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Date : 20170926


Dossier : A-214-16

Référence : 2017 CAF 199

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

BANDE INDIENNE DE COLDWATER et le CHEF LEE SPAHAN agissant en sa qualité de chef de la bande indienne de Coldwater au nom de tous les membres de la Bande de Coldwater

appelants

et

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

et KINDER MORGAN CANADA INC.

intimés

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 20 juin 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE WEBB

 


Date : 20170926


Dossier : A-214-16

Référence : 2017 CAF 199

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

BANDE INDIENNE DE COLDWATER et le CHEF LEE SPAHAN agissant en sa qualité de chef de la bande indienne de Coldwater au nom de tous les membres de la Bande de Coldwater

appelants

et

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

et KINDER MORGAN CANADA INC.

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]  Une servitude réelle de passage du pipeline a été accordée pour le pipeline Trans Mountain en 1955. L’acte formaliste bilatéral de servitude permettait à la Trans Mountain Oil Pipe Line Company de construire, d’exploiter et d’entretenir un pipeline sur des parties de dix réserves indiennes situées en Colombie-Britannique, y compris la réserve indienne no1 de Coldwater.

[2]  La clause 2 de l’acte formaliste bilatéral de servitude est pertinente en l’espèce, puisqu’elle empêche Trans Mountain de céder les droits qui lui ont été accordés en vertu de la servitude sans le consentement écrit du ministre responsable.

[3]  Le 19 décembre 2014, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre) a consenti à la cession de l’acte formaliste bilatéral de servitude d’une société affiliée de Kinder Morgan Canada Inc. à une autre société affiliée. Le ministre a accordé son consentement malgré le fait que le Conseil de bande de Coldwater l’avait déjà prévenu qu’il avait [traduction] « conclu qu’il n’est pas dans l’intérêt » de la Bande indienne de Coldwater (Coldwater) que le ministre consente à la cession de l’acte formaliste bilatéral de servitude (souligné dans l’original).

[4]  La demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de consentir à la cession de l’acte formaliste bilatéral de servitude présentée par Coldwater a été rejetée par la Cour fédérale (2016 CF 595).

[5]  Dans le présent appel de la décision de la Cour fédérale, Coldwater soutient que la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle a établi la norme de contrôle applicable à la décision du ministre et lorsqu’elle a conclu que le ministre avait agi conformément à l’obligation fiduciaire envers Coldwater au moment où il a consenti à la cession de l’acte formaliste bilatéral de servitude.

[6]  Avant d’examiner les erreurs soulevées, je vais brièvement revoir les faits pertinents et les aspects importants de la décision de la Cour fédérale.

I.  Les faits

[7]  L’appelante Coldwater est une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), c. I-5 (la Loi). Le ministre intimé est le ministre responsable de l’administration de la Loi. À l’époque où le consentement en litige a été accordé, l’honorable Bernard Valcourt détenait le poste.

[8]  Kinder Morgan exploite des pipelines et des terminaux au Canada, y compris le pipeline Trans Mountain, qui transporte du pétrole de Sherwood Park, en Alberta, à Burnaby, en Colombie-Britannique. Il traverse actuellement 14 réserves indiennes détenues au profit de 18 Premières Nations.

[9]  Trans Mountain a été constituée en 1951 par une loi spéciale du Parlement afin de construire un pipeline à partir de l’Alberta qui traverserait une partie de la Colombie-Britannique. En janvier 1952, une demande a été présentée au nom de Trans Mountain pour obtenir une emprise de 60 pieds dans certaines réserves indiennes. Cette demande a été approuvée par le ministre alors responsable de l’administration de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, c. 149 (la Loi de 1952).

[10]  Trans Mountain a offert une indemnisation à Coldwater et aux autres bandes dont les réserves étaient traversées par le pipeline équivalant à un dollar par perche linéaire d’emprise. Ces droits ont été payés sur toute la longueur de l’emprise, sur les terres situées dans une réserve et celles ne l’étant pas.

[11]  Le Conseil de bande de Coldwater a accepté le droit de passage et l’indemnisation proposés, comme l’atteste la résolution du Conseil de bande en date du 22 avril 1952.

[12]  Par la suite, le gouverneur en conseil a autorisé la servitude de passage le 19 mars 1953 au moyen d’un décret. Le décret a autorisé l’emprise en vertu de l’article 35 de la Loi de 1952 [traduction] « aux fins du passage d’un pipeline, pour le temps requis pour lesdites fins et aux termes des modalités, conditions et dispositions » que le ministre jugera nécessaires et souhaitables.

[13]  Le 4 mai 1955, le ministre a accordé le droit de passage sur les réserves touchées au moyen d’un acte formaliste bilatéral.

[14]  À titre de contrepartie de la servitude grevant ses terres, Coldwater s’est vu verser 1 192 $ (1 $ par perche linéaire), plus une indemnisation de 1 125,09 $, notamment pour  pertes de matière ligneuse.

[15]  Entre 2002 et 2007, Trans Mountain a subi une série de fusions et d’acquisitions. Ces changements ont fait en sorte que Kinder Morgan a commencé à assumer la gestion et le contrôle du pipeline Trans Mountain. L’Office national de l’énergie et le gouverneur en conseil ont approuvé le transfert des actifs du pipeline, y compris l’acte formaliste bilatéral, et les certificats d’utilité publique requis ont été délivrés pour permettre à Kinder Morgan d’exploiter le pipeline.

[16]  Malgré l’exigence selon laquelle le ministre devait approuver toute cession de l’acte formaliste bilatéral, ce n’est que le 12 juin 2012 que Kinder Morgan a demandé par écrit le consentement ministériel. Les appelants ont été informés de cette demande le 16 juillet 2012.

[17]  Par la suite, les appelants ont écrit à quelques reprises au ministre au sujet du consentement demandé. Dans une lettre envoyée à Coldwater et à toutes les autres Premières Nations touchées, un représentant du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le Ministère) a indiqué que le ministre allait [traduction] « tenir compte des faits et des renseignements produits au cours de la période allant de 2007 à ce jour » en ce qui concerne [traduction] « la capacité juridique des sociétés qui ont procédé à la cession et, pour ce qui est des sociétés qui ont obtenu les cessions, la capacité juridique, l’expérience commerciale et opérationnelle, la capacité financière et la capacité globale pour remplir les conditions de la servitude ».

[18]  Par la suite, en 2013, Kinder Morgan a demandé à l’Office national de l’énergie de lui délivrer un certificat d’utilité publique pour élargir le pipeline de façon à tripler sa capacité. L’expansion proposée envisageait le doublement de la canalisation; la ligne actuelle transporterait des produits pétroliers raffinés, du pétrole brut synthétique et du pétrole brut léger, alors que la nouvelle ligne proposée transporterait des pétroles plus lourds.

[19]  Les appelants ont informé le ministre de leurs préoccupations au sujet de l’élargissement proposé du pipeline. Ils ont également exprimé le souhait que le ministre profite de l’occasion fournie par la demande de consentement à la cession afin d’actualiser les modalités de l’acte formaliste bilatéral de façon à prévoir une indemnisation plus généreuse en faveur de la bande, à adopter les pratiques environnementales actuelles et à accorder des droits plus importants à la bande.

[20]  Le 20 février 2013, Coldwater a écrit au Ministère pour l’aviser que la bande avait conclu qu’il n’était pas dans son intérêt que le ministre consente à la cession. Elle a indiqué que cette conclusion était fondée sur plusieurs facteurs, notamment l’élargissement proposé du pipeline et la sécurité et l’intégrité du transport du pétrole sur les terres de la réserve. Elle concluait la lettre en exhortant le ministre à ne pas consentir à la cession de l’acte formaliste bilatéral.

[21]  En décembre 2013, le Ministère et la Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc ont invité toutes les bandes dont les terres de réserve étaient traversées par le pipeline à participer à un processus d’actualisation de l’acte formaliste bilatéral. La participation était volontaire. Dans le cadre des discussions du groupe de travail qui se sont tenues au début du processus, il a été convenu que le processus d’actualisation ne viserait pas à créer de nouveaux droits ni à restreindre ceux qui existaient déjà. Un comité directeur a été créé pour aider à faire avancer les travaux. Il a également été convenu qu’un groupe de travail technique rédigerait un acte formaliste bilatéral « cadre » qui pourrait par la suite être modifié afin de tenir compte des intérêts précis de chacune des Premières Nations.

[22]  Coldwater a participé initialement au processus d’actualisation de l’acte formaliste bilatéral, mais s’est retirée en mai 2014, parce qu’elle avait l’impression que le ministre refusait d’actualiser l’acte formaliste bilatéral en ajoutant la majorité des dispositions qu’elle avait proposées. Toutefois, il semble que c’est le comité directeur et non le ministre seulement qui a établi le contenu de l’acte formaliste bilatéral actualisé proposé.

[23]  Par une lettre en date du 15 juillet 2014, signée conjointement par un représentant du Ministère et le chef de la Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc, Coldwater a appris que le comité directeur et le comité technique avaient terminé leurs travaux et que, le 11 juin 2014, le comité directeur avait approuvé un [traduction] « modèle de modification », dont une copie était jointe.

[24]  Le modèle de modification comportait un certain nombre de nouveaux termes, y compris des termes obligeant le détenteur d’un acte formaliste bilatéral à effectuer des choses, comme des patrouilles et des inspections du droit de passage, l’entretien du pipeline, la préparation d’un plan d’intervention en cas de déversement, le respect des mesures de protection environnementale et la prise de toutes les mesures d’atténuation et correctives nécessaires dans l’éventualité du déversement, de la libération ou de la migration d’un contaminant.

[25]  La lettre du 15 juillet 2014 précisait ce qui suit :

[traduction]

Les modifications figurant dans le document modèle amélioreront les instruments de servitude actuels parce qu’elles délimiteront mieux les rôles et responsabilités des parties visées par les actes formalistes bilatéraux de servitude. De plus, des dispositions précises sur les questions environnementales et les ressources patrimoniales sont intégrées. La mise en œuvre des modifications aux actes formalistes bilatéraux de servitude dans la réserve d’une Première Nation sera facultative pour chaque Première Nation. Si une Première Nation ne souhaite pas mettre en œuvre la modification dans sa réserve, l’acte formalise bilatéral de servitude actuel demeurera en vigueur et ne sera pas modifié.

[26]  La lettre se concluait en indiquant que [traduction] « l’utilisation et la mise en œuvre du modèle de modification est distincte de la décision du ministre en ce qui concerne la demande de consentement à la cession des actes formalistes bilatéraux de servitude de Trans Mountain. La décision du ministre à cet égard peut être prise avant la modification des actes formalistes bilatéraux de servitude actuels ». Comme je l’expliquerai plus tard, on allègue que l’omission du ministre de tenir compte de questions découlant du processus d’actualisation était un élément du manquement à l’obligation fiduciaire.

[27]  Le 1er octobre 2014, des négociations directes entre les appelants et Kinder Morgan ont donné lieu à un protocole d’entente sur la capacité afin d’établir un processus, y compris le financement, pour résoudre les problèmes hérités du passé et liés à l’exploitation, et d’établir le processus de collaboration relativement au prolongement proposé du pipeline. Le ministre intimé n’a pas participé à ces négociations et il n’en était pas au courant.

[28]  Le 19 décembre 2014, le ministre a consenti à la cession au moyen d’une entente de consentement à la cession inscrite au Registre des terres indiennes. Aucune condition n’était rattachée au consentement du ministre. Les modalités de l’acte formaliste bilatéral de servitude n’ont pas changé.

[29]  Coldwater a été informée de cette décision par lettre datée du 29 décembre 2014. Cette lettre avisait Coldwater que le ministre avait examiné [traduction] « le dossier de crédit, le dossier environnemental, le dossier contractuel et l’admissibilité du bénéficiaire, le concédant valide, la description adéquate, les circonstances appropriées et une bonne documentation de la cession du pipeline Trans Mountain ». La lettre se poursuit en indiquant que Kinder Morgan [traduction] « a été en mesure de démontrer au ministre qu’elle possédait la capacité juridique, l’expérience commerciale et opérationnelle, la capacité financière et la capacité globale pour remplir les conditions de la servitude ».

[30]  En mars 2015, une Première Nation s’était entendue avec le ministre et Kinder Morgan au sujet de la forme finale d’un acte formaliste bilatéral modifié en fonction du modèle de modification de l’acte formaliste bilatéral. Toutefois, les changements n’avaient pas été mis en œuvre à l’époque où les appelants ont présenté leur demande à la Cour fédérale.

[31]  La clause 1 de l’acte formaliste bilatéral de servitude actuel oblige le bénéficiaire de la servitude à payer les droits, les taxes et les taux imposés sur les terres grevées par la servitude ainsi que les cotisations établies. Le Conseil de bande de Coldwater perçoit un impôt foncier annuel sur le droit de passage de 60 pieds de Kinder Morgan (qui est considéré comme une terre) et sur le pipeline lui-même (qui est considéré comme un bâtiment). Depuis 2010, Kinder Morgan a payé les impôts fonciers suivants à Coldwater :

77 958,88 $ en 2010

83 748,73 $ en 2011

87 427,64 $ en 2012

107 843,86 $ en 2013

124 911,51 $ en 2014

II.  La décision de la Cour fédérale

[32]  La Cour fédérale a commencé son analyse en examinant la norme de contrôle à appliquer à la décision du ministre. La Cour fédérale a conclu que l’« existence et le contenu de l’obligation de fiduciaire sont des questions de droit, susceptibles d’un contrôle en fonction de la norme de la décision correcte » alors que l’« accomplissement de cette obligation par la Couronne doit être examiné suivant la norme de la décision raisonnable » (motifs, paragraphes 177, 178).

[33]  Devant la Cour fédérale, toutes les parties ont admis, ce que la Cour a reconnu, que le ministre avait une obligation fiduciaire envers les demandeurs pour consentir ou non à la cession de l’acte formaliste bilatéral de servitude (motifs, paragraphes 181, 183). La question en litige concernait la portée de l’obligation et son accomplissement correct.

[34]  Dans l’arrêt Bande indienne d’Osoyoos c. Oliver (Ville), 2001 CSC 85, [2001] 3 R.C.S. 746, la Cour suprême a formulé un processus en deux étapes à appliquer lorsque la prise ou de l’utilisation de terres de réserve ou d’un intérêt dans ces terres est envisagé en vertu de l’article 35 de la Loi. À la première étape du processus, la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si l’autorisation de la prise ou de l’utilisation est dans l’intérêt public. Si l’on répond par l’affirmative à cette question, l’étape suivante oblige la Couronne à veiller à ce que la prise ou l’utilisation porte atteinte de façon minimale au droit de la bande d’utiliser ses terres et d’en jouir. La Cour fédérale a accepté l’observation des intimés selon laquelle la démarche suivie pour une expropriation en vertu de l’article 35 de la Loi devrait également s’appliquer à la cession d’un intérêt foncier par suite de cette expropriation (motifs, paragraphe 191).

[35]  En ce qui concerne l’application du processus en deux étapes, la Cour fédérale n’a rien trouvé dans le dossier qui donne à penser que la prise initiale a été contestée de quelque façon. En l’absence de preuve démontrant le contraire, la Cour a conclu que la prise initiale de la servitude pour le droit de passage du pipeline était dans l’intérêt du public. Dans la mesure où la cession de l’acte formaliste bilatéral de servitude visait à faciliter l’exploitation du pipeline, la Cour était d’avis que le consentement donné à cette cession s’inscrivait dans le prolongement de la reconnaissance initiale de l’intérêt public (motifs, paragraphes 199, 203). Par conséquent, la première partie du processus en deux étapes a été respecté.

[36]  Se penchant sur la deuxième étape, la Cour fédérale a conclu que le consentement du ministre à la cession porte une atteinte minimale au droit de Coldwater d’utiliser sa terre et d’en jouir (motifs, paragraphe 206). La Cour a également conclu que le ministre a rempli son obligation de fiduciaire envers les appelants. La cession de l’acte formaliste bilatéral n’aggravait d’aucune façon l’atteinte au droit de Coldwater d’utiliser sa terre, le ministre a conclu de manière raisonnable que Kinder Morgan avait la capacité de remplir les conditions de l’acte formaliste bilatéral initial et le ministre a approché Coldwater à plusieurs reprises au cours de la procédure consécutive à la demande déposée initiale en vue d’obtenir son consentement à la cession de l’acte formaliste bilatéral et durant le processus d’actualisation, de sorte qu’il était au courant des préoccupations de Coldwater quand il a pris sa décision (motifs, paragraphes 207 à 209).

[37]  La Cour fédérale a rejeté l’argument de Coldwater selon lequel le ministre était obligé de renégocier les modalités de l’acte formaliste bilatéral, y compris la condition qui visait les indemnités (motifs, paragraphe 216). La seule obligation fiduciaire du ministre consistait plutôt à s’assurer de l’atteinte minimale au droit de Coldwater sur la terre de la réserve. L’accomplissement de cette obligation n’obligeait pas le ministre à rouvrir l’acte formaliste bilatéral afin d’obtenir une majoration de l’indemnisation de Coldwater. Ainsi, la décision qu’il a prise de consentir à la cession sans imposer de conditions à Kinder Morgan était raisonnable.

[38]  Enfin, la Cour fédérale a rejeté l’argument selon lequel le ministre aurait dû tenir compte du projet de prolongement du pipeline dans sa décision. Le projet de prolongement du pipeline fait l’objet d’autres procédures administratives, et Kinder Morgan a déclaré que le prolongement projeté ne serait pas réalisé sur les terres de Coldwater sans le consentement de cette dernière (motifs, paragraphes 218 à 221).

[39]  Il s’ensuivait que la demande de contrôle judiciaire devait être rejetée.

III.  Les questions en litige

[40]  À mon avis, les questions à trancher dans le présent appel sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la Cour fédérale?

  2. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du ministre?

  3. En quoi consiste l’obligation fiduciaire du ministre lorsqu’il doit décider s’il y a lieu de consentir à la cession?

  4. Le ministre s’est-il acquitté de façon raisonnable de son obligation fiduciaire?

IV.  Examen des questions en litige

1.  La norme de contrôle applicable à la décision de la Cour fédérale

[41]  Les parties reconnaissent qu’en appel d’une demande de contrôle judiciaire de la Cour fédérale, le rôle de la Cour consiste à déterminer si la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle et l’a appliquée correctement. En pratique, la cour de révision est appelée à se mettre à la place du tribunal d’instance inférieure; la Cour se concentre sur la décision administrative (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 et 46).

2.  La norme de contrôle applicable à la décision du ministre

[42]  Comme je l’ai expliqué plus haut, la Cour fédérale a conclu que : (i) l’existence et le contenu de l’obligation de fiduciaire sont des questions de droit, susceptibles de contrôle en fonction de la norme de la décision correcte; et, (ii) l’accomplissement de cette obligation par le ministre doit être examiné suivant la norme de la décision raisonnable (motifs, paragraphes 177 et 178).

[43]  Les appelants reconnaissent que la portée de l’obligation est une question de droit susceptible de contrôle en fonction de la norme de la décision correcte. Toutefois, ils font valoir que l’accomplissement de l’obligation fiduciaire est susceptible de contrôle en fonction de la norme de la décision correcte parce que la question [traduction] « vise la compétence du ministre à agir comme il l’a fait lorsqu’il a consenti à la cession ». Ils soutiennent que la Cour fédérale a commis une erreur en optant pour la norme de contrôle applicable aux questions relatives à l’obligation de consulter. Il s’agirait d’une erreur parce que l’accomplissement de l’obligation fiduciaire se distingue de celle de consulter [traduction] « puisque la première est la plus contraignante des deux ».

[44]  Selon moi, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que l’accomplissement de l’obligation fiduciaire était susceptible de contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable. À supposer, sans en décider, que des questions de compétence existent, aucune partie n’en a soulevé en l’espèce. Il en est ainsi parce que le ministre avait indubitablement compétence pour consentir ou non à la cession.

[45]  La norme de la décision raisonnable, qui appelle davantage à la retenue, s’applique habituellement lorsqu’un décideur administratif interprète sa loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat, sauf si la question appartient à l’une des catégories de questions auxquelles la norme de la décision correcte continue de s’appliquer (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 34; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293, aux paragraphes 22 à 24).

[46]  En l’espèce, le ministre devait exercer son pouvoir discrétionnaire afin de décider s’il devait consentir à la cession d’un droit initialement accordé en vertu de l’article 35 de la Loi. L’exercice du pouvoir discrétionnaire dépendait dans une grande mesure des faits. Il n’a pas soulevé une question constitutionnelle, une question portant sur les limites de compétence respectives de tribunaux spécialisés concurrents, une question qui revêt une importance pour le système juridique dans son ensemble ou une question touchant véritablement à la compétence. Il s’agissait donc d’une question susceptible de contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable.

[47]  Avant de laisser de côté la question de la norme de contrôle, il est important de faire observer que Coldwater, en tant que bénéficiaire d’une obligation fiduciaire, ne peut être privée de cet avantage parce que les décisions du fiduciaire sont assujetties au contrôle selon les principes formulés dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190. Ainsi, les obligations fiduciaires imposées au ministre ont pour but de limiter le pouvoir discrétionnaire de ce dernier, ce qui a pour effet de réduire la gamme des résultats raisonnables.

3.  Le contenu de l’obligation fiduciaire du ministre lorsqu’il doit décider s’il y a lieu de consentir à la cession

[48]  Devant la Cour fédérale ainsi que devant notre Cour, le ministre et Kinder Morgan ont reconnu que le ministre avait une obligation fiduciaire envers les appelants qu’il doit respecter en décidant s’il devait consentir à la cession de l’acte formaliste bilatéral.

[49]  Je reconnais que les obligations liant des parties ayant des rapports fiduciaires n’ont pas toutes un caractère fiduciaire. Dans chaque cas, il est nécessaire de s’attacher à l’obligation pertinente de la Couronne et de se demander si la Couronne exerçait ou non un pouvoir discrétionnaire suffisant pour faire naître une obligation de fiduciaire (Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 R.C.S. 245, au paragraphe 83). En l’espèce, Coldwater avait un intérêt reconnu dans ses terres de réserve. En exigeant que le ministre consente à toute cession du droit de servitude, la Couronne a pris le contrôle discrétionnaire sur toute cession d’une manière qui suggère l’existence d’une obligation fiduciaire.

[50]  Il convient ensuite de vérifier le contenu ou la portée de l’obligation fiduciaire eu égard à la cession du droit de servitude. Pour la Cour fédérale, la Cour suprême a répondu à cette question dans l’arrêt Osoyoos, dont les enseignements s’appliquent par analogie, car il n’était pas question d’expropriation, mais plutôt d’un consentement à la cession d’un droit créé à la suite de la prise initiale du droit de servitude en vertu de l’article 35 de la Loi (motifs, paragraphe 192). La Cour fédérale a ensuite conclu que le consentement « s’inscrivait dans le prolongement de la reconnaissance initiale de l’intérêt public » (motifs, paragraphe 203) et que ce consentement portait une atteinte minimale au droit de Coldwater d’utiliser sa terre et d’en jouir (motifs, paragraphe 206).

[51]  En l’espèce, comme la cession visait un droit existant – il n’y a pas eu de nouvelle prise ou utilisation sur laquelle faire reposer l’application des principes formulés dans l’arrêt Osoyoos – je préfère commencer ma discussion à partir du principe fondamental selon lequel le contenu de l’obligation fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones varie selon la nature et l’importance des intérêts à protéger (Wewaykum, paragraphe 86). En l’espèce, c’est l’utilisation et la jouissance par Coldwater de ses terres qui est en litige. Il s’agit d’une question qui revêt une importance capitale.

[52]  Contrairement à la situation dans l’arrêt Wewaykum, la Couronne a agi comme intermédiaire entre Coldwater et Kinder Morgan en ce qui concerne les intérêts de la bande pour l’utilisation et la jouissance de ses terres. La Couronne avait pour mandat d’exercer son pouvoir discrétionnaire de consentir ou non à la cession du droit de servitude existant. Dans ces circonstances, particulièrement à la lumière de l’importance des intérêts de Coldwater dans ses terres de réserve, la Couronne avait l’obligation continue de protéger et préserver les droits de la bande sur les terres de réserve contre un marché abusif ou inconsidéré (Wewaykum, paragraphes 98 à 100).

[53]  Cela étant dit, la Couronne n’est pas un fiduciaire ordinaire. Comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, au paragraphe 18, le contenu de l’obligation de fiduciaire peut varier en fonction des autres obligations, plus larges, de la Couronne. En même temps, l’obligation fiduciaire obligeait toujours la Couronne à agir dans l’intérêt supérieur de Coldwater au moment de décider si elle devait consentir à la cession de l’acte formaliste bilatéral de servitude.

[54]  En l’espèce, cela obligeait le ministre à tenir compte de l’intérêt supérieur actuel et continu de Coldwater ainsi que des intérêts de toutes les parties touchées par l’exploitation continue du pipeline. Comme l’avocat des appelants l’a reconnu dans sa plaidoirie, le pouvoir discrétionnaire du ministre devait être exercé de façon à ne pas contrevenir à l’intérêt public dans l’exploitation continue du pipeline.

[55]  Le point de vue selon lequel le ministre devait tenir compte de l’intérêt supérieur actuel et continu de Coldwater est appuyé selon moi par la décision de la Cour dans la décision Bande indienne de Semiahmoo c. Canada, [1998] 1 R.C.F. 3, 148 D.L.R. (4th) 523, où la Cour, dans le contexte de la cession de terres indiennes, a conclu qu’une obligation continue d’accorder une réparation lorsque, après une cession, la Couronne a établi qu’il y avait eu cession d’une quantité excessive de terres indiennes.

[56]  Plus particulièrement, en 1951, la Couronne avait négocié une cession absolue d’une partie de réserve indienne afin d’améliorer une installation douanière adjacente à la réserve. En 1969, les terres n’avaient pas été utilisées et la Cour fédérale a conclu que la Couronne savait ou aurait dû savoir que :

  1. Travaux publics n’avait pas de projets précis en vue de l’aménagement des terres dans un avenir rapproché, mais que le Ministère les conservait simplement pour des raisons de commodité;

  2. la bande voulait que les terres lui soient remises aux fins du développement économique;

  3. des représentants du secteur privé avaient communiqué avec Travaux publics en vue d’acheter ou de louer une partie des terres cédées.

[57]  La Cour a conclu que la Couronne avait une obligation fiduciaire, après la cession, de protéger les intérêts de la bande indienne dans la mesure du possible, compte tenu des conditions de l’accord de cession. Plus particulièrement, la Couronne avait, à titre de fiduciaire, l’obligation après la cession de corriger, avec diligence raisonnable, toute erreur commise dans l’accord de cession initial.

[58]  Avant de me pencher sur l’application de ces principes à la présente affaire, je rejette l’argument selon lequel les décisions rendues dans le contexte de l’article 37 de la Loi, la jurisprudence relative à la cession, n’ont aucune pertinence en ce qui concerne l’article 35 de la Loi. Dans les affaires de prise de terres par une autorité locale en vertu de l’article 35 de la Loi et de cession en vertu de l’article 37 de la Loi, il y a une perte ou une diminution de l’intérêt de la bande dans ses terres. Je ne vois aucune raison en principe pour laquelle l’obligation continue d’agir dans l’intérêt supérieur de la bande qui existe lorsque les terres sont cédées ne s’appliquerait pas également lorsque les terres de la bande sont prises ou utilisées par une autorité locale.

[59]  Dans le présent contexte, l’application des principes formulés dans l’affaire Semiahmoo obligerait le ministre à tenir compte de la question de savoir si le consentement à la cession de la servitude initiale à ses conditions initiales serait dans l’intérêt supérieur continu de Coldwater, ou de la question de savoir si elle poursuivrait ce qui est maintenant considéré comme un arrangement inconsidéré ou une intrusion excessive à l’égard du droit de Coldwater à utiliser ses terres de réserve et à en jouir.

[60]  En tant que fiduciaire, le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire conformément à ses obligations de loyauté et de bonne foi et d’agir, de façon raisonnable avec diligence, dans l’intérêt supérieur de Coldwater tout en gardant à l’esprit l’intérêt public dans l’exploitation continue du pipeline. En d’autres termes, le ministre doit agir comme une personne qui fait preuve de la prudence ordinaire dans la gestion de ses propres affaires, sans faire échec à l’intérêt public dans l’exploitation continue du pipeline en imposant des conditions à son consentement qui sont rigoureuses au point de faire obstacle à cet intérêt.

[61]  Bien que j’aie abordé la question de la détermination du contenu de l’obligation fiduciaire à partir des premiers principes formulés par la Cour suprême dans l’arrêt Wewaykum, l’exigence selon laquelle la Couronne doit tenir compte de l’intérêt public dans l’exploitation continue du pipeline entraîne dans une large mesure le même résultat que celui obtenu avec l’application de la deuxième étape du processus formulé dans l’arrêt Osoyoos. Le ministre doit agir de façon à ce que l’atteinte aux droits d’utilisation et de jouissance des terres par la bande soit minimale.

[62]  Dans le présent contexte, une atteinte minimale doit être comprise ainsi. L’étendue de l’atteinte à l’intérêt actuel et continu de Coldwater dans ses terres doit être évaluée au moment où le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non son consentement. L’étendue de l’atteinte doit être évaluée en ce qui concerne l’incidence actuelle et continue de la poursuite des conditions initiales de la servitude sur le droit de Coldwater d’utiliser ses terres de réserve et d’en jouir.

4.  L’accomplissement de l’obligation fiduciaire

[63]  Avant de me pencher sur les arguments de Coldwater en l’espèce, il convient d’examiner, par souci d’exhaustivité, deux arguments qu’elle ne fait pas ou plus valoir, selon ce que j’en comprends.

[64]  D’abord, Coldwater a soutenu au départ que le ministre devait accepter ses instructions de ne pas consentir à la cession. Je souscris à l’opinion de la Cour fédérale selon laquelle le ministre n’était pas tenu d’obéir à ces instructions (motifs, paragraphe 196). Cet argument est incompatible avec l’admission par les appelants devant la Cour selon laquelle le ministre devait tenir compte des intérêts de toutes les parties touchées dans l’exploitation continue du pipeline. Ainsi, le ministre ne pouvait pas imposer des conditions à son consentement, ce qui était incompatible avec l’intérêt public dans l’exploitation continue du pipeline.

[65]  Ensuite, Coldwater a fait valoir que le ministre a commis une erreur lorsqu’il a omis de tenir compte de l’incidence du prolongement proposé du pipeline. Je souscris à l’avis de la Cour fédérale selon lequel le ministre n’avait pas à tenir compte de cette question. Comme la Cour fédérale l’a fait remarquer à juste titre, Kinder Morgan a déclaré que le prolongement projeté ne serait pas réalisé sans le consentement de Coldwater (motifs, paragraphes 218, 221). En l’espèce, l’avocat des appelants a reconnu que le fait de suggérer que le prolongement augmenterait la vie du pipeline n’était qu’une spéculation.

[66]  Devant la Cour, l’argument de Coldwater repose sur sa prétention selon laquelle les conditions de l’acte formaliste bilatéral de servitude [traduction] « sont dépassées, inconsidérées et mal adaptées à l’utilisation actuelle et future des terres de Coldwater aux fins du transport de pétrole dans un avenir indéfini ». Elle fait valoir que le [traduction] « ministre avait le pouvoir discrétionnaire ainsi que l’obligation d’exercer un pouvoir relativement à cette servitude en exigeant des négociations visant une entente de servitude renouvelée comme condition à tout consentement à la cession demandée par Kinder Morgan. C’est ce qu’une personne faisant preuve d’une prudence ordinaire aurait fait si elle avait ce pouvoir relativement à ses propres terres ».

[67]  Les lacunes que comporterait l’acte formaliste bilatéral actuel sont le caractère inadéquat du faible paiement unique versé en contrepartie de la servitude et l’insuffisance des autres conditions de l’acte indiquées par Coldwater durant le processus d’actualisation de l’acte formaliste bilatéral.

[68]  En réponse, les intimés font valoir que le ministre a abordé les appelants afin de comprendre leurs intérêts et que la cession de la servitude n’a pas augmenté l’atteinte à l’intérêt de Coldwater dans l’utilisation et la jouissance de ses terres.

[69]  Dans le cadre de leurs plaidoiries, les avocats du ministre et de Kinder Morgan ont fait valoir que, lorsqu’elle est correctement interprétée, la clause 2 de l’acte formaliste bilatéral exige simplement que le ministre soit convaincu que le cessionnaire proposé a la capacité de respecter ses obligations prévues et que l’obligation fiduciaire du ministre était indissociable de cette exigence. À cela, l’avocat du ministre a ajouté que l’obligation fiduciaire de ce dernier était [traduction] « d’une certaine façon analogue » à cette exigence. L’obligation fiduciaire obligeait le ministre à communiquer avec Coldwater afin de comprendre ses intérêts et préoccupations. Ce n’est que s’il dispose de ces connaissances que le ministre peut être convaincu que le consentement à la cession porterait atteinte de façon minimale aux intérêts de Coldwater sur ses terres. Dans le contexte d’une expropriation, l’exigence d’agir dans l’intérêt supérieur d’une bande signifie que l’atteinte aux intérêts de la bande dans ses terres doit être minimale.

[70]  L’avocat des intimés a également fait valoir, apparemment de façon subsidiaire, que puisque le ministre savait que le caractère adéquat de la contrepartie était une préoccupation importante pour Coldwater, nous devons conclure de ce résultat que le ministre se préoccupait de la question de l’indemnisation et qu’il a décidé qu’il était inutile ou inopportun de demander une indemnisation supplémentaire.

[71]  À mon avis, ces observations entraînent en soi la discussion suivante :

  1. Le ministre s’est-il penché sur le caractère adéquat de la contrepartie reçue par Coldwater?

  2. La clause 2 de l’acte formaliste bilatéral limitait-elle les facteurs pertinents à prendre en considération en ce qui concerne la capacité du cessionnaire proposé à respecter l’acte?

  3. Le ministre a-t-il raisonnablement conclu que le consentement à la cession porterait une atteinte minimale aux intérêts de Coldwater dans ses terres de réserve?

[72]  Chaque élément sera examiné à tour de rôle.

(1)  Le ministre s’est-il penché sur le caractère adéquat de la contrepartie reçue par Coldwater?

[73]  Comme je l’ai déjà expliqué, pendant son argumentation, l’avocat des intimés a fait valoir que le ministre a tenu compte du souhait de Coldwater d’obtenir une indemnisation accrue. On nous a demandé de conclure que le ministre a décidé qu’il était inutile ou inopportun de demander une indemnisation supplémentaire.

[74]  Pour tenir compte convenablement de cet argument, il est nécessaire d’examiner la nature d’une conclusion. Tirer une conclusion est une question de logique. Comme l’a affirmé la Cour suprême de Terre-Neuve (la Cour d’appel) dans l’arrêt Osmond c. Terre-Neuve (Workers’ Compensation Commission), 2001 NFCA 21, 200 Nfld. & P.E.I.R. 202, au paragraphe 134 :

[traduction]

[…] Faire une déduction équivaut à un raisonnement par lequel une conclusion de fait est tirée en tant que conséquence logique d’autres faits établis par la preuve. La conjecture, par contre, est simplement hypothèse ou supposition; il y a une faille dans le raisonnement, d’un point de vue logique, pour partir d’un fait et en venir nécessairement à la conclusion que l’on veut établir. La conjecture, contrairement à la déduction, nécessite un acte de foi.

[75]  Dans l’arrêt Caswell c. Powell Duffryn Associated Collieries, Limited, [1940] A.C. 152, la Chambre des lords a décrit comme suit la différence entre une hypothèse et une inférence, aux pages 169 et 170 :

[traduction]

Il faut établir soigneusement une distinction entre une inférence et une conjecture ou une hypothèse. Il ne peut y avoir d’inférence à moins qu’il n’y ait des faits objectifs permettant d’inférer les autres faits que l’on cherche à établir. Dans certains cas, les autres faits peuvent être inférés avec autant de certitude pratique que s’ils avaient été réellement observés. Dans d’autres cas, l’inférence ne va pas au-delà de la probabilité raisonnable. Mais en l’absence de faits positifs prouvés permettant de tirer l’inférence, l’opération de l’inférence ne peut être faite, et il ne reste qu’une simple hypothèse ou conjecture.

[Non souligné dans l’original.]

Ainsi, une conclusion ne peut être tirée lorsque la preuve est équivoque, c’est-à-dire qu’elle est tout autant conforme à d’autres conclusions.

[76]  En l’espèce, les avocats ont reconnu que rien dans le dossier ne démontre expressément que le ministre a examiné le caractère adéquat de l’indemnisation versée à Coldwater. Il est donc nécessaire d’examiner la preuve au dossier pour vérifier la conclusion qu’elle appuie.

[77]  À mon avis, les renseignements suivants tirés de dossiers sont pertinents.

[78]  Tout d’abord, au moyen d’une lettre en date du 14 novembre 2012 du Ministère, Coldwater a appris que ce dernier recueillait des faits et des renseignements pour aider le ministre à prendre sa décision. La lettre indiquait ce qui suit :

[traduction]

Le ministre tiendra compte des faits et des renseignements de 2007 jusqu’à ce jour. Les faits et les renseignements examinés comprennent la capacité juridique des sociétés à faire la cession et, en ce qui concerne la réception par ces dernières des cessions, la capacité juridique, l’expérience commerciale et opérationnelle, la capacité financière et la capacité globale pour remplir les conditions de la servitude.

[79]  Il y manque toute référence au ministre qui examine les faits et les renseignements quant au montant de l’indemnisation et du caractère approprié des autres conditions de l’acte formaliste bilatéral.

[80]  Ensuite, la recommandation du personnel du Ministère à l’intention du décideur de consentir à la cession pour indiquer que la demande de consentement à la cession [traduction] « était évaluée afin de s’assurer que Kinder Morgan Canada Inc. respectait les exigences commerciales raisonnables, y compris la conformité aux obligations prévues à l’acte formaliste bilatéral ». Pour se remettre en contexte, la recommandation faisait ensuite remarquer que, même si le Ministère n’avait pas une politique précise relativement aux cessions par acte formaliste bilatéral en vertu de l’article 35 de la Loi, [traduction] « il a conclu qu’en plus de la consultation interne, certains critères seraient examinés, y compris le dossier de crédit, le dossier environnemental, le dossier contractuel et l’admissibilité du bénéficiaire, le concédant valide, la description adéquate, les circonstances appropriées et une bonne documentation ».

[81]  Lorsqu’il a établi les considérations qui ont mené à sa recommandation favorable, le Ministère a fait remarquer qu’il avait conclu à l’interne qu’il n’avait pas l’obligation de consulter les Premières Nations avant de prendre une décision en ce qui concerne les cessions; cependant, afin de préserver l’honneur de la Couronne, le Ministère a demandé des renseignements aux Premières Nations sur les terres desquelles le pipeline était situé. Après avoir conclu que Kinder Morgan détenait un certificat d’utilité publique, on a fait remarquer que [traduction] « Kinder Morgan Canada Inc. possède les moyens financiers et l’expertise pour exploiter le pipeline de Trans Mountain et elle continue d’assumer les obligations découlant des actes formalistes bilatéraux ».

[82]  Une reconnaissance des préoccupations de Coldwater au sujet du caractère adéquat de la contrepartie qu’elle a reçue et du caractère adéquat des conditions de l’acte formaliste bilatéral de servitude et des conseils à cet égard ne figure pas dans le document transmis au décideur.

[83]  Enfin, le 29 décembre 2014, la lettre qui informait Coldwater de la décision du ministre précisait que ce dernier avait consenti à la cession après avoir tenu compte des faits et des renseignements obtenus par le Ministère et fournis par les Premières Nations, Kinder Morgan et l’Office national de l’énergie. La lettre indiquait que les faits et les renseignements pris en considération [traduction] « concernaient le dossier de crédit, le dossier environnemental, le dossier contractuel et l’admissibilité du bénéficiaire, le concédant valide, la description adéquate, les circonstances appropriées et une bonne documentation de la cession du pipeline de Trans Mountain ». La lettre concluait que Kinder Morgan [traduction] « pouvait démontrer au ministre qu’elle possédait la capacité juridique, l’expérience commerciale et opérationnelle, la capacité financière et la capacité globale pour remplir les conditions de la servitude ».

[84]  La lettre niait expressément la prétention selon laquelle le ministre a tenu compte du caractère adéquat de l’indemnisation et des autres conditions de l’acte formaliste bilatéral de servitude.

[85]  Le dossier dont est saisie la Cour n’appuie pas, suivant la prépondérance des probabilités, l’argument selon lequel le ministre a tenu compte des préoccupations de Coldwater au sujet de l’indemnisation et des conditions de l’acte formaliste bilatéral au moment de décider de consentir à la cession. À mon avis, le dossier démontre suivant la prépondérance des probabilités que ces facteurs n’ont pas été pris en compte par le ministre. Il a limité son examen à la capacité commerciale du cessionnaire d’exécuter les conditions de l’acte formaliste bilatéral initial de servitude.

(2)  La clause 2 de l’acte formaliste bilatéral limitait-elle les facteurs pertinents à prendre en considération en ce qui concerne la capacité du cessionnaire proposé à respecter l’acte?

[86]  Je reconnais que la capacité du cessionnaire proposé de respecter les obligations imposées par l’acte formaliste bilatéral est un facteur pertinent à prendre en considération au moment de décider s’il faut consentir à la cession. La question soulevée est celle de savoir s’il s’agit du seul facteur pertinent.

[87]  Les intimés n’ont pas étayé leur argument selon lequel, interprétée convenablement, la clause 2 de l’acte formaliste bilatéral exige uniquement que le ministre soit convaincu que le cessionnaire proposé a la capacité de respecter ses obligations prévues à l’acte en ce qui concerne le texte, le contexte ou l’objet de l’acte formaliste bilatéral de servitude. À mon avis, rien dans le texte, le contexte ou l’objet de l’acte formaliste bilatéral n’étaye l’argument.

[88]  Il importe de signaler que l’acte formaliste bilatéral ne contient aucune disposition selon laquelle le consentement du ministre à la cession ne doit pas être refusé sans motif raisonnable. Comme l’a reconnu l’avocat de Kinder Morgan dans son argumentation, en l’absence d’une restriction explicite, le ministre a un vaste pouvoir discrétionnaire quant à la question de savoir s’il doit accorder ou non son consentement à la cession (Tredegar c. Harwood, [1928] All E.R. Rep. 11 (H.L.); P. & G. Cleaners Ltd. c. Johnson, [1995] 9 W.W.R. 487, 105 Man. R. (2d) 175 (Q.B.)).

[89]  En outre, l’interprétation aussi étroite que le proposent les intimés de la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre est incompatible avec la portée de l’obligation fiduciaire qui est imposée au ministre selon moi. Le ministre doit tenir compte de l’intérêt supérieur de Coldwater et vérifier que l’atteinte portée à l’utilisation et à la jouissance de ses terres est aussi minime que possible. Il s’ensuit qu’il faut examiner des facteurs autres que la capacité commerciale du cessionnaire proposé.

(3)  Le ministre a-t-il raisonnablement conclu que le consentement à la cession porterait une atteinte minimale aux intérêts de Coldwater dans ses terres de réserve?

[90]  Comme je l’ai déjà expliqué, le bénéficiaire d’une obligation fiduciaire ne peut être privé de cet avantage parce que la décision du fiduciaire fait l’objet d’un contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable. L’obligation fiduciaire a plutôt pour but de restreindre le pouvoir discrétionnaire du fiduciaire, limitant la gamme des résultats raisonnables.

[91]  Comme je l’ai également déjà expliqué, le ministre devait agir comme une personne qui fait preuve de la prudence ordinaire dans la gestion de ses propres affaires, sans faire échec à l’intérêt public dans l’exploitation continue du pipeline. Dans le contexte actuel, cela oblige le ministre à s’assurer que le consentement à la cession empiète le moins possible sur l’intérêt de Coldwater dans l’utilisation et la jouissance de ses terres. Dans le cadre de l’évaluation de l’étendue de l’atteinte, le ministre devait tenir compte de l’incidence actuelle et continue de la poursuite des conditions de la servitude sur le droit de Coldwater à utiliser ses terres de réserve et à en jouir.

[92]  Ainsi, même si rien n’indique que l’indemnisation reçue au départ par Coldwater était inconsidérée, le ministre devait examiner la question de savoir si son consentement à la cession continuerait ce qui était considéré comme une entente inconsidérée. Cela pourrait amener le ministre à tenir compte d’éléments comme le fait que l’application de la clause 1 de l’acte formaliste bilatéral permet maintenant à Coldwater de tirer un revenu substantiel chaque année du prélèvement et de la perception d’un impôt auprès de Kinder Morgan.

[93]  Pareillement, en raison du processus d’actualisation de l’acte formaliste bilatéral, le ministre savait, ou aurait dû savoir, que les conditions de l’acte n’étaient plus adaptées aux préoccupations actuelles et que, même si Coldwater avait choisi d’adopter le modèle actualisé proposé, ce modèle n’imposait aucune nouvelle obligation à Kinder Morgan. Le ministre devait donc tenir compte de la question de savoir si la protection offerte à Coldwater dans le cadre du modèle actualisé suffisait pour protéger les terres et ainsi empiéter le moins possible sur son intérêt dans les terres.

[94]  Le dossier démontre que le ministre ne l’a pas fait – il a limité son examen à la capacité commerciale du cessionnaire d’exécuter les conditions de l’acte formaliste bilatéral initial de servitude.

[95]  L’omission par le ministre d’évaluer l’incidence actuelle et continue de la poursuite de la servitude sur le droit de Coldwater d’utiliser ses terres et d’en jouir a fait en sorte que sa décision était déraisonnable. La Cour fédérale a commis une erreur dans son application de la norme de la décision raisonnable lorsqu’elle a conclu le contraire.

[96]  Il s’ensuit que j’infirmerais la décision du ministre et que je renverrais l’affaire au ministre pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

V.  Conclusion

[97]  Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens, tant en appel que devant la Cour fédérale, à payer par chacun des intimés aux appelants. Prononçant la décision que la Cour fédérale aurait dû rendre, je suis d’avis d’infirmer la décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, rendue le 19 décembre 2014, de consentir à la cession de l’acte formaliste bilatéral de 1955 octroyant une servitude de pipeline de pétrole à travers la réserve indienne no 1 de Coldwater. Je suis d’avis de renvoyer l’affaire au ministre responsable pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »


LE JUGE WEBB (motifs dissidents)

[98]  Je reconnais que la Couronne avait une obligation fiduciaire envers Coldwater en ce qui concerne la question de savoir si le consentement à la cession de la servitude aurait dû être accordé. Je reconnais également que l’incidence de l’octroi du consentement à la cession de la servitude sur le droit de Coldwater d’utiliser les terres et d’en jouir est un facteur pertinent. Toutefois, à mon avis, il est important de se concentrer sur l’incidence précise que le refus de consentir ou d’accorder un consentement en l’espèce aurait sur le droit de Coldwater d’utiliser ses terres et d’en jouir.

[99]  En l’espèce, il n’a pas été demandé au ministre si le pipeline devait demeurer sur le bien en question. La seule question qui était posée au ministre est plutôt celle de savoir si les droits de l’un des membres du groupe de sociétés de Kinder Morgan quant à la servitude devraient être cédés à une autre société du même groupe. Selon moi, l’incidence du refus de la cession ou du consentement à cette dernière sur l’utilisation ou la jouissance des terres par Coldwater peut être établie à partir du dossier.

[100]  Le pipeline qui traverse la réserve de Coldwater fait partie du pipeline qui transporte du pétrole de Sherwood Park, en Alberta, jusqu’à Burnaby, en Colombie-Britannique, une distance d’environ 1 150 kilomètres. La longueur du pipeline qui traverse la réserve est de 1 292 perches linéaires et, comme une perche mesure environ 16,5 pieds, cela voudrait dire que la longueur du pipeline qui traverse la réserve est d’environ 6,5 kilomètres, ou moins de 1 % de la longueur totale du pipeline.

[101]  La servitude en question fait l’objet d’un acte formaliste bilatéral conclu le 4 mai 1955 par la Couronne et la Trans-Mountain Oil Pipe Line Company (le bénéficiaire). La clause 2 de l’acte formaliste bilatéral prévoit ce qui suit :

2.  […] le bénéficiaire ne doit pas céder le droit accordé par la présente sans le consentement écrit du ministre.

[102]  Cette clause n’exige pas le consentement du ministre, sauf si le bénéficiaire se voit accorder le droit prévu par l’acte formaliste bilatéral. Par conséquent, les transactions commerciales ne nécessitent pas toutes un consentement. Par exemple, une vente d’actions du bénéficiaire ne ferait pas en sorte que le bénéficiaire se voit accorder le droit prévu par l’acte formaliste bilatéral et elle n’exigerait donc pas le consentement du ministre.

[103]  À la suite de diverses opérations commerciales, le détenteur de la servitude en 2005 était Terasen Pipelines (Trans Mountain) Inc. Le 1er décembre 2005, les actions de Terasen Pipelines (Trans Mountain) Inc. ont été acquises par une société du groupe de sociétés de Kinder Morgan. Par conséquent, Kinder Morgan avait le contrôle de la société qui détenait la servitude et il n’y avait aucune allégation selon laquelle le consentement du ministre était requis en ce qui concerne l’une de ces transactions.

[104]  En 2007, Kinder Morgan a accepté de vendre les actions de Terasen Inc. (la société mère de Terasen Pipelines (Trans Mountain) Inc.) à un acquéreur sans lien de dépendance. Toutefois, le pipeline devait demeurer la propriété du groupe de sociétés de Kinder Morgan. Pour parvenir à ce résultat, les actifs du pipeline (y compris la servitude) ont été transmis, avant la clôture de la vente des actions de Terasen Inc., tout d’abord à une société puis à une autre société du groupe de sociétés de Kinder Morgan. Par conséquent, la servitude, qui avait déjà été acquise par une société du groupe de sociétés de Kinder Morgan, demeurerait la propriété de ce groupe si la cession de la servitude était approuvée.

[105]  L’acte formaliste bilatéral en question stipule que :

[traduction]

PAR CONSÉQUENT, le présent acte formaliste bilatéral établit qu’en contrepartie de la somme de trois mille cinq cent cinquante-quatre dollars (3 554 $) versée au ministre par le bénéficiaire, dont la réception est reconnue par la présente, le ministre accorde, transfère, libère cède et confirme au bénéficiaire, à ses successeurs et à ses ayants droit, le droit d’installer, de construire, d’exploiter et d’entretenir un pipeline sur, sous et à travers lesdites terres, soit des parties de plusieurs réserves indiennes de la province de la Colombie-Britannique nommées dans ladite ANNEXE.

Le bénéficiaire, ses successeurs et ses ayants droit DÉTIENNENT ET POSSÈDENT lesdites terres pour la période pendant laquelle elles sont requises aux fins du droit de passage d’un pipeline;

(Non souligné dans l’original.)

[106]  La servitude n’a pas été accordée au bénéficiaire pour une période pendant laquelle le bénéficiaire avait besoin des terres aux fins du pipeline, mais plutôt [traduction] « pour toute période pendant laquelle lesdites terres sont nécessaires aux fins du droit de passage d’un pipeline ». Il n’est pas contesté que le pétrole continue de couler dans ce pipeline. Par conséquent, lorsqu’il a été demandé au ministre de consentir à la cession de la servitude, les terres situées dans les limites de la réserve de Coldwater étaient toujours requises aux fins du droit de passage d’un pipeline. À mon avis, rien ne permet de conclure que la servitude cesserait d’exister si le ministre refusait de consentir la cession. Par conséquent, peu importe si le ministre avait consenti à la cession demandée de l’intérêt de Terasen Pipelines (Trans Mountain) Inc. à une autre société du groupe de sociétés de Kinder Morgan, la servitude serait restée en vigueur. L’avocat de Coldwater, pendant la plaidoirie, a également reconnu que la servitude demeurerait en vigueur même si le ministre avait refusé de consentir à la cession.

[107]  À mon avis, cela signifie également que l’utilisation de la terre en question (comme droit de passage pour pipeline) ne changerait pas, que le consentement ait été accordé ou non. Dans l’un ou l’autre cas, le pipeline continuerait d’être utilisé comme droit de passage puisque la terre pour cette section de 6,5 km du total de 1 150 km était (et est toujours) [traduction] « requise aux fins du droit passage d’un pipeline ». Par conséquent, le consentement à la cession n’aurait pas changé l’utilisation de cette terre. Le droit de Coldwater d’utiliser sa terre et d’en jouir serait le même, peu importe la question de savoir si le consentement avait été accordé ou non.

[108]  Même si la servitude demeurait en vigueur, la question suivante serait celle de savoir si le consentement à la cession, ou son refus, aurait eu un effet sur le droit de Trans Mountain Pipeline ULC, en tant que commandité de Trans Mountain L.P., d’exploiter le pipeline. Pour tout pipeline, l’exploitant doit détenir un certificat d’utilité publique délivré en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. 1985, c. N-7.

[109]  Le paragraphe 30(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie mentionne ce qui suit :

30 (1) La compagnie ne peut exploiter un pipeline que si les conditions suivantes sont réunies :

30 (1) No company shall operate a pipeline unless

a) il existe un certificat en vigueur relativement à ce pipeline;

(a) there is a certificate in force with respect to that pipeline; and

b) elle a été autorisée à mettre le pipeline en service aux termes de la présente partie.

(b) leave has been given under this Part to the company to open the pipeline.

[110]  La société qui est tenue d’obtenir les certificats d’utilité publique nécessaires est celle qui exploite le pipeline. En 2007, selon des ordonnances de l’Office national de l’énergie (qui ont été approuvées au moyen d’un décret), les certificats d’utilité publique délivrés en ce qui concerne l’exploitation du pipeline (OC-2 et OC-49) ont été modifiés afin de changer le nom du détenteur de ces certificats pour Trans Mountain Pipeline Inc., en sa qualité de commandité de Trans Mountain L.P. (par souci de commodité, Trans Mountain Pipeline Inc., en sa qualité de commandité de Trans Mountain L.P., sera ci-après appelée le cessionnaire). Trans Mountain Pipeline Inc. a plus tard modifié son nom pour Trans Mountain Pipeline ULC.

[111]  Le certificat d’utilité publique OC-2 a été délivré pour tout le pipeline, et non pas seulement pour la partie qui traversait la réserve de Coldwater. Le changement au certificat pour modifier le nom du cessionnaire ne nous a pas été présenté, et rien n’indique qu’une personne a attaqué la décision de procéder à ce changement.

[112]  Rien n’indique que, si le consentement au transfert de la servitude avait été refusé le bénéficiaire n’aurait plus détenu les certificats d’utilité publique pour l’exploitation du pipeline de 1 150 km, y compris la section de 6,5 km qui traverse la réserve de Coldwater. À mon avis, le refus du consentement aurait simplement signifié que le propriétaire de la servitude aurait été une personne différente de l’exploitant du pipeline, mais que ce dernier aurait continué d’être le cessionnaire.

[113]  Il n’est pas clair si le cessionnaire, en tant qu’exploitant du pipeline, devait avoir accès aux terres régulièrement pour exploiter le pipeline ou seulement si un problème survenait. Au moment du transfert des actifs du pipeline en 2007, l’auteur du transfert et le cessionnaire faisaient partie du groupe de sociétés de Kinder Morgan. Par conséquent, il est vraisemblable que le cessionnaire avait la permission de Terasen Pipelines (Trans Mountain) Inc. d’utiliser la servitude pour exploiter le pipeline. Les transactions liées à la vente des actions de Terasen Inc. comprenaient également une déclaration de fiducie selon laquelle la servitude serait détenue en fiducie pour le compte du cessionnaire. Par conséquent, à la suite de la vente des actions de Terasen Inc., le cessionnaire aurait eu la permission du propriétaire en common law d’utiliser la servitude afin d’exploiter le pipeline.

[114]  La question de savoir si la permission du propriétaire en common law de la servitude aurait permis au cessionnaire d’avoir accès aux terres en ce qui concerne l’exploitation du pipeline ne nous a toutefois pas été présentée. La seule question dont nous sommes saisis est celle de savoir si l’approbation de la cession de la servitude au cessionnaire était raisonnable. Dans l’analyse du caractère raisonnable de la décision du ministre, il y a deux réponses possibles à la question de savoir si la permission du propriétaire en common law de la servitude aurait permis au cessionnaire d’avoir accès aux terres en ce qui concerne l’exploitation du pipeline. Cette permission aurait permis au cessionnaire d’avoir accès à ces terres ou ne le lui aurait pas permis.

[115]  Si la permission du propriétaire en common law de la servitude avait permis au cessionnaire d’avoir accès aux terres en ce qui concerne l’exploitation du pipeline, le cessionnaire aurait alors continué de l’exploiter grâce à l’accès autorisé aux terres. La décision du ministre d’approuver la cession de l’intérêt en common law dans la servitude (ou de ne pas approuver cette cession) n’aurait pas eu d’incidence sur l’accès aux terres.

[116]  Si la permission du propriétaire en common law de la servitude n’avait pas permis au cessionnaire d’avoir accès aux terres en ce qui concerne l’exploitation du pipeline, ce dernier n’aurait alors pas pu avoir accès aux terres pour corriger tout problème qui aurait pu survenir ou accomplir les travaux d’entretien nécessaires. Le cessionnaire avait obtenu l’approbation d’exploiter le pipeline en 2007 et cette approbation n’a pas été soumise au ministre. Le ministre, lorsqu’il a décidé d’approuver la cession de la servitude au cessionnaire, devait fonder sa décision sur le fait que le cessionnaire était l’exploitant du pipeline. En supposant que la permission du propriétaire en common law de la servitude n’aurait pas permis au cessionnaire d’avoir accès aux terres en ce qui concerne l’exploitation du pipeline, la décision du ministre d’approuver la cession aurait alors été raisonnable puisque le cessionnaire pourrait bien avoir besoin de l’accès aux terres pour exploiter le pipeline. S’il y avait un problème avec le pipeline qui nécessitait l’accès aux terres pour être corrigé, le cessionnaire devrait avoir accès aux terres afin de corriger le problème. Il serait dans l’intérêt supérieur de Coldwater que tout problème de pipeline puisse être corrigé.

[117]  Comme la servitude demeurerait en vigueur et que le cessionnaire continuerait d’être l’exploitant du pipeline, peu importe la question de savoir si le ministre avait consenti à la cession de la servitude, il est difficile de conclure, dans cette situation, comment l’utilisation et la jouissance par Coldwater de cette parcelle donnée serait différente si le consentement était refusé ou accordé. À mon avis, la question était uniquement liée à la propriété en common law de la servitude et non à l’utilisation des terres en question. Le refus de consentir à la cession signifierait que la servitude ne serait plus la propriété de l’exploitant du pipeline. Il ne signifierait pas que les terres n’étaient plus nécessaires aux fins du droit de passage d’un pipeline. Si le refus de consentir à la cession avait signifié que le cessionnaire ne pouvait plus entrer sur les terres pour corriger un problème de pipeline, ce refus aurait alors étayé une conclusion selon laquelle la décision du ministre d’approuver la cession de la servitude était raisonnable.

[118]  En l’espèce, il n’a pas été demandé au ministre d’approuver l’acquisition de la servitude par le groupe de sociétés de Kinder Morgan. Cette acquisition est survenue en 2005 et elle ne fait pas partie des transactions en litige. Tout ce qu’on a demandé au ministre a été de consentir à la cession de la servitude d’un membre du groupe de sociétés de Kinder Morgan à un autre membre du même groupe. Selon les conditions de l’acte formaliste bilatéral, la servitude serait demeurée en vigueur dans la mesure où les terres en question étaient nécessaires pour le pipeline et elle serait demeurée en vigueur, peu importe si le consentement avait été accordé. L’exploitant du pipeline au moyen de la réserve de Coldwater n’aurait pas non plus changé puisque la décision d’approuver le cessionnaire en tant qu’exploitant du pipeline a été prise en 2007 et qu’elle n’a pas été soumise au ministre. Avant d’accorder le consentement à la cession de la servitude, le ministre a examiné les facteurs établis dans la lettre en date du 29 décembre 2014 qui comprenaient le dossier de crédit, le dossier environnemental et le dossier contractuel du cessionnaire proposé.

[119]  Par conséquent, à mon avis, la décision du ministre d’approuver la cession de la servitude, dans les circonstances de l’espèce, était raisonnable et je suis d’avis de rejeter l’appel.

« Wyman W. Webb»

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-214-16

 

 

INTITULÉ :

BANDE INDIENNE DE COLDWATER ET LE CHEF LEE SPAHAN, AGISSANT EN SA QUALITÉ DE CHEF DE LA BANDE DE COLDWATER ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA BANDE DE COLDWATER c. LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN et KINDER MORGAN CANADA INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 juin 2017

 

OBSERVATIONS ÉCRITES SUPPLÉMENTAIRES REÇUES LE 1ER SEPTEMBRE 2017 DES APPELANTS ET LE 11 SEPTEMBRE 2017 DES INTIMÉS.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE DAWSON

 

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

 

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE WEBB

DATE DES MOTIFS :

Le 26 septembre 2017

 

COMPARUTIONS :

F. Matthew Kirchner

Michelle L. Bradley

 

Pour les appelants

BANDE INDIENNE DE COLDWATER ET LE CHEF LEE SPAHAN, AGISSANT EN SA QUALITÉ DE CHEF DE LA BANDE DE COLDWATER ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA BANDE DE COLDWATER

 

James MacKenzie

Ronald Lauenstein

 

POUR L’INTIMÉ

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

Maureen Killoran, c.r.

Tommy Gelbman

 

POUR L’INTIMÉE

KINDER MORGAN CANADA INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ratcliff & Company LLP

North Vancouver, Colombie-Britannique

 

Pour les appelants

BANDE INDIENNE DE COLDWATER ET LE CHEF LEE SPAHAN, AGISSANT EN SA QUALITÉ DE CHEF DE LA BANDE DE COLDWATER ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA BANDE DE COLDWATER

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉ

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR L’INTIMÉE

KINDER MORGAN CANADA INC.

 

 

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