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Date : 20171024


Dossier : A-30-17

Référence : 2017 CAF 211

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

MURLIDHAR GUPTA

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2017.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20171024


Dossier : A-30-17

Référence : 2017 CAF 211

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

MURLIDHAR GUPTA

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN

I.  Aperçu

[1]  M. Murlidhar Gupta, un chercheur scientifique à Ressources naturelles Canada (RNCan), interjette appel de la décision rendue par le juge Brown de la Cour fédérale (2016 CF 1416), par laquelle ce dernier a rejeté la demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le commissaire à l’intégrité du secteur public.

[2]  Dans sa décision, le commissaire a statué, entre autres, qu’il ne commencerait pas une enquête sur la divulgation faite par M. Gupta en titre de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, c. 46, dans laquelle il a soutenu qu’il avait été victime de harcèlement de la part de cadres supérieurs et d’autres employés de RNCan. Même si le commissaire a conclu que le présumé harcèlement peut constituer un manquement grave au code de conduite et peut donc constituer un acte répréhensible au sens de la Loi, il a décidé que les allégations de M. Gupta pourraient être instruites avantageusement selon la procédure de traitement des plaintes interne à RNCan. À cet égard, il a invoqué l’alinéa 24(1)f) de la Loi qui permet au commissaire de refuser de commencer une enquête s’il estime que cela est opportun pour tout autre motif justifié.

[3]  M. Gupta soutient que le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il n’a pas conclu qu’il avait été privé du droit que lui assure l’équité procédurale parce qu’il n’a pas été informé que le commissaire pourrait invoquer la disponibilité d’un autre recours plus opportun, et invoquer l’alinéa 24(1)f), pour décider de ne pas enquêter sur l’élément de harcèlement de sa divulgation. Il soutient que, s’il en avait été informé, il aurait présenté d’autres éléments de preuve et des observations supplémentaires au commissaire.

[4]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. Même en supposant que, comme M. Gupta le fait valoir, des personnes qui font des divulgations ont le droit d’être informées des motifs que le commissaire pourrait invoquer lorsqu’il décide de ne pas enquêter, les renseignements mis à la disposition de M. Gupta et de son avocat constituaient un avis adéquat de la possibilité que le commissaire invoque l’existence d’un autre recours pour décider de ne pas enquêter sur le présumé harcèlement. Je rejetterais donc l’appel.

II.  L’économie de la Loi

[5]  La Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles prévoit un mécanisme de divulgation des actes répréhensibles et de protection des divulgateurs dans le secteur public. Les actes répréhensibles visés par Loi sont énoncés à l’article 8. Selon l’alinéa e), la contravention grave d’un code de conduite applicable dans le secteur public figure au nombre de ces actes.

[6]  La Loi permet à un fonctionnaire de faire une divulgation en communiquant à son supérieur hiérarchique ou à l’agent supérieur désigné tout renseignement qui, selon lui, peut démontrer qu’un acte répréhensible a été commis ou est sur le point de l’être ou qu’il lui a été demandé de commettre un tel acte. Le fonctionnaire a également le choix de divulguer ces renseignements au commissaire. Le commissaire est nommé par le gouverneur en conseil après consultation du chef de chacun des partis reconnus au Sénat et à la Chambre des communes et après approbation par résolution du Sénat et de la Chambre des communes.

[7]  Le commissaire a notamment comme responsabilité de fournir des renseignements et des conseils relatifs aux divulgations, de recevoir, de consigner et d’examiner les divulgations afin d’établir s’il existe des motifs suffisants pour y donner suite, de mener les enquêtes sur les divulgations, de faire rapport des conclusions des enquêtes et de présenter aux administrateurs généraux des recommandations portant sur les mesures correctives à prendre. Le commissaire est également chargé de recevoir et d’examiner les plaintes à l’égard de représailles, c’est-à-dire des mesures prises à l’endroit d’un fonctionnaire parce qu’il a fait une divulgation de bonne foi, au titre de la Loi ou d’une autre manière précisée, et d’enquêter sur celles‑ci et d’y donner suite. Lorsque le commissaire mène une enquête, le paragraphe 19.7(2) de la Loi prévoit que l’enquête est « menée, dans la mesure du possible, sans formalisme et avec célérité ».

[8]  Le paragraphe 24(1) de la Loi confère au commissaire le droit de refuser de commencer une enquête. Le commissaire peut exercer ce droit pour certaines raisons prévues dans la disposition et, (conformément à l’alinéa 24(1)f)), pour tout motif qu’il considère comme un « motif justifié ». Étant donné que la grande partie de l’argument dans cet appel est axé sur le paragraphe 24(1), j’ai reproduit la disposition dans son intégralité :

Refus d’intervenir

Right to refuse

 

24. (1) Le commissaire peut refuser de donner suite à une divulgation ou de commencer une enquête ou de la poursuivre, s’il estime, selon le cas :

24. (1) The Commissioner may refuse to deal with a disclosure or to commence an investigation – and he or she may cease an investigation – if he or she is of the opinion that

 

a) que l’objet de la divulgation ou de l’enquête a été instruit comme il se doit dans le cadre de la procédure prévue par toute autre loi fédérale ou pourrait l’être avantageusement selon celle-ci;

(a) the subject-matter of the disclosure or the investigation has been adequately dealt with, or could more appropriately be dealt with, according to a procedure provided for under another Act of Parliament;

 

b) que l’objet de la divulgation ou de l’enquête n’est pas suffisamment important;

(b) the subject-matter of the disclosure or the investigation is not sufficiently important;

 

c) que la divulgation ou la communication des renseignements visée à l’article 33 n’est pas faite de bonne foi;

(c) the disclosure was not made in good faith or the information that led to the investigation under section 33 was not provided in good faith;

 

d) que cela serait inutile en raison de la période écoulée depuis le moment où les actes visés par la divulgation ou l’enquête ont été commis;

(d) the length of time that has elapsed since the date when the subject-matter of the disclosure or the investigation arose is such that dealing with it would serve no useful purpose;

 

e) que les faits visés par la divulgation ou l’enquête résultent de la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé;

(e) the subject-matter of the disclosure or the investigation relates to a matter that results from a balanced and informed decision-making process on a public policy issue; or

 

f) que cela est opportun pour tout autre motif justifié.

(f) there is a valid reason for not dealing with the subject-matter of the disclosure or the investigation.

[9]  La Loi ne prévoit pas le processus que le commissaire doit suivre pour décider s’il doit exercer ce qui a été appelé son « vaste » pouvoir discrétionnaire de ne pas commencer une enquête (Detorakis c. Canada (Procureur général), 2010 CF 39, par. 43). Plus particulièrement, la Loi ne précise pas que le commissaire communiquera aux personnes qui ont fait des divulgations les motifs selon lequel il envisage d’exercer ce pouvoir discrétionnaire. Toutefois, elle confère entre autres au commissaire (à l’alinéa 22d)) l’obligation de « veiller à ce que les droits, en matière d’équité procédurale et de justice naturelle, des personnes mises en cause par une enquête soient protégés, notamment ceux du divulgateur [...] ».

III.  Le formulaire de divulgation

[10]  Le Commissariat fournit aux employés du secteur public un formulaire à utiliser lorsqu’ils font des divulgations au commissaire. La section C du formulaire est intitulée « Autres procédures ». Elle commence par les « Notes explicatives » qui renvoient à trois dispositions de la Loi :

  • (1) le paragraphe 23(1) prévoit, comme les notes l’expliquent, que le commissaire ne peut donner suite à une divulgation ou enquêter si une personne ou un organisme, exception faite d’un organisme chargé de l’application de la loi, est saisi de l’objet de celle‑ci au titre d’une autre loi fédérale;

  • (2) l’alinéa 24(1)a) prévoit, comme les notes l’expliquent, que le commissaire peut refuser de donner suite à une divulgation ou de commencer une enquête ou de la poursuivre, s’il estime que l’objet de la divulgation ou de l’enquête a été instruit comme il se doit dans le cadre de la procédure prévue par toute autre loi fédérale ou pourrait l’être avantageusement selon celle‑ci;

  • (3) le paragraphe 24(2) prévoit, comme les notes l’expliquent, que dans le cas où il estime que l’objet d’une divulgation ou d’une éventuelle enquête porte uniquement sur une décision rendue au titre d’une loi fédérale dans l’exercice d’une fonction judiciaire ou quasi judiciaire, le commissaire est tenu de refuser de donner suite à la divulgation ou de commencer l’enquête.

[11]  Les notes explicatives ne font aucun renvoi à l’alinéa 24(1)f).

[12]  Le formulaire pose ensuite, toujours sous la rubrique « Autres procédures », les trois questions suivantes :

  • (1) Avez‑vous signalé l’acte répréhensible présumé à un superviseur ou à un collègue?

  • (2) Avez-vous signalé l’acte répréhensible présumé à une personne ou à un organisme, à l’extérieur de votre organisation, agissant au titre de toute autre loi fédérale?

  • (3) L’objet de la présente divulgation d’acte répréhensible est-il en traitement ou a‑t‑il déjà été traité par une autre personne ou un autre organisme, en application d’une autre loi fédérale? [Souligné dans l’original.]

[13]  En cas de réponse affirmative à l’une ou l’autre des questions, il faudra fournir des précisions et document à l’appui à la prochaine question du formulaire. Il est également possible de répondre « Je ne le sais pas » à la troisième question plutôt que « Oui » ou « Non ».

[14]  La section D du formulaire intitulée « Déclaration » comprend l’énoncé suivant avant la ligne de signature : « Je comprends qu’il m’incombe de fournir au commissaire tous les renseignements demandés dans le présent formulaire et d’y joindre tout document pertinent ».

IV.  La première divulgation de M. Gupta

[15]  En janvier 2014, M. Gupta, aidé par son avocat employé par son syndicat, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, a fait la divulgation d’un acte répréhensible auprès du commissaire. Il a affirmé que son supérieur hiérarchique lui a ordonné de détourner des fonds d’un contrat à une fin non autorisée. Il a répondu par « Oui » à la première question dans la section C sous la rubrique « Autres procédures » du formulaire de divulgation et il a fourni les précisions. Il a répondu « Non » aux deuxième et troisième questions.

[16]  Dans une décision rendue en avril 2014, le commissaire a décidé de ne pas commencer une enquête sur les allégations de M. Gupta. Dans sa lettre indiquant sa décision, le commissaire a renvoyé expressément à l’alinéa 24(1)f) de la Loi :

[traduction]

L’un des principaux objectifs des enquêtes sur les actes répréhensibles menées au titre de la Loi est de porter ces questions à l’attention des administrateurs généraux. Étant donné que cette question a fait l’objet d’une enquête et a été réglée à l’interne par RNCan, conformément à l’alinéa 24(1)f) de la Loi, je ne commencerai pas une enquête sur vos allégations [...].

[17]  M. Gupta a demandé le contrôle judiciaire de cette décision. Dans un affidavit déposé à l’appui de la demande, l’avocat de M. Gupta a déclaré qu’avant de recevoir la lettre du commissaire, il ne savait pas que celui‑ci envisageait de ne pas enquêter sur les allégations de M. Gupta aux motifs indiqués dans la lettre et que, s’il en avait été informé et en avait eu l’occasion, il aurait présenté d’autres arguments et éléments de preuve.

[18]  La demande de contrôle judiciaire n’a pas été instruite. Selon les renseignements fournis dans l’affidavit de l’avocat de M. Gupta et son propre examen de l’affaire, le Commissaire a décidé qu’une nouvelle analyse de la plainte de M. Gupta devrait être entreprise afin que ce dernier ait l’occasion de discuter avec l’analyste des cas au Commissariat – une occasion qui ne lui avait pas été offerte auparavant – et de fournir tout autre renseignement supplémentaire qu’il estimait pertinent. Le commissaire rendrait ensuite une nouvelle décision quant à savoir si une enquête serait menée sur une ou plusieurs des allégations de M. Gupta.

V.  La divulgation modifiée de M. Gupta

[19]  À la suite d’une réunion et de conversations téléphoniques avec l’analyste des cas, M. Gupta, à nouveau avec l’assistance de son avocat, a présenté au Commissariat un formulaire de divulgation modifié. Le formulaire modifié fournissait des renseignements supplémentaires à l’appui de la première divulgation et comportait de nouvelles allégations de harcèlement, d’intimidation et de harcèlement psychologique contre les cadres supérieurs et d’autres employés de RNCan.

[20]  M. Gupta a encore répondu « Oui » à la première question à la section C, « Autres procédures », du formulaire de divulgation et a fourni d’autres renseignements et documents. Il a également à nouveau répondu par « Non » aux deuxième et troisième questions, mais il a néanmoins inclus des renseignements dans la case suivant la deuxième question selon lesquels l’affaire a été signalée à la haute direction à RNCan et qu’il a communiqué au premier ministre du Canada ses préoccupations relatives à son bien‑être et à celui de sa famille.

[21]  Dans d’autres documents qu’il a joints à la divulgation modifiée, M. Gupta a indiqué qu’il avait signalé ses préoccupations deux fois au sous‑ministre, mais qu’il n’a obtenu aucune réponse. Il a également fait valoir que la conduite visée par sa plainte contrevenait au Code de valeurs et d’éthique du secteur public et au propre Code de valeurs et d’éthique de RNCan.

VI.  La décision du commissaire

[22]  Le commissaire a accepté la recommandation de l’analyste des cas selon laquelle aucune enquête ne doit être menée et il a décidé de n’enquêter ni sur la première divulgation de M. Gupta ni sur les allégations de harcèlement figurant dans la divulgation modifiée. Seul le dernier élément de sa décision est en litige dans le présent appel.

[23]  Dans sa décision, le commissaire a accepté le fait que le présumé harcèlement pourrait constituer un manquement au Code de valeurs et d’éthique du secteur public et qu’il était possible qu’il puisse constituer une contravention grave à un code de conduite et, par conséquent, un acte répréhensible au sens de l’alinéa 8e) de la Loi.

[24]  Le commissaire a déclaré qu’il avait toutefois décidé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas mener une enquête sur le présumé harcèlement. Il a expliqué que le mécanisme de divulgation prévu par la Loi ne vise pas à remplacer les recours existants et que, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, il devait décider si une enquête sur la divulgation constituait le « meilleur outil pour régler la situation » donnée. Il a indiqué que la Directive sur le processus de traitement des plaintes de harcèlement du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada établit un processus pour traiter le harcèlement dans la fonction publique centrale, y compris RNCan et a affirmé qu’« il semble que l’objet ou [les] allégations [de M. Gupta] pourraient être instruits avantageusement selon la procédure de traitement des plaintes interne à RNCan ». Dans ces circonstances, il a conclu qu’il exerçait son pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 24(1)f) de la Loi de ne pas commencer une enquête.

VII.  La demande de contrôle judiciaire

[25]  M. Gupta a déposé auprès de la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision du commissaire de ne pas enquêter sur les questions soulevées par la divulgation modifiée. Les motifs qu’il a invoqués comprenaient l’allégation selon laquelle il a été privé de son droit à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas été informé du fait que le commissaire pourrait invoquer l’existence d’un autre recours lorsqu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 24(1)f) de la Loi de ne pas enquêter et que la décision de ne pas enquêter était déraisonnable.

[26]  Le juge de première instance a rejeté la demande. Il a conclu que le formulaire de divulgation portait à la connaissance de M. Gupta la possibilité que le commissaire puisse décider de ne pas enquêter au motif qu’il existait un autre recours. M. Gupta a rempli la section C du formulaire lorsqu’il a présenté sa première divulgation et lorsqu’il a présenté sa divulgation modifiée, et il aurait donc connu son contenu et sa substance. Le juge de première instance était d’avis que le principal argument de M. Gupta était qu’il aurait dû obtenir une copie du rapport de l’analyste des cas à l’intention du commissaire, qui aurait inclus le renvoi exprès à l’alinéa 24(1)f). Il a souligné que la Cour a décidé dans Agnaou c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 29, que l’équité dans ce contexte ne comprend pas le droit de commenter le rapport de l’analyste des cas. Il a conclu que, s’il n’existait aucun droit de commenter le rapport, il ne peut exister aucun droit de le consulter en premier lieu. Il a également fait observer que le contenu relativement limité de l’équité procédurale, même à l’étape de l’enquête, que le vaste pouvoir discrétionnaire que la Loi accorde au commissaire pour décider de commencer ou non des enquêtes et que l’aide que M. Gupta a obtenue de son avocat rendent difficile pour M. Gupta de soutenir avec succès qu’il n’était pas au courant des motifs pour lesquels le commissaire pouvait décider de ne pas enquêter. Il a souligné que, même si la décision du commissaire renvoyait à l’alinéa 24(1)f), la justification essentielle de la décision, telle qu’elle est exprimée à l’alinéa 24(1)a), était expressément énoncée dans le formulaire de divulgation.

[27]  Le juge de première instance a conclu qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur le motif déraisonnable parce que M. Gupta n’a pas remis en question à l’audience les conclusions du commissaire ou le caractère raisonnable de sa décision.

VIII.  La norme de contrôle

[28]  Dans le cadre d’un appel d’une ordonnance rendue par la Cour fédérale relativement à une demande de contrôle judiciaire, la Cour doit décider si la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle et si elle l’a appliquée correctement. En pratique, cela signifie que la Cour doit se mettre à la place du juge de première instance et mettre l’accent sur la décision administrative plutôt que sur la décision visée par l’appel (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 45 et 46).

[29]  Les parties s’entendent pour dire que la question soulevée par M. Gupta est une question qui concerne l’équité procédurale et que la norme de contrôle judiciaire qu’il convient d’appliquer à la décision du commissaire est celle de la décision correcte. La Cour a indiqué pendant la plaidoirie qu’elle se contentait de procéder sur ce fondement tout en reconnaissant que la norme de contrôle relative aux questions liées à l’équité procédurale dans une autre affaire pourrait exiger un examen approfondi (El‑Helou c. Courts Administration Service, 2016 CAF 273, par. 43, citant Bergeron c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, par. 67 à 71).

IX.  Le contenu de l’équité procédurale dans le contexte d’une décision de commencer ou non une enquête

[30]  L’alinéa 22d) de la Loi, dont un extrait figure au paragraphe 9 plus haut, dispose que les dénonciateurs ont droit à l’équité procédurale en ce qui concerne les enquêtes. Toutefois, il n’indique pas le niveau d’équité procédurale qu’il faut leur accorder. Cette question est régie par la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 21 à 28. Dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu que le contenu de l’équité procédurale est souple et variable; il dépend de facteurs qui comprennent la mesure dans laquelle le processus prévu est assimilable au processus judiciaire, la nature et les modalités du régime législatif et l’importance de la décision à l’égard des personnes qu’elle concerne.

[31]  En l’espèce, les parties s’entendent pour dire que l’équité procédurale à laquelle les dénonciateurs ont droit à l’étape de la décision du commissaire de mener ou non une enquête se situe à l’extrémité inférieure du continuum. À mon avis, cette entente tient fidèlement compte des facteurs énoncés dans Baker, y compris, plus particulièrement, la mesure dans laquelle le processus prévu est assimilable au processus judiciaire et la nature et les modalités du régime législatif. En conférant au commissaire le pouvoir discrétionnaire de décider de commencer ou de refuser de commencer une enquête sur une divulgation, le législateur a choisi de ne pas prévoir un processus d’adjudication accusatoire ou un régime qui ressemble au processus judiciaire à tous les autres égards. Au contraire, le régime qu’il a mis en place est limité et est de nature inquisitoire : tout ce qu’il semble envisager est que le dénonciateur présentera des renseignements et des documents justificatifs dont il croit qu’ils établissent qu’il y a eu acte répréhensible justifiant une enquête par le commissaire et que le commissaire évaluera ces renseignements et documents et qu’il décidera de mener ou non une enquête. Même si la décision est prise d’enquêter, le paragraphe 19.7(2) exige, tel que cela a déjà été mentionné, que l’enquête soit menée « dans la mesure du possible, sans formalisme et avec célérité ». Il est donc logique que toute procédure précédant la décision de commencer ou non une enquête doive correspondre au moins au même niveau de formalisme et de célérité.

[32]  L’entente des parties est également conforme aux motifs formulés par la Cour dans Agnaou c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 30, par. 45. Dans cet arrêt, la Cour a adopté l’analyse des facteurs de l’arrêt Baker faite par la Cour fédérale dans la décision Detorakis, précitée, au paragraphe 106, une analyse qui a mené la Cour fédérale à conclure que « la [Loi] ne confère pas à la personne qui fait une divulgation [...] le droit d’être entendue ou de formuler d’autres observations une fois que la plainte a été déposée. »

[33]  M. Gupta soutient que, même si l’étendue de l’équité procédurale à l’étape d’une décision de commencer ou non une enquête est relativement limitée, le dénonciateur doit quand même être informé des « questions préliminaires » ou des « facteurs » que le commissaire peut prendre en compte pour décider s’il envisage de refuser d’enquêter. M. Gupta fait valoir qu’il n’a pas été informé que l’existence d’autres recours constituait une « question préliminaire » possible. En invoquant la décision rendue par la Cour dans l’arrêt Gladman c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 109, au paragraphe 40, il soutient également qu’une équité procédurale minimale doit comprendre [traduction] « le droit d’être informé de faits importants défavorables non divulgués pris en compte par un décideur et de présenter des observations à leur égard (dans une certaine forme) [...] ».

[34]  Je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire de décider dans le présent appel si l’équité dans ce contexte exige un avis de cette nature ou si la reconnaissance d’une exigence à cet effet risque de compliquer et de surjudiciariser un processus qui devait être officieux et rapide. À mon avis, même si l’équité procédurale exige ce type d’avis dans ce contexte, dans les circonstances de l’espèce, M. Gupta a obtenu un avis adéquat selon lequel le commissaire pourrait décider de ne pas enquêter sur sa divulgation de harcèlement allégué fondée sur l’évaluation selon laquelle l’objet pourrait être plus avantageusement instruit dans le cadre d’un autre processus.

X.  Le caractère adéquat de l’avis donné

[35]  Tout comme le juge de première instance, je conclus, pour plusieurs motifs, que M. Gupta a eu un avis adéquat ou que, pour utiliser les termes utilisés dans l’arrêt Gladman, précité, la possibilité que le commissaire puisse se fonder sur un autre recours pour décider de ne pas enquêter ne constituait pas un [traduction] « fait important défavorable non divulgué ».

[36]  En premier lieu, lorsque le commissaire a décidé, en avril 2014, de ne pas enquêter sur la divulgation de M. Gupta, telle qu’elle était alors formulée, le commissaire a invoqué expressément l’alinéa 24(1)f) et l’enquête interne menée par RNCan comme motifs de ne pas commencer une enquête. La décision communiquée à M. Gupta et à son avocat, selon laquelle les motifs en fonction desquels le commissaire peut refuser de mener une enquête, comprenait l’existence d’un autre recours et l’application, selon le commissaire, de l’alinéa 24(1)f).

[37]  En deuxième lieu, tel qu’il a été indiqué au paragraphe 10 plus haut, le formulaire de divulgation présenté par M. Gupta comprenait une section, sous la rubrique « Autres procédures », dans laquelle figuraient des questions précises sur le signalement fait à d’autres et sur toute mesure ou décision prise en raison de ce signalement. Même si les notes explicatives qui précédaient les questions renvoyaient au paragraphe 23(1), à l’alinéa 24(1)a) et au paragraphe 24(2) de la Loi, mais pas à l’alinéa 24(1)f), les questions elles‑mêmes n’étaient pas expressément liées à des dispositions particulières de la Loi. La section « Autres procédures » du formulaire servait à indiquer que d’autres procédures pouvaient être en cours. M. Gupta n’a pas soutenu devant la Cour (ni semble-t-il devant la Cour fédérale) que la section « Autres procédures » ne pouvait pas constituer un « motif justifié » de refuser de commencer une enquête au sens de l’alinéa 24(1)f).

[38]  En troisième lieu, dans sa divulgation révisée et dans les renseignements supplémentaires qu’il a fournis, M. Gupta a fourni des renseignements sur les autres recours – les renseignements concernant le fait qu’il a signalé l’acte répréhensible à d’autres personnes et de l’issue, le cas échéant, de ces signalements. Tel qu’il est indiqué au paragraphe 20, il a précisé dans le formulaire de divulgation modifié qu’il avait fait des plaintes à son supérieur hiérarchique et à d’autres cadres au sein de RNCan et qu’il avait communiqué au premier ministre du Canada ses préoccupations liées au harcèlement. Il a ajouté des renseignements dans le document de suivi à la téléconférence avec l’analyste des cas du Commissariat selon lesquels il avait communiqué deux fois avec le sous‑ministre pour exprimer ses préoccupations, mais qu’il n’avait obtenu aucune réponse. Il a confirmé en abordant ces questions qu’il comprenait qu’elles étaient pertinentes et qu’il lui était possible de fournir plus de précisions s’y rapportant, selon ce qu’il jugeait indiqué. Là encore, l’absence d’un renvoi à l’alinéa 24(1)f) n’a pas d’importance puisque sa divulgation traitait en substance d’autres recours et qu’il était loisible au commissaire d’invoquer l’alinéa 24(1)f) à cet égard.

[39]  Même s’il ne s’agit peut‑être pas d’un motif indépendant, il convient de noter que M. Gupta a bénéficié de l’aide d’un avocat, ce qui contribue également, selon moi, à la conclusion selon laquelle les renseignements qui lui ont été fournis et qui étaient à sa disposition permettaient de servir d’avis (voir par exemple, Thomas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 241, par. 3; Richter c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1992] A.C.F. no 3, par. 13).

[40]  L’espèce diffère donc non seulement de l’arrêt Gladman, précité, mais également de l’arrêt Therrien c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 14, invoqué plus amplement par M. Gupta. Dans cette affaire, le Commissariat avait informé l’avocat de la dénonciatrice que les facteurs que le commissaire prendrait en compte pour décider d’enquêter sur la plainte étaient ceux énoncés dans une disposition particulière de la Loi. La dénonciatrice avait présenté des observations en conséquence quant à la raison pour laquelle le commissaire ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire au titre de cette disposition. Toutefois, lorsqu’il a décidé de ne pas enquêter, le commissaire a invoqué une autre disposition. La Cour a conclu que, vu les différences entre les deux dispositions, il se pourrait bien que la dénonciatrice ait présenté des observations différentes si elle avait été informée de l’intention du commissaire. Les renseignements erronés fournis à la dénonciatrice l’ont donc privée de son droit à l’équité procédurale. En l’espèce, au contraire, aucun renseignement erroné n’a été communiqué.

[41]  Il y a eu une discussion à l’audience sur la question de savoir si le commissaire aurait pu invoquer l’alinéa 24(1)a) plutôt que l’alinéa 24(1)f) de la Loi lorsqu’il a décidé de ne pas enquêter. Étant donné que le commissaire a invoqué l’alinéa 24(1)f) et l’absence d’observation selon laquelle cette disposition ne pouvait pas être invoquée, je ne vois également aucune nécessité de trancher cette question.

XI.  La décision

[42]  Je rejetterais donc l’appel. Conformément à l’entente des parties quant aux dépens, j’ordonnerais que M. Gupta verse à l’intimé des dépens de 2 450 $, tout compris.

« John B. Laskin »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

M. Nadon, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

David Stratas, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A‑30‑17

 

 

INTITULÉ :

MURLIDHAR GUPTA c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 OCTOBRE 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 OCTOBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

David Yazbeck

 

Pour l’appelant

 

Abigail Martinez

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Avocats

 

POUR L’APPELANT

 

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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