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Date : 20171005


Dossier : A‑462‑16

Référence : 2017 CAF 202

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

SPRINGCREST INC.

défenderesse

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

 


Date : 20171005


Dossier : A‑462‑16

Référence : 2017 CAF 202

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

SPRINGCREST INC.

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, le procureur général du Canada agissant pour le compte du ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux (TPSGC), a présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) datée du 21 novembre 2016. Le TCCE a conclu que la plainte de la défenderesse, Springcrest Inc., selon laquelle il était impossible pour certains fournisseurs de respecter le calendrier précisé dans la demande de propositions, était fondée.

II.  Contexte

[2]  TPSGC a publié une demande de propositions, au nom du ministère de la Défense nationale (MDN), pour la fourniture de pompes de circulation d’eau de mer pour les frégates de la classe Halifax de la Marine royale canadienne. TPSGC a indiqué que le MDN avait un urgent besoin des pompes afin de maintenir la pleine capacité de sa flotte entière.

[3]  La demande de propositions comportait l’obligation de fournir dans la soumission un certificat d’essais de résistance aux chocs relativement aux pompes. Le fabricant d’équipement d’origine était dispensé de fournir un tel certificat s’il fournissait les mêmes moteurs que ceux qui étaient déjà visés par un certificat. La défenderesse s’est opposée et a demandé que TPSGC supprime l’exigence de présenter un certificat d’essais de résistance aux chocs parce qu’il était impossible pour tout autre fabricant de satisfaire à cette exigence dans le délai indiqué dans la demande de propositions. La demande de propositions a été publiée le 17 mai 2016 et, à ce moment‑là, la date limite pour la présentation des soumissions était le 18 juillet 2016, soit 62 jours plus tard.

[4]  En conséquence, la défenderesse a déposé une plainte auprès du TCCE.

III.  Décision du TCCE

[5]  Le TCCE a examiné deux plaintes formulées par la défenderesse : (1) TPSGC a‑t‑il délibérément structuré la DP de manière discriminatoire pour favoriser un fournisseur en particulier ou pour en exclure d’autres? (2) L’exigence de fournir les certificats d’essais de résistance aux chocs avant la clôture de l’appel d’offres était‑elle une exigence impossible à satisfaire pour les fournisseurs de produits équivalents en raison du calendrier de l’appel d’offres (motifs, par. 52).

[6]  S’agissant de la première plainte, la défenderesse a affirmé que l’exigence de fournir un certificat d’essais de résistance aux chocs était discriminatoire, en contravention de l’alinéa 504(3)b) de l’Accord sur le commerce intérieur, 18 juillet 1994, (1995) Gaz. C. I, 1323 (entré en vigueur le 1er juillet 1995) (ACI), et à l’article 1007 de l’Accord de libre‑échange nord‑américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États‑Unis d’Amérique et le gouvernement des États‑Unis du Mexique, 17 décembre 1992, R.T. Can. 1994 no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994). Elle a soutenu que les modalités de la demande de propositions favorisaient le fabricant d’équipement d’origine, qui n’était pas  tenu de fournir un certificat d’essais de résistance aux chocs s’il offrait les mêmes moteurs qu’il avait déjà fournis.

[7]  L’alinéa 504(3)b) de l’ACI dispose :

3. Sauf disposition contraire du présent chapitre, sont comprises parmi les mesures incompatibles avec les paragraphes 1 et 2 :

3. Except as otherwise provided in this Chapter, measures that are inconsistent with paragraphs 1 and 2 include, but are not limited to, the following:

[…]

504(3)b) la rédaction des spécifications techniques de façon soit à favoriser ou à défavoriser des produits ou services donnés, y compris des produits ou services inclus dans des marchés de construction, soit à favoriser ou à défavoriser des fournisseurs de tels produits ou services, en vue de se soustraire aux obligations prévues par le présent chapitre;

504(3)(b) the biasing of technical specifications in favour of, or against, particular goods or services, including those goods or services included in construction contracts, or in favour of, or against, the suppliers of such goods or services for the purpose of avoiding the obligations of this Chapter;

[8]  TPSGC a affirmé en réponse que l’exigence de fournir un certificat d’essais de résistance aux chocs reflétait un besoin opérationnel légitime et que, pour cette raison, elle n’était pas discriminatoire. Il a soutenu qu’il existait un besoin urgent d’obtenir les pompes pour frégates pour les navires de la Marine royale canadienne.

[9]  Le TCCE a conclu que la première plainte n’était pas fondée. Il a « reconn[u] que le MDN avait un besoin opérationnel légitime lorsqu’il a tenté d’obtenir la livraison des pompes sans retard indu » (motifs, au paragraphe 54) et que TPSGC n’avait pas délibérément exclu les fournisseurs de produits équivalents :

55. […] Springcrest n’a pas déposé d’éléments de preuve démontrant que TPSGC avait délibérément structuré les modalités de la DP de façon à exclure les fournisseurs de produits équivalents et/ou à favoriser les fournisseurs d’équipement d’origine. La preuve donne plutôt à penser que le besoin d’obtenir les pompes le plus rapidement possible a fait en sorte que TPSGC a structuré par inadvertance les spécifications techniques d’une façon qui, concrètement, faisait en sorte que certains fournisseurs étaient dans l’impossibilité de satisfaire aux spécifications […] (motifs, au paragraphe 55).

[En italiques dans l’original.]

[10]  S’agissant de la seconde plainte, la défenderesse a affirmé qu’il était impossible pour certains fournisseurs de respecter le calendrier, en contravention de l’alinéa 504(3)c) de l’ACI. Le processus menant à la fabrication de l’équipement et à l’obtention d’un certificat d’essais de résistance aux chocs prend environ un an, mais il n’y avait que 62 jours entre la date de publication de la demande de propositions et la date de clôture de l’appel d’offres (motifs, aux paragraphes 58 et 59).

[11]  L’alinéa 504(3)c) dispose :

3. Sauf disposition contraire du présent chapitre, sont comprises parmi les mesures incompatibles avec les paragraphes 1 et 2 :

3. Except as otherwise provided in this Chapter, measures that are inconsistent with paragraphs 1 and 2 include, but are not limited to, the following:

[…]

c) l’établissement du calendrier du processus d’appel d’offres de façon à empêcher les fournisseurs de présenter des soumissions;

(c) the timing of events in the tender process so as to prevent suppliers from submitting bids;

[12]  TPSGC a, cette fois encore, soutenu en réponse qu’il n’avait pas contrevenu à l’alinéa 504(3)c) de l’ACI parce qu’il avait des besoins opérationnels légitimes.

[13]  Le TCCE a toutefois conclu que la seconde plainte était fondée. Il a expliqué que l’intention n’est pas pertinente pour évaluer s’il y a eu violation de l’alinéa 504(3)c) :

60. Même si TPSGC ne voulait pas délibérément que l’exigence imposée aux fournisseurs de produits équivalents de soumettre leurs produits aux essais de résistance aux chocs en vue d’obtenir la certification avant la clôture de l’appel d’offres ait un effet discriminatoire, il aurait néanmoins dû, pour garantir une concurrence saine, leur donner assez de temps pour fabriquer les pompes et pour obtenir par la suite le certificat d’essais de résistance aux chocs, de façon à ce qu’ils puissent concurrencer de manière équitable les fournisseurs d’équipement d’origine. Ce que TPSGC n’a pas fait. Le Tribunal conclut donc que TPSGC a contrevenu à l’alinéa 504(3)c) de l’ACI, qui interdit l’établissement du calendrier de l’appel d’offres de façon à empêcher les fournisseurs de présenter des soumissions. Contrairement à l’alinéa 504(3)b), il n’est pas nécessaire de conclure que l’organisme gouvernemental a agi de manière délibérée en vue d’exclure les fournisseurs pour établir l’existence d’une violation de l’alinéa 504(3)c). Ainsi, le Tribunal conclut que ce motif de plainte de Springcrest est fondé (motifs, par. 60).

[Non souligné dans l’original.]

[14]  Le TCCE a ajouté que TPSGC aurait pu invoquer une autre disposition pour soustraire le processus d’approvisionnement aux obligations procédurales :

61. En ce qui concerne l’argument de TPSGC au sujet des besoins opérationnels légitimes du MDN, le Tribunal constate que d’autres dispositions des accords commerciaux pourraient être invoquées pour exempter le processus d’approvisionnement des obligations procédurales prévues dans les accords si le processus a pour objet la réalisation d’un objectif légitime, comme la sécurité publique. Cependant, TPSGC ne soutient pas que sa conduite discriminatoire pouvait se justifier au moyen de l’une de ces exceptions (motifs, au paragraphe 61).

[15]  À titre de réparation, le TCCE a recommandé que TPSGC annule l’appel d’offres existant et émette un nouvel appel d’offres, qui accordera aux fournisseurs de produits équivalents suffisamment de temps pour présenter un certificat d’essais de résistance aux chocs ou éliminera cette obligation (motifs, au paragraphe 78).

[16]  Suivant la décision du TCCE, le Canada a informé le TCCE qu’il ne mettrait pas en œuvre ses recommandations et qu’il poursuivrait ses démarches en se servant de la demande de propositions existante, conformément à l’alinéa 13a) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, D.O.R.S./93‑602.

[17]  La demande de contrôle judiciaire a été présentée le 19 décembre 2016. La défenderesse a informé notre Cour dans une lettre datée du 3 mars 2017 qu’elle ne participerait pas à l’instance.

IV.  Question en litige

[18]  Je formulerais comme suit la question en litige : la conclusion du TCCE selon laquelle l’obligation, énoncée dans la demande de propositions, pour les fournisseurs de produits équivalents de fournir un certificat valable d’essais de résistance aux chocs à la clôture de l’appel d’offres contrevenait à l’alinéa 504(3)c) de l’ACI était‑elle raisonnable?

V.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[19]  Le demandeur reconnaît que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Je suis du même avis. En l’espèce, le TCCE interprète non seulement des accords qui sont étroitement liés à son mandat, mais aussi des accords qui « relèvent pleinement de son domaine d’expertise » (CGI Information Systems and Management Consultants Inc. c. la Société canadienne des postes, 2015 CAF 272, au paragraphe 42, [2015] A.C.F no 1400 (QL)); Siemens Westinghouse Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2001 CAF 241, au paragraphe 21, [2002] 1 R.C.F. 292). Ce principe a été confirmé très récemment par notre Cour en ce qui concerne l’expertise du TCCE en matière de litiges relatifs à des marchés publics, dans Francis H.V.A.C. Services Ltd. c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2017 CAF 165; [2017] A.C.F. no 793, aux paragraphes 18 et 20.

[20]  Pour évaluer le caractère raisonnable d’une décision, il importe d’examiner les principes exposés dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir) : « Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »

B.  La conclusion du TCCE selon laquelle l’obligation pour les fournisseurs de produits équivalents de fournir un certificat valable d’essais de résistance aux chocs avant la clôture de l’appel d’offres contrevenait à l’alinéa 504(3)c) de l’ACI était‑elle raisonnable?

[21]  Le TCCE a conclu que la plainte présentée par la défenderesse sur le fondement de l’alinéa 504(3)c) était fondée parce que le calendrier et les exigences précisées dans la demande de propositions faisaient en sorte qu’il était impossible pour les fournisseurs de produits équivalents de présenter une soumission. Au moment où la défenderesse a formulé sa plainte, la demande de propositions n’accordait que 62 jours pour un processus qui peut prendre, ainsi que l’ont confirmé les deux parties, environ un an (motifs, aux paragraphes 58 et 59). Le TCCE a conclu que le calendrier exigé contrevenait à l’alinéa 504(3)c), peu importe si TPSGC voulait empêcher des fournisseurs de soumissionner.

[22]  Le TCCE a expliqué que la preuve de l’intention n’est pas nécessaire pour conclure à la violation de l’alinéa 504(3)c), même si l’alinéa 504(3)b) l’exige. L’explication du TCCE est citée ci‑dessus au paragraphe 13 des présents motifs, mais mérite d’être répétée :

60. Même si TPSGC ne voulait pas délibérément que l’exigence imposée aux fournisseurs de produits équivalents de soumettre leurs produits aux essais de résistance aux chocs en vue d’obtenir la certification avant la clôture de l’appel d’offres ait un effet discriminatoire, il aurait néanmoins dû, pour garantir une concurrence saine, leur donner assez de temps pour fabriquer les pompes et pour obtenir par la suite le certificat d’essais de résistance aux chocs, de façon à ce qu’ils puissent concurrencer de manière équitable les fournisseurs d’équipement d’origine. Ce que TPSGC n’a pas fait. Le Tribunal conclut donc que TPSGC a contrevenu à l’alinéa 504(3)c) de l’ACI, qui interdit l’établissement du calendrier de l’appel d’offres de façon à empêcher les fournisseurs de présenter des soumissions. Contrairement à l’alinéa 504(3)b), il n’est pas nécessaire de conclure que l’organisme gouvernemental a agi de manière délibérée en vue d’exclure les fournisseurs pour établir l’existence d’une violation de l’alinéa 504(3)c). Ainsi, le Tribunal conclut que ce motif de plainte de Springcrest est fondé (motifs, au paragraphe 60).

[Non souligné dans l’original.]

[23]  En vertu de l’alinéa 504(3)b), le TCCE a conclu qu’un besoin opérationnel légitime a fait en sorte que TPSGC a structuré la demande de propositions de manière à exclure certains fournisseurs « par inadvertance » (motifs, au paragraphe 55). TPSGC ne pouvait contrevenir à l’alinéa 504(3)b) à moins de vouloir le faire délibérément. Or, il importe peu que TPSGC ait contrevenu à l’alinéa 504(3)c) délibérément ou par inadvertance. À mon avis, indépendamment de l’existence d’un besoin opérationnel légitime, il n’en demeure pas moins que les fournisseurs de produits équivalents ne pouvaient objectivement respecter le calendrier. De plus, le TCCE a expliqué au paragraphe 61 que, en vertu de l’alinéa 504(3)c), « d’autres dispositions des accords commerciaux pourraient être invoquées pour exempter le processus d’approvisionnement des obligations procédurales prévues dans les accords si le processus a pour objet la réalisation d’un objectif légitime […] ». La conclusion tirée par le TCCE sur ce point est raisonnable compte tenu des documents qui lui avaient été présentés.

[24]  Le demandeur fait valoir que l’alinéa 504(3)c) s’applique au processus de passation des marchés, y compris aux calendriers, alors que l’alinéa 504(3)b) ne s’applique qu’aux exigences techniques des appels d’offres. Je ne suis pas de cet avis. Rien dans le libellé général de l’alinéa 504(3)c) ne donne à penser qu’il se limite uniquement aux éléments liés au processus et qu’il n’est pas destiné à s’appliquer aux éléments liés aux exigences techniques. À mon avis, le TCCE a agi de manière raisonnable lorsqu’il a conclu à l’absence d’une telle restriction.

VI.  Conclusion

[25]  Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Dans les circonstances, il n’y aura pas d’adjudication de dépens.

« David G. Near »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J. Woods, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE D’UNE DÉCISION DU TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR RENDUE LE 21 NOVEMBRE 2016
DANS LE DOSSIER NO PR‑2016‑021

DOSSIER :

A‑462‑16

 

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. SPRINGCREST INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 20 septembre 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 OCTOBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

M. Kathleen McManus

Tokundo Omisade

 

Pour le demandeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure adjointe du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

London (Ontario)

Pour la défenderesse

 

 

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