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Date : 20171016


Dossier : A-394-16

Référence : 2017 CAF 208

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20171016


Dossier : A-394-16

Référence : 2017 CAF 208

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]  Le procureur général demande le contrôle judiciaire de la décision de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la Commission), répertoriée sous l’intitulé Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 85, 2016 PSLREB 85 (décision de la Commission), par laquelle la Commission a accueilli la plainte qu’a déposée l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) contre l’employeur, le Conseil du Trésor du Canada.

[2]  Résumons brièvement les faits sous‑jacents.

[3]  L’AFPC a déposé auprès de la Commission une plainte fondée sur l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (maintenant intitulée Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral), L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la Loi), alléguant que le Conseil du Trésor s’était livré à une pratique déloyale. Plus particulièrement, l’AFPC a soutenu que le Conseil du Trésor (l’employeur aux fins des présentes) est intervenu dans l’« administration d’une organisation syndicale » et dans la « représentation des fonctionnaires » en contravention de l’alinéa 186(1)a) de la Loi. L’intervention se serait produite lorsque l’employeur a refusé les demandes de l’AFPC en vue d’effectuer des visites et de tenir des réunions sur place avec ses membres dans trois lieux de travail du gouvernement fédéral (décision de la Commission, par. 2, 6 et 10).

[4]  À l’audience devant la Commission, des directeurs de chacune des installations ont fait connaître les motifs des refus. Une politique du ministère de la Défense nationale interdisait aux agents négociateurs d’accéder aux lieux de travail pour tenir des réunions liées à la négociation collective. Une directrice de Santé Canada a affirmé qu’un tel accès perturberait les employés, qui deviendraient émotifs et engageraient des discussions pendant les heures de travail. Une directrice d’Anciens combattants a refusé l’accès au motif que la durée demandée pour effectuer la visite était excessive et que les employés discutaient de renseignements de nature délicate dans le lieu de travail (décision de la Commission, par. 29, 30, 34 et 38).

[5]  Même si la Commission disposait d’éléments de preuve faisant état d’approbations antérieures concernant des visites et des réunions sur place (décision de la Commission, par. 11, 37 et 44), la convention collective n’accorde pas de droits d’accès pour ces activités. L’article 12.03 de la convention collective en vigueur traite expressément, en le définissant, du droit de l’AFPC d’utiliser les locaux de l’employeur pour des activités du syndicat. Il traite des tableaux d’affichage et de l’affichage des renseignements syndicaux, et il prévoit qu’« il peut être permis à un représentant […] de se rendre dans les locaux de l’Employeur […] pour aider à régler une plainte ou un grief, ou pour assister à une réunion convoquée par la direction ».

[6]  S’appuyant en grande partie sur la décision qu’il avait déjà rendue dans l’affaire Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRTFP 58, [2012] C.R.T.F.P.C. no 58 (l’AFPC no 1), le commissaire a conclu que le refus d’accès constituait une pratique déloyale parce qu’il violait l’alinéa 186(1)a) de la Loi. Par conséquent, la Commission a ordonné au Conseil du Trésor de cesser de refuser les demandes d’accès en l’absence de « motifs opérationnels convaincants et justifiables » (décision de la Commission, par. 4, 7, 70 et 77).

[7]  Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission, avec dépens, et une ordonnance renvoyant la plainte à un autre commissaire pour qu’il procède à une nouvelle audience.

[8]  Bien que j’aie lu les motifs en gardant à l’esprit les principes énoncés dans les arrêts Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, et Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, j’estime que la demande devrait être accueillie avec dépens.

[9]  La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 a été modifiée le 22 juin 2017. Elle s’intitule désormais la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2. Les modifications n’ont aucune incidence sur l’issue de la présente demande. La disposition pertinente est la suivante :

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22

Public Service Labour Relations Act, S.C. 2003, c. 22

Pratiques déloyales

Unfair Labour Practices

Définition de pratiques déloyales

Meaning of unfair labour practice

185 Dans la présente section, pratiques déloyales s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

185 In this Division, unfair labour practice means anything that is prohibited by subsection 186(1) or (2), section 187 or 188 or subsection 189(1).

Pratiques déloyales par l’employeur

Unfair labour practices — employer

186 (1) Il est interdit à l’employeur et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, qu’il agisse ou non pour le compte de l’employeur :

186 (1) Neither the employer nor a person who occupies a managerial or confidential position, whether or not the person is acting on behalf of the employer, shall

a) de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci;

(a) participate in or interfere with the formation or administration of an employee organization or the representation of employees by an employee organization; or

[…]

[10]  Dans l’arrêt Bernard c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 13, [2014] 1 R.C.S. 227 (Bernard), la Cour suprême du Canada s’est penchée sur l’alinéa 186(1)a). Dans cette affaire, le syndicat demandait la communication des renseignements personnels des employés (y compris ceux assujettis à la formule Rand qui, comme Mme Bernard, n’étaient pas membres du syndicat), comme les noms, adresses et numéros de téléphone, qui devaient permettre au syndicat de communiquer avec tous les employés de l’unité de négociation. La Cour suprême a conclu que le syndicat avait droit aux coordonnées résidentielles des employés. La capacité du syndicat de communiquer avec les membres était nécessaire à la représentation efficace des employés de l’unité dans le cadre de la négociation collective (Bernard, par. 2, 24, 25, 27 et 28).

[11]  En concluant que les coordonnées résidentielles des employés devaient être divulguées, la Cour suprême a souligné que « le syndicat et l’employeur doivent être sur un pied d’égalité en ce qui concerne les renseignements pertinents quant à la relation de négociation collective » et que l’alinéa 186(1)a) s’appliquait lorsque l’acquiescement à une demande était « nécessaire » au processus de négociation collective. Les coordonnées résidentielles étaient nécessaires parce que, selon les termes employés par la Cour, au paragraphe 27 :

Le besoin du syndicat de pouvoir communiquer avec les employés de l’unité de négociation ne peut être tributaire de l’utilisation des installations de l’employeur. Comme l’a souligné la Commission, l’employeur peut contrôler les moyens de communication au travail, mettre en application des politiques restreignant toutes les communications échangées au travail, y compris celles avec le syndicat, et surveiller celles‑ci. De plus, le syndicat peut avoir des obligations de représentation envers des employés avec lesquels il ne peut communiquer au travail, notamment des employés en congé ou absents en raison d’un conflit de travail.

[12]  La Commission n’a ni mentionné l’arrêt Bernard ni examiné le critère que la Cour suprême a énoncé. La Commission a plutôt conclu qu’il était « plus avantageux » et « préférable » d’effectuer des visites sur place et que les autres moyens de communication n’étaient pas toujours aussi efficaces (décision de la Commission, par. 60, 61 et 63).

[13]  Il ne s’agit pas là des bonnes questions ou considérations. La question n’est pas de savoir si l’accès faciliterait les rapports du syndicat avec ses membres; il serait surprenant que cette question ne reçoive pas toujours une réponse affirmative. La question est de savoir si l’accès était, selon les termes employés dans l’arrêt Bernard, nécessaire pour faire en sorte que le syndicat et l’employeur soient sur un pied d’égalité au cours de la négociation collective, le tout dans le contexte d’une relation de négociation de longue date dans le cadre de laquelle les parties avaient déjà négocié une clause portant sur l’accès du syndicat aux installations de l’employeur pour la tenue d’activités syndicales.

[14]  Le législateur a reconnu au Conseil du Trésor le droit de contrôler et de gérer son lieu de travail : Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F‑11, art. 7 et 11. Le pouvoir discrétionnaire de l’employeur à cet égard ne peut être restreint que par une loi, ou par une disposition de la convention collective : Canada (Procureur général) c. Association des juristes de Justice, 2016 CAF 92, par. 24, [2016] 4 R.C.F. 349; Brescia c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CAF 236, par. 16, [2006] 2 R.C.F. 343 (Brescia), citant Alliance de la Fonction publique du Canada et al. c. Commission canadienne des grains et Canada (Conseil du Trésor) et al. (1986), 5 F.T.R. 51 (C.F. 1re inst.), par. 53; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2011 CRTFP 106, par. 31, [2011] C.R.T.F.P.C. no 105.

[15]  La Commission a également imposé à l’employeur le fardeau de démontrer l’existence d’un motif opérationnel convaincant de refuser la demande, un critère pour lequel il n’existe aucun précédent dans la jurisprudence relative à l’alinéa 186(1)a) et à la fonction publique fédérale. Déplacer le fardeau de la preuve sur les épaules de l’employeur de sorte qu’il lui incombe de justifier par des motifs opérationnels convaincants le refus d’une demande du syndicat de mener des activités sur place et pendant les heures de travail est en contradiction avec le point de départ de l’analyse effectuée dans l’arrêt Bernard. Cela est également en contradiction avec le paragraphe 191(3), qui définit expressément les circonstances dans lesquelles le fardeau se déplace en présence d’une allégation de pratique déloyale.

[16]  L’article 186 a pour objet d’établir un cadre favorable à la relation de négociation collective : Brescia, par. 34. Ce sont les conventions collectives qui accordent des droits substantiels et particuliers, comme le droit d’accès au lieu de travail. Par conséquent, l’accès au lieu de travail par les représentants syndicaux en vue de mener des activités syndicales a toujours été une affaire de négociation collective : voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 138, par. 89. La Commission le reconnaît elle‑même, mentionnant, au paragraphe 68, qu’elle « partage l’avis de l’employeur selon lequel les réunions sur place et les visites peuvent être négociées à la table et […] que les parties devraient continuer de s’efforcer, dans le cadre de la négociation collective, de s’entendre quant à l’utilisation des locaux de l’employeur […] ».

[17]  La décision de la Commission a pour effet de rendre théorique l’article 12 de la convention collective intitulé « Utilisation des locaux de l’employeur ». Comme je l’ai mentionné plus haut, cette disposition, négociée par les parties, constitue une description complète et détaillée des circonstances dans lesquelles le syndicat peut utiliser les locaux de l’employeur. D’ailleurs, les parties ont informé la Cour que la portée de cette disposition précise faisait l’objet de négociations.

[18]  J’accueillerais donc la demande, avec dépens, et renverrais l’affaire à un autre commissaire pour qu’il statue à nouveau sur celle‑ci.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE D’UNE DÉCISION DE LA COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL ET DE L’EMPLOI DANS LA FONCTION PUBLIQUE DATÉE DU 14 SEPTEMBRE 2016 (2016 CRTEFP 85)

DOSSIER :

A-394-16

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA C. ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 SEPTEMBRE 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

LE 16 OCTOBRE 2017

COMPARUTIONS :

Richard Fader

POUR LE DEMANDEUR

Amanda Montague-Reinholdt

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

Raven, Cameron, Ballantyne et Yazbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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