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Date : 20170809


Dossier : A-239-16

Référence : 2017 CAF 167

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

 

 

JAMES T. GRENON

 

 

appelant

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL et L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

intimés

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 15 février 2017.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 9 août 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20170809


Dossier : A-239-16

Référence : 2017 CAF 167

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

 

 

JAMES T. GRENON

 

 

appelant

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL et L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]  La Cour est saisie de l’appel du jugement (2016 CF 604) par lequel la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Grenon relativement au refus du ministre du Revenu national (ministre) de lui verser les intérêts sur un montant qui lui avait été remboursé dans les circonstances décrites ci‑après.

[2]  Pour les motifs suivants, j’accueillerais le présent appel.

I.  Rappel des faits

[3]  Quelque temps avant le 7 mars 2013, M. Grenon a fait l’objet d’une nouvelle cotisation en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). Puisque la validité de la nouvelle cotisation n’est pas en litige en l’espèce, il y a très peu de renseignements sur les nouvelles cotisations dans le dossier. Toutefois, il semblerait que, d’après les deux demandes formelles de paiement (qui sont incluses dans le dossier et dont chacune est datée du 27 février 2014), la dette en souffrance de M. Grenon en vertu de la Loi, au 27 février 2014, dépassait 200 millions de dollars. Il n’y a pas de doute que les nouvelles cotisations qui ont donné lieu à cette dette en souffrance font l’objet d’un appel interjeté devant de la Cour canadienne de l’impôt (Cour de l’impôt).

[4]  Le 7 mars 2013, le ministre a obtenu une ordonnance en vertu de l’article 225.2 de la Loi (l’ordonnance conservatoire) en vue de prendre immédiatement la mesure de recouvrement. Cette ordonnance a été obtenue ex parte.

[5]  À la suite de l’ordonnance conservatoire, M. Grenon a retiré 15 millions de dollars de son régime enregistré d’épargne-retraite et, le 27 mars 2014, a fait parvenir au receveur général le solde reçu de 12,75 millions de dollars (après la retenue d’impôt) au titre de sa dette fiscale.

[6]  Par une ordonnance sur consentement en date du 15 juillet 2014, la Cour fédérale a ordonné que [Traduction] « l’ordonnance conservatoire soit par la présente annulée ».

[7]  Le 29 octobre 2014, M. Grenon a demandé que les 12,75 millions de dollars lui soient remboursés avec intérêts, conformément au paragraphe 164(1.1) de la Loi. À la suite d’autres échanges de lettres entre le représentant de M. Grenon et les représentants du ministre, les fonds ont été finalement remboursés à M. Grenon, en mars 2015, sans intérêts.

II.  Décision de la Cour fédérale

[8]  M. Grenon a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de ne pas payer d’intérêts sur le montant qui lui avait été remboursé. Le juge de la Cour fédérale a conclu que la décision du ministre était raisonnable parce qu’il estimait que l’intention du législateur était de « traiter les paiements volontaires de façon plus généreuse que les paiements involontaires » (paragraphe 13 des motifs).

III.  Norme de contrôle

[9]  Dans le présent appel, notre Cour doit tout d’abord vérifier si le juge de la Cour fédérale a appliqué la bonne norme de contrôle et, le cas échéant, s’il l’a fait correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile, 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, paragraphe 45).

[10]  Les deux parties soutiennent que le juge de la Cour fédérale aurait dû appliquer la norme de contrôle  de la décision correcte et non celle de la raisonnabilité, car la question en litige portait sur l’interprétation de la Loi (Imperial Oil Resources Ltd. c. Canada (Procureur général) 2016 CAF 139, aux paragraphes 47 et 48). À mon avis, la décision du ministre n’était ni correcte ni raisonnable et, partant, j’accueillerais le présent appel, que la norme de contrôle soit celle de la décision correcte ou de la raisonnabilité. Puisque la question en l’espèce est l’interprétation de la Loi, j’estime que, même si la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité, la gamme d’interprétations législatives raisonnables est restreinte (Procureur général du Canada c. Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, et al., 2013 CAF 75, aux paragraphes 14 et 15).

IV.  Question en litige

[11]  La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si la décision du ministre de ne pas payer les intérêts à M. Grenon sur le montant qui lui a été remboursé doit être maintenue.

V.  Analyse

[12]  L’avis de nouvelle cotisation (ou les avis de nouvelle cotisation) établi en l’espèce cadrait avec ce que le ministre avait décidé, à savoir que le montant d’impôt que M. Grenon devait dépassait les montants qui avaient déjà fait l’objet d’une cotisation. Rien dans le dossier n’indique le nombre d’années pour lesquelles M. Grenon a fait l’objet d’une nouvelle cotisation ou le fondement de la nouvelle cotisation à son endroit, hormis une référence à la proposition [Traduction] « d’établir une cotisation [à l’endroit de M. Grenon] en vertu de la soi-disant disposition générale anti-évitement (DGAE) prévue par la loi » dans l’ordonnance conservatoire et les références aux cotisations fondées sur la DGAE dans la lettre du ministère de la Justice en date du 26 février 2015. La DGAE serait une référence à la disposition générale anti-évitement prévue à l’article 245 de la Loi. À la suite de l’établissement de ces nouvelles cotisations, les intérêts auraient été cumulés sur l’arriéré d’impôt en souffrance (paragraphe 161(1) de la Loi).

[13]  En général, le ministre n’est pas autorisé à prendre les mesures de recouvrement décrites aux alinéas 225.1(1)a) à g) de la Loi :

  • a) pendant la période au cours de laquelle le contribuable peut signifier un avis d’opposition (paragraphe 225.1(1) et (1.1) de la Loi);

  • b) si le contribuable signifie un avis d’opposition, pendant une période de 90 jours suivant l’envoi de l’avis où le ministre a confirmé ou modifié la cotisation (paragraphe 225.1(2) de la Loi);

  • c) si le contribuable a interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt, la date de mise à la poste de la décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt ou la date où le contribuable se désiste de l’appel si celle-ci est antérieure (paragraphe 225.1(3) de la Loi).

[14]  Toutefois, le ministre peut demander ex parte à un juge d’une cour supérieure d’une province ou à la Cour fédérale une ordonnance conservatoire, en vertu de l’article 225.2 de la Loi, pour prendre une mesure de recouvrement pour l’une des périodes susmentionnées s’il y a des motifs de croire que l’octroi d’un délai compromettrait le recouvrement du montant dû. En l’espèce, l’ordonnance conservatoire a été rendue le 7 mars 2013. Sous le régime de la Loi, un contribuable peut demander à la Cour fédérale de réviser une autorisation donnée aux termes de l’article 225.2 de la Loi. À la suite de cette révision, le juge « peut confirmer, annuler ou modifier l’autorisation » (paragraphe 225.2(11) de la Loi). En l’espèce, par l’ordonnance sur consentement en date du 15 juillet 2014, l’ordonnance conservatoire a été [Traduction] « annulée ».

[15]  Le 29 octobre 2014, M. Grenon a écrit une lettre au receveur général et à l’Agence du revenu du Canada pour demander un remboursement de 12,75 millions de dollars en plus des intérêts, conformément au paragraphe 164(1.1) de la Loi. En mars 2015, le montant de 12,75 millions de dollars a été remboursé à M. Grenon, sans intérêts.

[16]  Le paragraphe 164(1.1) de la Loi dispose :

(1.1) Sous réserve du paragraphe (1.2), lorsqu’un contribuable demande au ministre, par écrit, un remboursement ou la remise d’une garantie, alors qu’il a :

(1.1) Subject to subsection 164(1.2), where a taxpayer

a) soit signifié, conformément à l’article 165, un avis d’opposition à une cotisation, si le ministre, dans les 120 jours suivant la date de signification, n’a pas confirmé ou modifié la cotisation ni établi une nouvelle cotisation à cet égard;

(a) has under section 165 served a notice of objection to an assessment and the Minister has not within 120 days after the day of service confirmed or varied the assessment or made a reassessment in respect thereof, or

b) soit appelé d’une cotisation devant la Cour canadienne de l’impôt,

(b) has appealed from an assessment to the Tax Court of Canada,

le ministre, si aucune autorisation n’a été accordée en application du paragraphe 225.2(2) à l’égard du montant de la cotisation, avec diligence, rembourse les sommes versées sur ce montant ou remet la garantie acceptée pour ce montant, jusqu’à concurrence de l’excédent du montant visé à l’alinéa c) sur le montant visé à l’alinéa d) :

and has applied in writing to the Minister for a payment or surrender of security, the Minister shall, where no authorization has been granted under subsection 225.2(2) in respect of the amount assessed, with all due dispatch repay all amounts paid on account of that amount or surrender security accepted therefor to the extent that

c) le moins élevé des montants suivants :

(c) the lesser of

(i) le total des sommes ainsi versées et de la valeur de la garantie,

(i) the total of the amounts so paid and the value of the security, and

(ii) le montant de cette cotisation;

(ii) the amount so assessed

Exceeds

d) le total des montants suivants :

(d) the total of

(i) la partie du montant de cette cotisation qui n’est pas en litige,

(i) the amount, if any, so assessed that is not in controversy, and

(ii) la moitié de la partie du montant de cette cotisation qui est en litige si, selon le cas :

(ii) 1/2 of the amount so assessed that is in controversy if

(A) le contribuable est une grande société, au sens du paragraphe 225.1(8),

(A) the taxpayer is a large corporation (within the meaning assigned by subsection 225.1(8)), or

(B) le montant se rapporte à une somme qui est déduite en application des articles 110.1 ou 118.1 et qui a été demandée relativement à un abri fiscal.

(B) the amount is in respect of a particular amount claimed under section 110.1 or 118.1 and the particular amount was claimed in respect of a tax shelter.

(Non souligné dans l’original)

(emphasis added)

[17]  Si le montant a été remboursé au titre de ce paragraphe, M. Grenon aurait dû avoir droit aux intérêts sur un tel remboursement prévu au paragraphe 164(3) de la Loi. Par conséquent, la question en l’espèce est de savoir si le paragraphe 164(1.1) de la Loi s’appliquait.

[18]  La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, s’est exprimé ainsi :

10  Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, paragraphe 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[19]  En l’espèce, c’est le libellé « si aucune autorisation n’a été accordée en application du paragraphe 225.2(2) à l’égard du montant de la cotisation » qui doit être lu dans son « contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ». En particulier, la question est de savoir comment ce libellé doit être lu ou appliqué lorsqu’une ordonnance subséquente de la Cour fédérale a annulé l’ordonnance conservatoire.

[20]  Au paragraphe 23 du mémoire des faits et du droit de l’intimé, il est soutenu ce qui suit :

[Traduction] Lorsqu’une ordonnance conservatoire est annulée par la Cour, le ministre perd le pouvoir de prendre d’autres mesures de recouvrement sur le fondement de l’ordonnance conservatoire et pour les mesures de recouvrement déjà prises. La perte de ce pouvoir signifie nécessairement que ces mesures sont compromises et que les montants recouvrés par ces mesures doivent être remboursés au contribuable.

[21]  Bien que les intimés ne fassent pas référence à l’ordonnance conservatoire qui est annulée, elle figurerait dans leur exposé. Si l’ordonnance conservatoire a été valide jusqu’au 15 juillet 2014 (la date de l’ordonnance qui l’annule) et que son annulation n’a touché que la validité de l’ordonnance conservatoire à partir de cette date, pourquoi les montants recouvrés avant le 14 juillet 2014 devraient-ils été remboursés? Si l’annulation de l’ordonnance conservatoire signifie que cette ordonnance n’a jamais été rendue, les montants recouvrés en mars 2013 devraient être remboursés. Cette explication cadre avec la position des intimés exposée plus haut.

[22]  La position des intimés cadre avec l’énoncé de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Singer c. J.H. Ashdown Hardware Co., [1953] 1 S.C.R. 252 :

[Traduction] L’expression « jusqu’à son annulation » est significative et, en général, la règle est assujettie à cette condition. En principe, je penserais que cela doit en être ainsi, et il a été statué que si un tel jugement est validement annulé, cela sous-entend qu’il n’a jamais existé. – Goodrich c. Bodurtha [(1856) 72 Mass. (6 Gray) 323.] mentionné par le juge Riddell dans Re Harper and Township of East Flamborough [(1914) 32 O.L.R. 490.], et Partington c. Hawthorne [(1888) 52 J.P. 807.] cité in dote (d) dans Halsbury.

(Non souligné dans l’original)

[23]  Cette position cadre aussi avec la définition d’« annuler » dans le Black’s Law Dictionary (10e édition) : [Traduction] « infirmer ou casser ». Puisque le terme « annuler » signifie « infirmer ou casser » et que la deuxième ordonnance disposait que l’ordonnance conservatoire était « annulée », l’ordonnance conservatoire, en l’espèce, aurait été infirmée ou cassée.

[24]  Cette explication serait aussi conforme à la décision Canada (Ministre du Revenu national) c. Douville, 2009 CF 986 dans laquelle la demande d’examen d’une ordonnance conservatoire a été accordée le 2 octobre 2009. Le juge de la Cour fédérale a souligné les conséquences de l’annulation de cette ordonnance :

25.  […] Par voie de conséquence, cette ordonnance du 1er février 2008 est annulée et les mesures de recouvrement prises en vertu de celle-ci sont déclarées nulles et invalides, de sorte qu’il y a lieu de rembourser au contribuable requérant toutes les sommes saisies à la suite de ces mesures de recouvrement.

[25]  Si l’annulation de l’ordonnance conservatoire en l’espèce signifie que l’ordonnance était valide jusqu’au jugement qui a été rendu le 2 octobre 2009, toute mesure de recouvrement prise avant le 2 octobre 2009 serait toujours valide.

[26]  Par conséquent, l’annulation de l’ordonnance conservatoire signifierait en l’espèce que le paragraphe 164(1.1) de la Loi devrait être lu comme si l’ordonnance conservatoire n’avait jamais été rendue. Cela signifierait qu’« aucune autorisation n’a été accordée en application du paragraphe 225.2(2) à l’égard du montant de la cotisation » pour l’application de ce paragraphe. Puisque M. Grenon a interjeté appel des nouvelles cotisations auprès de la Cour de l’impôt et qu’il a demandé par écrit le remboursement, les autres conditions de ce paragraphe ont été remplies, et les intérêts sont payables en vertu du paragraphe 164(3) de la Loi.

[27]  Cette interprétation est également compatible avec le contexte et l’objet de la Loi. Les nouvelles cotisations qui ont donné lieu à l’arriéré d’impôt font l’objet d’un appel. Il n’est pas approprié dans le présent appel de conjecturer sur le dénouement probable de l’appel interjeté par M. Grenon devant la Cour de l’impôt. Compte tenu des renseignements limités figurant au dossier en ce qui concerne les nouvelles cotisations et son appel, il n’est pas non plus possible de le faire de toute manière.

[28]  Aux fins de la détermination de l’interprétation du paragraphe 164(1.1) de la Loi, il y a trois issues définitives possibles de l’appel interjeté par M. Grenon devant la Cour de l’impôt (après que tous les appels du jugement de la Cour de l’impôt auront été tranchés) :

  • a) M. Grenon obtiendra entièrement gain de cause et les nouvelles cotisations seront annulées ou les nouvelles cotisations seront modifiées pour réduire la dette en souffrance à zéro. Par souci de commodité, ce résultat sera décrit comme les nouvelles cotisations annulées;

  • b) les nouvelles cotisations seront confirmées ou modifiées pour un montant dépassant le montant qui lui a été remboursé;

  • c) les nouvelles cotisations seront modifiées pour un montant inférieur au montant qui lui a été remboursé.

[29]  S’il obtient entièrement gain de cause et que les nouvelles cotisations sont annulées, il semblerait logique qu’il reçoive les intérêts sur le montant qui n’aurait pas dû être recouvré. De plus, si les 12,75 millions de dollars avaient été retenus par le gouvernement fédéral et n’avaient pas été remboursés à M. Grenon, ce dernier aurait eu droit aux intérêts sur ce montant au moment de l’annulation des nouvelles cotisations, car ce montant serait alors un paiement en trop pour l’application de l’article 164 de la Loi. S’il avait droit aux intérêts sur ce montant dans l’éventualité où il serait remboursé à la suite de l’annulation des nouvelles cotisations, la raison pour laquelle le législateur aurait souhaité qu’il ne reçoive pas d’intérêts sur ce montant s’il lui était remboursé avant l’annulation des nouvelles cotisations est alors loin d’être claire. Dans l’un ou l’autre cas, selon ce scénario, la décision ultime est que les nouvelles cotisations sont annulées et que, par conséquent, le montant remboursé n’était pas payable par M. Grenon.

[30]  S’il n’obtient pas entièrement gain de cause dans l’appel interjeté devant la Cour de l’impôt et qu’il doit plus que le montant qui lui a été remboursé, non seulement les intérêts qui lui ont été versés devront être remboursés, mais les intérêts seront aussi payables sur ce montant d’intérêt (paragraphe 164(4) de la Loi). Par conséquent, le gouvernement fédéral pourrait recouvrer les intérêts versés sur le montant remboursé.

[31]  Si sa dette ultime est moindre que le montant qui lui a été remboursé, le dénouement est la combinaison des deux premiers scénarios. Il doit tout de même rembourser les intérêts qui lui ont été versés sur le montant remboursé qui est jugé payable (combiné aux intérêts sur ces intérêts) (paragraphe 164(4) de la Loi). Le gouvernement fédéral peut donc recouvrer les intérêts payés sur le montant qui est payable en fin de compte par M. Grenon.

[32]  Toutefois, dans la mesure où sa dette est réduite à un montant inférieur au montant remboursé, une partie du montant remboursé, en fonction de la décision subséquente de la Cour de l’impôt (ou de l’appel de la décision de la Cour de l’impôt), n’était pas payable par M. Grenon pour la ou les années d’imposition applicables. À mon avis, puisque les intérêts seraient payables sur un tel paiement en trop si le montant était retenu par le gouvernement fédéral jusqu’à ce que les nouvelles cotisations soient modifiées, le législateur n’aurait pas eu l’intention de priver M. Grenon des intérêts sur un tel paiement en trop dans le cas où le montant lui aurait été remboursé avant la modification des nouvelles cotisations. Étant donné qu’à la suite de la modification des nouvelles cotisations, une partie du montant n’avait pas à être payée par lui pour les années d’imposition en question, selon moi, il devrait avoir droit aux intérêts sur le montant remboursé. Le gouvernement fédéral pourrait toujours recouvrer les intérêts versés sur le montant remboursé qui, à la suite de l’appel, est toujours dû (en plus des intérêts sur ce montant d’intérêt). Le gouvernement fédéral ne subit donc aucun préjudice en payant les intérêts sur le montant qui lui a été remboursé.

[33]  Puisque les intérêts payés sur le montant qui lui a été remboursé devront être remboursés avec intérêts si la décision sur l’appel de M. Grenon prévoit que la totalité ou une partie du montant remboursé est toujours payable, le gouvernement fédéral ne subira aucune perte dans l’éventualité où les intérêts sont payés sur le montant remboursé, en l’absence de considération en matière de recouvrement. Étant donné que l’ordonnance conservatoire a été annulée, que le montant lui a été remboursé et qu’aucune ordonnance n’a été demandée en vertu du paragraphe 164(1.2) de la Loi, il faut présumer qu’en l’espèce, il n’y a aucune considération en matière de recouvrement.

[34]  M. Grenon subit une perte si les intérêts ne lui sont pas versés sur le montant remboursé et s’il obtient gain de cause dans son appel pour faire réduire sa dette en souffrance à un montant moindre que le montant remboursé. À mon avis, cette situation appuierait une interprétation contextuelle selon laquelle les intérêts devraient lui être versés sur le montant remboursé.

[35]  Par voie de conséquence, selon moi, l’interprétation du paragraphe 164(1.1) de la Loi par le ministre, en l’espèce, selon laquelle aucun intérêt n’est payable à M. Grenon conformément au paragraphe 164(3) de la Loi sur le montant remboursé, est inexacte et déraisonnable.

[36]  M. Grenon a demandé une déclaration qui le confirme ainsi qu’une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de payer ces intérêts. Dans la décision Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742, la Cour a établi les principales exigences qui doivent être remplies avant qu’une ordonnance de mandamus soit rendue. Elles comprennent une obligation légale d’agir à caractère public et le « droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation » (paragraphe 45, exigence numéro 3). À mon avis, la demande d’une ordonnance de mandamus est prématurée. Les intérêts n’ont pas été versés en l’espèce en raison d’une mauvaise interprétation par le ministre du paragraphe 164(1.1) de la Loi. Puisque cette interprétation a été jugée inexacte et déraisonnable, c’est pure spéculation de dire que le ministre refusera toujours de payer les intérêts. J’estime qu’une déclaration selon laquelle les intérêts sont payables devrait être faite. Si le ministre refuse toujours de verser les intérêts, M. Grenon pourrait demander une ordonnance de mandamus. Toutefois, le ministre devrait d’abord avoir la possibilité de verser les intérêts à la suite de la déclaration qui indique que les intérêts sont payables.

[37]  En conséquence, j’accueillirais le présent appel, j’annulerais la décision du juge de la Cour fédérale et, comme le juge de la Cour fédérale aurait dû le faire, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire et je prononcerais une déclaration selon laquelle le ministre est tenu de payer les intérêts à M. Grenon, conformément au paragraphe 164(3) de la Loi, sur les 12,75 millions de dollars qui lui ont été remboursés. M. Grenon a droit aux dépens tant en appel qu’en première instance.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

A.F. Scott, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE RENDU LE 31 MAI 2016, DOSSIER NO T -1013-15 (2016 CF 604)

DOSSIER :

A-239-16

 

INTITULÉ :

JAMES T. GRENON C. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET l’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

DATE de l’audience :

le 15 février 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE SCOTT

LA JUGE GLEASON

Date Des Motifs :

Le 9 août 2017

COMPARUTIONS :

Me Cy M. Fien

Me Paul K. Grower

POUR l’ApPelant

Me Michael J. Lema

Me Rachelle Nadeau

POUR LES INTIMÉS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fillmore Riley, s.r.l.

Winnipeg (Manitoba)

POUR L’APPELANT

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

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