Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20170815


Dossier : A-3-16

Référence : 2017 CAF 170

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

U-HAUL INTERNATIONAL INC.

appelante

et

U BOX IT INC.

intimée

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 août 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

 


Date : 20170815


Dossier : A-3-16

Référence : 2017 CAF 170

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

U-HAUL INTERNATIONAL INC.

appelante

et

U BOX IT INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

[1]  U‑Haul International Inc. (U-Haul) est une société américaine qui a demandé l'enregistrement, en vertu de la Loi sur les marques de commerce (L.R.C. (1985), ch. T‑13 (la Loi)), de quatre marques de commerce, soit U-BOX, U-BOX WE-HAUL, U-HAUL U-BOX et U-HAUL U-BOX WE-HAUL. U-Haul a autorisé des entreprises qui mènent ses activités au Canada à utiliser ces marques de commerce.

[2]  U Box It Inc., une société canadienne, s'est opposée à ces demandes au motif qu'elles créent de la confusion avec sa marque de commerce déposée U BOX IT.

[3]  Dans quatre décisions distinctes, la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) a permis l'enregistrement des deux marques qui comprennent la dénomination de U-Haul, soit U-HAUL U-BOX et U-HAUL U-BOX WE-HAUL. Elle a rejeté l'enregistrement des deux autres, soit U‑BOX et U-BOX WE-HAUL.

[4]  U‑Haul a interjeté appel devant la Cour fédérale en vertu de l'article 56 de la Loi des deux décisions qui lui étaient défavorables. La Cour fédérale a confirmé ces décisions et U-Haul interjette maintenant appel devant notre Cour.

[5]  Dans le présent appel, U-Haul fait valoir que la Cour fédérale a commis deux erreurs : (1) elle n'a pas mené d'examen de novo à la lumière de nouveaux éléments de preuve; (2) elle a confirmé la conclusion de la Commission selon laquelle les marques de commerce créaient de la confusion.

[6]  À titre de contexte, U-Haul a présenté des demandes d'enregistrement des marques U-BOX et U-BOX WE-HAUL le 15 octobre 2009 en liaison avec des [TRADUCTION] « services de déménagement et d'entreposage, nommément location, déménagement, entreposage, livraison et ramassage d'unités d'entreposage portatives ». L'emploi de ces marques de commerce au Canada a commencé à peu près au même moment.

[7]  Comme le laissent entendre ces marques, ce service de U-Haul comprend la livraison au client d'une grosse boîte ou d'une unité d'entreposage portative qu'il remplit lui‑même et qu'il fait alors récupérer par une entreprise de U-Haul à des fins de déménagement ou d'entreposage. Habituellement, le service lui‑même offre une occasion de publicité, parce que les marques de commerce en cause sont affichées de manière évidente sur les boîtes, qui demeurent dans l'entrée du client.

[8]  La marque de commerce de U Box It Inc., U BOX IT, a été enregistrée le 29 février 2008, à des fins d'emploi en liaison avec des [TRADUCTION] « services d'enlèvement des ordures et de gestion des déchets ».

[9]  L'entreprise d'enlèvement des ordures est menée de façon semblable à l'entreprise de U-Haul. U Box It Inc. remet une grosse boîte au client; après que ce dernier l'a remplie de déchets, la boîte est récupérée aux fins d'enlèvement. Ces boîtes affichent habituellement de manière évidente la marque de commerce en cause et demeurent dans l'entrée du client.

I.  Dispositions légales pertinentes

[10]  Les dispositions pertinentes de la Loi sont reproduites à l'annexe A.

[11]  En vertu de l'article 38 de la Loi, l'enregistrement d'une marque de commerce peut faire l'objet d'une opposition fondée sur l'un des motifs suivants :

a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l'article 30;

b) la marque de commerce n'est pas enregistrable;

c) le requérant n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement;

d) la marque de commerce n'est pas distinctive.

(a) that the application does not conform to the requirements of section 30;

(b) that the trade-mark is not registrable;

(c) that the applicant is not the person entitled to registration of the trade-mark; or

(d) that the trade-mark is not distinctive.

[12]  Ces motifs correspondent à diverses exigences en matière d'enregistrement prévues dans la Loi. Trois de ces motifs sont pertinents dans le présent appel et ils sont tous liés au critère de la confusion. Les voici :

  • a) Une marque de commerce n'est pas enregistrable si elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée (alinéas 38(2)b) et 12(1)d) de la Loi). La détermination de la confusion est faite à « la date à laquelle l'affaire est tranchée selon la preuve produite » (décision Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd., [1991] A.C.F. no 546 (QL) (C.A.F.)).

  • b) Une marque de commerce employée ou révélée au Canada ne peut être enregistrée si elle crée de la confusion avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne. Cette détermination doit être faite à la date à laquelle la marque de commerce du requérant a été employée ou révélée au Canada pour la première fois (alinéas 38(2)c) et 16(1)a) de la Loi).

  • c) Une marque de commerce ne peut être enregistrée que si elle est « distinctive », ce qui signifie qu'elle distingue les produits ou services des produits ou services d'autres propriétaires, ou qu'elle est adaptée à les distinguer ainsi (alinéa 38(2)d) et article 2 de la Loi). La détermination doit être faite à la date de dépôt de la déclaration d'opposition (décision Park Avenue Furniture).

[13]  Le cadre pour déterminer si une marque de commerce crée de la confusion avec une autre est établi à l'article 6 de la Loi. En général, le critère qui permet de déterminer s'il y a confusion consiste à se demander si l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services sont loués ou exécutés, par la même personne. À cette fin, le terme « emploi » a le sens élargi que lui confère l'article 4 de la Loi.

[14]  Le paragraphe 6(5) établit les facteurs à prendre en considération pour faire cette détermination. Il faut tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the goods, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

II.  Les décisions de la Commission et de la Cour fédérale

[15]  La Commission (le membre Fung) a conclu qu'en fonction des trois motifs d'opposition indiqués dans la section précédente, U‑Haul n'avait pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les deux marques de commerce de U-Haul ne créaient pas de la confusion avec la marque de U Box It Inc. : 2014 COMC 207 (U-BOX) et 2014 COMC 208 (U-BOX WE‑HAUL). Le mémoire de U-Haul, au paragraphe 16, résume succinctement les conclusions précises de la Commission :

[TRADUCTION]

a)  Le 26 septembre 2014, date à laquelle la COMC a rendu ses décisions, les marques de commerce de U-HAUL créaient de la confusion avec la marque de commerce enregistrée précédemment par l'opposante, ce qui contrevient à l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi).

b)  Le 3 octobre 2009, date à laquelle les marques de commerce de U-Haul ont été employées pour la première fois, la requérante n'avait pas droit à l'enregistrement parce que les marques de commerce de U‑Haul créaient de la confusion avec la marque de commerce de l'opposante employée précédemment, ce qui contrevient à l'alinéa 16(1)a) de la Loi.

c)  Le 31 août 2010 (U-BOX) et le 15 novembre 2010 (U-BOX WE-HAUL), dates auxquelles les déclarations d'opposition ont été produites, les marques de commerce de U‑Haul n'étaient pas distinctives, parce qu'elles créaient de la confusion avec la marque de commerce de l'opposante, ce qui contrevient à l'article 2 de la Loi.

[16]  Dans son analyse de la confusion, la Commission a tenu compte des facteurs indiqués au paragraphe 6(5) de la Loi et elle les a pondérés afin d'aboutir à une conclusion générale. La conclusion générale de la Commission sur chacun des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) est présentée ci‑dessous.

  • a) alinéa 6(5)a) — Le facteur du caractère distinctif joue en faveur de U-Haul, en raison du caractère distinctif acquis comme conséquence de ses ventes et de sa présence plus importantes.

  • b) alinéa 6(5)b) — Le facteur de la période de l'usage joue en faveur de U Box It Inc., parce qu'elle a commencé à réaliser des ventes par l'emploi de sa marque de commerce en 2006, tandis que U-Haul n'a commencé à utiliser ses marques de commerce au Canada qu'à compter du 3 octobre 2009.

  • c) alinéa 6(5)c) — Le facteur du genre de services joue légèrement en faveur de U Box It Inc. Même si les services eux‑mêmes ne sont pas les mêmes (l'un étant un service d'élimination de déchets et l'autre étant un service de déménagement et d'entreposage), la façon dont les services sont fournis est semblable et les services se complètent, puisqu'un client qui déménage ou qui effectue des rénovations pourrait devoir recourir à des services de déménagement ou d'entreposage, ainsi qu'à des services d'élimination de déchets.

  • d) alinéa 6(5)d) — Le facteur de la nature du commerce ne joue en faveur d'aucune partie. Même s'il existe un lien entre les services puisque d'éventuels clients pourraient recourir aux deux types de services dans le cas d'un déménagement ou d'un projet de rénovation, le recoupement entre les voies de commercialisation est peu probable.

  • e) alinéa 6(5)e) — Le facteur de la ressemblance joue en faveur de U Box It Inc., parce que les marques de commerce possèdent la même caractéristique importante, « U BOX ».

[17]  Au moment de pondérer ces facteurs, la Commission a tranché en faveur de U Box It Inc. L'analyse de la Commission était très semblable pour les deux marques de commerce de U‑Haul et à toutes les dates importantes. Sa conclusion générale sur U‑BOX apparaît au paragraphe 53 de cette décision :

[53] Lorsque j'ai appliqué le test en matière de confusion, j'ai considéré que ce dernier tenait de la première impression et du souvenir imparfait. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, y compris la forte ressemblance des marques de commerce des parties, la période plus longue pendant laquelle la marque de commerce de l'Opposante a été en usage, ainsi que les similitudes dans l'exécution des services des parties et la nature complémentaire de ces derniers, je suis d'avis que le consommateur canadien moyen, pour ce qui est des services de déménagement et d'entreposage offerts et exécutés sous la marque de commerce U‑BOX, serait porté à croire que ces services ont la même origine que des services d'enlèvement des ordures et de gestion des déchets offerts et exécutés sous la marque de commerce U BOX IT, ou inversement. Je reconnais que la Marque de la Requérante a acquis, de 2009 à 2012, un caractère distinctif plus important que la marque de l'Opposante; néanmoins, je suis d'avis qu'en l'espèce cela n'est pas suffisant pour faire pencher la prépondérance des probabilités en faveur de la Requérante.

[18]  Par conséquent, la Commission a accueilli l'opposition aux demandes de U-Haul et a refusé l'enregistrement de ces deux marques.

[19]  L'appel à la Cour fédérale portait sur deux questions : décider s'il fallait mener un examen de novo à la lumière de nouveaux éléments de preuve et décider si la conclusion de confusion de la Commission était erronée.

[20]  Dans des motifs dont la référence est 2015 CF 1345, la Cour fédérale (le juge Camp) a refusé de mener un examen de novo, au motif que la nouvelle preuve n'aurait pas influé de façon importante sur les conclusions de fait de la Commission ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. En ce qui concerne la conclusion de confusion, la Cour fédérale a appliqué la norme de contrôle de la décision raisonnable et a rejeté l'appel au motif que les décisions rendues par la Commission étaient raisonnables.

III.  Analyse

A.  La Cour fédérale aurait‑elle dû mener un examen de novo?

[21]  L'article 56 de la Loi permet d'interjeter appel d'une décision de la Commission à la Cour fédérale. Lors de l'appel, il peut être apporté une nouvelle preuve et la Cour fédérale « peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi » (paragraphe 56(5)).

[22]  La présentation d'une nouvelle preuve peut changer radicalement l'approche que doit adopter la Cour fédérale. Ce point a été abordé dans la décision The Servicemaster Company c. 385229 Ontario Ltd. s/n Masterclean Service Company, 2015 CAF 114, au paragraphe 16 :

[16] La norme de contrôle qui doit être appliquée à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable. Plus particulièrement, l'interprétation que fait la Commission de sa loi habilitante commande la retenue. [...] De plus, lorsque de nouveaux éléments de preuve sont présentés en appel devant un juge en vertu de l'article 56 de la Loi et que le juge conclut que les nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence sur les conclusions de fait de la Commission ou l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit tirer ses propres conclusions quant à la question à laquelle les preuves additionnelles se rapportent (Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145, [2000] A.C.F. no 159, au paragraphe 51).

[23]  À la Cour fédérale, U‑Haul a présenté une nouvelle preuve par affidavit, qui comprenait des inscriptions dans les annuaires téléphoniques, en vue d'établir que les services et les voies de commercialisation de U-Haul et de U Box It Inc. ne se recoupent pas. Selon U-Haul, cette preuve indique que probablement aucune entreprise au Canada n'offre à la fois des services d'élimination de déchets et de déménagement et d'entreposage.

[24]  La Cour fédérale s'est demandé s'il était approprié de mener un examen de novo en raison du dépôt de cette nouvelle preuve et a conclu qu'il ne l'était pas, parce que cette nouvelle preuve ne touchait pas fondamentalement la chaîne de raisonnement de la Commission ou les conclusions à cet égard (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 34).

[25]  U‑Haul fait valoir que la Cour fédérale aurait dû mener un examen de novo. Elle soutient que cette nouvelle preuve est importante, parce qu'elle contredit la conclusion de la Commission selon laquelle les services offerts par les parties pourraient être complémentaires. Il s'agit d'une question mixte de fait et de droit pour laquelle la norme de contrôle est celle de l'erreur manifeste et dominante : décision Monster Cable Products, Inc. c. Monster Daddy, LLC, 2013 CAF 137, 445 N.R. 379 au paragraphe 4.

[26]  Selon moi, la Cour fédérale n'a commis aucune erreur manifeste et dominante en refusant de mener un examen de novo. Je suis d'accord avec U Box It Inc., qui affirme que la nouvelle preuve ne fait que compléter ou confirmer les conclusions de la Commission. La Cour fédérale pouvait arriver à la conclusion qu'elle a tirée sur cette question, conclusion qu'elle a bien justifiée dans ses motifs.

B.  Les marques de commerce créent‑elles de la confusion?

[27]  Comme il est indiqué ci‑dessus, la Commission et la Cour fédérale ont confirmé les trois motifs d'opposition liés à la confusion. J'examinerai d'abord la décision rendue au sujet de l'alinéa 12(1)d) de la Loi, soit la question de savoir si les marques de commerce de U-Haul créent de la confusion avec une marque de commerce déposée, U BOX IT.

[28]  La norme de contrôle qui s'applique à cette question est établie dans l'arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2013] 2 R.C.S. 559, 2013 CSC 36, aux paragraphes 45 à 47 (décision Servicemaster, aux paragraphes 16 à 18). Essentiellement, notre Cour doit se mettre à la place de la Cour fédérale et déterminer si les décisions rendues par la Commission sont raisonnables.

[29]  U‑Haul soutient que l'analyse faite par la Commission sur la confusion contient de nombreuses erreurs quant au choix des facteurs prévus au paragraphe 6(5) à prendre en considération et à l'établissement de leur pondération. Certaines des erreurs alléguées clés sont indiquées ci‑dessous :

  • a) La Commission n'a pas donné un poids suffisant au fait que les services de déménagement et d'entreposage et ceux d'élimination des déchets diffèrent autant.

  • b) La Commission n'aurait dû accorder aucun poids aux ressemblances dans la façon dont les services sont offerts.

  • c) La Commission a commis une erreur en accordant un poids à une preuve peu fiable du premier emploi de la marque de commerce de U Box It Inc.

  • d) La Commission n'a pas accordé un poids suffisant aux différences mineures entre les marques de commerce, étant donné qu'elles avaient toutes un caractère distinctif inhérent faible.

  • e) La Commission a commis une erreur en déterminant que les voies de commercialisation étaient un facteur neutre, parce qu'elles jouaient clairement en faveur de U‑Haul.

  • f) La Commission a commis une erreur en n'accordant pas le poids nécessaire à la notoriété de U‑Haul.

[30]  À la lumière de la norme de contrôle appropriée, notre Cour ne peut pas intervenir dans la décision rendue par la Cour fédérale si les conclusions générales de la Commission appartiennent aux issues raisonnables. En outre, la Cour suprême a conclu qu'il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard des analyses de la Commission sur la confusion : « La détermination de la probabilité de confusion requiert une expertise que la Commission (qui procède quotidiennement à des évaluations de ce genre) possède dans une plus grande mesure que les juges en général » : arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, 2006 CSC 22, au paragraphe 36.

[31]  Pour les motifs qui suivent, j'ai conclu que les décisions de la Commission résistent à un examen et qu'il n'y a pas lieu d'intervenir. Je reconnais que, dans la présente affaire, des facteurs importants jouent en faveur de U-Haul. Toutefois, il était raisonnable que la Commission donne un poids prépondérant aux circonstances favorables à U Box It Inc.

[32]  L'une des principales allégations présentées par U-Haul était que la Commission n'avait pas donné un poids suffisant au fait que les services de déménagement et d'entreposage et ceux d'élimination des déchets diffèrent autant. Elle établit l'analogie qui suit au paragraphe 54 de son mémoire :

[TRADUCTION]

Le fait de permettre à la manière dont un service est offert d'être un facteur primordial lors de la détermination de la confusion entre deux marques de commerce étendra considérablement les droits des détenteurs de marques de commerce et empêchera les entreprises ayant des marques de commerce semblables d'offrir des produits et services qui n'ont même aucun lien. Le fait de confirmer les conclusions du juge Camp et du registraire ferait, par exemple, qu'un service de livraison d'eau embouteillée ne pourrait avoir le même nom commercial qu'un électricien, parce qu'ils utilisent tous deux une camionnette pour se rendre à la porte de leurs clients afin d'offrir le service. En outre, étant donné que de nombreuses entreprises offrent leurs produits et services sur Internet, le détenteur d'une marque de commerce plus ancienne pourrait en fait monopoliser l'Internet, parce que le service est offert de façon semblable.

[33]  À mon avis, cette analogie prend l'eau. Contrairement aux services en cause en l'espèce, la livraison d'eau embouteillée et les services offerts par un électricien ont très peu en commun. En l'espèce, il était raisonnable pour la Commission de conclure que les services offerts par U-Haul et U Box It Inc. étaient rendus de manière semblable et que leurs clients pourraient se chevaucher, parce que des personnes qui déménagent ou qui effectuent des rénovations pourraient souhaiter recourir aux services des deux entreprises.

[34]  U-Haul soutient aussi que la façon dont les services sont rendus n'aurait pas dû être le facteur primordial. Ce n'était pas le cas dans les décisions rendues par la Commission. En particulier, la Commission a mis l'accent sur d'autres facteurs, tels que le degré élevé de ressemblance dans la présentation, le son et les idées. Elle a aussi mentionné le fait que les marques de commerce de U-Haul ne sont pas intrinsèquement distinctives et n'ont été employées au Canada que quelques années après la marque de commerce qui appartient à U Box It Inc.

[35]  U-Haul affirme aussi que la Commission n'a pas donné un poids suffisant aux différences mineures entre les marques de commerce, qui assurent un caractère distinctif alors que les marques ne sont pas intrinsèquement distinctives.

[36]  Je ne suis pas d'accord. La Commission a conclu que le caractère distinctif jouait en faveur de U-Haul, en raison du caractère distinctif acquis à la suite d'un emploi important. Toutefois, d'autres facteurs ont éclipsé ce point. L'exercice de pondération mené par la Commission était raisonnable, selon les faits de l'espèce.

[37]  U-Haul conteste également la conclusion de la Commission quant à la nature du commerce. U-Haul fait valoir que ce facteur jour en sa faveur, tandis que la Commission a conclu qu'il ne jouait en faveur d'aucune partie. L'explication se trouve au paragraphe 46 de la décision de la Commission en ce qui concerne U-BOX WE-HAUL.

[46]  Compte tenu du lien qui existe entre les services des parties et du fait que ni l'enregistrement de l'Opposante ni la demande pour la Marque ne comportent de restrictions, j'estime qu'il existe une possibilité de recoupement entre les voies de commercialisation des parties. Ce recoupement semble cependant peu probable, car il appert de la preuve que les consommateurs peuvent accéder aux services de la Requérante uniquement en communiquant avec U-HAUL par téléphone, en consultant le site Web de U-HAUL ou en se rendant dans les centres de service U-HAUL.

[38]  Je suis d'accord avec U-Haul : la conclusion de la Commission selon laquelle ce facteur ne joue en faveur d'aucune des parties et sa conclusion selon laquelle il est peu probable que les voies de commercialisation se recoupent ne semblent pas compatibles. Toutefois, lorsque l'on étudie les motifs de la Commission dans leur ensemble, il est évident que les « voies de commercialisation » n'étaient pas un facteur qui aurait eu une incidence sur les décisions de la Commission. La Commission a tenu compte d'un certain nombre de circonstances, auxquelles elle a accordé un poids raisonnable en faveur de U Box It Inc. Ce sont les faits et les circonstances qui importent plutôt que la désignation que leur donne le paragraphe 6(5) de la Loi.

[39]  U‑Haul fait aussi valoir que la Commission a commis une erreur dans sa conclusion sur la période d'usage prévue à l'alinéa 6(5)b). En particulier, U-Haul soutient qu'il n'y avait pas suffisamment de preuve fiable pour étayer la conclusion de la Commission selon laquelle l'usage fait par U Box It Inc. a commencé en 2006.

[40]  Je ne suis pas d'accord. La Commission doit faire l'objet d'une grande retenue dans son évaluation de la preuve. Les motifs exposés par la Commission étayent amplement la conclusion selon laquelle l'usage fait par U Box It Inc. a commencé en 2006 et rien ne justifie que notre Cour intervienne.

[41]  Essentiellement, dans le présent appel, U-Haul demande à la Cour de réévaluer la preuve et de pondérer de nouveau les facteurs liés à la confusion. À mon avis, les décisions rendues par la Commission à l'égard de l'alinéa 12(1)d) sont raisonnables et il n'est pas approprié de mener un nouvel exercice de pondération dans la présente affaire.

[42]  En raison de cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'aborder les alinéas 16(1)a) et 38(2)d) de la Loi, soit les autres motifs d'opposition présentés par U Box It Inc.

[43]  Je rejetterais l'appel avec dépens.

« Judith Woods »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb j.c.a. »

« Je suis d’accord.

A.F. Scott j.c.a. »


ANNEXE A

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T‑13

Définitions

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[...]

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des produits ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. (distinctive)

Definitions

2. In this Act,

. . .

"distinctive", in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the goods or services in association with which it is used by its owner from the goods or services of others or is adapted so to distinguish them; (distinctive)

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

6. (1) Pour l'application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l'emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

When mark or name confusing

6. (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

[...]

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the goods or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the goods or services are of the same general class.

. . .

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade‑marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the goods, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

Marque de commerce enregistrable

12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants :

[...]

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

[...]

When trade-mark registrable

12. (1) Subject to section 13, a trade‑mark is registrable if it is not

. . .

(d) confusing with a registered trade-mark;

. . .

Enregistrement des marques employées ou révélées au Canada

16. (1) Tout requérant qui a produit une demande selon l'article 30 en vue de l'enregistrement d'une marque de commerce qui est enregistrable et que le requérant ou son prédécesseur en titre a employée ou fait connaître au Canada en liaison avec des produits ou services, a droit, sous réserve de l'article 38, d'en obtenir l'enregistrement à l'égard de ces produits ou services, à moins que, à la date où le requérant ou son prédécesseur en titre l'a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle n'ait créé de la confusion :

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

[...]

Registration of marks used or made known in Canada

16. (1) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a trade-mark that is registrable and that he or his predecessor in title has used in Canada or made known in Canada in association with goods or services is entitled, subject to section 38, to secure its registration in respect of those goods or services, unless at the date on which he or his predecessor in title first so used it or made it known it was confusing with

(a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;

. . .

Déclaration d'opposition

38. (1) Toute personne peut, dans le délai de deux mois à compter de l'annonce de la demande, et sur paiement du droit prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration d'opposition.

Statement of opposition

38. (1) Within two months after the advertisement of an application for the registration of a trade-mark, any person may, on payment of the prescribed fee, file a statement of opposition with the Registrar.

Motifs

(2) Cette opposition peut être fondée sur l'un des motifs suivants :

a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l'article 30;

b) la marque de commerce n'est pas enregistrable;

c) le requérant n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement;

d) la marque de commerce n'est pas distinctive.

Grounds

(2) A statement of opposition may be based on any of the following grounds:

(a) that the application does not conform to the requirements of section 30;

(b) that the trade-mark is not registrable;

(c) that the applicant is not the person entitled to registration of the trade-mark; or

(d) that the trade-mark is not distinctive.

Appel

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

[...]

Appeal

56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

. . .

(5) Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A‑3‑16

APPEL DU JUGEMENT DU JUGE CAMP RENDU LE 4 DÉCEMBRE 2015, NOS T‑2448‑14 ET T‑2449‑14

INTITULÉ :

U-HAUL INTERNATIONAL INC. c. U BOX IT INC.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 18 JANVIER 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

La JUGE WOODS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 AOÛT 2017

 

COMPARUTIONS :

Scott Miller

 

POUR L'APPELANTe

 

Matthew R. Norwood

 

POUR L'INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MBM Intellectual Property Law LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR L'APPELANTE

 

Ridout & Maybee LLP

Toronto (Ontario)

POUR L'INTIMÉE

 

 

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