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Date : 20170901


Dossier : A-80-16

A-81-16

Référence : 2017 CAF 175

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GAUTHIER

 

Dossier : A-80-16

 

ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

demanderesse

 

et

 

PREMIÈRE NATION D’AKISQ’NUK

 

intimée

 

Dossier à : A-81-16

 

ET ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

demanderesse

 

et

 

PREMIÈRE NATION D’AKISQ’NUK

 

intimée

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 16 mai 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er septembre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LA JUGE GAUTHIER


Date : 20170901


Dossier : A-80-16

A-81-16

Référence : 2017 CAF 175

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LA JUGE DAWSON

LA JUGE GAUTHIER

 

Dossier : A-80-16

 

ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

demanderesse

 

et

 

PREMIÈRE NATION D’AKISQ’NUK

 

intimée

 

Dossier : A-81-16

 

ET ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

demanderesse

 

et

 

PREMIÈRE NATION D’AKISQ’NUK

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]  Les présentes demandes de contrôle judiciaire qui ont été réunies soulèvent une seule question : le Tribunal est-il parvenu aux décisions en cause d’une manière qui portait atteinte aux principes d’équité procédurale? Cette question se pose dans le cadre des faits exposés ci-dessous.

I.  Les faits

[2]  La Première Nation d’Akisq’nuk (Akisq’nuk) a déposé une revendication aux termes de l’article 14 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, L.C. 2008, c. 22 (la Loi) qui découle de la création de la réserve indienne no 3 du lac Columbia la (la réserve). Il était avancé dans la revendication que la Couronne du chef du Canada avait manqué à son obligation fiduciaire envers Akisq’nuk à deux égards. En premier lieu, il était allégué dans la revendication que la Couronne avait manqué à son obligation fiduciaire en excluant de la réserve, en 1886, des terres de 960 acres qui avaient été attribuées à l’origine par le commissaire de réserves O’Reilly (les terres arpentées). En second lieu, il était allégué dans la revendication que la Couronne n’avait pas exécuté une ordonnance de la Commission McKenna-McBride, rendue en 1915, visant l’ajout de terres de 2 960 acres à la réserve (les terres additionnelles). Les autorités canadiennes ont rejeté toutes les allégations de responsabilité.

[3]  L’instance devant le Tribunal des revendications particulières (le Tribunal) a été disjointe en deux phases : une première phase visant à tenir une audience et à rendre une décision quant à la validité de la revendication suivie, et, au besoin, d’une seconde phase visant à déterminer l’indemnisation à laquelle Akisq’nuk pourrait avoir droit.

[4]  Le Tribunal a instruit la phase de la revendication portant sur la validité pendant trois jours d’audience. Akisq’nuk et le Canada n’ont présenté aucune preuve d’histoire orale ou preuve d’expert. La preuve produite consistait en un exposé conjoint des faits de 80 paragraphes et d’un recueil conjoint de documents contenant 241 documents. L’audience a pris fin le 25 septembre 2014, et le Tribunal a mis la revendication en délibéré.

[5]  Par la suite, après plus de neuf mois, le 8 juillet 2015, le Tribunal a adressé un mémoire aux avocats des parties. Par ce mémoire, le président du Tribunal communiquait aux avocats les éléments d’information suivants :

[traduction]

J’ai consulté certains ouvrages historiques qui ne figurent pas au dossier pour mieux cerner la réalité historique essentielle à la résolution de la présente revendication, notamment les ouvrages suivants :

1)  Robert E. Cail, Land, Man, and the Law, The Disposal of Crown Lands in British Columbia, 1871 – 1913 (The University of British Columbia 1974), chapitres 11 à 13.

2)  Cole Harris, Making Native Space, Colonialism, Resistance, and Reserves in British Columbia (University of British Columbia Press 2002), pages 241 à 261.

3)  E. Brian Titley, A Narrow Vision, Duncan Campbell Scott and the Administration of Indian Affairs in Canada (University of British Columbia Press, Vancouver 1986), chapitre 8.

Je pourrais aussi prendre en considération certains documents historiques cités en notes de bas de page dans les chapitres et pages indiqués ci-dessus.

A l’heure actuelle, je suis d’avis que le recours à ces documents serait dans les limites du principe de la connaissance d’office et de la connaissance judiciaire.

Les parties auront la possibilité de répondre.

[6]  Le gouvernement canadien s’est opposé au recours à ces documents additionnels proposé par le Tribunal et la tenue d’une conférence de gestion de l’instance a été fixée.

[7]  À la conférence de gestion de l’instance, le Tribunal a informé les parties qu’il entendait se fonder sur un rapport historique cité dans les ouvrages, à savoir le rapport de 1927 sur les revendications des tribus indiennes alliées de la Colombie-Britannique intitulé « Report of the Special Joint Committee on the Claims of the Allied Indian Tribes of British Columbia » (rapport du comité mixte spécial relatif aux revendications des tribus indiennes alliées de la Colombie-Britannique, ci-dessous « rapport du comité mixte spécial »). Dans les présents motifs, les extraits des trois ouvrages et le rapport du comité mixte spécial sont collectivement appelés les « documents additionnels ».

[8]  À la conférence de gestion de l’instance, le Tribunal a établi un calendrier pour l’échange entre les parties de mémoires des faits et du droit concernant la capacité du Tribunal à se fonder sur les documents additionnels. Finalement, le Tribunal a informé les parties dans son mémoire à l’intention des avocats que, s’il y avait [traduction] « d’autres documents faisant autorité qu’elles voulaient que le Tribunal prenne en considération en plus de ceux mentionnés », les avocats pouvaient « en informer le Tribunal ».

[9]  Le gouvernement canadien, dans son mémoire contestant le recours par le Tribunal aux documents additionnels, a notamment soutenu que le contenu des ouvrages universitaires et du rapport de 1927 n’était pas admissible selon la doctrine de la connaissance d’office. De plus, le gouvernement canadien a soutenu que les Règles de procédure du Tribunal des revendications particulières, (DORS/2011‑119) (les Règles) et les principes de common law relatifs à l’équité procédurale exigent ce qui suit :

  1. il doit être permis au Tribunal de recevoir uniquement les éléments de preuve ou les renseignements qui sont produits par les parties ou produits par un expert nommé par lui aux termes du paragraphe 89(1);

  2. subsidiairement, si le Tribunal devait produire des éléments de preuve ou les renseignements en question, l’équité procédurale oblige le Tribunal à communiquer les éléments de preuve et les renseignements sur lesquels il se fondera, à préciser la question de fait à laquelle les éléments de preuve ou les renseignements se rapportent et à donner aux parties la possibilité de répondre;

  3. si le Tribunal décide de recevoir les éléments de preuve ou les renseignements en question, le Tribunal doit donner aux parties la possibilité d’être entendues dans le cadre de plaidoiries et de réponses.

[10]  Akisq’nuk a répondu dans son mémoire qu’il était généralement loisible au Tribunal de prendre connaissance d’office des documents additionnels et que, dans la mesure où la doctrine de la connaissance d’office ne vise pas la preuve ou les renseignements en question, le Tribunal pourrait les recevoir et les accepter aux termes de l’alinéa 13(1)b) de la Loi ou de l’article 4 des Règles. Le Tribunal a mis en délibéré, le 21 septembre 2015, la question de l’utilisation qui peut être faite des documents additionnels.

[11]  Le 4 février 2016, après plus de quatre mois, le Tribunal a rendu sa décision rejetant l’objection formulée par le gouvernement canadien contre la prise en compte par le Tribunal des documents additionnels (la décision interlocutoire).

[12]  Le lendemain, le 5 février 2016, le Tribunal a rendu sa décision définitive par laquelle il a conclu qu’Akisq’nuk avait établi la violation d’une obligation légale au sens de l’alinéa 14(1)c) de la Loi en ce qui concerne à la fois les terres arpentées et les terres additionnelles.

[13]  Notre Cour est saisie de demandes de contrôle judiciaire des décisions interlocutoire et définitive. Les demandes ont été fusionnées par ordonnance de la Cour du 8 avril 2016, le dossier de la Cour A-80-16 étant celui de la demande principale. La copie des présents motifs sera également versée au dossier de la Cour A-81-16.

II.  La décision interlocutoire du Tribunal (2016 TRPC 2)

[14]  Le Tribunal a entamé son analyse en citant Calder et al. c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313, au paragraphe 83, et R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, au paragraphe 60. Le Tribunal a observé que, selon cette jurisprudence, les juges peuvent prendre connaissance d’office de faits historiques et se fonder sur leurs propres connaissances historiques ainsi que sur les recherches qu’ils font à cet égard. En citant R. c. Bartleman (1984), 12 D.L.R. (4e) 73 (C.A. C.-B.), [1984] 3 C.N.L.R. 114, aux paragraphes 12 et 13, le Tribunal a fait une mise en garde : les juges ne peuvent prendre connaissance d’office que des faits « qui sont à l’abri de toute contestation » (motifs, au paragraphe 18). Le Tribunal a confirmé qu’il « [n’avait] pas l’intention de retenir les opinions des auteurs dans son utilisation des ouvrages » (motifs, au paragraphe 19). De plus, le Tribunal a pris en compte le fait que le Canada « [s’était] vu donner l’occasion de contester la fiabilité des ouvrages ou de proposer d’autres sources pour les soumettre à l’examen du Tribunal, mais [qu’il avait] refusé de le faire » (motifs, au paragraphe 21).

[15]  Après avoir cité l’alinéa 13(1)b) de la Loi, le Tribunal a observé au paragraphe 25 :

[...] Lorsque, comme en l’espèce, des ouvrages et des articles d’experts relatent des faits prouvables au regard de documents historiques, on peut s’en servir comme s’ils étaient établis par des preuves, et pour les mêmes fins. Cela ne se limite pas à une compréhension du contexte; lorsqu’on examine ces ouvrages en corrélation avec des éléments de preuve, notamment des preuves documentaires, il est possible d’évaluer leur fiabilité et le poids à leur accorder dans le cadre du processus qui permettra de tirer des conclusions de fait.

[16]  Le Tribunal a ensuite conclu ses motifs ainsi :

[26]  À titre d’exemple, deux documents déposés en preuve sont au cœur de la revendication de la Première Nation d’Akisq’nuk, selon laquelle la Couronne aurait manqué à son obligation fiduciaire en n’ayant pas procédé à l’ajout de 1915 de 2 960 acres à la RI 3, la réserve qui lui avait déjà été attribuée. Cet ajout avait été ordonné par la Commission McKenna-McBride, mise sur pied en vertu d’une convention conclue entre la province et le Dominion en 1912  (convention McKenna-McBride, déposée en preuve). Les deux parties voulaient que les terres accordées par la Commission soient transférées de la province au Dominion et détenues en fiducie pour la revendicatrice. Toutefois, une autre entente, signée en 1920 (document sur la Commission Ditchburn-Clark, déposé en preuve), prévoyait une révision des attributions de terres faites par la Commission. L’ajout de 1915 a été approuvé par Ditchburn, mais refusé par Clark, le représentant de la province. Le contexte de l’époque, dont les ouvrages rendent pleinement compte, était marqué par un conflit qui a duré de 1871 à 1920, et même au-delà, et qui portait sur les terres que la province devait transférer au Dominion afin de respecter l’obligation que lui conférait l’article 13 des Conditions de l’adhésion. Pour remonter à la source du conflit, il faut examiner la politique coloniale en vigueur avant la Confédération, de 1850 à 1871.

[27]  Un autre exemple : la revendicatrice soutient qu’il incombait à la Couronne de saisir le secrétaire d’État pour les colonies du désaccord entre Ditchburn et Clark afin qu’il tranche la question, un recours prévu à l’article 13. À première vue, cet argument paraît fondé. L’intimée, pour sa part, plaide que si une telle obligation existait (ce qu’elle nie), la Couronne avait le devoir plus large de mettre un terme à cinq décennies de querelles au sujet de la quantité de terres à transférer. Elle a donc accepté l’annulation de l’ajout, et confirmé que cette question litigieuse était résolue. Cependant, il n’est pas possible de déterminer le bien-fondé de la réponse de l’intimée sur la foi de la preuve limitée dont le Tribunal dispose. L’ouvrage de Harris pallie l’insuffisance de la preuve en renvoyant aux sources primaires qui constituent le dossier historique.

[28]  À mon sens, l’équité procédurale a été dûment respectée, compte tenu de l’avis donné aux parties et de la possibilité qu’elles ont eue de soumettre des observations. Il appartient peut-être à d’autres instances de rendre une décision définitive sur la question.

[Non souligné dans l’original.]

III.  La décision définitive du Tribunal (2016 TRPC 3)

[17]  Vu ma conclusion selon laquelle les demandes fusionnées portent sur les principes entourant l’équité procédurale, il n’est pas nécessaire d’examiner le fond de la décision définitive du Tribunal. Je cite plutôt les brefs paragraphes ci-après pour illustrer le rôle joué par les documents additionnels dans la décision définitive du Tribunal :

[242]  La revendicatrice avait un intérêt identifiable sur les terres additionnelles. La Couronne exerçait un pouvoir discrétionnaire dans le cadre du processus visant à obtenir le transfert des terres au Canada conformément à l’article 13. La Couronne avait donc, à tout le moins, une obligation de diligence ordinaire. Le bénéficiaire dont l’intérêt était directement mis en cause était la bande maintenant connue comme étant la Première Nation d’Akisq’nuk, c’est-à-dire la revendicatrice. Son intérêt résidait dans les terres additionnelles devant être transférées au Canada, ainsi que dans les terres attribuées par O’Reilly. Le Canada aurait au moins dû faire preuve d’une diligence ordinaire au moment de protéger cet intérêt.

[243]  L’intimée soutient que l’obligation qu’elle avait de régler de façon définitive la [traduction] « question des terres indiennes » dans l’intérêt de toutes les « bandes » à qui des réserves avaient été attribuées l’emportait sur toute obligation qu’elle aurait pu avoir de défendre l’intérêt de la revendicatrice, par exemple, en renvoyant la question au secrétaire d’État pour les colonies pour qu’il rende une décision. Toutefois, rien ne prouve que tel aurait été le résultat. Il se pourrait que ce ne soit pas le cas, puisque le Dominion ne l’a pas fait.

[244]  La thèse de l’intimée repose sur la proposition, dégagée par inférence, selon laquelle les mesures prises pour défendre l’intérêt de la revendicatrice auraient nui à la réussite du transfert ou aurait empêché le transfert, lequel a finalement eu lieu 14 ans plus tard.

[245]  Les traités présentent un portrait des événements survenus au fil des six dernières décennies. Dans cet esprit, l’argument de l’intimée semble avoir un certain fondement, mais il ne résiste pas à un examen attentif. L’inférence proposée par la Couronne n’est pas la seule inférence raisonnable pouvant être tirée de la preuve et des renseignements contenus dans les traités. Elle ne tient pas compte du fait que la province a atteint son principal objectif, soit qu’elle a réussi à retrancher des terres de grande valeur déjà attribuées par la CMRI des terres devant être transférées au Canada. Il n’aurait pas été dans l’intérêt de la province de rouvrir de façon générale la question des terres.

[...]

[305]  S’agissant de l’obligation fiduciaire, laquelle peut naître dans les deux cas précisés aux paragraphes 49 et 50 de l’arrêt Manitoba Métis Federation, j’estime que la Couronne était tenue de proposer que le désaccord entre Ditchburn et Clark au sujet de l’ajout de 2 960 acres de terre à la RI 3 soit soumise à la décision du secrétaire d’État pour les colonies, comme le prévoyait l’article 13. Au lieu de cela, elle a troqué l’obligation qu’elle avait envers la revendicatrice contre ce qui pourrait bien avoir été un compromis politique inutile.

[Non souligné dans l’original.]

[18]  Ayant exposé la trame factuelle, j’examinerai maintenant la norme de contrôle applicable aux décisions du Tribunal, le contenu de l’obligation d’équité que le Tribunal avait envers les parties et la question de savoir si le Tribunal a violé les droits de participation particuliers du gouvernement canadien.

IV.  La norme de contrôle applicable aux décisions du Tribunal

[19]  Le gouvernement canadien soutient que les questions d’équité procédurale relèvent de la norme de la décision correcte; l’avocat d’Akisk’nuk a reconnu lors des débats que cette thèse prétention était correcte. Je souscris à celle‑ci : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, au paragraphe 79.

V.  Le contenu de l’obligation d’équité du Tribunal

[20]  La notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas. Elle a pour philosophie de garantir que l’on joue franc jeu. Le but des droits de participation faisant partie de l’équité procédurale a été défini ainsi :

[...] garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.

(Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 22).

[21]  Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême recense, de manière non exhaustive, les facteurs à prendre en compte lorsqu’il s’agit de déterminer les exigences de l’équité procédurale dans des circonstances données : la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; la nature du régime législatif, et notamment l’existence d’une procédure d’appel; l’importance de la décision pour les personnes visées; les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et les choix de procédure que l’organisme fait lui-même.

[22]  Le gouvernement canadien, appliquant ces facteurs, soutient que les parties avaient droit à [traduction] « toute la gamme de protections de l’équité procédurale » (mémoire modifié des faits et du droit, au paragraphe 44). À l’inverse, Akisq’nuk soutient que l’application de ces facteurs mène à la conclusion selon laquelle [traduction] « l’étendue des obligations imposées par l’équité procédurale quant aux questions [sic] d’admissibilité de la preuve est restreinte » (mémoire modifié des faits et du droit, au paragraphe 41).

[23]  Il n’est pas nécessaire que je règle entièrement cette controverse ou que je recense les droits de participation dont bénéficient les parties. Compte tenu du caractère adjudicatif de la décision en cause, la procédure quasi-judiciaire prescrite par les Règles (plus précisément, les articles 57 à 103 portant sur la communication préalable à l’audience, les interrogatoires préalables à l’audience et la preuve préalable à l’audience produite par voie d’interrogatoire, d’histoire orale ou de preuve d’expert, les règles 104 et 105 portant sur les procédures à l’audience), l’absence de droit d’appel et l’importance de la décision pour les parties, il suffit de conclure que les parties avaient le droit d’avoir la possibilité raisonnable de présenter entièrement et équitablement leur position. Cela supposait en retour, au moins, que les parties devaient être informées, et être au courant des moyens qu’elles étaient appelées à discuter et avoir ensuite la possibilité de produire des éléments de preuve et de présenter des observations en réponse à ces moyens.

[24]  Je suis consciente, en tirant cette conclusion, de la nécessité que l’on discute les revendications particulières des Premières Nations et de la nécessité qu’il soit statué sur les revendications particulières de façon à favoriser la réconciliation entre les Premières Nations et la Couronne. Tel qu’il est indiqué dans le préambule de la Loi, il convient que soit constitué un tribunal indépendant « capable, compte tenu de la nature particulière [des] revendications, de statuer sur celles-ci ».

[25]  Je suis consciente également de la nécessité de respecter les choix de procédure que le Tribunal a faits (Baker, au paragraphe 27). Toutefois, conformément au préambule de la Loi, le Tribunal doit statuer sur les revendications particulières « de façon équitable et dans les meilleurs délais ». Exiger du Tribunal qu’il donne aux parties la possibilité concrète de défendre entièrement et équitablement leur thèse, qui sont informées et sont au courant des moyens auxquels elles doivent répondre, concorde avec la mission et le rôle particulier du Tribunal. Cela respecte également les choix de procédure que le Tribunal a faits dans la mesure où ces choix sont conformes au fait de donner aux parties la possibilité valable de participation décrite ci-dessus.

VI.  Le droit du gouvernement canadien de participer utilement et de connaître les moyens auxquels il devra répondre

[26]  Le gouvernement canadien soutient [traduction] « qu’il ne connaissait pas ni ne pouvait connaître les moyens auxquels il devait répondre en ce qui concerne le jugement finalement rendu par le Tribunal » (mémoire modifié des faits et du droit, au paragraphe 61). Les raisons invoquées sont les suivantes :

  1. La portée et la nature des documents additionnels;

  2. le défaut du Tribunal de préciser les faits ou les renseignements sur lesquels il se proposait de fonder et de cerner la question de fait ou la question à laquelle les faits ou les renseignements se rapportaient;

  3. le recours du Tribunal aux documents additionnels à l’appui de sa conclusion selon laquelle le gouvernement canadien avait manqué à son obligation fiduciaire.

[27]  En réponse, Akisq’nuk soutient que, même si [traduction] « le processus suivi par le Tribunal n’a peut-être pas été optimal », l’équité a été respectée de sorte qu’il n’y a aucun motif de plainte. Selon la raison invoquée, le gouvernement canadien n’a pas démontré les conclusions de fait qui ont été directement influencées par le recours aux documents additionnels ayant eu une influence directe sur la décision définitive. En d’autres mots, Akisq’nuk avance que le Tribunal aurait pu parvenir à la décision définitive sans recourir aux documents additionnels.

[28]  Je propose de discuter ces conclusions en exposant les éléments invoqués par Akisq’nuk contre le gouvernement canadien à la conclusion de l’audience, puis en examinant la portée et la nature des documents additionnels. J’examinerai ensuite la question de savoir s’il y a eu violation du droit de participation du gouvernement canadien qui consiste à connaître les moyens soulevés contre lui et à y répondre.

A.  Les moyens soulevés contre le gouvernement canadien

[29]  Selon l’alinéa 41e) des Règles, une partie peut déposer une déclaration de revendication consistant en « un bref exposé des faits sur lesquels est fondée la revendication particulière ». Akisq’nuk a avancé, dans sa déclaration de revendication, une revendication fondée sur deux prémisses factuelles. En premier lieu, lorsque l’arpenteur de la Couronne Skinner a arpenté la réserve, il s’est écarté des directives d’arpentage contenues dans le rapport de décision rédigé par le commissaire des réserves O’Reilly. En second lieu, la Commission McKenna-McBride a attribué une parcelle additionnelle de 2 960 acres à la réserve. Toutefois, les gouvernements provincial et fédéral ont par la suite refusé cette attribution.

[30]  Même si l’exposé conjoint des faits reproduisait les dispositions de l’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique de 1871, aucun fait n’a été admis en ce qui concerne la question de savoir si ce redressement est possible ou indiqué pour la période suivant le moment où l’inspecteur en chef Ditchburn a déposé son rapport définitif le 27 mars 1923, indiquant que le major Clark et la Couronne du chef de la province avaient refusé l’attribution de la parcelle additionnelle de 2 960 acres à Akisq’nuk.

[31]  Plus tard, après la préparation par les parties de l’exposé conjoint des faits et du recueil conjoint de documents, mais avant la tenue de l’audience devant le Tribunal, Akisq’nuk a déposé son mémoire modifié des faits et du droit exposant le fondement factuel de sa revendication, les questions soulevées par sa revendication et les arguments de droit à l’appui de sa revendication.

[32]  Même si le mémoire énonçait le texte de l’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique de 1871, il ne contenait aucune affirmation selon laquelle le gouvernement canadien avait l’obligation fiduciaire de soumettre au secrétaire d’État pour les colonies tout désaccord entre les gouvernements provincial et fédéral en ce qui concerne les dimensions des étendues de terrain que la province devait transférer au gouvernement canadien en fiducie pour le bénéfice des Indiens. La thèse avancée en ce qui concerne les terres arpentées reposait uniquement sur le défaut de l’arpenteur Skinner de suivre les directives contenues dans le rapport de décision rédigé par le commissaire de réserves O’Reilly. La thèse avancée en ce qui concerne les terres additionnelles reposait sur l’allégation selon laquelle, après que la Commission McKenna-McBride eut ordonné que les terres additionnelles soient mises de côté, celles-ci sont devenues une réserve. Par la suite, le gouvernement canadien était tenu de protéger le droit de la Première Nation sur les terres additionnelles. On a également fait valoir ce qui suit :

[traduction]

102.  La Constitution  et les Conditions de l’adhésion ont imposé au gouvernement canadien l’obligation de protéger le droit de la Première Nation sur les terres Madias Tatley.

Toute ambiguïté possible en ce qui concerne le pouvoir du commissaire O’Reilly et de la Commission McKenna-McBride de faire des attributions définitives de réserves doit être résolue en faveur de la Première Nation. De plus, s’il existe le moindre doute lorsqu’il s’agit de savoir si les terres retranchées et les terres Madias Tatley constituaient une réserve, au sens de la Loi sur les Indiens, le doute doit résolu en faveur de la Première Nation, conformément à la jurisprudence : Mitchell c.  Bande indienne Peguis, [1990] 3 C.N.L.R. 46 (C.S.C.), Nowegijick c. La Reine [1983], 144 D.L.R. (3e) 193 (C.S.C.).

[33]  Par la suite, à l’audience, Akisq’nuk n’a présenté aucune observation dans le cadre de son moyen principal tiré de l’obligation fiduciaire de soumettre le différend au secrétaire d’État pour les colonies. L’avocate du gouvernement canadien a soulevé dans ses observations la question de savoir si toute obligation fiduciaire qui incombait au gouvernement canadien relativement aux terres additionnelles après 1915 se limitait [traduction] « aux obligations élémentaires de loyauté, de bonne foi dans l’exécution de sa mission, de communication complète de l’information eu égard aux circonstances et d’exercice de prudence ordinaire » et que le gouvernement canadien [traduction« en s’efforçant de persuader la province d’approuver les recommandations de la commission, a déployé des efforts de bonne foi pour exercer sa mission, que cette mission ait été exposée au titre de l’article 13 des Conditions de l’adhésion, de l’entente McKenna-McBride, du décret du gouvernement canadien de 1912 donnant effet à cette entente ou à de la Loi du règlement relatif aux terres des sauvages de 1920 » (transcription des observations finales, 25 septembre 2015, dossier de la demanderesse, volume 7, aux pages 1548 et 1549).

[34]  L’avocate a ensuite fait état de la thèse suivante, qui reflète la thèse exposée au paragraphe 113 du mémoire du gouvernement canadien:

[TRADUCTION]

Aux termes de l’article 13 des Conditions de l’adhésion, le gouvernement canadien devait assumer la garde et l’administration des terres réservées à l’usage et au bénéfice des Indiens. Les terres devaient être transférées par la C.-B. au gouvernement canadien en fiducie au nom et pour le bénéfice des Indiens, à la demande du dominion. En fait, l’article 13 prévoyait de plus les désaccords entre le gouvernement canadien et la C.-B. en ce qui concerne la question précise dont nous sommes saisis ici, à savoir l’étendue des terres. De plus, un mécanisme de règlement des différends était prévu. Et j’y reviendrai dans un moment. Le mécanisme de règlement des différends consistait à soumettre la question à la décision du secrétaire d’État pour les colonies.

L’engagement du gouvernement canadien aux termes de l’article 13 consistait à présenter une demande de terres au nom des Indiens. Celui de la C.-B. consistait à transférer les terres. Le gouvernement canadien ne pouvait pas procéder à la mise en œuvre unilatérale de l’article 13, tout comme il ne pouvait pas procéder à la mise en œuvre unilatérale des recommandations de la Commission et créer les terres McKenna-McBride à titre de réserve. Mais il a suivi toutes les étapes appropriées pour appuyer l’ajout des terres McKenna-McBride au RI no 3 de Akisq’nuk, gardant à l’esprit la position de négociation du Canada vis-à-vis [sic] de l’attribution de ces terres.

À présent, comme je viens de le mentionner, une question que nous n’avons pas débattue au cours de la présente audience, et que je ne crois pas que mon collègue a soulevée, est la suivante. L’article 13 prévoyait un mécanisme de renvoi au secrétaire d’État pour les colonies par les parties. Le gouvernement canadien soutient que sa décision de ne pas recourir à cette procédure était raisonnable, étant donné le flou juridique décrit ci-dessus et eu égard aux circonstances particulières de la présente réclamation. J’en dirai un peu plus à ce sujet, sous peu.

Le gouvernement canadien, bien qu’il se soit toujours prononcé en faveur de l’approbation par la province de l’attribution des terres McKenna-McBride à titre de terres de réserve, ne pouvait pas être certain que la province avait l’obligation légale d’accorder ces terres aux termes de - - [...].

[Non souligné dans l’original.]

[35]  Par la suite, l’avocate d’Akisq’nuk, dans ses observations en réponse, a cité l’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique de 1871 et a conclu :

[traduction]

Votre Honneur, en ce qui concerne le différend et le désaccord portant sur l’ajout des terres Madias Tatley, aucune référence historique ne témoigne d’un renvoi du différend au secrétaire d’État pour les colonies. Et j’avancerais, Votre Honneur, que le défaut du Canada de demander que le différend soit soumis au secrétaire d’État constitue un manquement à son obligation, étant donné qu’il est contraire aux orientations fournies par les Conditions de l’adhésion.

[Non souligné dans l’original.]

[36]  Ayant examiné les thèses soulevées contre le gouvernement canadien dans la déclaration de revendication, l’exposé conjoint des faits et la plaidoirie écrite, et ayant examiné la façon dont la question du devoir de renvoyer tout différend au secrétaire d’État pour les colonies a été soulevée, je cernerai maintenant la portée et la nature des documents additionnels.

B.  Les documents additionnels

[37]  Tel qu’il a été précisé ci-dessus, les documents additionnels consistaient en des extraits de trois traités universitaires et un rapport de 1927 du comité mixte spécial.

[38]  Le premier traité était celui de Robert E. Cail. Le Tribunal a fait référence aux chapitres 11 à 13. Ces chapitres portent sur la politique coloniale impériale concernant les peuples indiens, la politique concernant les terres des peuples indiens en vigueur après la Confédération et les commissions d’attribution de réserves. Les chapitres comptent au total 74 pages et 201 notes de bas de page.

[39]  Le Tribunal a fait référence à 20 pages du traité de Cole Harris, soit les pages 241 à 261. Il s’agit d’un extrait d’un chapitre intitulé [traduction] « L’imposition d’une solution : de 1898 à 1938 ». L’extrait contient 64 notes en fin de texte.

[40]  Le Tribunal a fait référence au chapitre 8 du traité d’E. Brian Titley. Le chapitre 8 est intitulé [traduction] « Revendications territoriales en Colombie-Britannique » et compte 27 pages et 111 notes de fin de texte.

[41]  Le rapport de 1927 du comité mixte spécial compte quelque 353 pages (incluses aux pages 97 à 450 du dossier de la défenderesse). La documentation comprend des procès-verbaux de délibérations, de la correspondance, des rapports de comités, des déclarations de témoins, des pétitions au Parlement et des ordres de renvoi. La documentation contient une correspondance qui remonte aussi loin que le mois de mars 1861 et un procès-verbal d’une réunion du comité tenue le 5 avril 1927. La documentation couvre donc une période de quelque 65 ans.

[42]  Une multitude de sujets sont étudiés dans la documentation. À titre d’exemple, à la réunion du 5 avril 1927, le commissaire Ditchburn a témoigné concernant les droits de pêche, la méthode d’élection des agents des Indiens, la présence policière dans les réserves chargée de l’arrestation de suspects, la répartition de l’eau aux fins d’irrigation, l’enseignement de techniques agricoles aux Indiens, la notion de titre ancestral et les écoles résidentielles. L’on peut qualifier la documentation de volumineuse et de mal organisée.

[43]  Ayant décrit les documents additionnels, je me penche maintenant sur la question de savoir s’il y a eu violation des droits de participation du gouvernement canadien de connaître les allégations formulées contre lui et d’y répondre.

C.  Y a-t-il eu violation des droits de participation du gouvernement canadien de connaître les moyens soulevés contre lui et d’y répondre?

[44]  Au paragraphe 26, j’expose les moyens invoqués par le gouvernement canadien pour soutenir qu’il ne connaissait pas, et ne pouvait connaître, les moyens soulevés contre lui. J’examinerai chacun de ces moyens à tour de rôle.

(1)  L’étendue et la nature des documents additionnels

[45]  Tel qu’il a été mentionné ci-dessus, les thèses avancées par les parties à l’étape de l’audience portant sur la validité étaient fondés sur les éléments de preuve et les renseignements contenus dans l’exposé conjoint des faits et le recueil conjoint des documents.

[46]  Il ressort des observations écrites déposées par les parties que les questions discutées par elles visaient notamment l’occupation traditionnelle par Akisq’nuk des terres périphériques à celles qui sont devenues la réserve, les conséquences juridiques de l’attribution et de l’arpentage de la réserve, l’attribution en 1915 de terres additionnelles de 2 960 acres par la Commission McKenna-McBride, et les démarches entreprises par le gouvernement canadien pour demander la mise en œuvre de l’attribution effectuée par la Commission. Les parties ont également discuté la source et le contenu de toute obligation fiduciaire due à la Première Nation.

[47]  Tel qu’il a été déjà été expliqué, après que la revendication eut été mise en délibéré, le Tribunal a envoyé son mémoire informant les avocats qu’il avait consulté trois traités universitaires [traduction] « afin de mieux cerner la réalité historique essentielle à la résolution de la présente revendication » et qu’il [traduction] « pourrai[t] aussi prendre en compte certains documents historiques cités en notes de bas de page dans les chapitres et pages indiqués ci-dessus ». Lors d’une conférence de gestion de l’instance tenue le 29 juillet 2015, le gouvernement canadien s’est vu accorder jusqu’au 4 septembre 2015 pour déposer un mémoire du droit concernant l’intention du Tribunal de se fonder sur les documents additionnels. Il a également été permis au Canada d’informer le Tribunal de l’existence [traduction] « d’autres documents faisant autorité » qu’il voulait que le Tribunal prenne en compte.

[48]  J’ai évoqué la quantité de documents additionnels, le nombre important de notes de bas de page et de notes de fin de texte qui renvoient à des sources que le Tribunal proposait de prendre en compte pour rendre sa décision définitive, et la variété de questions étudiées dans les documents additionnels.

[49]  L’on peut également affirmer que chaque ouvrage universitaire constitue une publication scientifique dans laquelle certains faits retenus sont structurés et exposés pour appuyer la thèse de l’auteur. À titre d’illustration, Cail introduit ainsi ses observations quant à la politique sur les terres des peuples indiens en vigueur après la Confédération :

[TRADUCTION]

Il est possible que, au moment de rédiger l’article 13 des Conditions de l’adhésion, ni le dominion ni les négociateurs pour les provinces n’entendaient ne pas s’exprimer en toute franchise. Il n’y a pas de doute que Trutch, Carrall et Helmcken, les délégués de la Colombie-Britannique, étaient parfaitement au courant de la politique du Dominion sur la mise en réserve de terres pour les peuples indiens. À la lumière des difficultés rencontrées et des faits divulgués par la suite, il est peu probable que le Comité du Conseil privé, intervenant au nom du gouvernement canadien, disposait de renseignements fiables concernant la politique sur les peuples indiens du gouvernement colonial de la Colombie-Britannique. Trutch aurait certainement pu fournir un résumé complet de cette politique. Il avait été commissaire en chef des Terres et des Travaux dans la colonie depuis 1864, et plus récemment arpenteur en chef également. Dans le cadre de ces deux fonctions, il avait été responsable de la profonde transformation des principes de Douglas. Moins de trois années après l’Union, le Dominion allait découvrir que le sens qu’il avait extrapolé de l’article 13 était contraire à celui que lui avait prêté la province.

[50]  La mention de « Douglas » renvoie à Sir James Douglas, agent principal de la Compagnie de la Baie d’Hudson et gouverneur de la colonie de l’île de Vancouver. Cail, après avoir reproduit les dispositions de l’article 13, poursuit ainsi :

Le libellé rappelle le mémoire rédigé par Trutch en 1870 et suggère qu’il a eu beaucoup, sinon tout, à voir avec la rédaction de l’article 13. Les éléments de preuve mènent à la conclusion selon laquelle il a délibérément inclus ces deux passages controversés et ambigus : « une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie-Britannique » et « des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie-Britannique a, jusqu’à présent, affectées ».

[Non souligné dans l’original.]

[51]  Les faits retenus ne brossaient pas nécessairement un tableau complet. Cela a compliqué la tâche du gouvernement canadien de répondre au Tribunal en ce qui concerne son intention de recourir aux documents additionnels.

[52]  En ce qui concerne la pertinence de la portée et de la nature des documents additionnels, je m’explique. Akisq’nuk soutient que [traduction] « le gouvernement canadien a eu une toute latitude pour y répondre, y compris de s’opposer à certains faits ou avis, et de produire des documents additionnels. Il a choisi de ne pas le faire ». Toutefois, la portée et la nature des documents additionnels étaient telles qu’il s’agissait en grande partie d’une latitude illusoire. Tel qu’il est expliqué ci-dessous, toute latitude effective de répondre nécessitait que plus de détails soient produits au sujet de l’utilisation proposée des documents additionnels que ceux que le Tribunal a donnés. Pour l’instant, il suffit d’observer que la quantité de renseignements mentionnés par le Tribunal était telle qu’on ne pouvait s’attendre en toute équité à ce que le gouvernement canadien réfute les renseignements dans tous leurs détails, surtout dans le cas où l’opinion du Tribunal quant à la pertinence des renseignements n’était pas connue.

[53]  Il existe une autre question à discuter en ce qui concerne la portée et la nature des documents additionnels. En effet, par inadvertance, le Tribunal s’est fondé sur des extraits de l’ouvrage de Harris autres que ceux visés par son avis. Ainsi, aux paragraphes 44 à 55 de la décision définitive, le Tribunal a renvoyé aux pages 30 à 44 et 56 à 58 de l’ouvrage. Ces pages portent sur la période que Harris appelait [traduction] « la période coloniale » et étudient à la fois la période appelée [traduction] « les années Douglas : de 1850 à 1864 » et les politiques sur les terres des peuples indiens en vigueur après le départ du gouverneur Douglas. Les pages 30 à 44 contiennent une quantité additionnelle de 47 références dans des notes de fin de texte; les pages 56 à 58 contiennent ce type de références.

(2)  Le défaut du Tribunal de préciser les faits et les renseignements sur lesquels il proposait de se fonder

[54]  Le gouvernement canadien a soutenu devant le Tribunal que, si celui-ci devait présenter de nouveaux éléments de preuve, le Tribunal était tenu, conformément à l’équité procédurale, de préciser à la fois les nouveaux éléments de preuve et la question de fait à laquelle les éléments de preuve se rapportaient, et de permettre ensuite aux parties, à la fois :

  1. d’avancer leurs moyens de droit en réponse aux nouveaux éléments de preuve ou renseignements produits par le Tribunal;

  2. de produire de nouveaux éléments de preuve ou renseignements en réponse;

  3. d’avancer leur moyens de droit en réponse à tous les nouveaux éléments de preuve ou renseignements produits par la partie adverse en réponse aux nouveaux éléments de preuve ou renseignements du Tribunal.

[55]  Le Tribunal a pris acte de la thèse du gouvernement canadien, au paragraphe 13 de la décision interlocutoire, en signalant que l’objection soulevée était de nature procédurale « qui, par voie de conséquence, [soulevait] également une question d’équité procédurale ». Le Tribunal a également fait remarquer que le gouvernement canadien n’a pas contesté « l’exactitude ni la fiabilité de tout ou partie des textes cités ».

[56]  Le Tribunal n’a pas discuté en détail dans ses motifs le moyen puisé par gouvernement canadien dans l’équité procédurale et n’a fait qu’observer, au paragraphe 28, que, à son sens, « l’équité procédurale [avait] été dûment respectée, compte tenu de l’avis donné aux parties et de la possibilité qu’elles [avaient] eue de soumettre des observations ».

[57]  Avec égards, je ne souscris pas à cette observation. La nature et la portée des documents additionnels étaient telles que le gouvernement canadien devait recevoir avis des faits que le Tribunal proposait de connaître d’office et avis de la question à laquelle chaque fait se rapportait. Il en est ainsi pour au moins deux raisons.

[58]  La première raison porte sur le fait que les limites acceptables de la connaissance d’office varient selon la nature de la question examinée. Dans le cas où il est proposé de prendre connaissance d’office de faits en litige, à savoir les faits qui concernent la question de savoir « où, quand et comment » l’acte allégué a été commis, des exigences d’admissibilité plus sévères jouent (R. c. Spence, 2005 CSC 71, [2005] 3 R.C.S. 458, aux paragraphes 53 à 63).

[59]  Il s’ensuit que le gouvernement canadien devait savoir si le Tribunal entendait connaître d’office un fait en litige pour que le Canada puisse soumettre des observations éclairées concernant les exigences d’admissibilité applicables à la connaissance d’office de ce fait.

[60]  La seconde raison concerne l’utilisation par le Tribunal des documents additionnels pour conclure en l’existence d’un manquement à l’obligation fiduciaire et sera discutée ci-dessous.

(3)  Le recours par le Tribunal à des documents additionnels pour étayer sa conclusion selon laquelle le Canada a manqué à son obligation fiduciaire

[61]  Tel qu’il a été expliqué ci-dessus, la question d’un renvoi au secrétaire d’État pour les colonies a été soulevée par le gouvernement canadien et débattue par Akisk’nuk dans sa réponse. Le dossier de preuves était muet sur cette question.

[62]  Il ressort du mémoire du Tribunal daté du 8 juillet 2015 qu’il avait de sérieux doutes au sujet de ce qu’il croyait être une lacune dans la preuve. Ainsi, le Tribunal avait consulté des sources additionnelles [traduction] « pour mieux cerner la réalité historique essentielle à la résolution de la présente revendication » (non souligné dans l’original).

[63]  Il ressort de la décision interlocutoire que la lacune dans la preuve concernait au moins deux questions. La première question était celle de connaître le responsable du défaut de mettre en œuvre l’attribution de terres ordonnée par la Commission McKenna-McBride (motifs, au paragraphe 26). La seconde question était celle de savoir si la Couronne était tenue de saisir le secrétaire d’État pour les colonies du désaccord entre Ditchburn et Clark (motifs, au paragraphe 27).

[64]  Le dossier ne nous éclaire pas quant à la raison pour laquelle le Tribunal n’a pas informé les parties dans son mémoire du 8 juillet 2015 qu’il avait conclu que le dossier de preuves était insuffisant à ces égards et demandé aux parties de remédier aux insuffisances constatées dans les preuves. Par le fait même, les parties auraient pu être invitées à produire des observations sur la pertinence, le cas échéant, des documents additionnels à ces questions, et la mesure dans laquelle les faits contenus dans les documents additionnels pourraient être connus d’office. Les parties auraient alors été en mesure de produire des observations éclairées quant à l’existence d’autres documents pertinents et faisant autorité.

[65]  Si le Tribunal avait procédé ainsi, je ne vois aucun obstacle à la possibilité de prendre connaissance d’office de certains faits selon l’enseignement professé par la Cour suprême par l’arrêt Spence.

[66]  L’utilisation que le Tribunal a faite des documents additionnels est évidente à la lumière des passages de la décision définitive cités précédemment au paragraphe 17. Contrairement à la conclusion d’Akisq’nuk, le Tribunal a pris connaissance d’office des documents additionnels et s’est fondé sur ceux-ci pour tirer des conclusions de fait qui ont directement conduit à la décision définitive.

[67]  Les documents additionnels permettaient de trancher la question de savoir quelle partie était responsable du défaut de mettre en œuvre l’attribution de terres recommandée par la Commission McKenna-McBride. Comme il est démontré aux paragraphes 242 à 245 de la décision définitive, les traités ont servi à réfuter la thèse du gouvernement canadien portant que la prise de mesures pour défendre les intérêts d’Akisq’nuk aurait empêché l’ultime transfert des terres de la Colombie-Britannique au Canada ou y aurait nui.

[68]  Pareillement, les documents additionnels ont servi à remédier aux lacunes constatées dans la preuve entourant la possibilité d’un recours auprès du secrétaire d’État pour les colonies. La thèse du gouvernement canadien portant qu’il ne pouvait pas procéder à la mise en œuvre unilatérale de l’attribution de terres envisagée par la Commission McKenna-McBride et que, compte tenu de l’incertitude juridique entourant l’obligation légale de la province de transférer les terres, le gouvernement canadien avait pris toutes les mesures nécessaires pour appuyer l’ajout des 2 960 acres a été rejetée par la qualification de sa conduite par le Tribunal de « ce qui pourrait bien avoir été un compromis politique inutile » (motifs, au paragraphe 305).

[69]  En somme, le Tribunal a conclu en l’existence d’une lacune dans la preuve en ce qui concerne deux questions essentielles. Il n’a pas précisé cette lacune aux parties. Le Tribunal a plutôt renvoyé à trois ouvrages universitaires et au rapport de 1927 du comité mixte spécial sans préciser les faits qu’il proposait de connaître d’office et les questions auxquelles ces faits se rapportaient. Vue ces omissions, le Tribunal n’a pas accordé au gouvernement canadien une réelle latitude de présenter ses arguments pleinement et équitablement. Le gouvernement canadien ne connaissait pas les faits et les renseignements qu’il devait discuter et il s’est vu refuser une latitude réelle de produire des éléments de preuve et de présenter des observations en réponse.

VII.  Conclusion

[70]  Je conclus que le Canada n’a pas eu la latitude réelle de défendre ses arguments intégralement et équitablement. Rien ne me permet de conclure que, si le gouvernement canadien avait connu les arguments qu’il devait discuter, il ne lui aurait pas été possible de présenter des renseignements additionnels au Tribunal pour répondre aux inquiétudes du Tribunal. Il s’ensuit que je suis d’avis d’accueillir les demandes de contrôle judiciaire, d’annuler les décisions interlocutoire et définitive du Tribunal et d’ordonner le renvoi de la réclamation au Tribunal pour nouvel examen par une formation différente.

[71]  Le gouvernement canadien ne demande pas les dépens; je suis en effet d’avis qu’il est approprié en l’espèce que chaque partie assume sa propre part des dépens. Par conséquent, je ne rendrai aucune ordonnance quant aux dépens.

[72]   Une copie des présents motifs sera versée à chaque dossier de la Cour.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-80-16

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN c. PREMIÈRE NATION D’AKISQ’NUK

 

 

ET DOSSIER :

A-81-16

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN c. PREMIÈRE NATION D’AKISQ’NUK

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 16 mai 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :

1er SEPTEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Shelan Miller

Deborah McIntosh

Jamie Hansen

 

Pour la demanderesse

 

David G. Butcher, c.r.

POUR L'INTIMÉE

Darwin Hanna

Caroline Roberts

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

 

Pour la demanderesse

 

Wilson Butcher

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L'INTIMÉE

Callison & Hanna

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’intiméE

 

 

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