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Date : 20160908


Dossier : A­146­16

Référence : 2016 CAF 224

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Nadon

ENTRE :

PLATYPUS MARINE, INC.

appelante

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « TATU » et LE NAVIRE « TATU »

intimés

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 31 août 2016.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2016.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE NADON

 


Date : 20160908


Dossier : A­146­16

Référence : 2016 CAF 224

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Nadon

ENTRE :

PLATYPUS MARINE, INC.

appelante

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « TATU » et LE NAVIRE « TATU »

intimés

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]               L'appelante, Platypus Marine, Inc., a présenté à la Cour une requête en vue d'obtenir une ordonnance déclarant que le navire « Tatu » (le navire) demeurera sous saisie jusqu'à ce qu'un cautionnement ou une garantie d'exécution soit déposé en application de l'article 486 des Règles des Cours fédérales ou jusqu'à ce qu'une mainlevée soit accordée en application de l'article 487.

[2]               Pour les motifs suivants, je conclus que la requête doit être rejetée.

[3]               Un résumé des faits pertinents sera utile à la compréhension de la question soulevée par la requête de l'appelante.

[4]               Dans une action intentée par Loralee B. Vogel (dossier de la Cour fédérale no T‑1615‑15), le navire, un yacht luxueux de 90 pieds assuré pour 5,8 millions de dollars américains, a été saisi à Vancouver le 23 septembre 2015, conformément à un mandat de saisie délivré par la Cour fédérale.

[5]               Le 29 octobre 2015, l'appelante, une société réparant des navires établie à Port Angeles, dans l'état de Washington, aux États‑Unis, a intenté une action personnelle et réelle contre les propriétaires du navire et contre le navire et a signifié et déposé un caveat‑mainlevée aux termes du paragraphe 493(2).

[6]               Dans son action, l'appelante réclamait 285 508,92 dollars américains pour les frais d'amarrage, d'entreposage, de réparation et d'autres services rendus au navire. L'appelante réclame également 100 000 dollars américains au titre des frais d'intérêts qu'avaient acceptés les parties.

[7]               Le 15 décembre 2015, les intimés n'ayant présenté aucune défense concernant le principal de 285 508,92 dollars américains, le juge Fothergill de la Cour fédérale a rendu un jugement pour le montrant intégral réclamé, soit 285 508,92 dollars américains, en dollars canadiens, soit 363 455,61 $, plus les dépens de 1 500 $. Toutefois, à l'égard des frais d'intérêts de 100 000 dollars américains, le juge Fothergill a accordé aux intimés l'autorisation de déposer et de signifier une défense et il a ordonné que la Cour examine la question à une date ultérieure.

[8]               À la fin janvier 2016, les intimés ont versé à l'appelante l'intégralité de la somme adjugée par le juge Fothergill, y compris les dépens et les intérêts.

[9]               Le 3 mai 2016, le juge Hughes de la Cour fédérale a entendu la requête des intimés visant le rejet sommaire de la demande de l'appelante pour des intérêts de 100 000 dollars américains.

[10]           Le jour suivant, le juge Hughes a rejeté la réclamation de l'appelante concernant les intérêts au motif que les frais d'intérêts acceptés par les parties enfreignaient les dispositions relatives aux taux d'intérêt criminels à l'article 347 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. Par conséquent, le juge Hugues a refusé d'ordonner l'exécution de l'entente intervenue entre les parties concernant les intérêts et a plutôt accordé à l'appelante des intérêts de 35 000 $, c.‑à‑d. des intérêts au taux de 5 % par an prescrit par l'article 4 de la Loi sur l'intérêt, L.R.C. 1985, ch. I‑15.

[11]           Peu après, l'appelante a déposé un avis d'appel devant notre Cour contestant la validité de la décision du juge Hugues. Cet appel sera probablement entendu à Vancouver d'ici la fin de l'année, me dit‑on.

[12]           Le 19 août 2016, en fin de journée, les intimés ont versé à l'appelante 35 992,46 $, soit le montant adjugé par le juge Hugues, plus les intérêts à 5 % sur ce montant à partir de la date du paiement du premier jugement jusqu'à ce jour.

[13]           Les intimés affirment qu'en raison de ce paiement, les deux jugements rendus par la Cour fédérale ont été respectés. Par conséquent, selon eux, ils ont le droit d'obtenir la mainlevée de la saisie du navire. Si j'ai bien compris les parties, il semble que les intimés ont avisé l'appelante qu'ils avaient l'intention de demander la mainlevée à la Cour fédérale. C'est ce qui semble avoir incité l'appelante à déposer la présente requête.

[14]           Comme je l'ai indiqué précédemment, je suis d'avis que la requête de l'appelante ne peut être accueillie.

[15]           Je commence par l'évidence : le navire est actuellement sous saisie conformément à un mandat délivré par la Cour fédérale (dossier no T‑1615‑15) à l'égard duquel l'appelante a déposé un caveat‑mainlevée aux termes du paragraphe 493(2). En conséquence, même si la présente requête est rejetée, le navire demeurera sous saisie jusqu'à ce que l'appelante consente à la mainlevée ou que la Cour fédérale délivre la mainlevée.

[16]           L'appelante prétend que puisque sa requête s'apparente à une requête en sursis, le critère à trois volets formulé par la Cour suprême dans l'arrêt RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 (RJR‑MacDonald), est celui qui s'applique. En d'autres termes, l'appelante soutient que pour que sa requête soit accueillie, elle doit démontrer qu'il existe une question sérieuse à juger en appel, qu'un rejet de sa requête entraînerait probablement un préjudice irréparable et que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur.

[17]           Mon premier commentaire est que la requête dont je suis saisi n'est pas une requête en sursis de l'ordonnance rendue par le juge Hughes. Décrire la requête comme étant apparentée à une requête en sursis n'en fait pas une requête en sursis. Je souligne que bien que l'appelante ait interjeté appel du jugement du juge Hugues du 4 mai 2016, elle n'a pas tenté d'obtenir un sursis à l'égard de ce jugement. Par conséquent, le jugement demeure exécutoire et, en fait, les intimés l'ont respecté lorsqu'ils ont payé 35 992,46 $ le 19 août 2016. À mon avis, si l'appelante avait réussi à obtenir un sursis de ce jugement, il s'ensuivrait forcément que la saisie du navire se poursuivrait en attendant la décision de notre Cour à l'égard de l'appel. Toutefois, cela ne s'est pas produit et par conséquent, avec égards, l'affirmation de l'appelante selon laquelle sa requête doit être traitée comme une requête en sursis n'est pas justifiée.

[18]           Mon deuxième commentaire, comme je l'ai indiqué précédemment, est que le navire est actuellement sous saisie et le demeurera malgré le rejet de la requête de l'appelante. Le navire demeure sous saisie en raison du caveat‑mainlevée déposé par l'appelante.

[19]           Un navire saisi ne peut faire l'objet d'une mainlevée que sur consentement ou si les conditions prescrites aux articles 487 à 489 des Règles sont satisfaites. Plus précisément, je note que le paragraphe 488(1) dispose que la Cour fédérale « peut, sur requête, ordonner la mainlevée de la saisie de biens à tout moment ». Ainsi, à mon avis, même si des jugements définitifs ont été rendus, la Cour fédérale n'a pas été dessaisie à l'égard de la saisie du navire. Autrement dit, la Cour fédérale a ordonné la saisie du navire et elle peut, sous réserve des règles et du droit applicable, en ordonner la mainlevée sur requête des parties.

[20]           Mon troisième commentaire est que ce que l'appelante demande n'est pas fondé en droit. En d'autres mots, la question de savoir si un navire sous saisie devrait faire l'objet d'une mainlevée est régie par les Règles des Cours fédérales et doit être tranchée par la Cour fédérale. Notre Cour n'a pas la compétence en première instance d'ordonner la saisie et la poursuite de la saisie d'un navire ou d'accorder la mainlevée. Cette compétence appartient à la Cour fédérale.

[21]           À l'appui de son observation selon laquelle je devrais accueillir sa requête, l'appelante invoque une décision rendue par mon ancien collègue le juge Evans dans l'arrêt Alpha Trading Monaco Sam v. Sarah Desgagnés (Ship), 2010 FCA 209 (Alpha Trading). Dans Alpha Trading, le juge Evans était saisi d'une requête déposée par l'appelante en vue d'obtenir le sursis d'une décision de la Cour fédérale ordonnant à l'appelante de faire en sorte que la saisie conservatoire du navire « Sarah Desgagnés » en Belgique prenne fin.

[22]           Par conséquent, la question dont mon ancien collègue était saisi était de savoir s'il était justifié de surseoir à la décision de la Cour fédérale. Pour rendre sa décision, le juge Evans a appliqué le critère à trois volets formulé dans l'arrêt RJR‑MacDonald. En répondant aux questions énoncées par le critère, le juge Evans a conclu qu'il existait effectivement une question sérieuse à juger en appel, qu'un refus de surseoir au jugement de la Cour fédérale entraînerait probablement un préjudice irréparable pour l'appelante et que la prépondérance des inconvénients militait en faveur de cette dernière. Dans la décision Alpha Trading, le navire est demeuré sous saisie parce qu'il y a eu sursis de la décision de la Cour fédérale. En l'espèce, l'appelante ne demande pas un sursis, mais une ordonnance empêchant la mainlevée de la saisie.

[23]           Il ne fait par conséquent aucun doute que la question dont nous sommes saisis n'a rien de comparable avec la question que le juge Evans devait trancher dans Alpha Trading. Comme je l'ai souligné précédemment, l'appelante me demande de traiter sa requête comme s'il s'agissait d'une requête en sursis et, ainsi, de la trancher selon le critère énoncé dans l'arrêt RJR‑MacDonald. La requête ne vise pas à suspendre l'ordonnance rendue par le juge Hugues et, par conséquent, le critère de l'arrêt RJR‑MacDonald n'est pas applicable en l'espèce.

[24]           À mon avis, la question que doit déterminer non pas notre Cour, mais la Cour fédérale, est de savoir s'il y a un fondement juridique au maintien de la saisie du navire. À défaut d'obtenir le consentement de l'appelante à la mainlevée, les intimés doivent s'adresser à la Cour fédérale afin d'obtenir la mainlevée, sans doute au motif qu'ils ont respecté les jugements rendus par la Cour fédérale concernant à la fois le principal et les frais d'intérêts. S'il n'existe pas de fondement pour poursuivre la saisie, alors la Cour fédérale rendra l'ordonnance appropriée.

[25]           Si la Cour fédérale ordonne la mainlevée, l'appelante pourra alors interjeter appel de cette décision et demander un sursis. Avant de déposer un appel, elle pourrait également demander à la Cour fédérale de suspendre son propre jugement. Toutefois, l'appelante ne peut obtenir au moyen de la présente requête ce qu'elle aurait pu obtenir si elle avait demandé le sursis du jugement du juge Hugues.

[26]           Pour ces motifs, la requête de l'appelante sera rejetée avec des dépens de 2 000 $.

« M. Nadon »

j.c.a.

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A­146­16

APPEL D'ORDONNANCES DU JUGE FOTHERGILL DU 15 DÉCEMBRE 2015 ET DU JUGE HUGHES DU 16 DÉCEMBRE 2015, DOSSIER NO T‑1615‑15

INTITULÉ :

PLATYPUS MARINE, INC. c. LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « TATU » ET LE NAVIRE « TATU »

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 31 août 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 septembre 2016

 

COMPARUTIONS :

John W. Bromley

Andrew J. Stainer

 

Pour l'appelante

 

W. Gary Wharton

 

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bull Housser & Tupper LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour l'appelante

 

Bernard LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour les intimés

 

 

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