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Dossier : A‑417‑16

Référence : 2017 CAF 210

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

 

 

WSÁNEĆ SCHOOL BOARD

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

SYNDICAT DES FONCTIONNAIRES PROVINCIAUX ET DE SERVICE DE LA COLOMBIE‑BRITANNIQUE

 

 

défendeur

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 13 septembre 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20171024


Dossier : A‑417‑16

Référence : 2017 CAF 210

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

WSÁNEĆ SCHOOL BOARD

demandeur

et

SYNDICAT DES FONCTIONNAIRES PROVINCIAUX ET DE SERVICE DE LA COLOMBIE‑BRITANNIQUE

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur, le WSÁNEĆ School Board (le WSB), sollicite l’annulation de la décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles (le CCRI ou le Conseil) en date du 23 septembre 2016, publiée sous l’intitulé WSANEC School Board et Syndicat des fonctionnaires provinciaux et de service de la Colombie‑Britannique, 2016 CCRI 838. Dans cette décision, le CCRI a rejeté la demande du WSB visant à exclure de l’unité de négociation les employés dont les fonctions principales sont axées sur la revitalisation de la langue et de la culture SENĆOŦEN ainsi que sur la transmission des croyances et enseignements du peuple WSÁNEĆ (les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN). Le CCRI a rendu la décision en question sans tenir d’audience.

[2]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire, sans dépens.

I.  Contexte

[3]  Le peuple WSÁNEĆ est un peuple autochtone dont les terres traditionnelles sont situées sur l’île de Vancouver. Autrefois, on les appelait en anglais les « Saanich ». Le WSB (anciennement connu sous le nom de Saanich Indian School Board) est un conseil scolaire de Premières Nations qui offre des services d’éducation aux enfants, aux jeunes et aux adultes des Premières Nations. Il est situé sur la réserve TSARTLIP et il offre ses services au peuple WSÁNEĆ, composé de quatre Premières Nations, dont chacune est une bande au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5.

[4]  En 1998, le Conseil a accrédité le défendeur, le Syndicat des fonctionnaires provinciaux et de service de la Colombie‑Britannique (le SFPSCB) pour représenter une unité de négociation comprenant tous les employés du Saanich Indian School Board travaillant dans une école et un centre d’éducation pour adultes gérés par ce dernier. La description de l’unité de négociation a été modifiée par la suite afin d’indiquer ce qui suit :

[T]ous les employés de WSANEC School Board travaillant à partir du tau Welnew Tribal School, du Saanich Adult Education Centre, et du Saanich Child Care Centre, à l’exclusion de l’administrateur, du directeur des ressources humaines, du préposé à la tenue de livres, du directeur, du directeur du Saanich Adult Education Centre, du directeur des opérations, du contrôleur financier et du directeur du développement de l’enfant ». [Caractères gras dans l’original.]

[5]  L’unité de négociation est actuellement composée d’employés professionnels (des enseignants et des éducateurs de la petite enfance qualifiés), de personnel paraprofessionnel (surtout des assistants à l’enseignement et des assistants en éducation spécialisée), de membres du personnel de soutien ainsi que du personnel des opérations et d’entretien. Au moment où le WSB a présenté sa demande devant le CCRI, on comptait neuf employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN dans l’unité de négociation qui compte environ 110 employés.

[6]  La langue traditionnelle du peuple WSÁNEĆ est le SENĆOŦEN. Il s’agissait jusqu’à tout récemment d’une langue exclusivement orale. Au milieu des années 1980, le WSB a commencé à enseigner les rudiments de la langue SENĆOŦEN aux élèves en invitant des enseignants de langue SENĆOŦEN à participer aux cours d’anglais périodiquement afin d’enseigner aux élèves l’alphabet SENĆOŦEN et certains mots de base. Ces enseignants de langue sont membres de l’unité de négociation.

[7]  Plus récemment, le WSB a conçu un programme d’immersion, qui met l’accent sur la revitalisation de la langue SENĆOŦEN, conformément au ĆELÁNEN – les croyances et les enseignements traditionnels du peuple WSÁNEĆ. Le programme d’immersion en SENĆOŦEN est enseigné par les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN. Aux paragraphes 15 et 16 de son mémoire des faits et du droit, le WSB décrit ainsi le ĆELÁNEN et son incidence sur les rôles et les responsabilités des employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN.

[traduction]

15.  Au risque de trop simplifier les choses, le ĆELÁNEN concerne et englobe les croyances et les enseignements du peuple WSÁNEĆ. Il concerne, entre autres aspects importants, les règles, les responsabilités et les droits précis liés à la transmission de connaissances sur la langue SENĆOŦEN et sur la culture, les croyances et les enseignements du peuple WSÁNEĆ. Il s’entend plus particulièrement des règles, des responsabilités et des droits, notamment, quant à ceux qui ont le droit et le devoir d’enseigner des aspects donnés de la langue, de la culture et des croyances ainsi qu’à la façon dont ils doivent l’enseigner et les circonstances dans lesquelles ils peuvent le faire. Il concerne aussi la responsabilité des nations membres et de la collectivité WSÁNEĆ de prendre soin de ceux qui préservent et transmettent les connaissances linguistiques et culturelles, de les soutenir et de les protéger. [Référence omise.]

16.  Autrement dit, les droits et les responsabilités réciproques des employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN et de l’employeur ainsi que ceux des étudiants et de la communauté WSÁNEĆ dans son ensemble sont, selon le peuple WSÁNEĆ, régis par ses enseignements, qui lui appartiennent. Cet aspect du ĆELÁNEN a donc des répercussions profondes sur les règles régissant la relation d’emploi avec les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN – tant en ce qui concerne l’employeur que les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN. [Référence omise.]

[8]  En 2015, à peu près au même moment où il a donné un avis de négociation pour le renouvellement de la convention collective applicable à l’unité du WSB, le SFPSCB a appris que le WSB traitait les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN comme s’ils étaient exclus de l’unité de négociation et qu’il n’avait pas perçu de cotisations syndicales sur leur salaire. Peu de temps après, le WSB a demandé au SFPSCB d’accepter d’exclure les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN de l’unité de négociation. Le SFPSCB a refusé de le faire; le WSB a donc présenté une demande, le 1er octobre 2015, devant le CCRI en vertu des articles 18 et 18.1 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2 (le Code) en vue de modifier la description de l’unité de négociation de façon à en exclure les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN. Le WSB n’a pas tenté de négocier des conditions d’emploi différentes pour les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN avant de présenter sa demande au Conseil.

[9]  Dans sa demande présentée au CCRI, le WSB a exposé les motifs pour lesquels il demandait l’exclusion des employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN. Pour l’essentiel, il affirmait que l’inclusion de ces employés dans une unité de négociation représentant tous les employés aurait une incidence négative sur les droits constitutionnels des Premières Nations WSÁNEĆ visés aux articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Loi constitutionnelle de 1982), de contrôler la transmission de leur langue et de leur culture.

[10]  Plus particulièrement, le WSB a soutenu qu’il faut interpréter et appliquer le Code de manière à respecter les droits constitutionnels susmentionnés et à tenir compte des valeurs et des principes qui les sous‑tendent, y compris le besoin de réconciliation. Selon le WSB, l’inclusion des employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN dans une unité de négociation composée de tous les employés est incompatible avec ces valeurs et ces principes parce qu’elle heurte certaines de leurs croyances traditionnelles et entraîne une importante perte de contrôle sur la façon dont ces croyances et la langue SENĆOŦEN sont transmises.

[11]  Le WSB mentionne comme exemples de cas d’incompatibilité la procédure de grief et d’arbitrage ainsi que les clauses de la convention collective sur l’admissibilité, l’embauche, l’ancienneté et les heures de travail. Le WSB a soutenu qu’il faudrait modifier en profondeur ces clauses pour permettre aux employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN d’accomplir leurs tâches conformément au ĆELÁNEN. Le WSB a également affirmé que le concept de grève est étranger à la culture WSÁNEĆ et il s’est dit préoccupé par le fait que l’exercice du droit de grève priverait les enfants WSÁNEĆ de leur droit, qu’ils acquièrent en naissant, d’apprendre leur langue et de connaître leur culture.

[12]  Étant donné le statut minoritaire des employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN dans l’unité de négociation composée de tous les employés, le WSB a fait valoir que l’exclusion de ces employés de l’unité de négociation était la seule façon de faire en sorte que les Premières Nations conservent le contrôle, qu’elles sont en droit d’exercer, sur la façon dont leurs croyances traditionnelles et la langue SENĆOŦEN sont transmises.

[13]  Le WSB a demandé au Conseil de tenir une audience sur sa demande si le SFPSCB la contestait de façon à ce qu’il puisse expliquer les croyances et les enseignements du peuple WSÁNEĆ selon ses traditions orales. Toutefois, aucun détail n’a été donné sur la nature des témoignages oraux que le WSB entendait présenter et aucune explication n’a été fournie sur l’importance des témoignages oraux dans la culture WSÁNEĆ. Dans des observations supplémentaires soumises au CCRI, l’avocat du WSB a précisé davantage sa demande d’audience en indiquant qu’elle était présentée à titre subsidiaire et uniquement pour le cas où le CCRI serait réticent à accueillir la demande principale. Voici ce que l’avocat a écrit à cet égard :

[traduction]

Le WSB est d’avis qu’il a effectivement fourni suffisamment de renseignements pour permettre au CCRI de conclure qu’il ne faut pas inclure les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN dans l’unité de négociation. Toutefois, si des renseignements plus précis sur le contexte social, culturel, juridique et historique et sur les enseignements et les croyances du peuple WSÁNEĆ sont nécessaires pour examiner et appliquer de manière appropriée les valeurs constitutionnelles susmentionnées, le WSB est d’avis que le CCRI doit entendre des témoignages sur les enseignements et les croyances du peuple WSÁNEĆ, qui se doivent d’être livrés dans le respect de la tradition orale et dans la langue SENĆOŦEN. C’est pour ces raisons que la tenue d’une audience a été sollicitée, et le WSB est d’avis que, dans ces circonstances, sa demande ne saurait être rejetée sans la tenue d’une audience. (Dossier de demande, aux pages 122 et 123.)

II.  La décision du CCRI

[14]  Dans la décision faisant l’objet du contrôle, le CCRI a d’abord exposé le contexte entourant la demande principale et les faits pertinents. Il s’est ensuite penché sur la demande d’audience présentée par le WSB et il l’a rejetée. Après avoir fait remarquer que l’article 16.1 du Code lui accorde le pouvoir discrétionnaire de trancher une affaire dont il est saisi sans tenir une audience, le CCRI a conclu que les documents au dossier suffisaient pour statuer sans audience sur la demande présentée par le WSB. Citant l’arrêt NAV Canada c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité, 2001 CAF 30, 267 N.R. 125 [NAV Canada], le CCRI a souligné qu’il était en droit de statuer sur la demande sur le fondement des observations écrites des parties sans les informer de son intention de le faire.

[15]  Le Conseil s’est ensuite penché sur le fond de la demande du WSB relative à l’exclusion des employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN de l’unité de négociation. Il a commencé son analyse en résumant les principes pertinents issus de sa jurisprudence, qui militent en faveur du maintien d’unités de négociation composées de tous les employés et qui exigent que le demandeur démontre l’existence de motifs impérieux de fragmenter une unité. Il a aussi souligné que l’absence de communauté d’intérêts, des facteurs géographiques, des dispositions législatives précises et la probabilité qu’une unité plus importante ne soit pas viable pouvaient constituer des motifs impérieux. Le Conseil a ensuite indiqué que ces facteurs doivent être mis en balance avec les considérations qui militent en faveur du maintien de l’unité actuelle, comme la nécessité d’éviter une dilution du pouvoir de négociation d’un syndicat, de promouvoir la stabilité industrielle et de veiller à ce que les employés ne perdent pas leur accès à une représentation syndicale.

[16]  Dans son analyse des questions précises soulevées dans la demande présentée par le WSB, le CCRI a estimé que l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395 [Doré], établissait le cadre juridique de son analyse vu la nature de la demande présentée par le WSB. Dans l’application de ce cadre juridique, le CCRI est parti de la prémisse qu’il devait pondérer le principe fondamental selon lequel les grandes unités de négociation « préserve[nt] la stabilité des relations du travail » ainsi que le « droit fondamental des employés de s’associer et de négocier collectivement » (motifs du CCRI, aux paragraphes 36 et 39) en regard des intérêts constitutionnels des Premières Nations WSÁNEĆ, que le CCRI décrit comme étant « le droit des Autochtones à l’autodétermination de même que l’importance fondamentale, pour le peuple WSANEC, de préserver sa langue et sa culture […] en conformité avec ses propres enseignements » (motifs du CCRI, au paragraphe 37).

[17]  Dans cet exercice de mise en balance, le CCRI a estimé que la demande du WSB reposait sur l’idée que les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN avaient de par leur rôle et leurs responsabilités particulières une communauté d’intérêts qui leur est propre. Il a souligné que, dans d’autres affaires dans lesquelles l’absence de communauté d’intérêts avait été invoquée, le CCRI s’était demandé si les particularités d’un groupe pouvaient être prises en compte en insérant des clauses particulières dans la convention collective. Le CCRI a conclu que le WSB n’avait pas établi qu’une approche semblable ne pouvait être envisagée pour répondre aux préoccupations soulevées en ce qui concerne les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN. Le Conseil a fait mention de certaines clauses de la convention collective en vigueur qui accordent déjà une certaine souplesse quant aux aspects qui nécessitent, selon le WSB, que les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN soient exclus de l’unité de négociation. Il a relevé à cet égard que la convention collective contient déjà une clause portant sur son objet qui reconnaît « l’unicité du lieu de travail et qui prévoi[t] l’accès à un mode de résolution des litiges susceptible de mieux convenir au peuple WSANEC » (motifs du CCRI, au paragraphe 42). Le Conseil a aussi indiqué que les parties pouvaient négocier des clauses supplémentaires pour répondre aux besoins des employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN de façon à « leur permettre de remplir leurs fonctions de la manière jugée appropriée » (motifs au CCRI, au paragraphe 44). Le CCRI a donc conclu que, bien que les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN puissent avoir des intérêts différents de ceux des autres employés de l’unité de négociation, il n’existait pas de motifs suffisamment impérieux de les exclure de celle‑ci.

[18]  Le Conseil a en outre souligné que, si la demande devait être accueillie, les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN se retrouveraient sans représentation syndicale; ce facteur a aussi milité en faveur du rejet de la demande.

[19]  Le Conseil a donc conclu que « rien ne l’empêch[ait] d’inclure les employés affectés [à la revitalisation du SENĆOŦEN] dans l’unité de négociation actuelle, au vu de la mise en balance, d’un côté, de sa politique contre la fragmentation, qui appuie la liberté d’association et la stabilité industrielle, et, de l’autre côté, de la capacité du peuple WSANEC à protéger sa langue et sa culture grâce aux modalités d’enseignement utilisées par les employés affectés [à la revitalisation du SENĆOŦEN] » (motifs du CCRI, au paragraphe 47). Il a donc rejeté la demande présentée par le WSB.

III.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[20]  J’examinerai maintenant la demande présentée par le WSB à la Cour afin de faire annuler la décision rendue par le CCRI en me penchant d’abord sur la question de la norme de contrôle appropriée. La décision du CCRI comporte deux volets, tous deux contestés par le WSB, le premier étant sa décision de statuer sur la demande sans tenir d’audience et, le second, sa décision sur le fond.

[21]  En ce qui concerne le premier volet de sa décision, comme le CCRI l’a indiqué dans ses motifs, l’article 16.1 du Code lui donne le pouvoir de trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Pour reprendre les termes utilisés par le juge Evans, au paragraphe 14 de l’arrêt Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CAF 98, 415 N.R. 77, quant à l’incidence d’une disposition semblable de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, « la common law cède le pas » devant l’article 16.1 du Code qui justifie de conclure que les impératifs de l’équité procédurale n’obligent pas le Conseil à tenir une audience dans tous les cas. Il laisse plutôt au Conseil le pouvoir discrétionnaire de déterminer dans quels cas il tiendra une audience.

[22]  La jurisprudence de la Cour reconnaît qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard des décisions du CCRI de ne pas tenir d’audience, à moins que ce dernier n’ait pas permis à une partie de présenter ses arguments sur le fond de la demande : voir par exemple, NAV Canada, aux paragraphes 9 à 11, Madrigga c. Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, 2016 CAF 151, aux paragraphes 26 et 27, 486 N.R. 248; Syndicat des services du grain (SIDM‑Canada) c. Friesen, 2010 CAF 339, aux paragraphes 22 à 24, 414 N.R. 171. Ainsi, la Cour (malgré la dissidence du juge Stratas, dans l’arrêt Maritime Broadcasting System Ltd. c. La guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59, 455 N.R. 115) a appliqué la norme de contrôle de la décision correcte pour déterminer si le CCRI avait violé les règles de l’équité procédurale.

[23]  Par conséquent, en ce qui concerne la première question, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, et les cas où il est permis de conclure qu’il y a eu violation des droits d’une partie à l’équité procédurale sont restreints et se limitent à ceux où le Conseil n’a pas permis à la partie qui invoque la violation de faire valoir son point de vue.

[24]  En ce qui a trait à la décision du Conseil sur le fond de la demande, il est bien établi que c’est la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique généralement à l’examen des décisions du CCRI portant sur l’interprétation et l’application des dispositions du Code, compte tenu du rôle du CCRI, de la nature des questions qui lui ont été soumises et de la disposition d’inattaquabilité que l’on trouve à l’article 22 du Code et dont le libellé est très strict; voir, par exemple, Société Radio‑Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157, aux paragraphes 34, 43 et 44, 121 D.L.R. (4th) 385; Syndicat international des débardeurs et magasiniers, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Prince Rupert Grain Ltd., [1996] 2 R.C.S. 432, aux paragraphes 24 et 42, 135 D.L.R. (4th) 385; Dumont c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, section locale de Montréal, 2011 CAF 185, aux paragraphes 33 et 34, 423 N.R. 143; Cadieux c. Syndicat uni du transport, section locale 1415, 2014 CAF 61, au paragraphe 23, 458 N.R. 325; McAuley c. Chalk River Technicians and Technologists Union, 2011 CAF 156, au paragraphe 13, 420 N.R. 358. Je suis d’avis qu’il n’y a aucune raison de tirer une conclusion différente même si le WSB invoque les articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[25]  Plus précisément, en l’espèce, le WSB n’a pas demandé au CCRI de se prononcer sur la portée de ses droits ancestraux d’exercer un contrôle sur l’éducation et il n’a présenté aucun argument portant que ces droits avaient pour effet de soustraire les relations de travail des employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN à l’application du Code. S’il l’avait fait, les conclusions du CCRI sur ces questions auraient été susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : voir, par exemple, Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo‑Services Inc., 2017 CSC 40, 411 D.L.R. (4th) 571; Chippewas of the Thames First Nation c. Enbridge Pipelines Inc., 2017 CSC 41, 411 D.L.R. (4th) 596; NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, [2010] 2 R.C.S. 696; Paul c. Colombie‑Britannique (Forest Appeals Commission), 2003 CSC 55, au paragraphe 31, [2003] 2 R.C.S. 585.

[26]  Le WSB a plutôt fait valoir qu’en raison des principes et des valeurs que protègent les articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 le CCRI n’avait d’autre choix que de conclure que les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN devaient être exclus de l’unité de négociation, composée de tous les employés, représentée par le SFPSCB. De fait, il a fait valoir ce qui suit au Conseil :

[traduction]

Pour être clair, le WSB et ses nations membres sont effectivement d’avis que le peuple WSÁNEĆ a le droit, protégé par l’article 35 de la Constitution, de préserver et de protéger sa langue et sa culture, en conformité avec ses propres enseignements, mais la demande n’est pas tributaire d’une conclusion en ce sens, et le WSB ne cherchera pas à établir l’existence de ce droit garanti par l’article 35 dans le cadre d’une audience relative à la présente affaire. Le WSB fait plutôt valoir que le CCRI doit, dans son interprétation et son application de ce qui constitue une unité de négociation appropriée (ou, à l’inverse, de ce qui rendrait une unité de négociation inappropriée), tenir compte du contexte social, culturel, juridique et historique sous‑jacent du WSB et des nations membres, ainsi que des valeurs constitutionnelles que protègent les articles 35 et 25 de la Constitution.

[27]  Cet argument s’apparente tout à fait à la thèse de l’appelant dans l’affaire Doré; ce dernier faisait valoir que le Comité de discipline du Barreau du Québec ne pouvait, sans violer sa liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Charte), lui infliger une sanction en raison des commentaires qu’il avait formulés. Dans l’arrêt Doré, la Cour suprême a conclu que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’appliquait à l’examen de la décision rendue par le Comité de discipline et elle a précisé, au paragraphe 57. que ce processus d’examen visait à déterminer si « la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte » compte de « la nature de la décision et des contextes légal et factuel ».

[28]  La Cour suprême de même que notre Cour ont appliqué l’approche exposée dans l’arrêt Doré à des décisions administratives semblables, dans des cas où le demandeur alléguait que la décision ne respectait pas les valeurs consacrées par la Charte; voir, par exemple, École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, au paragraphe 35, [2015] 1 R.C.S. 613; Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 47, au paragraphe 49, [2013] 3 R.C.S. 157; Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au paragraphe 43, 280 A.C.W.S. (3d) 130; Fédération Canado‑Arabe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 168, aux paragraphes 19 à 21, 475 N.R. 380.

[29]  Je ne crois pas qu’il y ait lieu d’adopter un cadre d’analyse différent lorsque les valeurs invoquées sont protégées par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 plutôt que par la Charte. Dans les deux cas, l’argument a le même fondement, à savoir qu’un décideur administratif est tenu de trancher d’une certaine façon en raison d’un droit précis protégé par la Constitution. De même, dans les deux cas, le décideur administratif doit soupeser des considérations de même nature. Je crois donc que le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Doré s’applique à l’examen de l’évaluation, par le Conseil, du bien‑fondé de la demande présentée par le WSB, de sorte que la Cour doit déterminer si cette évaluation était raisonnable ou non.

B.  Le CCRI a‑t‑il commis une erreur en statuant sur la demande sans tenir d’audience?

[30]  Maintenant que la norme de contrôle applicable est établie, il faut déterminer si le Conseil a violé les droits à l’équité procédurale du WSB. Je conclus par la négative, pour plusieurs motifs.

[31]  Premièrement, et peut‑être s’agit‑il de l’élément le plus important, le WSB n’a pas clairement demandé la tenue d’une audience ni expliqué clairement pourquoi elle était nécessaire selon lui. Je conviens avec le WSB que la jurisprudence reconnaît qu’il faut adapter les règles de preuve afin de permettre que les récits oraux des Autochtones soient présentés devant les tribunaux pour préciser le point de vue autochtone dans les cas où il est pertinent : Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, aux paragraphes 84 à 87, 153 D.L.R. (4th) 193. Toutefois, une telle reconnaissance n’équivaut pas à un droit de présenter une preuve par récits oraux en toute circonstance sur simple demande en ce sens. Dans tous les cas, comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mitchell c. Ministre du Revenu national, 2001 CSC 33, [2001] 1 R.C.S. 911, au paragraphe 31, il incombe à ceux qui cherchent à présenter ces témoignages de convaincre le décideur qu’il est nécessaire de les entendre.

[32]  En l’espèce, le WSB a fourni très peu de renseignements sur la nature des témoignages qu’il entendait présenter et n’a pour ainsi dire pas expliqué pourquoi il jugeait important que le CCRI tienne une audience pour que lui soit présentée une preuve par récits oraux. Qui plus est, la demande d’audience était équivoque étant donné la prétention principale du WSB, selon laquelle il avait donné suffisamment de détails par écrit pour permettre au Conseil de trancher l’affaire en sa faveur.

[33]  Deuxièmement, il faut tenir pour acquis que le WSB était au courant qu’il est permis au Conseil de statuer sur une demande sans tenir d’audience et que le WSB devait donc présenter des observations écrites complètes. Comme il a déjà été souligné, l’article 16.1 du Code accorde expressément au Conseil le pouvoir de trancher des demandes sans tenir d’audience. En outre, les articles 7 et 9 du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles (DORS/2001‑520) reflètent le fait que des demandes seront tranchées sur dossier à moins que le Conseil ne décide de tenir une audience.

[34]  Qui plus est, dans une lettre en date du 9 octobre 2015 envoyée aux parties, le directeur régional du Conseil (et greffier) pour la région de l’Ouest a confirmé que le Conseil avait le pouvoir de trancher une demande, sans tenir d’audience, sur le fondement des observations écrites des parties et du rapport de l’agent enquêteur. Compte tenu de cela, le directeur a souligné qu’[traduction] « il est dans l’intérêt des parties de présenter des observations complètes, exactes et détaillées à l’appui de leurs thèses respectives » (dossier de demande, à la page 46). Le WSB a donc été informé qu’il devait présenter un exposé complet de tous les aspects de sa cause, y compris les motifs pour lesquels il demandait la tenue d’une audience.

[35]  Troisièmement, le WSB s’est vu offrir l’occasion de produire autant d’éléments de preuve qu’il le souhaitait par écrit et il a présenté deux ensembles d’observations écrites, dans lesquels il a exposé sa thèse en détail. On ne lui a donc pas refusé la possibilité de présenter sa cause par écrit.

[36]  Enfin, le Conseil a accepté la véracité des points au sujet desquels le WSB avait indiqué qu’il souhaitait présenter une preuve par récits oraux et, plus particulièrement, il a accepté l’idée que les intérêts constitutionnels des Premières Nations WSÁNEĆ englobent le caractère important de la préservation de leur langue et de leur culture en conformité avec leurs propres enseignements.

[37]  Vu les facteurs qui précèdent, on ne peut affirmer que la décision du Conseil de statuer sur la demande sans tenir d’audience a violé les droits à l’équité procédurale du WSB.

C.  La décision sur le fond de la demande était‑elle raisonnable?

[38]  En ce qui concerne la décision que le Conseil a rendue sur le fond, elle ne saurait à mon avis être considérée comme déraisonnable puisque le Conseil a suivi et appliqué sa jurisprudence et tiré des conclusions factuelles raisonnables sur le fondement de la preuve qui lui a été présentée.

[39]  Le CCRI, en refusant de fragmenter une unité de négociation existante composée de tous les employés, a suivi un courant jurisprudentiel de longue date et bien établi suivant lequel le CCRI nous enseigne que les grandes unités sont préférables aux plus petites et qu’elles ne devraient pas être fragmentées en l’absence de motifs impérieux : voir, par exemple, Trade of Locomotive Engineers c. Canadian Pacific Ltd., [1976] 1 Can. L.R.B.R. 361, aux paragraphes 57 à 60, 76 C.L.L.C. 16, 018; Association canadienne des métiers de l’entretien d’aéronefs c. Air Canada, 2005 CCRI 341, aux paragraphes 46 et 47, 128 C.L.R.B.R. (2d) 157; Syndicat des employé‑es de TV5 ‑ CSN c. Consortium de télévision Québec Canada Inc., [2003] C.C.R.I. no 235, aux paragraphes 30 à 32, 105 C.L.R.B.R. (2d) 109; Union internationale des opérateurs‑ingénieurs, section locale 904 c. Oceanex (1997) Inc., 2000 CCRI 83, au paragraphe 39, [2000] C.I.R.B.D. n37.

[40]  Le CCRI a appliqué ces principes de façon raisonnable puisque sa conclusion selon laquelle le WSB n’avait présenté aucun motif impérieux d’exclure les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN était bien étayée par la preuve. Étant donné que le WSB avait par le passé réussi à négocier des clauses particulières dans la convention collective pour répondre aux besoins culturels des Premières Nations WSÁNEĆ, le Conseil pouvait conclure que des mesures apportant plus de souplesse en ce qui concerne les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN auraient pu être consenties, d’autant que le WSB n’avait même pas essayé de négocier de telles mesures.

[41]  À de nombreux égards, la demande dont le WSB a saisi le Conseil était prématurée puisque le WSB n’avait simplement aucune façon de savoir si le SFPSCB aurait accepté les modalités auxquelles il souhaitait assujettir les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN. Les inquiétudes entourant la possibilité d’une grève étaient aussi prématurées et théoriques étant donné que rien ne permettait de croire qu’une grève était imminente. Qui plus est, les parties auraient très bien pu s’entendre pour régler des différends relatifs à la convention collective sans recourir à la grève, comme le prévoit l’article 79 du Code.

[42]  En l’absence de preuve établissant que les Premières Nations WSÁNEĆ auraient effectivement perdu le contrôle sur la façon dont les employés affectés à la revitalisation du SENĆOŦEN accomplissent leurs tâches, il n’était pas déraisonnable pour le Conseil de conclure que l’exercice de mise en balance auquel il devait se livrer favorisait le maintien de l’unité de négociation composée de tous les employés. Je crois donc que le raisonnement suivi par le CCRI et sa conclusion sont raisonnables et, par conséquent, qu’aucun motif ne justifie que la Cour modifie sa décision.

IV.  Dispositif proposé

[43]  Vu ce qui précède, je suis d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Bien que les dépens suivent habituellement l’issue de la cause, les deux parties ont fait valoir qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés à leur égard si elles n’obtenaient pas gain de cause. Compte tenu de la nature des questions en litige, je conviens qu’il n’y a pas lieu d’adjuger des dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A‑417‑16

 

 

INTITULÉ :

WSÁNEĆ SCHOOL BOARD c. SYNDICAT DES FONCTIONNAIRES PROVINCIAUX ET DE SERVICE DE LA COLOMBIE‑BRITANNIQUE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 SEPTEMBRE 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 OCTOBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Robin J. Gage

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jitesh Mistry

Rebecca Kantwerg

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Underhill, Boies Parker, Gage & Latimer LLP

Victoria (Colombie‑Britannique)

 

POUR Le DEMANDEUR

Syndicat des fonctionnaires provinciaux et de service de la Colombie‑Britannique

Burnaby (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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