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Date : 20170719


Dossier : A‑115‑16

Référence : 2017 CAF 159

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NEAR

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

MICHAEL SAWYER

appelant

et

TRANSCANADA PIPELINE LIMITED et PRINCE RUPERT GAS TRANSMISSION LTD. et L’OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE

intimés

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 30 janvier 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20170719


Dossier : A‑115‑16

Référence : 2017 CAF 159

CORAM :

LE JUGE NEAR

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

MICHAEL SAWYER

appelant

et

TRANSCANADA PIPELINE LIMITED et PRINCE RUPERT GAS TRANSMISSION LTD. et L’OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]  Le paragraphe 12(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. 1985, ch. N‑7 (la Loi), autorise l’Office national de l’énergie à examiner, entendre et trancher les questions soulevées par tout cas où il estime « que les circonstances peuvent l’obliger, dans l’intérêt public », à rendre une ordonnance ou une décision. L’appelant, M. Sawyer, était d’avis que le pipeline de 900 kilomètres proposé par les sociétés intimées devait être assujetti à la compétence et à l’examen réglementaire de l’Office. L’Office n’était pas du même avis. Il a conclu que M. Sawyer n’avait pas établi une [traduction« preuve prima facie » que le pipeline était un ouvrage ou une entreprise de nature fédérale au sens de l’alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 et que, partant, l’Office n’avait donc pas compétence. M. Sawyer interjette appel de cette décision.

[2]  Le paragraphe 12(1) de la Loi confère à l’Office « compétence exclusive » pour décider si une enquête serait dans l’intérêt public. Les décisions relatives à l’intérêt public rendues dans un cadre réglementaire mettent en jeu des facteurs discrétionnaires relevant en général de l’expertise de l’Office, et le paragraphe 22(1) de la Loi limite les appels des décisions de l’Office interjetés devant notre Cour aux questions de droit ou de compétence. La portée de l’intervention des cours d’appel à l’égard d’une décision rendue au titre du paragraphe 12(1) est donc limitée.

[3]  Le cas d’espèce est particulier. L’Office a défini l’intérêt public uniquement en fonction d’une question de constitutionnalité, c’est‑à‑dire la question de savoir si le pipeline proposé par les sociétés intimées constituait un ouvrage ou une entreprise de nature fédérale visé par l’alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle. Si l’Office avait jugé qu’une preuve prima facie de compétence avait été établie, il aurait tenu une audience en bonne et due forme sur cette question. Ce n’est qu’après l’audience, et seulement si l’Office avait conclu qu’il avait compétence, que le processus d’examen réglementaire aurait été déclenché.

[4]  En l’espèce, l’Office a conclu qu’une preuve prima facie n’avait pas été établie et que le pipeline ne relevait pas de la compétence législative du Parlement. Une décision définitive a donc été rendue sur une question de compétence constitutionnelle.

[5]  Comme on pouvait s’y attendre, l’appelant et les intimés avaient des opinions divergentes sur la nature de la décision en question. L’appelant a mis l’accent sur le fond de la décision, c’est‑à‑dire sur le fait qu’elle portait sur une question de constitutionnalité et a par conséquent soutenu que la décision soulevait une question de droit et qu’elle était assujettie à la norme de la décision correcte. Les intimés, pour leur part, ont qualifié la décision de décision discrétionnaire liée à la fonction de gardien, c’est‑à‑dire une décision que l’Office pouvait prendre dans le cadre de son pouvoir de délimiter sa compétence et de gérer son propre emploi du temps. Cependant, l’argument présenté à la Cour portait principalement sur la question de savoir si l’Office était arrivé, bien que de façon préliminaire, à la bonne conclusion concernant la question constitutionnelle de fond, à savoir si le projet de pipeline était un ouvrage ou une entreprise visé par l’alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle. À mon avis, l’argument présenté à la Cour reflétait la nature de la décision rendue par l’Office, qui est, fondamentalement, une décision sur une question constitutionnelle.

[6]  À l’instar des intimés, je suis d’avis que le paragraphe 12(1) de la Loi confère à l’Office un vaste pouvoir discrétionnaire dont l’exercice soulève rarement une question de droit ou de compétence. Il est facile d’entrevoir les situations où l’intérêt public appuierait la décision de ne pas entendre une demande : l’audience est prématurée, une autre décision est en instance, des modifications réglementaires ou législatives sont en instance, les parties ont demandé que la demande soit mise en suspens pour des motifs commerciaux ou opérationnels, la demande est frivole ou vexatoire, etc. L’Office peut même refuser de statuer sur la question préliminaire de compétence lorsque le dossier est insuffisant. Toutefois, aucune de ces considérations n’était en jeu en l’espèce. La décision de l’Office à l’égard de l’intérêt public reposait entièrement sur le résultat de l’analyse constitutionnelle.

[7]  Le fait de définir l’intérêt public entièrement en fonction de la question de la constitutionnalité, qui est une question de droit et de compétence, a entraîné l’application de la norme de révision correspondant aux décisions portant sur des questions d’ordre constitutionnel. La constitutionnalité est l’une des rares questions qui demeurent assujetties à la norme de la décision correcte. C’est le cas depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 58, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir], et il en est encore de même aujourd’hui : Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293 [Edmonton East].

[8]  La raison d’être de ce principe est que l’analyse juridique de la constitution ne fait pas partie de l’expertise de l’Office : Dunsmuir, par. 58 à 61; Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l’énergie), [1998] 1 R.C.S. 322, par. 40 [Westcoast Energy]). Ce point est mis en évidence par le fait que, selon la prémisse qui sous‑tend la déférence, c’est‑à‑dire l’existence d’un éventail d’issues possibles, des personnes raisonnables peuvent avoir des opinions différentes, mais également acceptables, sur la même question : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471. La gouvernance de la fédération canadienne serait mal servie par l’application de la déférence (et sa tolérance à l’égard des issues divergentes mais également justifiables) à la question de la compétence législative.

[9]  L’objet de l’article 12 n’est pas d’écarter des cas où l’Office a compétence. L’Office n’a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser d’entendre les affaires qui relèvent de sa compétence, peu importe l’interprétation large qui peut être faite des termes « où il estime ». L’inverse est également vrai. L’Office n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’enquêter sur des affaires qui ne relèvent pas de sa compétence. Une fois que l’Office décide qu’une affaire relève de sa compétence, la nature, l’étendue et la date de toute audience seraient soumises aux considérations visées à l’article 12, que j’ai mentionnées plus haut.

[10]  Accepter qu’il s’agisse en l’espèce d’un simple exercice discrétionnaire du pouvoir de l’Office soustrairait pour ainsi dire les décisions de jure et de facto d’ordre constitutionnel d’un examen judiciaire valable et opportun. Pour cette raison, je ne souscris pas à l’argument de TransCanada Pipeline Limited (TransCanada) selon lequel la décision est simplement [traduction« un guide » en vue de l’exercice du pouvoir discrétionnaire et qu’elle échappe donc au contrôle. Que la question de la constitutionnalité s’inscrive dans le cadre d’une question préliminaire et que le fardeau de la preuve applicable soit moins lourd ne changent pas la question de fond sous‑jacente dont l’Office était saisi, soit celle de savoir s’il existe une cause défendable en matière de constitutionnalité. Même si elle est présentée sous la forme d’une décision sur l’intérêt public, il s’agit d’une décision sur un point de droit ou sur la compétence.

[11]  Cela étant dit, il n’est pas interdit à l’Office, dans certaines circonstances, de refuser d’entendre une affaire lorsque la constitutionnalité est en litige. Dans ce cas, toutefois, il doit le faire en formulant correctement les principes de preuve et les principes constitutionnels applicables de telle sorte que la Cour puisse s’acquitter de ses responsabilités en matière d’appel.

[12]  Pour conclure, les pouvoirs discrétionnaires doivent être exercés conformément à la loi, et, ayant défini la question de l’intérêt public comme dépendant uniquement de la réponse à la question de savoir s’il existait une preuve prima facie que le pipeline relevait de la compétence fédérale, l’Office devait appliquer correctement les principes juridiques régissant l’alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle. Vu sous un autre angle, l’Office examinait la portée de sa compétence, ce qui correspond à l’alinéa 92(10)a). À tous égards, l’Office a commis une erreur dans son appréciation et son application du critère de la preuve prima facie au moment de définir son mandat, de même que dans l’analyse juridique de la question constitutionnelle. Les erreurs sont visées par l’article 22 de la Loi : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, par. 16 à 28.

[13]  Avant d’approfondir ces erreurs, je décrirai brièvement le projet et la décision de l’Office.

I.  Aperçu du projet et de la décision de l’Office

[14]  La proposition de TransCanada vise le transport du gaz du bassin sédimentaire de l’Ouest canadien (BSOC) situé dans le Nord‑Est de la Colombie‑Britannique et le Nord‑Ouest de l’Alberta vers une installation d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) située sur l’île Lelu, sur la côte du Pacifique, au large de la Colombie‑Britannique (l’usine de GNL). Là, le gaz naturel serait liquéfié, puis expédié aux marchés internationaux. Il y a deux composantes à ce projet.

[15]  Premièrement, le réseau de NOVA Gas Transmission Ltd. (NGTL) serait prolongé vers le nord par la canalisation principale North Montney (canalisation NM), un projet de 1,7 milliard de dollars, jusqu’aux champs situés dans le BSOC. Le gaz de la canalisation NM entrerait dans le pipeline de Prince Rupert Gas Transmission (PRGT) au point Mackie Creek (appelé [traduction« l’interconnexion » Mackie Creek par l’Office), près de Hudson’s Hope, en Colombie‑Britannique, et il continuerait jusqu’à l’installation d’exportation de GNL proposée.

[16]  Il n’est pas contesté que la canalisation NM et le réseau de NGTL sont assujettis à la réglementation fédérale, tout comme l’usine de GNL située sur l’île Lelu.

[17]  La décision de l’Office portée en appel concerne le pipeline de PRGT. L’Office a déjà conclu que la canalisation NM était assujettie à la compétence réglementaire fédérale.

[18]  L’usine de LNG de Pacific North West située sur l’île Lelu a fait l’objet d’un examen réglementaire fédéral et elle a été approuvée par l’Office. L’Office a délivré une licence d’exportation à Petroliam Nasional Berhad (Petronas) pour l’exportation de 19,68 millions de tonnes métriques de GNL par an : Canada, « Rapport de l’Office national de l’énergie relativement à NOVA Gas Transmission Ltd. », GH‑001‑2014 [Calgary : Office national de l’énergie, 2015], p. 49 [la décision concernant NM]. Le plus important tenant à bail dans la région de North Montney est Progress Energy Canada Ltd. (mémoire des faits et du droit de l’appelant, par. 15 et 16), qui appartient indirectement à Petronas.

[19]  L’Office a relevé plusieurs facteurs tendant à établir la compétence fédérale :

  1. Il existe un lien physique entre les deux entreprises sous réglementation fédérale.

  2. TransCanada est propriétaire du pipeline de PRGT, du réseau de NGTL sous réglementation fédérale et du prolongement de la canalisation NM.

  3. Le pipeline de PRGT et la canalisation NM sont régis par le même centre de contrôle des opérations.

  4. Le pipeline de PRGT ne sera pas construit sans le prolongement de la canalisation NM.

  5. L’acheminement gazier et la conception du réseau de NGTL sous réglementation fédérale pourraient être différents sans le projet.

  6. Il existe une relation commerciale mutuellement avantageuse entre le projet et le réseau de NGTL sous réglementation fédérale.

  7. Le gaz du pipeline de PRGT viendra de la canalisation NM et du réseau de NGTL.

[20]  TransCanada concède que la canalisation NM est réglementée par le gouvernement fédéral et que, si elle est construite, elle se raccordera au réseau de NGTL sous réglementation fédérale de TransCanada.

[21]  Après avoir énuméré ces facteurs, l’Office a conclu qu’ils n’étaient pas [traduction« suffisants » pour établir une preuve prima facie. Il n’a pas expliqué pourquoi. Il a également mentionné que le pipeline de PRGT comptera sur le gaz du réseau sous réglementation fédérale, mais encore une fois il a simplement dit qu’à son avis cela ne constituait pas un [traduction« motif suffisant » pour qu’une installation entièrement située dans une province relève de la compétence fédérale.

[22]  Dans de très brefs motifs, l’Office a conclu que le pipeline de PRGT était de nature « locale ». Il a noté que [traduction« la compétence fédérale ne devrait pas être interprétée de manière trop large et incompatible avec son objet » et que le pipeline de PRGT visait le [traduction« transport de gaz entre deux points situés en Colombie‑Britannique afin de répondre aux besoins d’un seul expéditeur ». L’Office a conclu que le pipeline de PRGT était ainsi différent sur le plan fonctionnel du réseau de NGTL. En effet, le réseau de NGTL fournit lui aussi un service de transport du gaz (et dans certains cas un service interprovincial), mais ce service est offert à plusieurs clients sous le régime d’une entente commerciale différente.

[23]  L’Office a fait ressortir deux facteurs permettant de qualifier le projet comme un ouvrage ou une entreprise de nature locale. Il a examiné l’entente commerciale conclue entre TransCanada et Progress Energy. Il a également déclaré que les deux projets (le pipeline de PRGT et le réseau de NGTL) avaient des équipes de gestion différentes. Comme je l’expliquerai plus loin, l’Office a commis une erreur de droit en s’appuyant sur ces facteurs, peu importe s’il les a jugés déterminants ou, comme il l’a affirmé, s’il était d’avis qu’ils [traduction« l’emportaient » sur les facteurs énumérés antérieurement et établissant une preuve prima facie de la compétence fédérale. Ce qui est en cause ici, ce n’est pas l’importance ou l’appréciation de la preuve; c’est plutôt la compréhension et l’application du cadre constitutionnel à la lumière duquel les faits doivent être considérés.

II.  Erreur dans l’application du critère de la preuve prima facie

[24]  Je me pencherai d’abord sur la compréhension de l’Office du critère de la preuve prima facie.

[25]  En adoptant le critère de la preuve prima facie, l’Office a reconnu que la nature de la preuve et la profondeur de l’analyse étaient très différentes de celles qui s’appliqueraient à une décision sur le fond. L’Office a estimé que la preuve prima facie aurait préséance, à moins que d’autres éléments de preuve l’emportent sur celle‑ci.

[26]  Selon l’Office, la preuve prima facie en est une qui est établie à première vue ou, comme les avocats de TransCanada l’ont affirmé, sur la base d’une première impression. Je souscris à cette définition. Dans le contexte de l’application de ce critère, il est entendu que l’Office ne devrait pas examiner de façon approfondie le fond de l’affaire. Il devrait uniquement se pencher sur la question de savoir si, à première vue, le projet relève d’un champ de compétence fédérale. En appliquant le critère de la preuve prima facie, la Cour examine la preuve sans tirer une conclusion définitive : Marcotte c. Longueuil (Ville), 2009 CSC 43, par. 23, [2009] 3 R.C.S. 65 [Marcotte]. Comme le juge LeBel l’a observé dans l’arrêt Marcotte, au paragraphe 90, le critère de la preuve prima facie est semblable au critère en matière d’injonction; il consiste en un examen très limité du fond de l’affaire et il s’agit du critère juridique applicable.

[27]  Le critère de la preuve prima facie vise à démontrer l’existence d’une cause défendable : Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3 [Vivendi]. Fait important, le tribunal qui applique le critère de la preuve prima facie ne doit pas se pencher sur le fond du litige au moyen de l’appréciation et de la pondération de la preuve. Cela vient plus tard : RJR‑‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 111 D.L.R. (4th) 385; Vivendi, par. 37). Ces critères reflètent le fait que, à cette étape préliminaire, l’Office n’est pas saisi de toute la preuve pertinente, et les éléments de preuve dont il est saisi n’ont pas été vérifiés. Par ailleurs, les parties concernées ne sont pas toutes devant l’Office. En l’espèce, aucun avis n’a été signifié aux procureurs généraux.

[28]  L’Office a mal compris et mal appliqué le critère de la preuve prima facie. Il a procédé à un examen au fond de la preuve comme il l’aurait fait dans le cadre d’une audience complète sur la compétence, ce qui a donné lieu à une erreur de droit. En indiquant que les éléments de preuve contraires [traduction« l’emportaient » sur la preuve prima facie de compétence, l’Office a évalué les éléments de preuve contradictoires et les arguments de nature constitutionnelle, et il n’a pas suivi les recommandations de la Cour suprême du Canada sur la façon d’appliquer le critère de la preuve prima facie. Il ne s’est pas demandé si une cause défendable avait été établie; il a répondu à la question sous‑jacente. Cette façon de faire est également incompatible avec l’objet de l’article 12, qui est d’exclure les causes ne méritant pas d’être instruites ou de gérer l’emploi du temps de l’Office, et non d’éviter les audiences qu’il a le mandat légal d’entendre.

[29]  En particulier, je fais remarquer que l’Office n’a pas relevé de lacunes dans l’argument avancé par l’appelant et n’a pas non plus indiqué qu’il manquait des éléments de preuve essentiels pour faire valoir une cause défendable. L’Office a plutôt conclu qu’il n’était pas [traduction« convaincu » que les pipelines seraient intégrés sur le plan fonctionnel et exploités en commun en tant qu’entreprise unique, comme il est expliqué dans l’arrêt Westcoast Energy, par. 45.

[30]  À ce stade, il n’incombait pas à l’appelant de « convaincre » l’Office que le pipeline ferait partie intégrante d’une entreprise unique. Le seul fardeau de l’appelant consistait à présenter un argument défendable selon lequel c’était possible, et ce fardeau de la preuve n’est pas lourd : Vivendi.

[31]  Dans le contexte de la preuve prima facie, je me pencherai maintenant sur la référence indirecte de l’Office à l’arrêt Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407 [Fastfrate]. Après avoir examiné les éléments de preuve à l’appui de l’alinéa 92(10)a), l’Office a fait référence à l’arrêt Fastfrate, en particulier aux paragraphes 31 à 39 et 68 de cet arrêt. L’Office a mentionné qu’il [traduction« savait que la compétence fédérale ne devrait pas être interprétée de manière trop large et incompatible avec son objet ».

[32]  On ne sait pas vraiment pourquoi l’Office a parlé de cet arrêt, ni quel est le lien avec la compréhension de l’Office à l’égard du contenu du critère de la preuve prima facie ou de l’alinéa 92(10)a). Cependant, la structure des motifs de l’Office étaye l’idée selon laquelle l’Office était d’avis que, même si une preuve prima facie était établie, il devrait faire pencher la balance en faveur de la compétence provinciale.

[33]  L’arrêt Westcoast Energy n’a pas été cité dans l’arrêt Fastfrate, et l’arrêt Fastfrate se distingue de l’espèce à bien des égards. Dans la mesure où l’arrêt Fastfrate est pertinent, l’observation formulée par le juge Binnie au paragraphe 83 semble également pertinente à l’étape préliminaire d’une enquête : « [u]ne réglementation provinciale disparate est antithétique à l’exploitation cohérente d’un service national de transport unique, fonctionnellement intégré et indivisible ».

[34]  Il n’est pas nécessaire de prendre part à ce débat puisqu’il n’est pas nécessaire de trancher la question de la compétence législative dans le présent appel. Toutefois, il est révélateur que l’Office ait fait référence à l’arrêt Fastfrate, car il renforce la préoccupation selon laquelle l’Office a perdu de vue l’essence du critère de la preuve prima facie. L’Office ne devait pas trancher la question de fond. Il devait simplement décider si une preuve prima facie avait été établie, et l’arrêt Fastfrate jette peu de lumière sur cette question. L’analyse des détails jurisprudentiels relatifs à l’alinéa 92(10)a) ne faisait pas partie de la tâche de l’Office à ce stade‑ci.

[35]  En conclusion, l’Office n’a pas appliqué le critère de la preuve prima facie. Cette conclusion est valable, peu importe la façon dont on caractérise les erreurs – que l’Office ait mal compris les éléments fondamentaux du critère de la preuve prima facie ou le fardeau légal et le fardeau de preuve connexes ou, selon une interprétation différente des motifs de l’Office, qu’il ait commis une erreur en concluant que la preuve prima facie avait été réfutée par deux faits à la limite de la pertinence juridique dans le contexte de l’analyse constitutionnelle.

[36]  Les erreurs commises par l’Office dans sa compréhension du critère de la preuve prima facie sont suffisantes pour trancher le présent appel. Toutefois, des erreurs de droit ont été commises dans l’analyse constitutionnelle sous‑jacente.

III.  Erreurs dans l’analyse constitutionnelle

[37]  Trois erreurs imprègnent l’analyse constitutionnelle effectuée par l’Office. La première erreur commise par l’Office, c’est qu’il n’a pas tenu compte de la nature de l’entreprise ou du projet dans son ensemble. À deux exceptions près, que j’aborderai plus loin, l’Office a limité son analyse au fait que le pipeline se situait [traduction« de point en point » à l’intérieur de la province de la Colombie‑Britannique. Ce faisant, il s’est écarté de la recommandation de la Cour suprême du Canada selon laquelle l’examen des entreprises visées par l’alinéa 92(10)a) doit mettre l’accent sur les activités de l’entreprise et la façon dont elle les mène, et non sur l’endroit où elle est située. En se concentrant sur le lieu géographique, l’Office a fait abstraction de tous les éléments de preuve en amont ou en aval de ces deux points, c’est‑à‑dire les éléments de preuve concernant la provenance du gaz et sa destination.

[38]  La deuxième erreur se rapporte également à l’exigence selon laquelle « l’analyse fonctionnelle doit être axée sur les activités qu’exerce véritablement l’entreprise » : Fastfrate, par. 76. En l’espèce, l’Office a commis une erreur en confondant les ententes commerciales et les ententes de facturation avec l’entreprise. Le modèle opérationnel n’est pas l’entreprise. Le modèle opérationnel peut être un facteur pertinent; toutefois, il n’est pertinent que dans la mesure où il donne des renseignements sur le degré d’intégration fonctionnelle : Westcoast Energy, par. 49. Le nombre de clients et l’entente financière sont, au mieux, accessoires.

[39]  La troisième erreur découle de l’examen du critère juridique relatif [traduction« à la direction et au contrôle communs » dans le contexte de l’analyse relative à l’alinéa 92(10)a). L’Office a omis de mentionner un grand nombre d’éléments de preuve extrêmement pertinents à l’égard de ce critère et d’en tenir compte. Il ne s’agit pas d’une question liée à la pondération des éléments de preuve par l’Office ou à l’omission d’aborder certains éléments de preuve. Il s’agit plutôt de la question de savoir si l’Office a compris le critère constitutionnel. Lorsque la jurisprudence exige que certains éléments de preuve soient pris en compte et qu’ils ne le sont pas, le critère juridique a été mal compris ou mal appliqué.

A.  Principes juridiques applicables

[40]  Le paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle prévoit que les ouvrages et les entreprises d’une nature locale situés dans une province relèvent de la compétence provinciale. L’alinéa 92(10)a) précise que les ouvrages ou les entreprises s’étendant au‑delà des limites de la province ou « reliant » la province à une autre province relèvent de la compétence fédérale.

[41]  Les ouvrages ou les entreprises situés dans une province peuvent relever de la compétence fédérale s’ils répondent à l’un des deux volets du critère formulé dans l’arrêt Westcoast Energy. Selon le premier volet, les ouvrages ou les entreprises de nature locale relèvent de la compétence fédérale s’ils font partie d’un ouvrage ou d’une entreprise de nature fédérale en ce sens qu’ils sont « intégré[s] sur le plan fonctionnel et [...] assujetti[s] à une gestion, à une direction et à un contrôle communs » (Westcoast Energy, par. 49).

[42]  Selon le deuxième volet du critère de l’arrêt Westcoast Energy, les ouvrages ou les entreprises en question relèvent de la compétence fédérale s’ils sont « essentiel[s], vita[ux] et fondamenta[ux] » pour un ouvrage ou une entreprise de nature fédérale (Westcoast Energy, par. 46).

[43]  L’appelant a fondé son argument sur le premier volet du critère de l’arrêt Westcoast Energy. L’Office a tranché l’affaire en fonction des deux volets.

B.  Omission de définir l’entreprise

[44]  J’aborderai à présent la première erreur commise dans l’analyse constitutionnelle. L’Office n’a pas défini l’entreprise de PRGT de façon téléologique. Il s’est demandé si les pipelines de PRGT et de NGTL étaient [traduction« différents sur le plan fonctionnel », ce qui ne correspond pas au critère applicable. Le critère en est un d’intégration fonctionnelle. Les ouvrages peuvent être différents, mais, comme il est précisé dans l’arrêt Westcoast Energy, là n’est pas la question : Westcoast Energy, par. 40. Le critère est de savoir si les parties de l’entreprise sont intégrées sur le plan fonctionnel, et, si oui, comment elles fonctionnent ensemble et dans quel but. La nature de l’entreprise ne peut être déterminée que lorsque ces critères sont pris en compte.

[45]  TransCanada décrit le réseau de NGTL comme étant [traduction« le système principal de collecte et de transport du gaz naturel pour le BSOC, reliant la majeure partie de la production de gaz naturel de l’Ouest canadien aux marchés intérieurs et extérieurs » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, par. 14). La canalisation NM est un prolongement du réseau de NGTL auquel est relié le pipeline de PRGT. La canalisation de NM et le pipeline de PRGT servent à transporter le gaz du BSOC au reste du réseau de NGTL et à l’installation d’exportation de GNL. Facteur important, la canalisation NM ne sera pas construite sans le pipeline de PRGT.

[46]  L’Office n’a pas défini le lien entre le projet relatif à la canalisation NM/pipeline de PRGT et le réseau de NGTL dans son ensemble et n’en a pas non plus tenu compte. Il s’est concentré sur le caractère local de la canalisation. En effet, l’Office a mentionné trois fois dans une analyse par ailleurs très courte que la canalisation était comprise entre deux points situés en Colombie‑Britannique. Ce faisant, il n’a pas tenu compte du fait qu’une entreprise peut faire partie d’une entreprise fédérale tout en se situant entièrement dans une province. Les observations de la Cour, adoptées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Westcoast Energy, au paragraphe 41, s’appliquent tout autant au raisonnement de l’Office en l’espèce :

Comme nous l’avons vu, l’Office a estimé, à la majorité, que les installations de collecte et de traitement de Westcoast sont des entreprises distinctes de la canalisation principale de transport parce que « le traitement du gaz et le transport du gaz sont des activités ou services fondamentalement différents ». Avec égards, j’estime que l’Office fait fausse route, car le fait que différentes activités soient exercées ou que différents services soient fournis ne peut en soi être déterminant quant à savoir si on a affaire à une ou à plusieurs entreprises. Ce n’est pas la différence entre les activités et les services, mais l’interaction entre ceux‑ci et le fait qu’ils relèvent ou non de la même direction et partagent ou non des objectifs communs qui permettent de déterminer s’ils font partie d’une entreprise unique.

[47]  Autrement dit, l’Office n’a pas tenu compte de la nature de l’entreprise en question. L’Office disposait de nombreux éléments de preuve non contestés selon lesquels l’objectif du pipeline de PRGT était de transporter le gaz du BSOC en vue de l’exporter sur les marchés internationaux. L’Office a examiné l’endroit où se trouvait le pipeline, mais n’a pas cherché à en connaître l’utilisation.

[48]  TransCanada elle‑même a expliqué que le projet visait le transport du gaz naturel du réseau transfrontalier de NGTL vers l’installation de GNL de l’île Lelu en vue de son exportation vers les marchés étrangers. Les trois pipelines, à savoir le prolongement proposé de la canalisation NM, le pipeline de NGTL et le pipeline de PRGT, ont été décrits par l’Office dans une décision antérieure comme étant hautement intégrés sur le plan fonctionnel (décision concernant NM, p. 3).

[49]  L’Office n’a pas non plus abordé le fait que le pipeline de PRGT et la canalisation NM sont interdépendants sur le plan fonctionnel. L’un ne sera pas construit sans l’autre. Ce facteur à lui seul, s’il avait été mentionné, aurait pesé lourd dans l’examen de la question de savoir si une preuve prima facie avait été établie. C’était commettre une erreur de droit que d’ignorer un fait non contesté que la loi estime pertinent dans le contexte de l’analyse constitutionnelle. L’Office affirme toutefois, sans plus, que cet argument n’était pas convaincant. Il n’a pas expliqué comment ni pourquoi il est arrivé à cette conclusion.

[50]  Il est bien reconnu que les tribunaux n’ont pas à traiter tous les éléments de preuve dont ils sont saisis et qu’ils n’ont pas non plus à donner des motifs abordant chacun des arguments soulevés : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708. Toutefois, lorsque le critère juridique applicable exige que certains éléments de preuve soient traités et que ces éléments de preuve ne le sont pas, le critère n’a pas été compris. En l’espèce, l’Office ne s’est pas penché sur les autres éléments de preuve non contestés qui étaient pertinents sur le plan constitutionnel et étayaient l’intégration fonctionnelle :

  • Le pipeline de PRGT est relié au réseau de NGTL.

  • TransCanada considère elle‑même le pipeline de PRGT comme faisant partie intégrante de l’entreprise : [traduction« [l]e réseau de NGTL est bien placé pour raccorder l’approvisionnement du BSOC et répondre à la demande prévue en exportation de GNL le long de la côte de la Colombie‑Britannique [...] afin de prolonger et de développer le réseau de NGTL » (DA 31, par. 41).

  • Le gaz pour le pipeline de PRGT viendra du réseau existant de NGTL et de la canalisation NM proposée.

[51]  Dans ses observations, TransCanada souligne que le pipeline est une [traduction« ligne marchande locale » conçue pour servir les intérêts d’un seul client. Sans égard au fait qu’il s’agit d’une ligne de collecte principale assez longue (900 kilomètres), il n’est pas pertinent, du point de vue constitutionnel, qu’un seul client exploite l’usine d’exportation de GNL et soit propriétaire du gaz. Aucun gaz, mis à part le gaz nécessaire au fonctionnement de l’usine, n’est consommé à l’installation de GNL. Il n’est pas contesté que le pipeline de PRGT vise uniquement à transporter du gaz de l’Ouest canadien à l’île Lelu en vue de son exportation. L’Office n’a pas non plus tenu compte de ce facteur.

[52]  La décision Re Office national de l’Énergie, [1988] 2 R.C.F. 196, 48 D.L.R. (4th) 596 (CAF), sur laquelle les intimés se sont fondés, ne leur est d’aucune utilité. Dans cette affaire, la Cour a conclu qu’un pipeline de 6,2 kilomètres, qui acheminait le gaz directement à un utilisateur final qui consommait tout le gaz qu’on lui livrait, ne relevait pas de la compétence de l’Office.

[53]  Les motifs de l’Office approuvant la construction de la canalisation NM appuient à première vue l’intégration fonctionnelle du pipeline de PRGT au réseau de NGTL et à la canalisation NM. Dans sa description de la canalisation NM, l’Office a conclu ce qui suit :

Le projet est conçu pour transporter du gaz naturel non corrosif de la région de North Montney par le réseau de NGTL et les pipelines qui y sont reliés, y compris le gazoduc proposé de Prince Rupert tel qu’il est décrit ci‑dessous, vers des marchés gaziers nord‑américains et des marchés d’outremer sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL). L’achat et la vente du gaz de North Montney passeraient par le carrefour d’échanges gaziers sur le réseau de NOVA (NIT), où le gaz est acheté et vendu électroniquement.

[…]

Progress planifie en fin de compte de fournir du gaz de la région de North Montney au projet de Pacific NorthWest LNG Ltd., qui consiste en une installation de liquéfaction de gaz naturel et d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) située sur la côte de la Colombie‑Britannique. Le gaz de la région de North Montney entrerait dans le réseau de NGTL à divers endroits le long de la canalisation principale North Montney, qui serait reliée au gazoduc de Prince Rupert à la station de comptage au point de vente de Mackie Creek (l’interconnexion de Mackie Creek).

(Décision concernant NM, p. 3)

[54]  L’Office fait remarquer que TransCanada a décrit la canalisation NM comme un « agrandissement de son réseau nécessaire à l’acheminement de l’approvisionnement gazier de la région de North Montney vers les centres de demande en Amérique du Nord et outre‑mer. Le gaz de North Montney atteindrait les marchés de gaz naturel liquéfié de la région Asie‑Pacifique par les canalisations projetées en direction du littoral ouest de la Colombie‑Britannique et des terminaux futurs d’exportation de GNL » (décision concernant NM, p. 48) [non souligné dans l’original].

[55]  En évaluant la viabilité économique de la canalisation NM, l’Office a noté que celle‑ci visait à permettre « [d’]atteindre le marché mondial du GNL en passant par le gazoduc de Prince Rupert et l’installation GNL de PNW proposés » (décision concernant NM, p. 64) [non souligné dans l’original]. En effet, le degré d’interdépendance entre la canalisation NM, le pipeline de PRGT et le GNL est tel que l’Office a subordonné l’approbation de la canalisation NM à l’approvisionnement de l’installation de GNL.

[56]  La décision concernant NM n’est pas conciliable avec la décision attaquée. La relation symbiotique entre les pipelines et l’installation d’exportation reconnue dans la décision concernant NM n’a pas été prise en compte. L’entreprise, telle qu’elle a été définie par l’Office dans la décision concernant NM, était l’acheminement de gaz à partir de l’Ouest canadien vers les marchés internationaux. L’analyse correcte de l’alinéa 92(1)a) exige un examen de l’interaction fonctionnelle. La recommandation de la Cour suprême du Canada est sans équivoque et constante à cet égard.

[57]  Cela est suffisant pour trancher le présent appel. L’Office n’a pas appliqué le bon cadre constitutionnel à la preuve dont il était saisi. Il a conclu que l’expression [traduction« différentes sur le plan fonctionnel » signifiait que les canalisations ne pouvaient pas être [traduction« intégrées sur le plan fonctionnel ». Sa présomption était erronée. Il n’a pas examiné le rôle que le pipeline de PRGT jouait dans l’acheminement du gaz du bassin sédimentaire de l’Ouest canadien en vue de l’exportation. Il n’a pas non plus tenu compte des éléments de preuve essentiels à la bonne compréhension du critère juridique qu’il appliquait.

[58]  Comme je l’ai mentionné au début, selon l’Office, deux autres facteurs ont réfuté la preuve prima facie : la nature de la relation commerciale et la structure de gestion de TransCanada. L’analyse juridique de l’Office à l’égard de chacun de ces facteurs ne peut être retenue. Pour que certains faits réfutent une preuve prima facie de compétence, ils doivent être pertinents dans le contexte de l’analyse.

C.  La relation commerciale

[59]  L’Office a conclu que le pipeline de PRGT visait simplement à fournir [traduction« le transport de gaz entre deux points situés en Colombie‑Britannique afin de répondre aux besoins d’un seul expéditeur ».

[60]  Contrairement au réseau NGTL, qui achemine du gaz à divers clients, le pipeline de PRGT sert un seul client en fonction d’un système de tarification différent. L’Office en a déduit que le réseau de PRGT se distinguait « sur le plan fonctionnel » du réseau de NGTL.

[61]  Même si l’Office a reconnu que la caractérisation d’un ouvrage, à des fins constitutionnelles, ne dépend pas du modèle opérationnel ou commercial, il a néanmoins conclu, pour des motifs qu’il n’a pas formulés, que celui‑ci était pertinent :

[traduction] Toutefois, l’Office estime que [le modèle opérationnel ou commercial d’une entreprise] est pertinent et, compte tenu des faits présentés par les parties, l’Office a conclu qu’il s’agissait d’un facteur dénotant un manque d’intégration fonctionnelle entre le projet et le réseau de NGTL, et la nature différente de leurs entreprises.

[62]  Comme l’Office n’a mentionné aucun autre facteur, on ne peut que conclure que la nature particulière de l’entente commerciale relative au pipeline de PRGT a pesé lourdement ou a été le facteur déterminant dans son évaluation de la question de savoir si une preuve prima facie avait été établie.

[63]  L’Office a commis l’erreur que la Cour suprême du Canada avait abordée dans l’arrêt Westcoast Energy. Dans cette affaire, l’Office avait fondé sa décision sur l’existence de méthodes de tarification distinctes pour le transport et le traitement du gaz. À la Cour d’appel fédérale, [1996] 2 R.C.F. 263, 134 D.L.R. (4th) 114, le juge Hugessen a noté ce qui suit aux pages 283 et 284 :

Ce n’est pas la différence entre les activités et les services, mais l’interaction entre ceux‑ci et le fait qu’ils relèvent ou non de la même direction et partagent ou non des objectifs communs qui permettent de déterminer s’ils font partie d’une entreprise unique.

[64]  La Cour suprême du Canada a renforcé ce point, les juges Iacobbuci et Major ayant écrit, au paragraphe 66 :

[L’activité commerciale différente] n’a aucune incidence sur le partage constitutionnel des compétences entre le Parlement et les législatures provinciales.

[65]  Comme il a été mentionné précédemment, l’arrêt Westcoast Energy établit, au paragraphe 49, que l’entente commerciale peut nous renseigner sur la question de la gestion et du contrôle communs et donc sur la question de l’intégration fonctionnelle, mais elle ne définit pas l’entreprise. L’entente commerciale n’est pas l’entreprise.

[66]  En conclusion, l’Office a commis une erreur en se fondant sur le modèle opérationnel du pipeline de PRGT, à savoir le fait qu’il transporte du gaz pour un seul client, pour conclure que la preuve prima facie avait été réfutée, alors qu’il semblait par ailleurs avoir conclu le contraire. Un facteur accessoire ne peut « l’emporter » sur une preuve prima facie qui a par ailleurs été établie.

D.  Gestion, direction et contrôle communs

[67]  Le deuxième facteur que l’Office a jugé pertinent dans le contexte de la question de savoir si le pipeline de PRGT était un ouvrage ou une entreprise de nature fédérale est la structure de gestion du pipeline de PRGT. À cet égard, l’Office a simplement affirmé ce qui suit :

[traduction] L’Office a également jugé pertinent que [le pipeline de PRGT] et le réseau de NGTL sont gérés par des équipes différentes.

[68]  Il est bien établi que la structure organisationnelle n’est pas déterminante pour répondre à la question de savoir si une entreprise est une entreprise fédérale. Dans l’arrêt Westcoast Energy, bien qu’elle ait été dissidente pour d’autres motifs, la juge McLachlin (tel était alors son titre) s’est appuyée sur les propos tenus par le juge Dickson dans l’arrêt Alberta Government Telephones c. (Canada) Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1989] 2 R.C.S. 225, à la page 263, 61 D.L.R. (4th) 193 :

La Cour a clairement affirmé dans ce domaine du droit constitutionnel que ce sont les faits de l’espèce qui sont déterminants et non la structure commerciale que revêtent les entités visées.

[69]  L’évaluation de la question de savoir si une activité est une entreprise fédérale est « un jugement à la fois fonctionnel et pratique sur le caractère véritable de l’entreprise active et il ne dépend pas des subtilités juridiques de la structure de la société en cause ou des relations de travail [en l’espèce, des relations contractuelles] » : Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1980] 1 R.C.S. 115, p. 133, 98 D.L.R. (3d) 1.

[70]  L’observation de l’Office selon laquelle le réseau de NGTL et le pipeline de PRGT ont des équipes de gestion différentes n’est pas surprenante étant donné que le premier est en exploitation et que le second est à l’étape de la planification. Cette référence, qui n’a pas été développée, contraste fortement avec une grande quantité d’éléments de preuve présentés à l’Office portant sur la gestion et le contrôle communs du pipeline de PRGT, du prolongement de la canalisation NM et du réseau de NGTL, qui sont fortement intégrés et interreliés. Parmi ces éléments de preuve, notons ceux qui suivent :

  • PRGT Ltd. est une filiale en propriété exclusive de TransCanada.

  • Le rapport annuel de TransCanada comprend les activités de PRGT.

  • Les états financiers annuels de TransCanada consolident [traduction« ses intérêts dans les entités sur lesquelles elle est en mesure d’exercer un contrôle ».

  • Tous les administrateurs de PRGT Ltd. occupent un poste de cadre supérieur au sein de TransCanada et l’un d’entre eux siège au conseil d’administration de TransCanada.

  • Tous les hauts dirigeants de PRGT ont occupé des postes de cadre supérieur au sein de TransCanada et/ou de NGTL.

  • Les hauts dirigeants de PRGT, y compris le vice‑président et contrôleur des impôts, des finances et de la gestion du risque, occupent des postes au sein de PRGT et de NGTL.

  • TransCanada s’est présentée publiquement comme étant la promotrice du projet. Elle a notamment affirmé : [traduction« TransCanada construira, possédera et exploitera le projet ».

  • L’aperçu du projet de TransCanada relatif au pipeline de PRGT ne mentionne pas sa filiale en propriété exclusive, la traitant comme une seule et même entité.

  • Le logo, les droits d’auteur, les mentions légales et les adresses de courriel de TransCanada sont affichés sur la page Web du projet relatif au pipeline de PRGT.

  • Le nom de domaine du projet relatif au pipeline de PRGT est enregistré au nom de TransCanada.

  • Les coordonnées des personnes‑ressources en matière d’approvisionnement et en cas d’urgence pour le projet relatif au pipeline de PRGT sont celles d’employés de TransCanada.

  • Tous les aspects du projet relatif au gazoduc de Prince Rupert, notamment en ce qui concerne les Autochtones, l’évaluation environnementale, le tracé, la conception et l’ingénierie, doivent être gérés par les employés de TransCanada ou par ses consultants.

  • Le pipeline de PRGT et le réseau de NGTL seront surveillés et contrôlés par le Centre des opérations de TransCanada à Calgary.

[71]  Aucun de ces éléments de preuve n’a été pris en considération par l’Office. La seule conclusion possible est que l’Office n’a pas compris ce que l’alinéa 92(10)a) exigeait.

[72]  L’Office n’a pas bien compris le concept de gestion, de contrôle et de direction communs. Cela ne signifie pas que les deux entreprises doivent avoir la même équipe de gestion; il s’agit plutôt de savoir si le pipeline de PRGT et le réseau de NGTL sont assujettis à une gestion, à une direction et à un contrôle communs par TransCanada.

IV.  Conclusion

[73]  J’aimerais aussi préciser, par souci de clarté, que la Cour ne se prononce pas sur la question de savoir si le pipeline de PRGT est assujetti à la compétence réglementaire de l’Office. L’Office n’était saisi que d’une évaluation préliminaire. Ce n’est que s’il conclut qu’il existe une preuve prima facie de compétence qu’une audience sur la question sera tenue. Le cas échéant, cette audience sera instruite sur la base d’un dossier complet et d’éléments de preuve vérifiés, et un avis sera signifié aux procureurs généraux.

[74]  L’Office ne s’est pas demandé si une cause défendable en faveur de la compétence fédérale avait été établie. Il a plutôt imposé à l’appelant un fardeau de preuve qu’il ne lui incombait pas, et il a procédé à une appréciation de la preuve au fond. Il a commis trois erreurs dans son application de l’alinéa 92(10)a). Il n’a pas appliqué le critère constitutionnel d’intégration fonctionnelle requis, et il a présumé qu’un projet qui était différent ne pouvait pas être intégré sur le plan fonctionnel à une entreprise de façon à en faire partie intégrante.

[75]  L’Office a ensuite examiné les facteurs qui pourraient réfuter la preuve prima facie et, ce faisant, il a tenu compte d’un facteur qui n’était pas pertinent sur le plan constitutionnel – l’entente commerciale – et il a ignoré un très grand nombre d’éléments de preuve concernant le critère de la gestion et du contrôle, qui est fondamental à l’analyse constitutionnelle.

[76]  J’accueillerais donc l’appel avec dépens, et je renverrais la demande de l’appelant à l’Office pour qu’il rende une nouvelle décision. Ce faisant, je réitère que, même si j’ai nécessairement examiné les principes et les éléments de preuve pertinents dans le contexte de l’analyse constitutionnelle, je ne me prononce pas sur la question constitutionnelle sous‑jacente.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D.G. Near, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE DÉCISION DE L’OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE DATÉE DU 30 NOVEMBRE 2015, No OF‑Fac‑PipeGen‑T211 03

DOSSIER :

A‑115‑16

 

INTITULÉ :

MICHAEL SAWYER c. TRANSCANADA PIPELINE LIMITED et PRINCE RUPERT GAS TRANSMISSION LTD. et L’OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 janvier 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE BOIVIN

DATE DES MOTIFS :

Le 19 juillet 2017

COMPARUTIONS :

Me William J. Andrews

Pour l’appelant

Me Stanley Martin

Me D. Geoffrey Cowper, c.r.

Me Robert M. Lonergan

Pour les intiméEs

TRANSCANADA LTD. et PRINCE RUPERT GAS TRANSMISSION LTD.

Me Diana Audino

Pour L’INTIMÉ

L’OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William J. Andrews

Avocat

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour l’appelant

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour les intiméEs

TRANSCANADA LTD. et PRINCE RUPERT GAS TRANSMISSION LTD.

Diana Audino

Avocate

Calgary (Alberta)

PouR L’INTIMÉ

L’OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE

 

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