comme un gain en capital avait été rejetée, on peut, sans risque de se tromper, supposer que le ministre avait conclu que l’achat et la vente de la propriété étaient une affaire de caractère commercial. Dans ces circonstances, l’intention, tant primaire que secondaire, de M. Bygrave à l’époque en cause sera pertinente. Dans la mesure où la preuve de cette intention peut exiger que la preuve soit faite des circonstances dans lesquelles s’inscrivait l’opération, ce qui pourra nécessiter, pour certaines de ces circonstances, la production de documents que M. Bygrave devait obtenir de la Jamaïque, le temps qu’il a fallu pour se procurer ces documents serait une circonstance expliquant le retard dans la présentation de la demande de prorogation du délai. Bien que ceux qui possèdent certaines connaissances en matière fiscale sachent qu’il n’était pas nécessaire d’avoir en main ces éléments de preuve avant de déposer l’avis d’appel, M. Bygrave ne le savait pas.

[21]  La preuve indique que la demande de prorogation du délai avait été présentée dès qu’on avait les documents nécessaires en main. Par conséquent, je suis convaincu que la demande de prorogation du délai a été présentée dès que les circonstances le permettaient.

[22]  Quant à savoir s’il est juste et équitable de faire droit à la demande, je suis d’avis que oui. Il n’y a eu aucun comportement de M. Bygrave qui ferait en sorte qu’il soit injuste ou inéquitable de lui accorder la prorogation du délai qu’il demande. En outre, il s’agit d’un cas dans lequel le ministre a imposé une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi, lequel porte sur les faux énoncés faits sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. Un contribuable devrait se voir accorder toutes les possibilités raisonnables de se défendre contre l’imposition d’une telle pénalité.

[23]  Par conséquent, j’accueillerais l’appel de M. Bygrave avec dépens en notre Cour et en Cour canadienne de l’impôt.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord

D.G. Near, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-389-16

 

INTITULÉ :

STEPHEN BYGRAVE c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 mai 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JUIN 2017

 

COMPARUTIONS :

Glenroy K. Bastien

 

Pour l’appelant

STEPHEN BYGRAVE

 

Carol Calabrese

 

Pour l’intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bastien’s Professional Corporation

 

Pour l’appelant

STEPHEN BYGRAVE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

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