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Date : 20170920


Dossiers : A‑128‑15

A‑129‑15

A‑306‑15

A‑307‑15

Référence : 2017 CAF 193

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE WOODS

 

 

Dossiers : A‑128‑15

A‑307‑15

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

REPSOL CANADA LTD.

intimée

Dossiers : A‑129‑15

A‑306‑15

ET ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

REPSOL ENERGY CANADA LTD.

intimée

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 2 mai 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20170920


Dossiers : A‑128‑15

A‑129‑15

A‑306‑15

A‑307‑15

Référence : 2017 CAF 193

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE WOODS

 

 

Dossiers : A‑128‑15

A‑307‑15

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

REPSOL CANADA LTD.

intimée

Dossiers : A‑129‑15

A‑306‑15

ET ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

REPSOL ENERGY CANADA LTD.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

[1]  La Couronne a interjeté appel de jugements rendus par la Cour canadienne de l’impôt (2015 CCI 21), qui a déterminé la catégorie appropriée de déduction pour amortissement (DPA) d’une installation de regazéification (l’installation) pour les besoins de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). Le coût en capital de l’installation s’élève à environ 1,2 milliard de dollars.

[2]  La Couronne interjette aussi appel d’une ordonnance distincte portant sur les dépens (2015 CCI 154), dans sa version modifiée. La Couronne demande que l’adjudication des dépens soit annulée si la Cour tranche la principale question en litige en sa faveur.

[3]  La Cour canadienne de l’impôt (le juge C. Miller) était d’accord avec les intimées, Repsol Canada Ltd. et Repsol Energy Canada Ltd. (ensemble, Repsol), sur l’appartenance de l’installation à la catégorie 43, contrairement aux catégories 1 et 3, comme le laissait entendre la Couronne.

[4]  Le traitement fiscal diffère considérablement entre les catégories. La classification dans la catégorie 43 (une mesure incitative pour la fabrication et la transformation) permet de demander une DPA établie à un taux de 30 pour cent, en plus de rendre le bien admissible à des crédits d’impôt à l’investissement. Les catégories 1 et 3, dont les taux de DPA correspondants s’élèvent à quatre et à cinq pour cent, ne donnent pas droit à des crédits d’impôt à l’investissement.

[5]  Dans le présent appel, la question principale en litige est de savoir si l’installation fait partie d’un réseau de distribution de gaz pour les besoins de l’alinéa n) de la catégorie 1. Le litige porte sur les années d’imposition 2007 et 2008.

[6]  Il convient de souligner dès le départ qu’une modification subséquente apportée au Règlement de l’impôt sur le revenu classe maintenant les installations de regazéification dans la catégorie 47 et vise les biens acquis après le 18 mars 2007. Ces installations sont désormais admissibles à une DPA au taux de huit pour cent, mais pas à des crédits d’impôt à l’investissement.

I.  Le contexte factuel

[7]  La Couronne ne conteste pas les faits sur lesquels la Cour canadienne de l’impôt a statué, qui sont détaillés et complets. Pour les besoins du présent appel, un résumé suffira.

[8]  Les deux intimées Repsol et deux membres de l’organisation Irving Oil ont formé une société de personnes en 2005 afin de construire et d’exploiter une usine de regazéification à Saint John, au Nouveau‑Brunswick. Les intérêts de Repsol et d’Irving Oil dans cette société de personnes correspondaient à 75 p. 100 et à 25 p. 100 respectivement.

[9]  L’installation a été construite afin de fournir des services de regazéification à Repsol Energy Canada Ltd. (RECL), l’une des intimées. RECL entendait importer, par navire‑citerne, du gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance de l’étranger, regazéifier ce GNL, transporter le gaz par gazoduc jusqu’à la frontière américaine et le vendre ensuite à une autre société affiliée de Repsol aux fins de commercialisation aux États‑Unis. La regazéification est une étape essentielle du processus, parce que le gaz doit être transformé en un état liquide avant d’être expédié par navire‑citerne.

[10]  RECL devient propriétaire du GNL au moment où il est déchargé des navires‑citernes à l’installation. Le GNL est mélangé et il est ensuite regazéifié par la société de personnes, avant d’être livré à la ligne de transport d’un tiers (le gazoduc Brunswick). Cette ligne a été spécialement construite pour transporter, au nom de RECL, le gaz à la frontière américaine, où il est ensuite vendu à une autre société affiliée de Repsol.

[11]  RECL achète environ 50 pour cent du GNL auprès d’autres sociétés affiliées de Repsol.

[12]  Parmi les services fournis par la société de personnes, notons la réception, l’entreposage et la regazéification du GNL pour RECL. L’installation comprend un quai en eau profonde (la jetée) pour l’amarrage des navires‑citernes, ainsi que l’équipement et les structures (le terminal) tels que des réservoirs de stockage, un réservoir haute pression et un vaporisateur pour transformer le GNL en un état gazeux. Une partie du terminal se trouve au‑dessus de la jetée. Les activités menées à l’installation sont complexes, étant donné qu’il faut garantir la qualité du gaz et prévenir les accidents.

[13]  Enfin, l’installation a été construite de façon à être modifiée pour faciliter l’importation de pétrole par Irving Oil.

[14]  Repsol, en tant qu’associée de la société de personnes propriétaire de l’installation, a le droit de déduire sa part des pertes de la société de personnes pour les besoins de la Loi. Après que Repsol eut demandé une DPA pour la fabrication et la transformation au titre de la catégorie 43 dans ses déclarations de revenus des sociétés, le ministre du Revenu national a délivré des avis de détermination d’une perte. Ces avis présentaient un nouveau calcul des pertes, compte tenu du fait que le terminal était visé à l’alinéa n) de la catégorie 1 et que la jetée était visée à l’alinéa h) de la catégorie 3

II.  La question en litige et la norme de contrôle

[15]  La question à trancher est de savoir si la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en concluant que l’installation n’était pas visée à l’alinéa n) de la catégorie 1 ni à l’alinéa h) de la catégorie 3 pour les besoins de la DPA.

[16]  La norme de contrôle énoncée dans l’arrêt Housen s’applique à cette question en litige, de sorte que les questions de droit isolables seront tranchées selon la norme de la décision correcte, tandis que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit seront examinées selon celle de l’erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

III.  Le régime législatif applicable

[17]  Un contribuable peut généralement, en application de la Loi, déduire le coût d’un bien amortissable sur un certain nombre d’années aux taux prescrits pour les catégories de biens établies à l’annexe II du Règlement (alinéa 20(1)a) de la Loi).

[18]  Les taux de DPA applicables sont de 30 p. 100 pour la catégorie 43, de quatre pour cent pour la catégorie 1 et de cinq pour cent pour la catégorie 3 (alinéa 1100(1)a) du Règlement).

[19]  L’alinéa n) de la catégorie 1 s’applique à certains éléments du matériel et de l’installation de fabrication ou de distribution. En voici la partie pertinente :

Catégorie 1

Class 1

Les biens non compris dans aucune autre catégorie constitués par

Property not included in any other class that is

[…]

n) le matériel et l’installation de fabrication et de distribution (y compris les structures) acquis principalement pour la production ou la distribution du gaz, à l’exception :

(n) manufacturing and distributing equipment and plant (including structures) acquired primarily for the production or distribution of gas, except

[…]

(ii) d’un bien acquis en vue de transformer du gaz naturel, avant sa livraison à un réseau de distribution,

(ii) a property acquired for the purpose of processing natural gas, before the delivery of such gas to a distribution system, or

[…]

[20]  On décrit, à l’alinéa h) de la catégorie 3, une jetée qui n’est visée à aucune autre catégorie :

Catégorie 3

Class 3

Les biens non compris dans aucune autre catégorie constitués par

Property not included in any other class that is

[…]

h) une jetée acquise après le 25 mai 1976;

(h) a jetty acquired after May 25, 1976;

[…]

[21]  La catégorie 43 est une disposition complexe, et il n’est pas nécessaire de la reproduire ici. Il convient simplement de souligner que certains biens de fabrication et de transformation mentionnés dans la catégorie 29 sont admissibles au titre de la catégorie 43. Voici les parties pertinentes de la catégorie 29 :

Catégorie 29

Class 29

Les biens, […] qui seraient compris par ailleurs dans une autre catégorie de la présente annexe et qui remplissent les conditions suivantes :

Property … that would otherwise be included in another class in this Schedule

a) c’est‑à‑dire les biens fabriqués par le contribuable et dont la fabrication a été achevée après le 8 mai 1972, ou autres biens acquis par le contribuable après le 8 mai 1972,

(a) that is property manufactured by the taxpayer, the manufacture of which was completed by him after May 8, 1972, or other property acquired by the taxpayer after May 8, 1972,

(i) et devant être utilisés directement ou indirectement par lui au Canada surtout pour la fabrication ou la transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location, ou

(i) to be used directly or indirectly by him in Canada primarily in the manufacturing or processing of goods for sale or lease, or

[…]

[et]

[and]

[…]

b) c’est‑à‑dire

(b) that is

(i) les biens qui, sans la présente catégorie, seraient compris dans la catégorie 8, […]

(i) property that, but for this class, would be included in Class 8, …

[…]

[22]  Selon la disposition précédente, le bien doit aussi être décrit dans la catégorie 8. La catégorie 8 comprend certains biens de fabrication ou de transformation et exclut les biens visés à la catégorie 1. En voici l’extrait pertinent :

Catégorie 8

Class 8

Les biens non compris dans les catégories 1, […] qui sont constitués par :

Property not included in Class 1, … that is

a) une structure consistant dans des machines ou du matériel de fabrication ou de transformation;

(a) a structure that is manufacturing or processing machinery or equipment;

b) des biens corporels faisant partie d’un immeuble et acquis uniquement aux fins suivantes :

(b) tangible property attached to a building and acquired solely for the purpose of

(i) entretenir, soutenir, fournir un accès à des machines ou du matériel, ou en sortir,

(i) servicing, supporting or providing access to or egress from, machinery or equipment,

(ii) fabriquer ou transformer, ou

(ii) manufacturing or processing, or

(iii) toute combinaison des fonctions prévues aux sous‑alinéas (i) et (ii);

(iii) any combination of the functions described in subparagraphs (i) and (ii);

c) un immeuble qui est un four, un réservoir ou une cuve, acquis aux fins de fabrication ou de transformation;

(c) a building that is a kiln, tank or vat, acquired for the purpose of manufacturing or processing;

[…]

IV.  La décision de la Cour canadienne de l’impôt

[23]  La Cour canadienne de l’impôt a d’abord conclu que le terminal était exclu de l’alinéa n) de la catégorie 1 aux termes de l’exception prévue au sous‑alinéa (ii). Deux constatations sont au cœur de cette conclusion. Premièrement, les activités menées au terminal sont liées à la transformation. Deuxièmement, ces activités se déroulent avant la livraison du gaz à un « réseau de distribution », cette livraison se produisant soit à l’entrée du pipeline Brunswick (une ligne de transport), soit à l’entrée de pipelines de distribution de plus courte distance situés aux États‑Unis.

[24]  La Cour canadienne de l’impôt a aussi conclu que le terminal était visé à la catégorie 43. Deux motifs principaux sous‑tendent cette conclusion : le terminal n’est pas visé à la catégorie 1 et il doit être utilisé principalement à des fins de transformation de marchandises pour la vente.

[25]  Quant à la jetée, la Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’elle était aussi visée à la catégorie 43, parce qu’elle faisait partie intégrante des activités au terminal.

V.  La position de l’appelante

[26]  La Couronne soutient qu’il y a des erreurs de droit dans l’analyse effectuée par la Cour canadienne de l’impôt. Les conclusions de fait que celle‑ci a tirées ne sont pas contestées dans le cadre du présent appel.

[27]  Les observations de la Couronne sont axées sur l’analyse que la Cour canadienne de l’impôt a faite des catégories 1 et 3, au lieu de la catégorie 43. La Couronne soutient en particulier que le terminal n’est pas visé par l’exclusion prévue au sous‑alinéa (ii) de l’alinéa n) de la catégorie 1 et que la jetée est visée à l’alinéa h) de la catégorie 3.

[28]  Les observations présentées par la Couronne portent principalement sur le terminal, tandis que les arguments relatifs à la jetée sont plutôt brefs. En ce qui concerne le terminal, la Couronne soutient que l’exclusion prévue au sous‑alinéa (ii) de l’alinéa n) de la catégorie 1 ne s’applique pas, d’abord et avant tout parce que le terminal faisait partie d’un réseau de distribution, ensuite parce que les activités qui y étaient menées n’étaient pas liées à la transformation. En ce qui concerne la jetée, la Couronne soutient que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en n’appliquant pas la catégorie 3 (qui fait précisément mention d’une jetée) et qu’elle n’aurait pas dû appliquer le critère jurisprudentiel de l’intégration, qui a donné lieu à ce que la jetée soit visée à la catégorie 43, avec le terminal.

[29]  Un certain nombre d’arguments, exposés ci‑dessous, ont été présentés à l’appui de ces positions. La plupart d’entre eux soutiennent la position selon laquelle le terminal faisait partie de la distribution. En particulier, la Couronne allègue que la Cour canadienne de l’impôt :

  • a omis de considérer si l’installation faisait partie du matériel et de l’installation de distribution;

  • n’a pas tenu compte de l’évolution législative;

  • a omis de tenir compte du fait que l’interprétation de la Cour canadienne de l’impôt enlève tout son sens à l’alinéa n) de la catégorie 1;

  • n’a pas conclu que l’installation était principalement utilisée à des fins de distribution, et non de transformation, avant la livraison à un réseau de distribution;

  • a omis d’appliquer la conclusion de cette Cour, selon laquelle le mot « distribution » à l’alinéa n) de la catégorie 1 a un sens large : Northern and Central Gas Corporation Limited c. La Reine, [1987] 2 C.T.C. 241, 87 D.T.C. 5439 (C.A.F.);

  • n’a pas tenu compte du fait que la livraison par navire‑citerne ou par pipeline ne constitue pas un motif pour faire une distinction avec l’arrêt Northern and Central;

  • a omis de mettre en application le principe énoncé dans l’arrêt Northern and Central, selon lequel la distribution vise à englober tout, de la production jusqu’à la distribution aux utilisateurs finaux;

  • a commis une erreur en concluant que l’installation participait à la transformation;

  • a commis une erreur en s’appuyant sur l’arrêt The Queen c. Nova, an Alberta Corporation, [1988] 2 C.T.C. 167, 88 D.T.C. 6386 (C.A.F.);

  • a commis une erreur en débutant l’analyse par la catégorie 8, qui exclut expressément les biens visés à la catégorie 1;

  • a commis une erreur en ne tenant pas compte de la promulgation de l’article 125.1 de la Loi, qui prévoit que les activités liées à un service public ne constituent pas de la fabrication et de la transformation;

  • a omis de tenir compte du fait que la catégorie 3 comprend précisément une jetée.

VI.  Le terminal est‑il visé à l’alinéa n) de la catégorie 1?

[30]  La Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’alinéa n) de la catégorie 1 ne s’appliquait pas au terminal, parce que ce bien était admissible à l’exclusion prévue au sous‑alinéa (ii) de l’alinéa n) de la catégorie 1.

[31]  Il convient de reproduire de nouveau l’alinéa n) de la catégorie 1.

Catégorie 1

Class 1

Les biens non compris dans aucune autre catégorie constitués par

Property not included in any other class that is

[…]

n) le matériel et l’installation de fabrication et de distribution (y compris les structures) acquis principalement pour la production ou la distribution du gaz, à l’exception :

(n) manufacturing and distributing equipment and plant (including structures) acquired primarily for the production or distribution of gas, except

[…]

(ii) d’un bien acquis en vue de transformer du gaz naturel, avant sa livraison à un réseau de distribution,

(ii) a property acquired for the purpose of processing natural gas, before the delivery of such gas to a distribution system, or

[…]

[32]  L’exclusion prévue au sous‑alinéa (ii) s’applique au matériel et à l’installation acquis principalement en vue de transformer du gaz naturel, si cette transformation a lieu avant sa livraison à un réseau de distribution. Comme il est mentionné ci‑dessus, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que les activités menées au terminal étaient des activités de transformation et qu’elles se déroulaient avant la livraison à un réseau de distribution.

[33]  Essentiellement, la position de la Couronne est que le terminal n’est pas visé par l’exclusion prévue au sous‑alinéa (ii), parce qu’il fait partie de la distribution. Accessoirement, la Couronne fait valoir que les activités menées au terminal ne sont pas des activités de transformation.

[34]  À titre de commentaire préliminaire, si la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en concluant que le terminal n’était pas visé à l’alinéa n) de la catégorie 1, la Couronne devrait avoir gain de cause dans le présent appel, parce que la catégorie 1 prend le dessus sur la catégorie 43. Comme il est mentionné ci‑dessus, pour être admissible à la catégorie 43, le terminal doit aussi être un bien décrit dans la catégorie 8. Cette catégorie exclut les biens décrits dans la catégorie 1 (voir la disposition liminaire de la catégorie 8, précitée). La catégorie 1 l’emporte donc sur la catégorie 43.

[35]  Sur la question clé visant à déterminer si le terminal fait partie de la « distribution », la Cour canadienne de l’impôt conclut que cela n’est pas le cas pour deux motifs. Le premier est lié au but de l’installation : « l’objectif principal de la transformation visait à rendre le gaz naturel commercialisable (c.‑à‑d. en vue de le vendre) ». Elle n’était pas destinée principalement à la distribution. Le deuxième motif se fonde sur l’interprétation de la loi : « l’exclusion relative à la transformation avant la livraison [au sous‑alinéa (ii)] n’a du sens que si l’étape de la distribution commence au moment où le gaz entre dans la ligne de transport (ou, si j’applique le point de vue de l’industrie, la ligne de distribution) » (décision, aux paragraphes 114 à 121).

[36]  Selon ma compréhension de la position de la Couronne sur la distribution, elle ne conteste pas les conclusions de fait de la Cour canadienne de l’impôt, selon lesquelles l’installation servait principalement à rendre le gaz davantage commercialisable plutôt que de faire partie d’un réseau de distribution. La Couronne soutient plutôt que, selon les règles d’interprétation législative, l’installation fait partie de la distribution. Les arguments précis présentés par la Couronne sont analysés ci‑dessous.

Le défaut de tenir compte du sens de « distribution »

[37]  À l’audience, la Couronne a fait valoir avec force que la Cour canadienne de l’impôt avait mis à tort l’accent sur la catégorie 8 (fabrication et transformation), plutôt que sur l’alinéa n) de la catégorie 1 et, plus particulièrement, qu’elle ne s’était pas concentrée sur le sens du terme « distribution ».

[38]  Je suis d’avis que la Couronne interprète mal les motifs de la Cour canadienne de l’impôt, peut‑être parce que cette dernière a regroupé ses analyses relatives à la catégorie 8 (transformation en vue de la vente) et à la catégorie 1 (transformation dans le cadre d’une distribution). C’est ce qui se dégage clairement de la description que la Cour canadienne de l’impôt fait du cœur de l’affaire : « à savoir si la transformation effectuée était de la transformation de marchandises en vue de la vente, ou de la transformation à des fins de stockage, qui s’inscrit simplement dans la chaîne de distribution » (décision, au paragraphe 114).

[39]  Quoi qu’il en soit, la Cour canadienne de l’impôt a attaqué de front la question de la distribution, et ses motifs sont clairement exposés aux paragraphes 114 à 121, comme il est mentionné ci‑dessus.

[40]  Les motifs donnés par la Cour canadienne de l’impôt concernant la distribution mettent principalement l’accent sur l’interprétation législative : l’exclusion prévue au sous‑alinéa (ii) n’a du sens que si la distribution commence au pipeline (décision, au paragraphe 121). Je suis d’accord avec cette conclusion.

[41]  Comme la Cour canadienne de l’impôt l’a souligné, la Couronne a été invitée à expliquer ce que l’exclusion prévue au sous‑alinéa (ii) était censée saisir selon son interprétation, ce qu’elle n’a pas été en mesure de faire (décision, aux paragraphes 47 et 120). Et devant la Cour, il a été demandé à la Couronne à quel moment le « réseau de distribution » commençait pour les besoins de l’espèce. Les avocats ont répondu qu’il était difficile d’y répondre et que Repsol aurait dû déposer un témoignage d’expert à cet égard. Selon moi, il n’est pas satisfaisant de répondre qu’un témoignage d’expert était requis. Il appartient aux tribunaux, plutôt qu’à un expert de l’industrie, de définir le sens du terme « distribution » dans le contexte de l’alinéa n) de la catégorie 1.

Il n’a pas été tenu compte de l’évolution législative

[42]  La Couronne soutient également que la Cour canadienne de l’impôt n’a pas tenu compte, à tort, du contexte législatif. Si l’on tient compte du contexte de manière adéquate, comme le laisse entendre la Couronne, il est évident que le terminal ne devrait pas être admissible à une DPA au taux de 30 pour cent. La Couronne fait remarquer, à titre d’exemple, que le Règlement prévoit maintenant une DPA à un taux de huit pour cent pour une installation de regazéification au titre de la catégorie 47.

[43]  Premièrement, je ne souscris pas à l’argument selon lequel la Cour canadienne de l’impôt n’a pas tenu compte du contexte législatif. Dans ses motifs, la Cour canadienne de l’impôt analyse assez longuement l’évolution législative ainsi que les diverses modifications apportées (décision, aux paragraphes 42 à 60).

[44]  La Couronne semble être d’avis que les rédacteurs des catégories de DPA ont établi un faible taux d’amortissement pour l’installation, parce que le taux d’amortissement de 30 pour cent prévu à la catégorie 43, qui s’applique généralement à l’équipement de fabrication et de transformation, est beaucoup trop généreux. Je ne suis pas d’accord pour dire que c’était l’intention des rédacteurs. Il n’y a aucune raison de croire que les rédacteurs des catégories de DPA avaient ce type de bien à l’esprit. Si le gouvernement croit que la catégorie 43 est trop généreuse pour ce type de bien, il peut modifier le Règlement. Comme il est mentionné ci‑dessus, le gouvernement a effectivement mis en œuvre un tel changement pour les biens acquis après le 18 mars 2007. Le taux de DPA pour ce type de bien s’établit maintenant à huit pour cent.

[45]  De plus, l’exclusion prévue au sous‑alinéa (ii) de l’alinéa n) de la catégorie 1 semble reconnaître que le faible taux de DPA prévu dans la catégorie 1 n’est pas approprié pour le matériel et l’installation de transformation ne faisant pas partie d’un réseau de distribution. Il y a une certaine logique dans la proposition selon laquelle ce genre d’installation et de matériel devrait être admissible aux taux de DPA qui s’appliquent généralement à la fabrication et à la transformation.

L’interprétation enlève tout son sens à l’alinéa n) de la catégorie 1

[46]  La Couronne laisse également entendre que l’interprétation faite par la Cour canadienne de l’impôt dépouille de tout son sens l’alinéa n) de la catégorie 1. Je ne suis pas d’accord. Comme l’a fait remarquer l’avocat de Repsol, l’exclusion prévue au sous‑alinéa (ii) s’applique au matériel et à l’installation de transformation utilisés avant la livraison à un réseau de distribution. Selon l’interprétation faite par la Cour canadienne de l’impôt, le matériel et l’installation qui font partie d’un réseau de distribution, comme l’équipement du pipeline de transport dans l’affaire Northern and Central, demeurent assujettis à l’alinéa n) de la catégorie 1, tout comme le matériel et l’installation de production. L’alinéa n) de la catégorie 1 continue d’avoir un sens.

Le défaut de donner un sens large au terme « distribution »

[47]  La Couronne laisse entendre que l’arrêt de Cour dans l’affaire Northern and Central, précitée, la distribution doit comprendre l’ensemble des activités qui suivent la production.

[48]  Encore une fois, je ne suis pas d’accord. L’arrêt Northern and Central permet d’affirmer que le terme « distribution » peut comprendre non seulement les pipelines de courte distance, conformément à l’usage de l’industrie, mais aussi les lignes de transport de longue distance. Aucun principe plus vaste n’y est énoncé. Il convient de noter, par exemple, les parties soulignées ci‑dessous, tirées de l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale, qui indiquent que la Cour a pris garde de ne pas étendre son interprétation au‑delà des faits dans cette affaire, y compris aux exclusions prévues à l’alinéa n) de la catégorie 1 :

[…] J’estime que, sous réserve des exceptions déterminées, la distinction qu’elle fait et qui s’applique à l’espèce est entre le bien de l’appelante, qui est un matériel et une installation de fabrication dont l’achat vise principalement la production du gaz, et le bien qui est un matériel et une installation de distribution dont l’achat vise principalement la distribution du gaz après sa production. (D.T.C., à la page 5442)

[Non souligné dans l’original; en italiques dans la version originale anglaise.]

La livraison par navire‑citerne n’est pas une distinction

[49]  La Couronne soutient que les faits en l’espèce sont impossibles à distinguer de ceux de l’affaire Northern and Central et, en particulier, qu’il n’y a aucune différence entre une livraison par navire‑citerne ou par pipeline de transport. Dans l’affaire Northern and Central, la transformation avait lieu le long d’un pipeline de transport. Comme il est mentionné ci‑dessus, la Cour a conclu que, dans ce contexte, le terme « distribution » comprenait une ligne de transport.

[50]  Je ne souscris pas à l’observation de la Couronne. D’abord, les faits en l’espèce et ceux de l’affaire Northern and Central diffèrent de manière importante. Par exemple, dans l’affaire Northern and Central, le gaz naturel entre et sort de l’installation dans un état gazeux. En l’espèce, le gaz entre dans l’installation dans un état liquide et en sort dans un état gazeux. En outre, l’installation de transformation dans l’affaire Northern and Central avait pour but principal de permettre le stockage pendant le transport, tandis que l’installation de transformation en l’espèce vise principalement à rendre le gaz davantage commercialisable.

[51]  De plus, je suis d’avis qu’il serait injuste pour Repsol que la Couronne soulève cet argument devant la Cour, parce que la Couronne a affirmé dès l’ouverture de l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt qu’elle ne prenait pas cette position. Selon la transcription, la Couronne a affirmé pendant son exposé préliminaire que la question de savoir si le transport par navire‑citerne faisait partie de la distribution n’était pas en cause (dossier d’appel, à la page 2418, lignes 9 à 13). Il serait injuste pour Repsol que la Couronne adopte une position différente à cette étape du litige, puisque Repsol aurait pu présenter une preuve différente devant la Cour canadienne de l’impôt.

Le terminal ne participe pas à la transformation

[52]  La Couronne soutient que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en concluant que les activités menées au terminal étaient liées à la transformation.

[53]  Au paragraphe 36 de son mémoire, la Couronne soutient que les activités menées à l’installation ne sont pas liées à la transformation, parce que la société de personnes ne traite pas de gaz brut ni ne transforme le gaz en autre chose. Elle allègue que le produit, sous sa forme liquide ou gazeuse, est [traduction« un gaz composé d’au moins 90 à 95 pour cent de méthane et [que] les parties aux différents contrats définissent le terme “gaz” ainsi ».

[54]  Je ne saurais souscrire à cette opinion selon laquelle la société de personnes ne transforme pas le produit. Il est évident qu’une modification a été apportée au produit au moment de sa transformation d’un état liquide à un état gazeux. La Couronne s’appuie toutefois sur les définitions des termes « gaz » et « GNL » que l’on trouve dans des contrats commerciaux. Les définitions contractuelles ne sont pas pertinentes quant à la question de savoir si les activités menées à l’installation transforment le produit. Quoi qu’il en soit, les définitions n’appuient pas la position de la Couronne. Les définitions dans le contrat de société de personnes auxquelles renvoie la Couronne sont énoncées ci‑dessous (dossier d’appel, aux pages 163 et 165) :

[traduction]

« Gaz » s’entend de tout hydrocarbure ou d’un mélange d’hydrocarbures composé principalement de méthane qui se trouve dans un état gazeux.

« GNL » s’entend d’un gaz qui se trouve dans un état liquide à son point d’ébullition, ou à un niveau inférieur, à une pression d’environ une (1) atmosphère.

[55]  La définition du terme « GNL » ci‑dessus pourrait être plus précise, mais son sens est clair : un « gaz » est défini dans un état gazeux, tandis que le « GNL » est défini dans un état liquide. L’important est que la forme du produit change lorsque le gaz est transformé en GNL. La Couronne semble laisser entendre qu’il n’y a aucune différence entre le gaz et le GNL. Je ne suis pas d’accord.

[56]  En outre, la Cour canadienne de l’impôt n’a pas uniquement invoqué le changement d’état du produit, d’une forme gazeuse en un liquide. Elle a aussi mentionné la modification qui avait lieu pendant les opérations de mélange effectuées à l’installation et le fait que la composition chimique subissait un changement (décision, aux paragraphes 108 et 109). De plus, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que les activités menées à l’installation transformaient le produit, qui était impossible à commercialiser en Amérique du Nord, pour qu’il soit commercialisable (décision, au paragraphe 112).

[57]  Il s’agit de conclusions mixtes de fait et de droit pour lesquelles la norme de contrôle applicable est l’erreur manifeste et dominante. Je suis d’avis qu’aucune erreur de ce genre n’a été commise.

Il n’aurait pas fallu s’appuyer sur l’arrêt Nova

[58]  La Couronne laisse également entendre que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en s’appuyant sur l’arrêt Nova, précité. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que, dans la disposition antérieure à l’alinéa n) de la catégorie 1, le terme « distribution » se limitait aux pipelines de distribution de courte distance et ne comprenait pas les pipelines de transport de longue distance. Il ressort clairement des motifs de la Cour canadienne de l’impôt que celle‑ci savait qu’il s’agissait d’une question non résolue. Elle a conclu qu’il n’était pas nécessaire de statuer sur ce point, parce que les activités qui se déroulaient au terminal étaient antérieures à la livraison à un pipeline de transport ou de distribution (décision, au paragraphe 117).

Le défaut de tenir compte de l’article 125.1

[59]  La Couronne laisse entendre que la Cour canadienne de l’impôt n’a pas tenu compte de l’article 125.1 de la Loi. Cet article prévoit un crédit d’impôt pour le revenu tiré d’activités de fabrication et de transformation. Les activités liées à un service public ne sont pas incluses dans la définition de « fabrication et transformation » dans cet article.

[60]  Selon l’argument avancé par la Couronne, l’article 125.1 démontre une intention législative d’exclure les services publics des avantages fiscaux liés à la fabrication et à la transformation. La Couronne laisse aussi entendre que la société de personnes en l’espèce exerce ses activités en tant que service public.

[61]  Cet argument comporte deux lacunes. D’abord, il n’a pas été établi que la société de personnes exerçait ses activités en tant que service public. Ensuite, l’exclusion des services publics à l’article 125.1 s’applique uniquement pour les besoins de cet article. On ne peut tirer aucune inférence concernant d’autres avantages fiscaux liés à la fabrication et à la transformation.

VII.  La jetée est‑elle visée à la catégorie 3?

[62]  La Couronne soutient qu’étant donné que le terme « jetée » est mentionné précisément dans l’alinéa h) de la catégorie 3, cet alinéa s’applique à la jetée en l’espèce.

[63]  La Cour canadienne de l’impôt a conclu que la jetée avait été classée de manière appropriée, tout comme le terminal, dans la catégorie 43, parce qu’elle faisait partie intégrante du terminal.

[64]  Dans son observation, la Couronne ne tient pas compte adéquatement de la disposition liminaire de la catégorie – la catégorie 3 s’applique uniquement aux biens « non compris dans aucune autre catégorie ». Il ne s’agit pas d’une situation où des mots précis dans une loi prévalent sur un libellé plus général. Si la jetée est visée à la catégorie 43, la question s’en trouve réglée.

[65]  À l’audience, la Couronne n’a pas contesté le fait que la jetée faisait partie intégrante des activités menées au terminal; elle a toutefois laissé entendre que le principe de l’intégration ne devrait pas s’appliquer, étant donné l’inclusion précise d’une jetée à l’alinéa h) de la catégorie 3. Selon le principe jurisprudentiel d’intégration, la transformation comprend toutes les activités qui sont requises et qui font partie intégrante de l’activité de transformation (Bunge of Canada Ltd. c. La Reine, 84 D.T.C. 6276 (C.A.F.)). Il est approprié que la Cour canadienne de l’impôt applique ce principe reconnu dans le présent contexte.

VIII.  Conclusion

[66]  Il n’y a par conséquent aucune erreur susceptible de contrôle dans les conclusions tirées par la Cour canadienne de l’impôt.

[67]  Je rejetterais les deux appels principaux, soit dans les dossiers nos A‑128‑15 et A‑129‑15, avec un seul mémoire de dépens pour les deux appels. Bien que des appels distincts aient été présentés à l’égard de chacune des intimées, les questions en litige étaient identiques dans les deux appels.

[68]  Les deux autres appels, qui portent les numéros A‑307‑15 et A‑306‑15, ont trait aux dépens et ont aussi été présentés séparément quant à chacune des intimées. Comme il est mentionné ci‑dessus, la Couronne demandait que l’adjudication des dépens de la Cour canadienne de l’impôt soit annulée si la Couronne avait gain de cause dans les appels principaux. Étant donné que la Couronne n’a pas eu gain de cause, je rejetterais les deux autres appels, sans frais.

« Judith M. Woods »

j.c.a

« Je suis d’accord

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d’accord

Richard Boivin, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A‑128‑15 ET A‑307‑15

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. REPSOL CANADA LTD.

 

 

ET DOSSIERS :

A‑129‑15 et A‑306‑15

 

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. REPSOL ENERGY CANADA LTD.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 MAI 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 SEPTEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Josée Tremblay

Marie‑Eve Aubry

Christopher Kitchen

 

POUR L’APPELANTE

 

Robert D. McCue

 

POUR LES INTIMÉES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

 

POUR L’APPELANTE

 

Bennett Jones LLP

Calgary (Alberta)

POUR LES INTIMÉES

 

 

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