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Date : 20170622


Dossiers : A-20-16

A-31-16

Référence : 2017 CAF 135

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

 

 

A-20-16

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

CALIAN LTD.

ET LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

intimés

A-31-16

ENTRE :

LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

appelant

et

CALIAN LTD.

ET
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 juin 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

 


Date : 20170622


Dossiers : A-20-16

A-31-16

Référence : 2017 CAF 135

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

 

 

A-20-16

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

CALIAN LTD.

ET

LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

intimés

A-31-16

ENTRE :

LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

appelant

et

CALIAN LTD.

ET
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]               Les présents appels soulèvent l’intéressante question de l’interaction entre le droit des contrats et le régime législatif de l’accès à l’information au Canada. Plus particulièrement, l’issue finale des présents appels dépend de l’incidence d’une clause de divulgation sur les exceptions relatives aux renseignements de tiers prévues par la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi). Pour les motifs exposés ci-après, je suis d’avis que la clause en question vaut consentement à la divulgation publique de renseignements autrement visés par une exception aux termes de la Loi. Cependant, le consentement n’est pas déterminant pour statuer  quant à la question de savoir si ces renseignements doivent être divulgués. En conséquence, j’accueillerais l’appel en partie, mais je n’accorderais aucuns dépens puisque les différentes thèses avancées ont été accueillies de manière mitigée.

I.                    Contexte

[2]               L’intimée Calian Ltd. (Calian) est une entreprise établie à Ottawa qui assure des services souples et à court terme de placement de professionnels dans les secteurs du génie, des technologies de l’information, des soins de santé et des télécommunications. Une bonne partie de ses activités provient de la prestation de services de placement au gouvernement fédéral. Par conséquent, Calian participe régulièrement aux processus d’approvisionnement du fédéral.

[3]               En 2009, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC, représenté par le procureur général du Canada) a lancé un processus d’appel d’offres par la voie d’une Demande d’offres à commandes (DOC) pour la prestation de services d’aide à la recherche au Collège militaire royal du Canada (CMR, ou le Collège). Le CMR a reçu la mission de fournir une aide à la recherche et d’autres types de soutien au ministère de la Défense nationale (MDN) et à d’autres ministères. Le financement que reçoit le Collège pour embaucher des adjoints de recherche étant lié aux subventions versées par le gouvernement fédéral aux professeurs, il recourt au processus d’approvisionnement du gouvernement fédéral tous les cinq ans pour combler ses besoins variés et complexes en matière de personnel.

[4]               La DOC lancée en 2009 avait été conçue pour soutenir les activités de recherche et de développement de trois facultés (arts, ingénierie et sciences) et de deux divisions (études supérieures et recherche et études permanentes) du CMR. La DOC exigeait que les parties soumissionnaires indiquent les taux relatifs au personnel détaillés, selon la formule « taux horaire fermes tout compris », pour une centaine de catégories de main-d’œuvre, ainsi que les rajustements annuels des taux relatifs au personnel sur cinq ans, soit la durée du contrat (voir la DOC, pièce A jointe à l’affidavit de Louise Kelly, souscrit le 30 mai 2014, dossier d’appel, vol. 8, onglet 20, aux pages 1849 et suivantes).

[5]               La DOC précisait en outre que les conditions générales – offres à commandes – biens ou services de 2005 de TPSGC (25/05/07) (les conditions générales) faisaient partie intégrante de l’offre à commandes. Selon ces conditions générales, les soumissionnaires doivent consentir à la divulgation des prix unitaires et des taux de leur offre à commandes aux termes de la disposition suivante (clause de divulgation) :

Le proposant accepte que ses prix soient divulgués par le Canada et convient qu’il n’aura aucun droit de réclamation contre le Canada, le ministre, l’utilisateur désigné, leurs employés, agents ou préposés en ce qui a trait à ladite divulgation.

Clause de divulgation, pièce E jointe à l’affidavit de Louise Kelly, souscrit le 30 mai 2014, dossier d’appel, vol. 8, onglet 20, à la page 1870. Voir également la clause 3.1 de la DOC, pièce A jointe à l’affidavit de Louise Kelly, souscrit le 30 mai 2014, dossier d’appel, vol. 8, onglet 20, à la page 1833.

[6]               Calian, dont les soumissions ont été retenues en 1997 et 2002 pour un type de travail similaire pour le compte du CMR, a de nouveau remporté l’appel d’offres de TPSGC en 2009. Le 30 novembre 2009, l’offre à commandes W0046-080001/001/TOR (l’offre à commandes 2010-2014) a été adjugée à Calian, qui devenait ainsi le fournisseur exclusif de personnel de recherche spécialisé au CMR pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014, avec une possibilité que TPSGC prolonge cette période d’un an.

[7]               Le 1er novembre 2013, TPSGC a reçu une demande en vertu de la Loi qui l’intimait à communiquer une copie de [traduction] « la totalité des contrats, modifications de contrat, lettres et courriels » concernant le contrat adjugé à Calian pour la période du 30 novembre 2009 au 1er mars 2013 (Demande d’accès de 2013, pièce H jointe à l’affidavit de Jerry Johnston, souscrit le 10 mars 2014, dossier d’appel, vol. 7, onglet 18, à la page 1565). Aux termes du paragraphe 27(1) de la Loi, TPSGC a consulté Calian avant de divulguer certains renseignements visés par la demande. Dans sa correspondance, TPSGC a invité Calian à présenter ses observations sur les raisons empêchant la communication de documents visés par la demande d’accès de 2013. TPSGC a également informé Calian que la clause de divulgation de renseignements incorporée à l’offre à commandes 2010-2014 ne lui permettait pas de traiter ses prix unitaires et ses taux relatifs au personnel comme des renseignements confidentiels de tiers.

[8]               En plus d’exiger que tout renseignement se rapportant à ses employés ainsi que ses numéros d’entreprise – approvisionnement et de compte TPS soient expurgés, Calian a soutenu que les renseignements relatifs à ses taux relatifs au personnel étaient de nature exclusive, et qu’ils échappaient par le fait même à l’obligation de divulgation prévue à l’alinéa 20(1)b) de la Loi. De fait, dans les versions précédentes de la même DOC, l’État avait précisé les « taux de base » afférents à diverses catégories de main-d’œuvre, auxquels les soumissionnaires devaient ajouter leur propre marge bénéficiaire et proposer un [traduction] « taux entièrement imputé » tout compris (voir l’affidavit de Jerry Johnston, souscrit le 10 mars 2014, dossier d’appel, vol. 7, onglet 18, à la page 1415, paragraphe 19). Ces précisions ne figurent plus à la DOC de 2009, qui n’indique pas les taux de base de chaque catégorie de main-d’œuvre, de sorte que les soumissionnaires devaient proposer des prix concurrentiels sans aucune directive quant au niveau acceptable de rémunération pour chaque catégorie d’entrepreneurs en recherche. Calian a soutenu que le risque de préjudice posé par la divulgation des taux de facturation proposés dans sa soumission de 2009 était considérablement accru puisqu’elle avait dû faire appel à ses compétences poussées et exclusives du domaine de la gestion des services de personnel pour établir des prix compétitifs. Calian a de plus soutenu que, aux fins de l’alinéa 20(1)c) de la Loi, la divulgation de ses taux résulterait en un risque de pertes financières appréciables et importantes.

[9]               Quant à la clause de divulgation, Calian a soutenu qu’elle ne visait pas les taux relatifs au personnel proposés, pour trois raisons principales. Premièrement, Calian a soutenu que la clause était formulée d’une manière qui la rendait applicable seulement à des valeurs indiquées dans un document (les taux de base fixés par l’État pour chaque catégorie de main-d’œuvre, tels qu’ils figurent aux offres à commandes précédentes), et non aux taux entièrement imputés figurant dans la soumission de 2009. Deuxièmement, Calian a fait référence au traitement antérieur de la clause de divulgation par le MDN, l’autorité contractuelle précédente du CMR pour la soumission relative au soutien à la recherche, comme preuve de la portée étroite de ladite clause. Selon son expérience passée relativement au processus d’approvisionnement du gouvernement fédéral, Calian a soutenu qu’il fallait interpréter la clause de divulgation comme donnant consentement à la divulgation de renseignements à d’autres ministères, mais non au public. Troisièmement, au vu des modalités précises de la DOC visée (c’est-à-dire l’adjudication du marché à un fournisseur unique, alors qu’il est plus courant que plusieurs fournisseurs soient retenus), Calian a soutenu que la divulgation dans ce contexte particulier résulterait en un préjudice irréparable à sa compétitivité, et que cela justifiait d’autant plus une interprétation restrictive de la clause.

[10]           Le 3 janvier 2014, TPSGS a communiqué sa décision aux termes de l’article 28 de la Loi, de n’expurger que les parties de l’offre à commandes 2010-2014 dans lesquelles figuraient (1) les noms, titres, numéros de poste téléphonique, de téléphone cellulaire, de télécopieur ou personnels des employés de Calian; (2) son numéro d’entreprise – approvisionnement, ainsi que (3) son numéro de compte TPS. TPSGC a rejeté la demande de Calian d’expurger les taux relatifs au personnel, en précisant que [traduction] « […] comme la clause de divulgation de renseignements a déjà été intégrée dans l’offre à commandes, les prix unitaires et les taux ne peuvent pas assimilés à des renseignements confidentiels relatifs à un tiers qui nuiraient à votre compétitivité, et nous sommes donc tenus de les communiquer » (voir la décision fondée sur l’article 28, pièce H jointe à l’affidavit de Jerry Johnston, souscrit le 10 mars 2014, dossier d’appel, vol. 7, onglet 18, à la page 1565). Bien que les motifs ne soient pas explicites à ce sujet, il est permis de penser que TPSGC a interprété la clause de divulgation comme faisant entièrement obstacle à toute prétention de confidentialité aux termes du paragraphe 20(1) de la Loi, ou comme une renonciation à cet égard.

[11]           Par suite de la décision fondée sur l’article 28 de TPSGC, Calian a déposé une première demande de contrôle judiciaire, visée par les présents appels en vertu de l’article 44 de la Loi. Au cours de cette procédure, il est ressorti clairement que d’autres documents visés par celle-ci avaient été repérés, mais qu’ils n’avaient pas été inclus dans la première consultation relative aux renseignements de tiers. TPSGC a donc consulté Calian de nouveau au sujet de ces autres documents, ce qui s’est conclu de la même manière pour ce qui concerne la divulgation des taux relatifs au personnel. Calian a déposé une demande de contrôle judiciaire visant cette seconde décision. Les deux demandes ont été réunies et une ordonnance d’instruction conjointe a été rendue le 18 septembre 2014. Le juge Brown de la Cour fédérale a rendu sa décision le 18 décembre 2015 (publiée sous l’intitulé Calian Ltd. c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1392).

II.                 La décision de la Cour fédérale

[12]           Le juge a tout d’abord conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte. S’appuyant sur le paragraphe 53 de l’arrêt Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23 [Merck], le juge a conclu que nulle décision discrétionnaire aux termes du paragraphe 20(1) de la Loi n’était en cause, et que l’application des exceptions aux documents visés devait être appréciée sans déférence envers le décideur.

[13]           Le juge a ensuite tiré une série de conclusions de fait, fondées sur son interprétation des dispositions législatives pertinentes. Il a noté en premier lieu que les taux relatifs au personnel sont nettement plus « commercialement sensibles » et « confidentiels » que ceux qui figuraient aux DOC précédentes, étant donné l’absence de « taux de base » pour chaque catégorie de main-d’œuvre dans la DOC de 2009 (voir les motifs, au paragraphe 47). Il s’ensuit que les soumissionnaires devaient établir les prix à partir de zéro. Le juge a aussi noté que les taux relatifs au personnel étaient le facteur le plus important du succès de la soumission en réponse à la DOC de 2009, car ils comptaient pour 60 % de l’évaluation (motifs, au paragraphe 41).

[14]           Se prononçant sur l’historique des relations entre les parties, le juge a conclu que toutes deux considéraient que les taux relatifs au personnel faisaient l’objet d’une exception et souhaitaient qu’ils soient traités ainsi. Sa conclusion sur ce point repose principalement sur le traitement réservé à la demande d’accès déposée en 2009 à l’égard d’une soumission remportée par Calian (l’offre à commandes 2003-2009), qui s’était soldée par l’exclusion de la communication des prix unitaires « entièrement imputés » en application de l’alinéa 20(1)c) et du paragraphe 24(1) de la Loi. Comparant l’offre à commandes 2003-2009 avec celle en jeu en l’espèce, le juge a noté que toutes deux mettaient en cause la même partie contractuelle gouvernementale, à savoir l’État (même si la gestion de contrat avait été transférée du MDN à TPSGC); qu’elles avaient le même objet, c’est-à-dire la fourniture au CMR de services de consultation spécialisés, et contenaient des clauses de divulgation essentiellement identiques. Il n’y avait donc pas lieu, selon lui, de traiter différemment la demande d’accès déposée en 2013 de celle déposée en 2009. La seule observation du juge à ce sujet a trait au fait que le caractère plus confidentiel des renseignements figurant dans l’offre à commandes 2010-2014 (vu la nature des taux relatifs au personnel et l’absence dans la structure du contrat subséquent de « taux de base » pour chaque catégorie de main-d’œuvre) augmentait le risque vraisemblable de pertes financières importantes ou de préjudice à l’avantage concurrentiel de Calian (motifs, aux paragraphes 49 à 54).

[15]           Se fondant sur les constatations exposées ci-devant, le juge a conclu que la divulgation des taux relatifs au personnel nuirait à la compétitivité de Calian en vertu de l’alinéa 20(1)c) de la Loi. Il a conclu que la divulgation de ces renseignements servirait de « tremplin » à ses concurrents, qui pourraient tirer profit des compétences et de l’expérience de Calian, portant préjudice à sa capacité de présenter une offre gagnante et posant un risque réel de saper son avantage concurrentiel (motifs, au paragraphe 61). Le juge s’est appuyé sur le fait que, compte tenu du cycle des appels d’offres dans le domaine de la prestation de services de personnel au CMR, Calian était tout à fait fondée à s’attendre au lancement imminent d’un nouveau processus de soumissions (motifs, au paragraphe 59).

[16]           Pour ce qui est de l’effet de la clause de divulgation, le juge a conclu que cela n’était que l’un des facteurs à prendre en compte pour rechercher ce qui « risquerait vraisemblablement » d’arriver aux termes de l’alinéa 20(1)c) de la Loi, mais que d’autres facteurs pouvaient aussi jouer, tel l’historique des relations entre les parties. Il a retenu le témoignage de Calian comme quoi sa compréhension de la clause reposait sur ses années d’expérience et de discussions avec diverses entités gouvernementales, et que son inclusion visait à permettre l’échange de taux entre les ministères. Puisque l’État n’a pas produit de preuves concernant sa lecture de la clause de divulgation, le juge a conclu que les parties pouvaient raisonnablement comprendre que la clause ait pour objet de permettre la divulgation des taux relatifs au personnel uniquement aux autres ministères. Il a donc soustrait à l’obligation de divulgation les taux relatifs au personnel, en application de l’alinéa 20(1)c) de la Loi (motifs, aux paragraphes 65 à 78).

[17]           Le juge a conclu par ailleurs que les taux relatifs au personnel devaient être soustraits à la divulgation en application de l’alinéa 20(1)d) de la Loi parce que ces renseignements risquaient vraisemblablement d’entraver les négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins. Se fondant sur le critère de l’interférence consacré par la jurisprudence Fermes Burnbrae Limitée c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2014 CF 957 [Burnbrae], selon lequel l’entrave doit être plus que conjecturale et ne peut consister simplement en une concurrence plus vive, le juge a conclu qu’il était probable que les clients de Calian tenteraient d’améliorer leur position de négociation après la divulgation de ses taux. Il a aussi conclu que Calian risquait de subir des pressions pour augmenter les taux de ses consultants. Pour des motifs analogues à ceux qui sont exposés plus haut, le juge n’a pas interprété la clause de divulgation comme faisant entièrement obstacle aux exceptions prévues à l’alinéa 20(1)d). Là encore, il a conclu que la clause de divulgation devait s’interpréter de concert avec l’ensemble des facteurs pertinents en vue de rechercher si une dérogation à l’obligation de divulgation était justifiée dans les circonstances. Il a par conséquent ajouté les dispositions de l’alinéa 20(1)d) de la Loi comme motifs supplémentaires pour soustraire les taux relatifs au personnel à l’obligation de divulgation (motifs, aux paragraphes 79 à 88).

[18]           Finalement, le juge a conclu que ces décisions devaient être annulées, indépendamment de ses propres constatations relatives aux alinéas 20(1)c) et d), aux motif que TPSGC n’avait pas envisagé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser de divulguer des renseignements qui autrement font l’objet d’une exception en vertu du paragraphe 20(5) de la Loi. Ayant conclu que TPSGC avait manqué une étape cruciale dans l’exposé des motifs de sa décision et avait ainsi commis une erreur irrémédiable, le juge a conclu qu’il s’agissait d’un motif supplémentaire d’annulation de la décision (motifs, aux paragraphes 89 à 101). Par ailleurs, le juge a conclu que Calian ne pouvait pas fonder sa demande d’expurgation sur l’alinéa 20(1)b) ou l’article 18 de la Loi (motifs, aux paragraphes 102 à 107).

III.               Questions en litige

[19]           Le procureur général du Canada (dossier no A-20-16) et le Commissaire à l’information du Canada (dossier no A-31-16) ont tous les deux interjeté appel de la décision du juge. Par voie d’ordonnance datée du 6 avril 2016, les dossiers ont été réunis en vue de leur instruction conjointe.

[20]           Les questions en litige dans les deux appels se chevauchent à maints égards, et les parties discutent des questions similaires en les formulant différemment. Essentiellement, les questions à trancher par notre Cour se résument aux suivantes :

  1. Les taux relatifs au personnel sont-ils soustraits à la divulgation en application des alinéas 20(1)b), c) ou d) de la Loi?
  2. Quelle est l’interprétation juste de la clause de divulgation?
  3. Comment la clause de divulgation interagit-elle avec le régime législatif?

[21]           Comme il deviendra vite évident, je suis d’avis que TPSGC et la Cour fédérale ont tous deux mal interprété la clause de divulgation. TPSGC a commis une erreur en l’assimilant à une renonciation à l’application des exceptions prévues par la Loi, et la Cour fédérale s’est trompée en concluant que la clause de divulgation constituait un consentement limité. Selon moi, la bonne manière de procéder aurait été de rechercher d’abord si les renseignements visés par la demande de protection auraient autrement fait l’objet d’une exception prévue par la Loi. C’est la question à laquelle je répondrai sous la rubrique Question en litige A. Quant à savoir si la clause de divulgation peut à juste titre s’interpréter comme un consentement à la divulgation publique de renseignements faisant autrement l’objet d’une exception, que j’analyserai sous la rubrique Question en litige B, il faut rechercher s’il y a des circonstances militant contre leur divulgation, sans égard au consentement donné à cette clause. Cet aspect de mon analyse, abordé sous la rubrique Question en litige C, concerne le pouvoir discrétionnaire dévolu au responsable de l’institution gouvernementale de refuser de divulguer des renseignements qui feraient l’objet d’une exception, n’eût été la clause de divulgation. Mes conclusions à ce sujet ont trait au recours à accorder dans les présents appels.

IV.              Les dispositions législatives pertinentes

[22]           La Loi vise à élargir l’accès à l’information qui relève du gouvernement, sous réserve des quelques exceptions précises et limitées qui y sont prévues (paragraphe 2[1]). Comme l’observe le juge La Forest au paragraphe 61 de l’arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, 148 D.L.R. (4th) 385 (dissident, mais non sur ce point), « [l]a loi en matière d’accès à l’information a donc pour objet général de favoriser la démocratie », en premier lieu en assurant « que les citoyens possèdent l’information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique », et en second lieu « que les politiciens et les bureaucrates demeurent comptables envers l’ensemble de la population ». Pour réaliser cet objectif, le responsable d’une institution gouvernementale doit communiquer, si une demande d’accès à un document a été faite, toute partie de celui-ci qui est dépourvue de renseignements visés par une exception et qui peut raisonnablement être prélevée (article 25 de la Loi).

[23]           L’une des exceptions au principe de divulgation a trait aux renseignements de tiers. Voici les passages pertinents du paragraphe 20(1) à ce sujet :

20 (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

20 (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

b.1) des renseignements qui, d’une part, sont fournis à titre confidentiel à une institution fédérale par un tiers en vue de l’élaboration, de la mise à jour, de la mise à l’essai ou de la mise en oeuvre par celle-ci de plans de gestion des urgences au sens de l’article 2 de la Loi sur la gestion des urgences et, d’autre part, portent sur la vulnérabilité des bâtiments ou autres ouvrages de ce tiers, ou de ses réseaux ou systèmes, y compris ses réseaux ou systèmes informatiques ou de communication, ou sur les méthodes employées pour leur protection;

(b.1) information that is supplied in confidence to a government institution by a third party for the preparation, maintenance, testing or implementation by the government institution of emergency management plans within the meaning of section 2 of the Emergency Management Act and that concerns the vulnerability of the third party’s buildings or other structures, its networks or systems, including its computer or communications networks or systems, or the methods used to protect any of those buildings, structures, networks or systems;

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins.

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.

[24]           Cependant, même si l’une de ces exceptions joue, le tiers peut consentir à la communication, auquel cas le responsable de l’institution gouvernementale est investi d’un pouvoir discrétionnaire relativement à la communication :

(5) Le responsable d’une institution fédérale peut communiquer tout document contenant les renseignements visés au paragraphe (1) si le tiers que les renseignements concernent y consent.

(5) The head of a government institution may disclose any record that contains information described in subsection (1) with the consent of the third party to whom the information relates.

[25]           La Loi exige en outre que les tiers soient notifiés si le responsable d’une institution gouvernementale a l’intention de communiquer un document qui, selon lui, est susceptible de contenir des renseignements visés aux alinéas 20(1)b), b.1), c) ou d) [paragraphe 27(1) de la Loi]. Le tiers ainsi notifié peut présenter des observations, dans les 20 jours suivant la transmission de l’avis, sur les raisons qui justifieraient la non-communication totale ou partielle du document visé [paragraphe 28(1)]. Si le responsable de l’institution gouvernementale opte néanmoins pour la communication totale ou partielle du document, le tiers peut exercer un recours en réexamen devant la Cour fédérale [paragraphe 44(1)].

V.                 La norme de contrôle

[26]           Il n’est pas controversé entre les parties que l’examen par le juge d’appel de l’application de la Loi doit se fonder sur les principes consacrés par l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 [Housen]. Cette position est conforme avec celle qui fut retenue à l’occasion de l’affaire Merck, où la Cour suprême a conclu que « [l]a décision du juge qui, en application de la Loi, procède à un examen, qui aura souvent un volet factuel important, peut faire l’objet d’une révision en appel conformément aux principes exposés dans Housen [...] » (au paragraphe 54). Ainsi, notre Cour concentrera son examen sur la décision de la Cour fédérale, en appliquant la norme de contrôle de la décision correcte aux questions de droit, et celle de l’erreur manifeste et dominante aux conclusions de fait et aux questions mélangées de fait et de droit. Quand une question mélangée de fait et de droit contient une question de droit qui peut être isolée, la norme de contrôle reste celle de la décision correcte.

[27]           L’effet, s’il y en a un, d’une jurisprudence ultérieure de la Cour suprême, Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (aux paragraphes 45 à 47), devra faire l’objet d’un autre jugement. Si, à l’évidence, notre Cour n’est pas tenue de souscrire au consensus entre les parties quant à la norme de contrôle applicable, cet argument n’en doit pas moins faire l’objet d’une discussion exhaustive avant que soit écartée une jurisprudence constante en raison de l’absence de consignes claires de la plus haute juridiction. Ce thème n’a pas été discuté et, qui plus est, il s’agirait d’un débat théorique puisque j’ai conclu que les motifs du juge à l’égard de la première question en litige résistent au contrôle selon la norme plus stricte.

[28]           Je suis, en effet, d’avis que le juge n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en concluant que la décision de divulguer ou non un renseignement est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Comme la Cour suprême l’a observé à juste titre à l’occasion de l’affaire Merck, aucun pouvoir discrétionnaire n’est en cause lorsque le responsable d’une institution gouvernementale doit décider si un document doit être communiqué ou non (au paragraphe 53). Tel qu’il est prévu dans l’introduction du paragraphe 20(1) de la Loi, le responsable « est tenu » de refuser la communication de documents qui contiennent le type de renseignements recensés aux alinéas a) à d). Conséquemment, la cour réformatrice doit rechercher si les exceptions au principe général de la divulgation ont été dûment appliquées eu égard aux documents demandés :

[…] Il s’ensuit que dans les cas où un tiers […] demande à la Cour fédérale, en vertu de l’article 44 de la Loi, de « contrôler » la décision du responsable de l’institution de communiquer tout ou partie d’un document, le juge de la Cour fédérale doit déterminer si ce dernier a correctement appliqué les exceptions aux documents visés […]

Merck, au paragraphe 53.

[29]           Le juge était donc appelé à rechercher si, effectivement, les taux relatifs au personnel de Calian échappaient aux exceptions en matière de divulgation prévues dans la Loi. Il ne faut toutefois pas en déduire que l’appréciation ne comportait nulle composante factuelle. Comme la Cour suprême l’admet par l’arrêt Merck, les principes juridiques pertinents ne peuvent être appliqués hors contexte, et doivent toujours être pris en compte en fonction des preuves au dossier (au paragraphe 150). C’est donc avec cette mise en garde en tête que je rechercherai si le juge a commis une erreur dans son appréciation de la première question susmentionnée.

[30]           Pour ce qui concerne les deuxième et troisième questions, qui portent sur l’interprétation les contrats et l’interaction de la clause et de la Loi, elles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Au paragraphe 50 de Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53 [2014] 2 R.C.S. 633 [Sattva], un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, il est conclu que les questions afférentes relevant de l’interprétation des contrats sont si étroitement liées aux faits d’une espèce qu’elles doivent d’ordinaire être envisagées comme soulevant des questions mélangées de fait et de droit. S’il est impossible de « dégager une pure question de droit », la portée des interventions du juge d’appel s’en trouve considérablement restreinte et celle-ci doit manifestement faire preuve de déférence à l’égard de ce type de questions. En matière administrative, on peut généralement affirmer que la norme de la décision raisonnable joue quant à ces questions. En matière d’appel, la norme applicable sera celle de l’erreur manifeste et dominante.

[31]           Dans le sillage de la jurisprudence Sattva, les cours d’appel se sont livrées à la tâche délicate de déterminer les circonstances où l’interprétation d’un contrat permet de « dégager une pure question de droit », laquelle commande un examen plus minutieux selon la norme de la décision correcte. Selon un nouveau courant jurisprudentiel, le juge doit faire preuve de retenue lorsque des contrats types sont en cause (voir notamment les jugements MacDonald v. Chicago Title Insurance Company of Canada, 2015 ONCA 842, 127 O.R. [3d] 663 [MacDonald]; True Construction Limited v. Kamloops [City], 2016 BCCA 173, 386 B.C.A.C. 82; Ledcor Construction Limited v. Northbridge Indemnity Insurance Company, 2015 ABCA 121, 386 D.L.R. (4th) 482 [Ledcor, ABCA]). La Cour suprême a récemment retenu cette approche à l’occasion de l’affaire Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge., 2016 CSC 37, [2016] 2 R.C.S. 23 [Ledcor, CSC], où elle infirme l’arrêt Ledcor, ABCA [mais retient toutefois, du moins en partie, la grille d’analyse suivie par la Cour d’appel].

[32]           La Cour suprême fonde sa conclusion sur deux raisons. Premièrement, elle soutient que le fondement factuel a beaucoup moins de pertinence quand il s’agit d’interpréter un contrat type que c’est généralement le cas pour toute autre espèce d’interprétation des contrats. Voici ce que fait remarquer à cet égard la Cour d’appel de l’Ontario à l’occasion de l’affaire MacDonald, au paragraphe 33 :

[traduction] Le fondement factuel a beaucoup moins de pertinence, si tant est qu’il en ait une, aux fins de l’interprétation d’un contrat type ou d’un contrat d’adhésion, dont les parties ne négocient pas les modalités, et qui est présenté comme une proposition à prendre ou à laisser. Toute tentative de dégager l’intention des parties dans les circonstances entourant ces contrats constitue au plus une fiction juridique. [Références omises.]

[33]           Deuxièmement, à l’inverse des cas mettant en cause l’interprétation de contrats dont l’issue n’a d’incidence que sur les droits des parties au différend, l’interprétation par le juge d’un contrat type spécialisé a des conséquences et une valeur jurisprudentielle  déterminantes. La cohérence s’avère primordiale dès lors que de nombreuses parties risquent d’être touchées par des interprétations divergentes d’une clause contractuelle particulière :

[…] Il ne serait pas souhaitable que les cours interprètent différemment des contrats types identiques ou très similaires sans bonne raison. Le rôle des cours d’appel – « assurer la cohérence du droit » (Sattva, au paragraphe 51) – est servi lorsqu’on leur permet de contrôler l’interprétation d’un contrat type selon la norme de la décision correcte.

Ledcor, CSC, au paragraphe 39

[34]           En l’espèce, il est clair que les parties n’ont pas négocié les modalités de la clause de divulgation ni, en fait, de l’ensemble du contrat d’approvisionnement (affidavit de Jerry Johnston, souscrit le 10 mars 2014, dossier d’appel, vol. 7, onglet 18, à la page 1419, paragraphe 33). Calian ne conteste pas la thèse portant que les conditions générales constituaient bel et bien un contrat type.

[35]           Le procureur général soutient par ailleurs que l’interprétation que fera notre Cour de la clause de divulgation aura un effet qui transcendera les droits des parties au différend actuel dans la mesure où les conditions générales constituent des conditions types, applicables à toutes les offres à commandes de biens et de services, et qu’elles sont appliquées depuis plus de dix ans. Il semble en effet qu’en l’espèce, la clause en cause a fait l’objet d’une abondante jurisprudence (voir Stenotran [Services c. Canada [Ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux] [2000], 186 FTR 134 [C.F. 1re inst.] [Stenotran]; Top Aces Consulting Inc. c. Canada [Défense nationale], 2011 CF 641, 391 FTR 14 [Top Aces], confirmée par 2012 CAF 75, 430 N.R. 260). L’avocat représentant le procureur général a également informé notre Cour qu’en raison de la grande similitude entre les questions de droit soulevées, le sursis avait été accordé dans une autre affaire dans l’attente de l’issue de la présente affaire (The Typhon Group Ltd. et al. c. Procureur général du Canada, dossier no T-1246-15, ordonnance du protonotaire Aalto, rendue le 14 décembre 2015).

[36]           Cela dit, l’avocat de Calian rejette toute valeur jurisprudentielle d’une quelconque interprétation de la clause de divulgation, au motif qu’elle figure parmi une série de facteurs à examiner pour rechercher si un document doit être soustrait à la divulgation en vertu de la Loi. Calian opine également qu’en l’espèce, le fondement factuel est important et propre aux parties, et qu’il apporte un éclairage particulier à la manière dont le contrat doit être interprété. L’avocat fonde cette thèse sur la mise en garde formulée par la Cour suprême par l’arrêt Ledcor, selon lequel l’interprétation d’un contrat type peut exiger un contrôle empreint de déférence en appel dans certains cas, et notamment si « le fondement factuel d’un contrat type qui est propre aux parties concernées aide à l’interpréter » (au paragraphe 48).

[37]           Cette première thèse de Calian ne saurait être retenue. L’interaction de la clause de divulgation et des diverses exceptions prévues au paragraphe 20(1) de la Loi, et la question de savoir si cette clause fait entièrement obstacle à ces exceptions ou si elle doit être interprétée comme l’un des facteurs de l’appréciation de l’application des alinéas 20(1)b), c) et d) est une pure question de droit. Qui plus est, ces questions sont entièrement distinctes de la question relevant de l’interprétation des contrats. Par conséquent, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard du juge.

[38]           Bien qu’il apparaisse mieux fondé à première vue, le deuxième argument de Calian doit aussi être rejeté. L’intention subjective d’une partie à un contrat ne peut servir de base à l’interprétation de sa signification, à plus forte raison s’il s’agit d’un contrat type, puisque ce serait contraire aux principes d’interprétation des contrats et aux antipodes de la nécessité de certitude, de constance et de prévisibilité de l’interprétation des clauses dont l’utilisation est généralisée dans un domaine d’activité. Cela est d’autant plus vrai dans un cas comme celui qui nous intéresse, dans la mesure où plusieurs raisons pourraient expliquer pourquoi un autre ministère a décidé de ne pas divulguer l’information visée par une demande d’accès antérieure. Au final, pour citer le juge Iacobucci au paragraphe 37 de l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, 144 D.L.R. [4th] 1 [invoqué par la majorité dans l’arrêt Ledcor, CSC, au paragraphe 48), il me semble que le différend porte essentiellement sur une « proposition générale », et non « sur un ensemble très particulier de circonstances qui n’est pas susceptible de présenter beaucoup d’intérêt pour les juges et les avocats dans l’avenir ». Je serais plutôt porté à penser que l’interprétation de la clause de divulgation et son interaction avec le régime législatif font jouer des questions de droit isolables, et que la norme de contrôle applicable aux deuxième et troisième questions en cause en l’espèce doit être celle de la décision correcte, la norme que doit suivre le juge d’appel selon la jurisprudence  Housen.

VI.              Analyse

A.                 Les taux relatifs au personnel sont-ils soustraits à la divulgation en application des alinéas 20(1)b), c) ou d) de la Loi?

[39]           La règle générale en matière de divulgation qui est consacrée par la Loi comporte un certain nombre d’exceptions. Celles qui sont pertinentes dans le présent appel se rapportent aux renseignements confidentiels de tiers et sont énoncées au paragraphe 20(1), et notamment aux alinéas b), c) et d), reproduits au paragraphe 23 des présents motifs.

[40]           Il n’y a nulle controverse entre les parties quant aux principes juridiques sur lesquels repose l’application de l’alinéa 20(1)c). Dans son appel, le commissaire admet que le juge a correctement formulé le critère juridique déterminant l’application de l’alinéa 20(1)c). Se fondant sur la jurisprudence Merck, le juge expose lesdits principes comme suit :

  • Il incombe à la partie demanderesse d’établir son droit à l’exception, lequel dépend de la nature des renseignements et du contexte particulier de l’affaire.
  • Le tiers qui invoque une exception prévue par l’al. 20(1)c) doit démontrer qu’il existe beaucoup plus qu’une simple possibilité qu’un préjudice soit causé, mais il n’est pas tenu d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice se produira bel et bien.
  • Les types de préjudice qu’englobe l’alinéa 20(1)c) sont distincts (pertes ou profits financiers, d’un côté, et tort à sa compétitivité de l’autre).

Motifs, au paragraphe 38.

[41]           L’avocat du commissaire a soutenu que le juge a mal appliqué ces principes, et qu’il avait conclu à tort que la preuve de Calian était suffisante pour établir qu’il y avait un risque vraisemblable de préjudice, tel que prévu par l’alinéa 20(1)c). Se fondant sur la jurisprudence de notre Cour et de la Cour fédérale, il a été soutenu que la preuve à produire pour établir le droit à une exception au sens de l’alinéa 20(1)c) ne peut prendre la forme d’un affidavit dont le souscripteur se borne à affirmer que la divulgation causerait le type de préjudice exposé dans cette disposition (Merck, au paragraphe 227, confirmant l’arrêt 2009 CAF 166, aux paragraphes 84 à 86, 400 N.R. 1, citant SNC-Lavalin inc. c. Canada [Ministre des Travaux publics] [1994], 79 F.T.R. 113, au paragraphe 43, 49 A.C.W.S. [3d] 211 [C.F. 1re inst.]. Voir aussi Brainhunter [Ottawa]) Inc. c. Canada [Procureur général], 2009 CF 1172, au paragraphe 32, 182 A.C.W.S. [3d] 244; Toronto sun wah trading inc. c. Canada [Procureur général], 2007 CF 1091, au paragraphe 27, 62 CPR [4th] 337; AstraZeneca Inc. c. Canada [Ministre de la Santé], 2005 CF 1451, au paragraphe 90, [2005] A.C.F. no 1775, conf. par 2006 CAF 241, 353 N.R. 84; Wyeth-Ayerst Canada Inc. c. Canada [Procureur général], 2003 CAF 257, au paragraphe 20, 305 N.R. 317; Brookfield LePage Johnson Controls Facility Management Services c. Canada (Ministre des travaux publics et des services gouvernementaux), 2003 C.F.P.I. 254, au paragraphe 21, 121 A.C.W.S. [3d] 397, conf. par 2004 CAF 214, au paragraphe 18, 322 N.R. 388; Viandes du Breton Inc. c. Drainville [2000], 198 F.T.R. 233, au paragraphe 9, 107 A.C.W.S. [3d] 3 [CF 1re inst.]; Canadian Broadcasting Corp. c. National Capital Commission [1998], 147 F.T.R. 264, aux paragraphes 25 à 27, [1998] F.C.J. no 676 [C.F. 1re inst.] [Canadian Broadcasting Corp.]).

[42]           Je suis d’avis que le juge a correctement appliqué la grille d’analyse consacrée par la jurisprudence Merck, et qu’il n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en concluant que, sur la foi de la preuve à sa disposition, la communication des taux relatifs au personnel détaillés de Calian pouvait permettre à ses concurrents de « prendre gratuitement connaissance » des renseignements de Calian et « ferait pencher la balance » en sa défaveur (motifs, au paragraphe 58). Contrairement à la position défendue par le commissaire, le juge ne s’est pas borné à de simples assertions non fondées, comme celles qui figurent à l’affidavit du vice-président de Calian, M. Jerry Johnston. Après avoir lui-même apprécié les faits, le juge a tiré la conclusion que les taux relatifs aux employés, individuellement et collectivement, constituaient le facteur le plus déterminant du succès de la soumission de Calian et, partant, de sa position concurrentielle (motifs, au paragraphe 41). Il a aussi retenu le témoignage de M. Johnston portant que la détermination des taux relatifs au personnel reposait sur des renseignements salariaux confidentiels et exclusifs, sur d’autres renseignements que Calian avait obtenus directement de nombreux fournisseurs potentiels des services de main-d’œuvre spécialisée, ou qu’il avait négociés avec eux, de même que sur ses propres analyses opérationnelles des frais généraux, des autres frais et des profits (motifs, au paragraphe 45). L’absence de contre-interrogatoire et d’éléments de preuves contradictoires ne prouve rien dans un sens ou dans l’autre; cela dit, le juge pouvait examiner ces facteurs pour rechercher si Calian avait fait la démonstration d’un risque vraisemblable de préjudice.

[43]           Cela dit, le juge a commis une erreur en prenant l’historique des rapports entre les parties comme facteur à prendre en compte pour rechercher si l’information visée par la demande d’accès risquait vraisemblablement de résulter en des pertes financières appréciables pour Calian ou des gains pour ses concurrents, ou de nuire à la compétitivité de Calian. Voici ce que le juge observe à ce sujet (au paragraphe 51) :

Les défendeurs [les appelants devant notre Cour] ne sont pas d’accord, mais, à mon avis, l’inférence que l’on tire des relations antérieures des parties ainsi que de leur conduite est convaincante quant à ce qui est exigé à l’alinéa 20(1)c) de la Loi. En 2009, l’État a reconnu que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la divulgation des prix unitaires entièrement imputés cause une perte financière appréciable à la demanderesse, procure un gain financier appréciable à un concurrent ou nuise à la compétitivité de la demanderesse. Nous savons que les parties se sont fondées sur l’alinéa 20(1)c) en 2009, mais nous ignorons sur quelle(s) partie(s) de cette disposition le responsable de l’institution a fondé sa décision. Nous savons toutefois que le responsable de l’institution a expurgé de la divulgation les renseignements relatifs aux prix unitaires entièrement imputés, comme l’exige l’alinéa 20(1)c), et qu’il l’a fait même après avoir pris en compte la même clause de divulgation qu’invoquent maintenant les défendeurs [les appelants devant notre Cour].

[44]           Je retiens la thèse du commissaire comme quoi le juge n’aurait pas dû inclure ce témoignage dans les éléments pris en compte pour rechercher si l’exception prévue à l’alinéa 20(1)c) s’applique aux renseignements en cause dans les présents appels. Premièrement, nous ne savons pas pourquoi le responsable de l’institution gouvernementale a expurgé les taux relatifs au personnel des renseignements communiqués en 2009. Deuxièmement, le juge a tenu pour acquis que la décision précédente du MDN était correcte et contraignante. Troisièmement, et c’est l’élément plus crucial, l’existence d’un préjudice attribuable à la communication peut être établie à l’égard de documents précis visés par une demande d’accès, une appréciation qui tient à des faits précis et aux circonstances de chaque affaire.

[45]           Malgré ce vice de raisonnement, il était loisible au juge de conclure que les preuves dont il était saisi étaient suffisantes pour satisfaire à la norme consacrée par la jurisprudence Merck. Calian n’avait nullement à produire des éléments de preuve précis concernant ses concurrents ou leur capacité à lui livrer concurrence pour l’obtention de futurs marchés de services par suite d’un éventuel appel d’offres à commandes. Ni la Loi ni la jurisprudence n’imposent une norme aussi stricte.

[46]           La Cour suprême a clairement observé à l’occasion de l’affaire Merck qu’« [i]l revient au juge siégeant en révision de décider si la preuve démontre que la divulgation risquerait vraisemblablement de causer un préjudice du type visé à l’alinéa 20(1)c) » (au paragraphe 211). La Cour suprême ajoute que la divulgation de renseignements « dont on démontre la longueur d’avance qu’ils confèrent à la concurrence dans le développement de produits concurrents, ou l’avantage concurrentiel qu’ils offrent à cette dernière en ce qui concerne des opérations à venir, peut, en principe, satisfaire aux conditions prévues à l’al. 20(1)c) » (au paragraphe 219). Voilà exactement ce que le juge a conclu, en tenant compte des preuves obtenues « d’autres personnes » au sein de l’entreprise par un « cadre de rang très élevé » de Calian, que le juge estime digne de foi et crédible (motifs, aux paragraphes 74 et 59). Ces conclusions se situaient dans la gamme de celles que pouvait tirer le juge, et je ne trouve aucune raison de les remette en question.

[47]           Il en va de même de l’exception prévue par l’alinéa 20(1)d). Là encore, le juge a bien cerné les principes applicables et expliqué clairement que l’obstacle ou le tort causé aux négociations menées par un tiers « doit être probable et non simplement conjectural » (motifs, au paragraphe 80). Il a également retenu la thèse portant que la preuve concernant la concurrence plus vive ou la pression accrue de la concurrence ne suffit pas pour que soit établi un préjudice du type de ceux qui sont prévus par l’alinéa 20(1)d) risque vraisemblablement de se produire. Ces principes ont été appliqués de manière constante par la Cour fédérale, et je n’ai aucune raison de m’en écarter [voir les jugements Burnbrae, aux paragraphes 124 et 125; Oceans Ltd. c. Canada (Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers), 2009 CF 974, au paragraphe 64, 356 F.T.R. 106; 131 Queen Street Ltd. c. Canada (Procureur général), 2007 CF 347, aux paragraphes 42 et 43, 334 F.T.R. 298; Société canadienne des postes c. Commission de la capitale nationale, 2002 CFPI 700, au paragraphe 18, 115 A.C.W.S. [3d] 353 [C.F. 1re inst.]; Canadian Broadcasting Corp., aux paragraphes 28 et 29; Société Gamma Inc. c. Canada (Secrétaire d’État] [1994], 79 F.T.R. 42, au paragraphe 10, 47 A.C.W.S. [3d] 898 [C.F. 1re inst.]).

[48]           Appliquant ces principes, le juge a conclu qu’il était vraisemblable que deux types de pressions joueraient en défaveur de Calian, et risquaient de nuire à ses négociations avec ses employés et d’éventuels fournisseurs, séparément et cumulativement (motifs, au paragraphe 83). Plus précisément, le juge a conclu que si les taux relatifs au personnel, et notamment les taux unitaires précis, au micro-niveau, de Calian étaient divulgués, ses autres clients qui paient davantage chercheraient probablement à payer moins, et ses consultants spécialisés à obtenir des taux de rémunération supérieurs (motifs, au paragraphe 81).

[49]           L’avocat du commissaire a attaqué l’analyse du juge et  a soutenu que Calian n’avait pas produit d’élément de preuve précis de négociations réelles ou en cours avec d’autres clients ou concernant l’identité desdits clients. Le commissaire a aussi signalé l’absence de preuve relativement au pouvoir de négociation des employés actuels ou potentiels de Calian, ou à la probabilité qu’ils insistent pour obtenir des taux de salaire supérieurs par suite de la divulgation de ses taux relatifs au personnel.

[50]           Pour plusieurs des motifs énoncés ci-devant à l’égard de l’alinéa 20(1)c), je conclus que l’entrave aux négociations contractuelles ou d’une autre nature qui découlerait de la divulgation n’est pas conjecturale, mais qu’elle est fondée sur des éléments de preuve convaincants, crédibles et dignes de foi. Comme le fait remarquer le juge, M. Johnston s’est fondé sur une longue expérience et sur celles de collègues de son entreprise qu’il a consultés. Il compte plus de 25 années d’expérience chez Calian, et les appelants n’ont pas remis sa crédibilité en doute. Tout indique que les risques évoqués par M. Johnston dans son affidavit seraient accrus par le lancement d’un nouvel appel d’offres. Après avoir soigneusement examiné la jurisprudence sur laquelle les appelants fondent leur prétention, je ne suis pas convaincu que le degré de précision sur lequel ils insistent pour établir le risque vraisemblable de préjudice serait justifié. Comme il est souvent précisé par cette jurisprudence, il existe un élément de précision et de conjecture inhérent à l’établissement d’un risque vraisemblable de préjudice probable. Dans la mesure où la prédiction est fondée sur des faits vérifiables, des inférences crédibles et une expérience pertinente, elle est inattaquable. En conséquence, il était loisible au juge de conclure que Calian pouvait invoquer le droit à l’exception prévu par l’alinéa 20(1)d) pour demander que ses taux relatifs au personnel soient expurgés.

[51]           Et finalement, je ne vois aucune raison de modifier la conclusion du juge eu égard à l’alinéa 20(1)b). Le juge a conclu à juste titre que pour établir son droit à l’exception prévue, le demandeur doit démontrer que les renseignements visés remplissent le critère en quatre volets formulé dans la décision Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. no 453, au paragraphe 34, 16 A.C.W.S. (3d) 45 (C.F. 1re inst.), et résumé au paragraphe 41 de la décision St. Joseph Corp. c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2002 CFPI 274, 112 A.C.W.S. (3d) 812 (C.F. 1re inst.) :

1. il s’agit de renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques, selon le sens courant de ces termes;

2. ils sont de nature confidentielle, suivant un critère objectif qui tient compte du contenu des renseignements, de leurs objets et des conditions dans lesquelles ils ont été préparés et communiqués;

3. ils sont fournis à une institution fédérale par un tiers;

4. ils sont traités d’une manière confidentielle de façon constante par ce tiers.

[52]           Le juge a conclu que les premier et troisième volets du critère étaient réunis, mais pas le deuxième et le quatrième puisque Calian a consenti à une certaine forme, quoique limitée, de divulgation. Autrement dit, Calian n’a pas été en mesure de satisfaire à l’exigence de l’attente raisonnable de confidentialité de l’information communiquée étant donné que les taux relatifs au personnel, malgré leur nature confidentielle, ont été élaborés et communiqués suivant une certaine compréhension de la clause de divulgation qui, aux yeux de Calian, autorisait la divulgation à d’autres ministères.

[53]           Calian a soutenu que le consentement à divulguer des renseignements à d’autres ministères ne pouvait être assimilé à une renonciation catégorique à la confidentialité, dans la mesure où rien n’interdit que plusieurs ministères aient accès aux renseignements confidentiels d’une partie, mais qu’ils en empêchent la divulgation publique. Selon ma propre interprétation de la clause de divulgation, que j’exposerai en détail plus loin, elle ne limite pas la communication, ni explicitement ni implicitement, des taux relatifs au personnel à d’autres institutions gouvernementales, j’estime il n’y a pas lieu d’épiloguer sur les conclusions de Calian à cet égard.

[54]           Après avoir conclu que le juge a commis une erreur susceptible de contrôle aux fins de la question en litige A, je conviens avec le juge que TPSGC a aussi commis une erreur en concluant que les renseignements demandés ne pouvaient être assimilés à des renseignements de tiers visés par une exception en vertu de la Loi.

B.                 Quelle est l’interprétation juste de la clause de divulgation?

[55]           Jusqu’ici, j’ai discuté cette question comme si elle était assujettie exclusivement à l’application du paragraphe 20(1) de la Loi. Cependant, quid de la clause de divulgation qui fait partie intégrante de l’offre à commandes 2010-2014. Comme il a été noté précédemment, le juge a conclu que, en soi, la clause de divulgation ne fait pas entièrement obstacle aux exceptions que prévoit le paragraphe 20(1) de la Loi. Il était plutôt d’avis qu’il s’agit d’un facteur pertinent parmi d’autres pour rchercher ce à quoi peut vraisemblablement s’attendre un tiers selon les alinéas 20(1)c) et d). Voici ce qu’il observe à cet égard (motifs, au paragraphe 72) :

[…] Autrement dit, la Loi, en demandant ce qui « risquerait vraisemblablement » d’arriver, oblige la Cour à entreprendre une analyse exhaustive des circonstances pertinentes, et non l’examen tronqué et unidimensionnel que proposent les défendeurs [les appelants devant notre Cour]. Plus précisément, bien que je convienne que la Cour doit prendre en compte la clause de divulgation, il lui faut aussi évaluer l’historique des relations entre les parties, leurs expériences antérieures qui remontent à 1997, y compris la demande d’accès de 2009, la décision prise en 2009 de procéder à une expurgation, malgré une clause de divulgation essentiellement identique. Pour les mêmes motifs, la Cour doit aussi évaluer et prendre en considération la compréhension qu’a la demanderesse [l’intimée devant notre Cour] de la manière dont cette clause devrait être appliquée, et de la raison de son application. Il s’agit là des éléments de l’analyse requise au regard du critère de la loi.

[56]           Vu cette toile de fond, le juge a conclu qu’il fallait tenir compte de l’interprétation raisonnable de la clause de divulgation selon Calian, façonnée par sa longue expérience et ses discussions avec divers agents d’approvisionnement du gouvernement. Le juge a, par conséquent, retenu l’interprétation de Calian comme quoi la clause de divulgation autorisait TPSGC à communiquer ses taux relatifs au personnel à d’autres ministères, mais pas à ses concurrents ni au public. Voici les observations du juge à ce sujet (motifs, au paragraphe 76) :

Si on évalue l’affaire de manière générale, et à l’époque de la signature de l’offre à commandes 2010-2014, ce qui, je crois, est approprié, la demanderesse s’attendait raisonnablement à ce que toute demande d’accès concernant ses taux relatifs au personnel se solde par un résultat semblable à celui des demandes d’accès de 2009 et des autres, à la suite desquelles l’État avait expurgé des renseignements semblables en application de l’alinéa 20(1)c). En fait, il est probable qu’il s’agissait d’une expectative raisonnable des deux parties, car l’offre à commandes 2010-2014 datait essentiellement de la même époque que la décision, prise en 2009, de communiquer les dossiers après avoir procédé à des expurgations. Ces faits, de pair avec l’interprétation crédible et raisonnable de la demanderesse quant à la nature limitée de la clause de divulgation, et le fait que les taux en question n’ont pas été divulgués contre le gré de la demanderesse ont pour conséquence, à mon humble avis, de priver la clause de divulgation de l’effet déterminant que les défendeurs invoquent; la clause de divulgation ne porte pas un coup fatal à la présente demande.

[57]           Je constate pour ma part que ce raisonnement pèche sous plusieurs aspects. Premièrement, comme il a été dit auparavant, la jurisprudence est maintenant bien fixée : l’interprétation des contrats est une question de droit. Par son arrêt Ledcor, la Cour suprême enseigne que les expectatives raisonnables d’une partie et son intention subjective n’ont nulle pertinence dans l’analyse d’un contrat type. Il s’agit en effet d’un contrat qui ne résulte pas d’une réelle négociation. M. Johnston a lui-même admis qu’une offre ferme est [traduction] « une entente-cadre qui énonce les modalités et conditions négociées à l’avance en fonction desquelles une commande en particulier (une commande subséquente) peut être passée par des utilisateurs autorisés » (affidavit de Jerry Johnston, souscrit le 10 mars 2014, dossier d’appel, vol. 7, onglet 18, à la page 1412, paragraphe 7). Vu ce contexte, il serait illusoire de soutenir que des inférences quant à la signification d’un contrat peuvent être tirées des circonstances de sa formation ou de l’interprétation subjective de l’une des parties.

[58]           Qui plus est, il est essentiel d’interpréter les contrats types d’une manière uniforme. Le sens de la clause de divulgation d’une DOC ne peut être fonction de l’historique des relations de chaque soumissionnaire avec une institution gouvernementale, ni de l’interprétation subjective de sa signification. L’uniformité et la prévisibilité sont impératives pour assurer l’équité du processus pour tous les soumissionnaires.

[59]           D’ailleurs, le texte clair d’un contrat doit toujours avoir préséance sur les circonstances concomitantes, même si le contrat a résulté d’une négociation. Voici ce que la Cour suprême observe à cet égard par l’arrêt Sattva (au paragraphe 57) :

Bien que les circonstances soient prises en considération dans l’interprétation des termes d’un contrat, elles ne doivent jamais les supplanter. Le décideur examine cette preuve dans le but de mieux saisir les intentions réciproques et objectives des parties exprimées dans les mots d’un contrat. Une disposition contractuelle doit toujours être interprétée sur le fondement de son libellé et de l’ensemble du contrat. Les circonstances sous-tendent l’interprétation, mais le tribunal ne saurait fonder sur elles une lecture du texte qui s’écarte de ce dernier au point de créer dans les faits une nouvelle entente. [Références omises.]

[60]           En l’espèce, je retiens la thèse des appelants portant que la clause de divulgation est très claire. Peu importe qu’elle soit lue en elle-même ou au regard des Conditions générales, elle ne comporte aucune restriction explicite ou implicite quant au type de divulgation auquel consent le proposant pour ce qui a trait aux prix unitaires ou aux taux de l’offre à commandes. Cette interprétation va dans le sens de la jurisprudence de la Cour fédérale qui confirme que ce type de clause vaut consentement à la divulgation de documents à l’intérieur du gouvernement, mais également au grand public (voir Stenotran et Top Aces).

[61]           L’avocat de Calian a tenté d’opérer une distinction entre ces deux affaires fondée sur les faits. Il est vrai que, à l’occasion de l’affaire Top Aces, la Cour fédérale devait répondre à la question de savoir si une clause de divulgation équivalait à « consentement » aux fins de l’article 30 de la Loi sur la production de défense, L.R.C. 1985, ch. D-1, lequel soustrait les renseignements visés de la protection du paragraphe 24(1) de la Loi. Néanmoins, la clause de divulgation alors en question était presque identique à celle qui est en cause en l’espèce, et tant la Cour fédérale que notre Cour enseignent qu’elle équivaut à consentement par le tiers à la divulgation de ses prix unitaires, sans aucune restriction. Dans le même ordre d’idées, je retiens l’idée que, à l’occasion de l’affaire Stenotran, la Cour fédérale s’est appuyée sur une clause dont le texte était similaire, pour conclure que le tiers n’avait pas fait la démonstration que les renseignements en cause étaient confidentiels et donc interdits de divulgation en application de l’alinéa 20(1)b) de la Loi. Si cette conclusion ne porte pas expressément sur le consentement du tiers à la divulgation de ses renseignements, il n’en demeure pas moins qu’elle renforce l’application générale de la clause de divulgation controversée.

[62]           Outre le libellé explicite et les principes enseignés par cette jurisprudence, il existe d’autres raisons de conclure que la clause de divulgation doit s’interpréter comme un consentement implicite à la divulgation aux autres institutions gouvernementales et au public. Premièrement, la Loi n’opère nulle distinction entre la divulgation au sein de l’appareil gouvernemental et la divulgation au public. À défaut d’une indication contraire, explicite ou non, il faut présumer que la clause de divulgation incluse dans les Conditions générales était censée adhérer à l’intention et à l’esprit de la Loi.

[63]           Deuxièmement, la clause de divulgation serait superflue si son unique objet était de permettre aux ministères d’échanger entre eux les prix unitaires et les taux énoncés dans une offre à commandes. Aucune partie n’a soulevé la question à l’audience, mais le droit est clair : les ministères n’ont pas une personnalité juridique distincte de l’État, et ils constituent tout au plus des divisions administratives relevant d’un ministre intervenant pour le compte de l’État (voir René Dussault et Louis Borgeat, Administrative Law : A Treatise, 2e éd., Toronto, Carswell, 1985, à la page 85; Patrice Garant, Droit administratif, 6e éd., Cowansville, Québec, Éditions Yvon Blais, 2010, à la page 20, citant R. c. Wood [1877], 7 R.C.S. 634, à la page 645 [C. de l’É.]. Voir aussi Canada (Conseil des Ports Nationaux) c. Langelier, [1969] R.C.S. 60, à la page 71, 2 D.L.R. [3d] 81). Dans la mesure où les renseignements que Calian cherche à protéger ne sont visés par nulle restriction législative ou découlant d’une politique à l’égard de leur divulgation au sein du gouvernement (par exemple, une exception prévue à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21, qui interdit la communication des « renseignements personnels »), rien n’interdit aux ministères d’échanger ce type de renseignements.

[64]           D’ailleurs, le juge semble retenir dans ses motifs le principe voulant que les ministères soient des émanations de l’État quand il observe au paragraphe 50 que les offres à commandes 2003-2009 et 2010-2014 « mettaient en cause la même partie contractante gouvernementale, à savoir l’État (représenté par le MDN en 2003 et TPSGC en 2010) ». Il réitère quelques paragraphes plus loin quand il analyse la pertinence de la demande d’accès ce point de vue en 2009 et la décision que le MDN a prise alors d’expurger les renseignements. En réplique à la thèse des appelants portant que la décision rendue en 2009 l’avait été par un autre décideur et au sujet d’une autre question, le juge observe (au paragraphe 54) :

Ce ne sont pas là des raisons convaincantes pour priver la demanderesse [l’intimée devant notre Cour] de la protection qu’accorde la loi contre la divulgation publique des taux relatifs au personnel. Les institutions qui ont mis en œuvre et géré les processus de DOC ainsi que les processus visés par la Loi dont il est question en l’espèce sont essentiellement les mêmes, qu’il s’agisse du MDN, qui a procédé à l’expurgation en 2009, ou de TPSGC, qui a refusé de le faire en 2014. L’autorité exécutive dans les deux cas est l’État, agissant par l’entremise du responsable de l’institution compétent. Accepter le contraire reviendrait à voir la forme l’emporter sur le fond. Il n’existe aucune preuve que le transfert des services délégués de gestion ou d’administration des marchés du MDN à TPSGC a fait une différence quelconque pour l’issue de la présente affaire, car la nature des renseignements est la même. Et, comme il a déjà été mentionné, les clauses de divulgation sont essentiellement identiques. [Non souligné dans l’original.]

[65]           Par conséquent, si l’État est gestionnaire du processus d’approvisionnement et l’autorité contractante ultime, je ne vois pas pourquoi une clause de divulgation serait requise pour autoriser les ministères à échanger entre eux des renseignements figurant dans une soumission. Si tel était le cas, la clause de divulgation serait superflue et dépourvue de sens, car elle ne servirait qu’à confirmer l’évidence. Il me semble donc que l’interprétation correcte de la clause de divulgation, qui découle non seulement de son texte clair explicite, mais également du régime et de l’objet généraux de la Loi, ainsi que des principes de base du droit administratif, est qu’elle autorise la divulgation à la fois au sein du gouvernement et au grand public.

[66]           Je conclus donc que le juge a commis une erreur en retenant l’interprétation subjective que fait Calian de la portée de la clause de divulgation au lieu de se limiter au texte non équivoque de celle-ci et d’adhérer à l’interprétation qu’a donnée la jurisprudence à des clauses formulées de manière similaire. Cette démarche l’a conduit à une interprétation trompeuse et trop restrictive de la clause de divulgation, qui a par la suite voilé son appréciation globale de la Loi.

[67]           J’irais même jusqu’à ajouter que l’interprétation que fait le juge de la clause de divulgation est incorrecte et que, de surcroît, elle ne résiste pas à un contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. Même en admettant que les circonstances puissent entrer en ligne de compte dans l’interprétation des modalités d’un contrat type, il est impossible d’appliquer l’interprétation subjective de la clause de divulgation selon Calian dans le cadre de l’affaire dont nous sommes saisis, pour la simple raison que rien ne permet de penser que le gouvernement puisse souscrire à celle-ci.

[68]           Dans son affidavit, M. Johnston affirme que le gouvernement a toujours protégé les taux de facturation détaillés énoncés dans les contrats, et il accorde une grande importance à la demande d’accès adressée au MDN en 2009. Le juge a retenu le témoignage de M. Johnston, et notamment sa déclaration portant que Calian « s’attendait raisonnablement à ce que toute demande d’accès concernant ses taux relatifs au personnel se solde par un résultat semblable à celui des demandes d’accès de 2009 et d’autres, à la suite desquelles l’État avait expurgé des renseignements semblables en application de l’alinéa 20(1)c) » (motifs, au paragraphe 76). Pourtant l’examen attentif de ce qui s’est véritablement produit en 2009 appelle une appréciation plus nuancée du traitement accordé auparavant à la clause de divulgation par le MDN.

[69]           En réponse à la demande qu’a adressée le MDN à Calian concernant sa position et ses recommandations concernant la divulgation des renseignements visés par la demande d’accès de 2009, l’avocat de Calian a fait état de plusieurs motifs d’opposition à la divulgation de ses prix unitaires. Dans une lettre offrant à Calian la possibilité de présenter des observations relativement à la divulgation du contrat, le MDN lui avait signalé que depuis le 15 août 2006, les offres à commandes étaient soumises aux conditions générales qui font partie intégrante des contrats d’approvisionnement et qui incluent une clause de divulgation type. L’avocat de Calian a répondu que des modifications rétroactives aux conditions générales ne pouvaient pas donner ouverture à un droit ni à une obligation du MDN de divulguer des renseignements sur les prix de Calian si les modalités afférentes n’étaient pas incorporées par renvoi au contrat initial. Calian a admis qu’une clause similaire figurait au projet de contrat soumis pour examen, mais note que celui-ci n’avait pas été signé (voir la pièce D jointe à l’affidavit de Jerry Johnston, souscrit le 10 mars 2014, dossier d’appel, vol. 7, onglet 18, à la page 1483).

[70]           Dans ses observations présentées au MDN, Calian fait également état de son interprétation de la clause de divulgation en cause relativement à la demande d’accès de 2009, et notamment pour ce qui concerne la divulgation des « prix unitaires ou des taux », selon laquelle seule est demandée la divulgation des taux de base de l’État (déjà indiqués dans la DOC), et non des taux entièrement imputés proposés par Calian ou l’un quelconque de ses concurrents (voir la pièce D jointe à l’affidavit de Jerry Johnston, souscrit le 10 mars 2014, dossier d’appel, vol. 7, onglet 18, à la page 1483).

[71]           Après de nouvelles discussions au sujet des renseignements confidentiels sur ses prix et l’expurgation proposée par Calian, le MDN a finalement refusé de communiquer les taux entièrement imputés, sans toutefois expliciter les raisons de sa décision. Dans de telles circonstances, je ne puis retenir l’inférence du juge portant que la décision du MDN était fondée sur son approbation de l’interprétation restrictive de la clause de divulgation de Calian. En l’absence de preuve en sens contraire, la démarche du MDN pourrait s’expliquer de multiples façons, y compris le fait que les conditions générales ne pouvaient jouer rétroactivement et qu’une clause figurant dans un contrat non signé n’a pas force exécutoire. Comme le soutenait le commissaire, il se peut même que le MDN ait conclu que le contrat non signé avec Calian ne pouvait être visé par la partie de la demande d’accès de 2009 concernant une « copie d’un contrat existant » (demande d’observations à l’égard de la demande d’accès de 2009, pièce C jointe à l’affidavit de Jerry Johnston, souscrit le 10 mars 2014, dossier d’appel, vol. 7, onglet 18, à la page 1479 [italique dans l’original]). Compte tenu de l’éventail de raisons pour lesquelles le MDN a pu refuser de divulguer les renseignements demandés, le juge a commis une erreur manifeste et dominante en concluant qu’au vu du traitement antérieur, il fallait donner préséance à l’interprétation de la clause de divulgation proposée par M. Johnston. L’erreur est d’autant plus flagrante si l’on pense que Calian n’a jamais demandé à des fonctionnaires du ministère si son interprétation de la clause de divulgation allait dans le sens de celle du gouvernement.

C.                 De quelle manière la clause de divulgation interagit-elle avec le régime législatif?

[72]           J’ai déjà conclus que la clause de divulgation valait consentement à la communication publique de renseignements par ailleurs visés par une exclusion en vertu de la Loi. Comme je l’ai également signalé, le juge a conclu, par une remarque incidente, que d’autres motifs appelaient l’annulation de la décision de communiquer les taux relatifs au personnel. Selon lui, le responsable de l’institution gouvernementale n’a pas respecté l’obligation que lui impose la Loi d’envisager d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser de divulguer des renseignements, lequel pouvoir découle du mot « peut »figurant au paragraphe 20(5). Selon moi, la conclusion du juge à ce sujet est juste, mais pas pour les mêmes raisons que celles qu’il expose.

[73]           Aux paragraphes 94 et 95 de ses motifs, le juge soutient que le raisonnement exposé par notre Cour à l’occasion de l’affaire Attaran c. Canada (Affaires étrangères), 2011 CAF 182, 337 D.L.R. (4th) 552, au sujet de l’exemption discrétionnaire prévue par le paragraphe 15(1) de la Loi s’applique à l’espèce, pour la raison que les deux dispositions sont formulées de manière très semblable. En toute déférence, on ne peut établir d’analogie entre ces deux dispositions. Certes, les deux commandent au responsable de l’institution gouvernementale d’exercer son pouvoir discrétionnaire, mais elles jouent dans des circonstances très différentes. Le paragraphe 15(1) permet au responsable d’une institution gouvernementale de « refuser la communication » de documents, tandis que le paragraphe 20(5) lui permet de « communiquer » un document visé par l’une des exceptions énoncées au paragraphe 20(1), mais seulement si le tiers que les renseignements concernent y consent. Autrement dit, le paragraphe 20(5) ne prévoit pas un nouveau motif (discrétionnaire) d’exclusion qui s’ajouterait à ceux qui découlent du paragraphe 20(1). C’est même tout le contraire, puisqu’il autorise la communication d’un document qui pourrait autrement être exclus si le tiers visé accepte cette ligne de conduite. C’est exactement le cas de figure qui est en cause en l’espèce.

[74]           Le pouvoir discrétionnaire accordé au responsable d’une institution gouvernementale cadre tout à fait avec l’objet de la Loi, qui est censée octroyer un droit général d’accès aux renseignements contenus dans des documents qui relèvent du gouvernement, sous réserve de certaines exceptions indispensables mais limitées (article 2 de la Loi). Si le tiers dont l’information est protégée par une exception au droit d’accès consent à sa divulgation, les objectifs d’une politique gouvernementale peuvent appeler le maintien du refus de la divulguer. L’article 19 de la Loi repose sur la même logique : il protège les renseignements personnels. Aux termes du paragraphe 19(2), le responsable d’une institution gouvernementale peut donner communication de documents contenant des renseignements visés par l’exception obligatoire s’appliquant aux renseignements personnels si, notamment, « l’individu qu’ils concernent y consent » [alinéa 19(2)a)].

[75]           Puisque tel est le cas en l’espèce, je suis d’avis que le juge a eu raison de conclure que les décisions doivent être annulées parce qu’il n’a pas été tenu compte du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 20(5). TPSGC a décidé que Calian n’ayant nul droit d’invoquer une exception eu égard à ses taux relatifs au personnel, nul pouvoir discrétionnaire résiduel ne lui permettait de refuser la divulgation de l’information demandée. En concluant que les exceptions ne jouaient pas, je suis d’avis que TPSGC a rendu une décision fondée sur une interprétation incorrecte de la clause de divulgation. Dans sa première décision fondée sur l’article 28, TPSGC a noté que la clause ne permettait pas à Calian de « considérer qu’il s’agissait de renseignements relatifs à un tiers qui nuiraient à votre compétitivité, et nous sommes donc tenus de les communiquer » (voir la décision fondée sur l’article 28, pièce H jointe à l’affidavit de Jerry Johnston, souscrit le 10 mars 2014, dossier d’appel, vol. 7, onglet 18, à la page 1565). Comme il est signalé plus haut, il appert que TPSGC a interprété la clause de divulgation comme faisant entièrement obstacle aux exceptions applicables aux renseignements de tiers et, partant, qu’il n’avait aucun pouvoir discrétionnaire résiduel en vertu du paragraphe 20(5) de la Loi.

[76]           Avec égards, ni le libellé de la clause ni le régime législatif ne vont dans le sens de cette interprétation. En fait, elle découle d’un amalgame bancal entre le libellé et l’effet de la clause. La clause de divulgation se borne à stipuler que le proposant consent à la communication de certains renseignements qui pourraient par ailleurs faire l’objet d’une exclusion prévue par la Loi. Comme je l’ai déjà dit, il s’ensuit forcément qu’il doit d’abord être recherché si lesdits renseignements seraient effectivement exemptés par la Loi, n’eût été de cette clause. En conséquence, nul ne peut affirmer que cette clause interdit de qualifier une information de renseignements confidentiels de tiers, ni qu’elle empêche automatiquement les parties qui y adhèrent en la signant de faire valoir les exceptions prévues dans la Loi. Autrement dit, la clause n’a pas pour effet d’empêcher l’application des exceptions énoncées au paragraphe 20(1) : elle signifie plutôt que si celles-ci jouent, le tiers consent néanmoins à la divulgation.

[77]           En assimilant la clause de divulgation à une renonciation aux exceptions du paragraphe 20(1), TPSGC va à l’encontre du régime législatif. Je suis plutôt d’avis qu’en acceptant la clause de divulgation, la partie donne tout au plus l’autorisation prévue au paragraphe 20(5) de la Loi. Le législateur avait nettement envisagé les circonstances dans lesquelles une information autrement considérée comme un renseignement confidentiel de tiers pouvait être divulguée moyennant un consentement, et je me dois de donner effet à cette intention. En prévoyant l’application discrétionnaire de cette disposition, le législateur a voulu nous dire sans équivoque que, dans certaines circonstances, le responsable d’une institution gouvernementale pourrait refuser de divulguer des renseignements demandés, même si leur divulgation avait été autorisée. Il est facile de penser à des cas de figure dans lesquelles la divulgation de renseignements demandés serait malvenue même si un consentement a été donné. En envisageant ainsi l’interaction de la clause de divulgation et du régime législatif, il devient clair que les motifs d’une décision fondée sur l’article 28 doivent faire la démonstration que le responsable d’une institution gouvernementale a envisagé le pouvoir discrétionnaire que lui réserve le paragraphe 20(5). Tel n’est pas le cas en l’espèce.

[78]           TPSGC a décidé, sur la foi d’une lecture erronée de la clause de divulgation, qu’il devait ordonner la divulgation parce que Calian avait renoncé au régime d’exceptions prévu au paragraphe 20(1) de la Loi. Ce faisant, TPSGC a incorrectement interprété les modalités de la clause de divulgation, sans tenir compte de la situation dans laquelle se trouvait manifestement Calian et qui est codifiée par le paragraphe 20(5). TPSGC a par conséquent omis d’envisager le pouvoir discrétionnaire que lui accorde cette disposition. C’est cette erreur susceptible de contrôle qui justifie que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen.

VII.            Conclusion

[79]           Pour tous les motifs exposés ci-devant, je suis d’avis que le cadre approprié dans lequel les paragraphes 20(1) et 20(5) de la Loi doivent être appliqués en présence d’une clause de divulgation de cette nature exige que le responsable d’une institution gouvernementale (1) recherche si les renseignements seraient par ailleurs visés par une exception prévue dans la Loi, et (2) qu’il décide ensuite si les circonstances militent contre leur divulgation au grand public, sans égard au consentement donné à cet égard. Tant le juge que TPSGC ont incorrectement interprété la clause de divulgation. Si l’analyse correcte avait été effectuée, il aurait été constaté que la clause constituait un consentement de Calian à la divulgation publique de renseignements autrement exemptés en vertu du paragraphe 20(5) de la Loi, et l’exercice du pouvoir discrétionnaire octroyé par cette disposition aurait été déclenché. À titre de responsable d’une institution gouvernementale, TPSGC a commis une erreur susceptible de contrôle en omettant d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui accorde cette disposition.


[80]           J’accueillerais la demande d’appel en partie, et j’annulerais la décision de la Cour fédérale. Selon la décision qu’aurait dû rendre la Cour fédérale, j’accueillerais les demandes de contrôle judiciaire, et je renverrais les questions à TPSGC pour qu’il procède à un nouvel examen, conformément aux présents motifs. Les parties sont autorisées à présenter leurs observations relativement à l’exercice approprié du pouvoir discrétionnaire de TPSGC. Enfin, étant donné que l’appel a été accueilli en partie seulement, aucuns dépens ne devraient être accordés.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J. Woods, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-20-16

 

 

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. CALIAN LTD. ET LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

 

 

ET DOSSIER :

A-31-16

 

 

INTITULÉ :

LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA c. CALIAN LTD. ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 janvier 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Kirk Shannon

 

Pour le procureur général du Canada 

 

Nicholas McHaffie

 

Pour Calian Ltd.

 

Richard G. Dearden

Patricia Boyd

POUR LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour CALIAN LTD.

 

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Commissariat à l’information du Canada

Gatineau (Québec)

POUR LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

 

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