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Date : 20171025


Dossier : A-333-16

Référence : 2017 CAF 212

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE TRUDEL

 

 

ENTRE :

CONSEIL DE LA NATION INNU MATIMEKUSH-LAC JOHN

demandeur

et

ASSOCIATION DES EMPLOYÉS DU NORD QUÉBÉCOIS (CSQ)

défenderesse

Audience tenue à Montréal (Québec), le 26 septembre 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TRUDEL

Y A SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

MOTIFS CONCOURANTS :

LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20171025


Dossier : A-333-16

Référence : 2017 CAF 212

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE TRUDEL

 

 

ENTRE :

CONSEIL DE LA NATION INNU MATIMEKUSH-LAC JOHN

demandeur

et

ASSOCIATION DES EMPLOYÉS DU NORD QUÉBÉCOIS (CSQ)

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE TRUDEL

I.                    Introduction

[1]               Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) a-t-il la compétence requise pour statuer sur la demande en accréditation présentée par l’Association des employés du Nord québécois (CSQ) (la défenderesse)? Voilà la question en litige devant notre Cour. Je propose d’y répondre par l’affirmative.

[2]               En l’instance, notre Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre d’une décision sommaire rendue par le Conseil en date du 22 août 2016 (Conseil de la Nation Innu Matimekush-Lac John, 2016 CCRI LD 3685).

[3]               Par cette décision, dont les motifs en date du 25 novembre 2016 sont répertoriés sous la référence neutre 2016 CCRI 843, le Conseil s’estime compétent pour statuer sur la demande d’accréditation visant l’unité de négociation composée du personnel enseignant d’une école située sur le territoire d’une réserve autochtone, soit le territoire de la Nation Innu Matimekush-Lac John.

[4]               Le demandeur, le Conseil de la Nation Innu Matimekush-Lac John, est l’employeur des enseignants visés par la demande d’accréditation. Il rappelle à notre Cour l’état du droit selon lequel une présomption existe à l’effet que les relations de travail sont de compétence provinciale. Selon le demandeur, la défenderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau et n’a pas renversé cette présomption. Le Conseil a donc eu tort de conclure comme il l’a fait. Bien qu’il ait correctement défini le test applicable, le Conseil ne s’y est pas conformé (mémoire des faits et du droit du demandeur au paragraphe 29).

[5]               Pour sa part, la défenderesse plaide que l’éducation des enfants autochtones sur les réserves relève d’un chef de compétence fédérale en raison, entre autres, de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), c. 1.5 qui « régit presque tous les aspects de la vie des peuples des Premières Nations et de leurs terres, notamment l’éducation » (mémoire des faits et du droit de la défenderesse au paragraphe 34 – référence en note de bas de page omise ­et au paragraphe 100). Le Conseil n’a donc pas erré en concluant comme il l’a fait.

II.                 Le droit applicable

[6]               Puisque les parties concèdent que le Conseil a correctement cité le droit applicable, je m’y attarde d’emblée. Une fois cernée la démarche qui s’impose pour déterminer si les relations de travail d’une entité sont régies par le droit provincial ou le droit fédéral, il me sera plus facile d’examiner les conclusions de fait tirées par le Conseil et les arguments des parties quant aux activités et à la structure organisationnelle de l’école autochtone en cause.

[7]               C’est à partir du paragraphe 46 de ses motifs que le Conseil discute du droit sous la rubrique « Les principes de droit constitutionnel applicables ».

[8]               Au départ, il cite un arrêt-clé en la matière, soit NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, [2010] 2 R.C.S. 696 [NIL/TU,O], dans lequel la Cour suprême du Canada devait décider, tout comme dans notre cas d’espèce, d’une question d’accréditation en matière de relations de travail.

[9]               Dans NIL/TU,O la Cour suprême du Canada dit ne pas créer de droit nouveau. Elle ne fait qu’appliquer à un ensemble de faits particuliers des principes bien ancrés dans notre droit. Ces principes sont les suivants :

  • Les relations de travail sont présumées relever d’un chef de compétence provinciale. La compétence du gouvernement fédéral à cet égard est une exception que l’on doit interpréter restrictivement (NIL/TU,O au paragraphe 11);
  • Pour déterminer si les relations de travail relèvent exceptionnellement du gouvernement fédéral, il faut procéder à un examen en deux temps, peu importe le chef de compétence visé;
  • Cette démarche s’articule obligatoirement autour d’un premier critère : le critère fonctionnel;
  • La présomption sera réfutée si l’application du critère fonctionnel aux faits de l’espèce permet de conclure que l’entité est une entreprise fédérale;
  • Si l’analyse sous ce critère n’est pas concluante, c’est-à-dire qu’elle ne permet pas de déterminer s’il s’agit d’une entreprise fédérale, le décideur passe alors au critère du contenu essentiel : la règlementation provinciale relative aux relations de travail de cette entité porte-t-elle atteinte au contenu essentiel du chef de compétence fédérale? (ibidem au paragraphe 3).

[10]           En pratique, on ne retrouve que quelques décisions qui ont considéré le critère du contenu essentiel et ce, à titre subsidiaire, en cas d’erreur sur le premier critère (voir Nation crie de Fox Lake c. Anderson, 2013 CF 1276, [2014] 2 C.N.L.R. 150 au paragraphe 40) [Fox Lake]; U.N.A. v. Aakam-Kiyii (Peigan/Piikani) Health Services (2011), 198 C.L.R.B.R. (2e) 30 aux paragraphes 46-48, [2011] Alta. L.R.B.R. 208.

III.               La décision du Conseil

[11]           Après avoir examiné la preuve des parties au regard du critère fonctionnel énoncé dans NIL/TU,O, le Conseil conclut « que les services d’éducation fournis par l’employeur sur le territoire de la réserve et les fonctions exercées par ce dernier en ce domaine, y compris son pouvoir décisionnel sur cette activité, constituent une activité de gouvernance, et cette activité relève de la compétence fédérale » (motifs de la décision au paragraphe 72).

[12]           Le demandeur s’en prend tout particulièrement au recours, par le Conseil, à la notion de gouvernance pour décider de sa compétence pour statuer sur la demande d’accréditation.

[13]           J’arrive à la même conclusion que le Conseil en procédant selon la méthode prescrite par la Cour suprême dans NIL/TU,O.

IV.              Analyse

A.                 La norme de contrôle

[14]           Les deux parties plaident que la norme de la décision correcte s’applique en l’espèce puisque la question en litige en est une « touchant au partage des compétences » (mémoire des faits et du droit du demandeur au paragraphe 16). Je suis d’accord pour dire que la norme applicable aux questions constitutionnelles est celle de la décision correcte.

[15]           Cependant, il ne s’agit pas ici d’une véritable question constitutionnelle. La question en litige n’est pas celle de savoir « si une loi en particulier excède les limites du pouvoir constitutionnel du gouvernement qui l’a adoptée » (NIL/TU,O au paragraphe 12).

[16]           Nous sommes ici en présence d’une présomption réfragable à l’encontre de laquelle l’une des parties - en l’occurrence, la défenderesse - doit présenter de la preuve si elle souhaite la réfuter. La question spécifique à trancher est de savoir si l’école autochtone visée est une entreprise fédérale qui tombe sous le régime du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), c. L-2 (ibidem).

[17]           L’analyse constitutionnelle du Conseil repose sur ses conclusions de fait, lesquelles sont dissociables de la question constitutionnelle portant sur sa compétence.

[18]           En conséquence, il convient de faire preuve de retenue judiciaire à l’égard de ces conclusions de fait initiales portant sur les activités et la structure organisationnelle de l’école autochtone en cause (Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407 au paragraphe 26; CHC Global Operations (2008) Inc. c. Global Helicopter Pilots Association, 2010 CAF 89, 4 Admin. L.R. (5e) 251).

B.                 Analyse sous le critère fonctionnel

[19]           Dans NIL/TU,O, la Cour suprême du Canada nous rappelle que le critère fonctionnel « requiert l’examen de la nature, des activités habituelles et de l’exploitation quotidienne de l’entité en question afin de déterminer s’il s’agit d’une entreprise fédérale » (au paragraphe 3).

[20]           Évidemment, personne ici ne remet en cause la compétence fédérale exclusive sur les « Indiens et les terres réservées aux Indiens ». De même, on ne saurait passer sous silence les articles 114 à 117 de la Loi sur les Indiens qui concernent les écoles.

[21]           L’examen de la trame factuelle passe nécessairement par cette toile de fond puisqu’en l’instance, le Conseil de la Nation Innu Matimekush-Lac John a établi une école sur son territoire en occupant le champ laissé libre par le Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (maintenant scindé sous les noms de Ministre des Services aux Autochtones et le Ministre des Relations Couronne-Autochtone et des Affaires du Nord), qui peut s’autoriser du paragraphe 114(2) de la Loi sur les Indiens pour « établir, diriger et entretenir des écoles pour les enfants indiens ».

[22]           Le demandeur a donc établi sur sa réserve l’école Kanatamat Tshitipenitamunu destinée strictement aux étudiants autochtones de niveau pré maternel, maternel, primaire et secondaire.

[23]           Tel que noté par le Conseil, le demandeur est l’employeur des enseignants. Il signe directement avec eux les contrats de travail et peut y mettre fin. Il gère au quotidien l’emploi du temps des enseignants, entre autres par le truchement d’un directeur d’école qu’il engage et qui se rapporte à lui.

[24]           Quant au cursus scolaire, le demandeur a choisi d’adopter celui du Ministère québécois de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) tout en y ajoutant un volet autochtone afin de préserver le patrimoine historique et culturel des élèves autochtones qui fréquentent l’école. Ce faisant, il permet aux étudiants d’obtenir un code permanent délivré par le MEES – ce qui facilite leur passage entre les systèmes d’éducation des Premières Nations et québécois.

[25]           Cette volonté de soutenir la réussite scolaire des étudiants autochtones se reflète dans une entente signée en mai 2012 entre le Conseil en éducation des Premières Nations (dont le demandeur est membre), le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada (Entente pour favoriser la réussite des élèves des Premières Nations, signée le 4 mai 2012). Le Conseil en éducation des Premières Nations s’y décrit comme une « association vouée à la défense d’une vision commune de ses communautés membres en vue d’offrir une éducation de qualité à tous les enfants des Premières Nations … » (au 8e paragraphe du préambule).

[26]           Cette entente énonce, entre autres :

  Que le plan d’action conjoint qui fait l’objet de l’entente est « complémentaire au Programme de réussite scolaire des étudiants des Premières Nations du ministère des Affaires autochtones et du Nord canadien » (à l’article 3), et

  Que l’entente « ne vise pas à effectuer un transfert des responsabilités entre les Parties » (au paragraphe 16 C).

[27]           On ne saurait donc conclure ici à une délégation de la compétence fédérale relative à l’éducation en vertu de la Loi sur les Indiens en faveur du gouvernement du Québec. On ne saurait davantage conclure à un transfert du pouvoir provincial en matière d’éducation vers le demandeur.

[28]           Avant de quitter l’Entente, il me semble utile de noter le troisième paragraphe du préambule dans lequel les membres des Premières Nations affirment leur droit à l’auto-détermination – incluant le droit à leur entière autonomie en matière d’éducation – , ne serait-ce que pour dire que les parties n’ont pas présenté leur thèse respective sous cet angle dans leurs représentations écrites. Elles n’ont pas davantage accepté l’invitation de la Cour à le faire lors de l’audition de la demande.

[29]           Ceci dit, je passe à la jurisprudence plaidée par les parties.

[30]           Autant dans leur mémoire respectif qu’à l’audition, les parties ont cité plusieurs arrêts antérieurs dans le but d’inviter la Cour à en suivre la ratio decidendi.

[31]           Comme je l’ai dit auparavant, le critère fonctionnel est un exercice principalement factuel qui requiert l’examen, au cas par cas, des activités et de la structure organisationnelle de l’école Kanatamat Tshitipenitamunu.

[32]           Je passe donc en revue les arrêts pertinents discutés par les parties pour défendre leur thèse respective, à la recherche d’indices communs permettant une comparaison utile avec notre cas d’espèce. Je commence par NIL/TU,O.

C.                 Les arrêts pertinents discutés à l’audition

[33]           NIL/TU,O était une agence d’aide à l’enfance constituée par sept premières nations en vertu de la Society Act, R.S.B.C. 1996, c. 433, abrogée par Societies Act, S.B.C. 2015, c. 18, article 252, tel que rapporté au paragraphe 23 de cette affaire:

En Colombie‑Britannique, la prestation des services d’aide à l’enfance est régie par la Child, Family and Community Service Act. Cette Loi crée un régime provincial exhaustif pour la protection de l’enfance, lequel est administré par des [traduction] « directeurs » désignés par le ministre responsable de l’aide à l’enfance et à la famille.

[34]           De plus, la preuve avait établi l’existence d’une entente tripartite entre les deux niveaux de gouvernement et NIL/TU,O qui énonçait clairement la compétence de la province en matière d’aide à l’enfance de même que l’obligation pour les employés de l’agence de fournir des services conformes aux exigences de la loi provinciale.

[35]           La trame factuelle est semblablement la même dans l’arrêt connexe Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Native Child and Family Services of Toronto, 2010 CSC 46, [2010] 2 R.C.S. 737 [Native Child].

[36]           Dans notre cas, l’école Kanatamat Tshitipenitamunu a été établie en vertu de la Loi sur les Indiens et non en vertu d’une loi provinciale.

[37]           Dans la Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 211, [2016] 2 R.C.F. 351, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 36742 (7 avril 2016), [Nishnawbe-Aski], notre Cour a renversé la décision du Conseil qui s’estimait compétent pour entendre les demandes d’accréditations des employés des services policiers de Nishnawbe-Aski.

[38]           Dans cet arrêt, notre Cour a déterminé que les services policiers de Nishnawbe-Aski n’assumaient aucune partie des fonctions policières d’un organisme fédéral ou d’un service policier fédéral (au paragraphe 17). Les candidats étaient recrutés indépendamment des Premières Nations de Nishnawbe-Aski (ibidem au paragraphe 23). À titre d’employés de ces services policiers, les agents des Premières Nations desservaient autant les citoyens que les non-citoyens des Premières Nations vivant dans les régions touchées par une entente opérationnelle intervenue entre celles-ci et la Police provinciale de l’Ontario (PPO) (ibidem au paragraphe 26). Les services policiers constituaient une entité distincte. Enfin, les agents des services policiers de Nishnawbe-Aski relevaient en dernier ressort du commissaire de la PPO et de la Commission civile de l’Ontario sur la police — tous deux ayant le pouvoir de les suspendre ou les congédier en vertu des paragraphes 54(5) et 54(6) de la Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, c. P.15 (ibidem au paragraphe 27).

[39]           Dans notre cas, le demandeur est l’employeur des enseignants et détient le pouvoir de les engager et de les congédier.

[40]           Dans Syndicat international des travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 864 c. Waycobah First nation, 2015 CCRI 792, 280 C.L.R.B.R (2e) 69, le Conseil a décliné compétence en matière de relations du travail liées aux activités de pêche de Waycobah First Nation, entre autres parce que « les activités de pêche habituelles consistent à pêcher commercialement en dehors de la réserve, essentiellement de la même manière que toute entreprise de pêche commerciale» (au paragraphe 119). Aucun lien ne pouvait être établi entre ces activités et les fonctions de gouvernance de Waycobah First Nation.

[41]           La Cour fédérale a fait le même constat dans Fox Lake, où il fut alors décidé qu’un arbitre fédéral n’avait pas compétence pour entendre une plainte pour congédiement injuste déposée par un employé d’un bureau de négociation dont l’objet essentiel était de négocier des ententes commerciales (aux paragraphes 31 et 38). La nature dominante du bureau de négociation n’en faisait pas une entreprise fédérale même si les services rendus visaient une clientèle autochtone et visaient à répondre à des besoins précis sur le plan culturel (ibidem au paragraphe 32, citant NIL/TU,O).

[42]           Les faits de ces deux affaires, de même que ceux de NIL/TU,O, Native Child, Nishnawkbe-Aski, Fox Lake et Waycobah, sont difficilement conciliables avec la trame factuelle qui nous intéresse.

[43]           Dans Canada (Procureur général) c. Nation Munsee-Delaware, 2015 CF 366, [2015] 2 C.N.L.R. 131 [Munsee-Delaware], la Cour fédérale a jugé qu’un arbitre fédéral était compétent pour disposer de la plainte pour congédiement injustifié d’une membre de la Nation Munsee-Delaware embauchée pour travailler au bureau administratif de cette dernière.

[44]           Pour ainsi conclure, le juge s’est appuyé en grande partie sur l’arrêt Alliance de la Fonction publique du Canada c. Francis et autres, [1982] 2 R.C.S. 72, 139 D.L.R. (3e) 9 [Francis]. Il écrit :

Selon l’arrêt Francis, les affaires ou activités d’un conseil de bande sont celles d’un gouvernement local qui tient son pouvoir de la Loi sur les Indiens et des règlements applicables. Les fonctions ainsi exercées sont considérées comme une « responsabilité globale de la nature d’un gouvernement local » (Francis, le juge Le Dain, au paragraphe 27). Il exerce ses fonctions de gouvernance en recrutant des employés des services administratifs. Madame Flewelling comptait parmi ces employés. (Munsee-Delaware au paragraphe 42).

[45]           Dans la cause Première nation de Berens River c. Gibson-Peron, 2015 CF 614, [2015] F.C.J. No. 1535 (QL) [Berens], non-mentionnée à l’audience par les parties, la Cour fédérale a fait semblablement le même exercice, cette fois à l’égard d’une infirmière travaillant au poste de soins infirmiers mis sur pied et géré par la Première Nation. Bien que l’infirmière fût assujettie à la règlementation provinciale pour l’obtention de son permis d’exercice, elle était, à tous autres égards, sous juridiction fédérale. Le poste de soins au sein duquel elle œuvrait ne constituait pas une entité distincte. Il était plutôt sous la direction du chef et du conseil de la Première Nation de Berens. La bande avait le pouvoir d’engager et de congédier les membres du personnel infirmier qui devaient suivre les lignes directrices et politiques de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits, une organisation fédérale chapeautée par Santé Canada.

[46]           Enfin, dans l’arrêt Procureur général du Canada c. St. Hubert Base Teachers’ Association, [1983] 1 R.C.S. 498, 1 D.L.R. (4e) 105 [St.Hubert], il a été décidé que le Code du travail du Québec ne s’appliquait pas aux enseignants d’une école secondaire sise sur une base militaire principalement parce que le Parlement a compétence exclusive sur tous les employés du gouvernement fédéral. Par ailleurs, la trame factuelle démontrait ce qui suit :

  Une ordonnance fédérale autorisait l’établissement de l’école sur la base militaire;

  L’école n’était pas assujettie à l’ensemble des lois québécoises et ne faisait pas non plus partie d’une commission scolaire québécoise au sens propre de l’expression en droit scolaire québécois;

  Le seul lien de rattachement au Québec était que le comité scolaire chargé d’administrer l’école devait le faire « en conformité de la loi provinciale relative aux écoles » (à la page 500).

D.                 L’école Kanatamat Tshitipenitamunu

[47]           La revue jurisprudentielle qui précède confirme, encore une fois, l’importance d’appliquer le critère fonctionnel au cas d’espèce.

[48]           La compétence principale du fédéral sur un sujet donné peut empêcher l’application des lois provinciales relatives aux relations de travail et aux conditions de travail, mais uniquement s’il est démontré que la compétence du fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale (Syndicat des agents de sécurité Garda, Section CPI-CSN c. Corporation de sécurité Garda Canada, 2011 CAF 302, [2011] 430 N.R. 84 au paragraphe 35, citant Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1980] 1 R.C.S. 115 aux pages 132-133, 98 D.L.R. (3e) 1).

[49]           L’établissement d’une école sur réserve découle de la compétence fédérale sur les Indiens.

[50]           En l’espèce, le choix du cursus scolaire est l’élément principal qui justifie l’intervention du gouvernement du Québec à l’entente tripartite. De ce choix découlent aussi certaines exigences quant aux qualifications professionnelles des enseignants. Dans l’arrêt St.Hubert, la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il s’avère insuffisant qu’une école soit administrée « en conformité de la loi provinciale relative aux écoles » pour justifier l’application du Code du travail du Québec (à la page 510). Dans cette même veine, il est aussi insuffisant pour le demandeur de plaider le choix du cursus scolaire québécois pour les étudiants autochtones comme fondement de la compétence provinciale.

[51]           Comme l’a fait remarquer la défenderesse, le demandeur se soumet volontairement à certaines dispositions de la Loi sur l’instruction publique, L.R.Q. c. I-13.3 (la LIP). Par ailleurs, selon l’article 39 de la LIP, il revient à une commission scolaire d’établir une école. Or, l’école Kanatamat Tshitipenitamunu n’est rattachée à aucune commission scolaire. Elle a été établie par le demandeur en vertu de la Loi sur les Indiens. Cette école n’est pas davantage une école privée régie par la Loi sur l’enseignement privé, L.R.Q. c. E-9.1.

[52]           Il en ressort que ce sont aussi les dispositions de la Loi sur les Indiens qui régissent l’obligation de fréquentation scolaire des étudiants autochtones vivant sur les réserves.

[53]           Ces faits ajoutés à la trame factuelle décrite aux paragraphes [21] à [28] des présents motifs m’amènent à conclure dans le même sens que Munsee-Delaware, Berens, et St.Hubert.

[54]           Considérant ce contexte factuel, je conclus que l’école Kanatamat Tshitipenitamunu entre dans la catégorie des entreprises fédérales et tombe ainsi sous le régime du Code canadien du travail. Je suis donc d’accord avec la conclusion du Conseil.

[55]           L’analyse sous le critère fonctionnel permettant de disposer de la demande, il ne m’est donc pas nécessaire de passer au critère du contenu essentiel et de me demander si la législation québécoise en matière de relations de travail porte atteinte au contenu essentiel du chef de compétence fédérale.

V.                 Conclusion

[56]           En conséquence, je propose de rejeter la demande de contrôle judiciaire avec dépens fixés, suivant le consentement des parties, à la somme de 3 500$ incluant les taxes et débours.

« Johanne Trudel »

j.c.a.

«Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a.»

LE JUGE PELLETIER (motifs concourants)

[57]           Je souscris aux motifs de ma collègue sauf sur le point suivant.

[58]           Dans la mesure où la compétence du Canada à l’égard de l’éducation des Indiens est un enjeu dans cette affaire, je ne crois pas qu’il soit clair que l’éducation des enfants indiens fait partie intégrante de la compétence fédérale sur les «Indiens et les terres réservées aux Indiens». Il est évident que le gouvernement fédéral a, pour le moins, une compétence accessoire qui lui permet d’«établir, diriger et entretenir des écoles pour les enfants indiens» et de prendre d’autres mesures visant le bon fonctionnement de ces écoles : voir les articles 114-117 de la Loi sur les Indiens (1985), ch. I-5. Je note en passant que l’article 114 ne fait que conférer une discrétion au Canada quant à l’établissement et le fonctionnement de ces écoles. Par ailleurs, il n’est pas clair non plus que cette compétence accessoire, concrétisée par un pouvoir discrétionnaire, est suffisante pour établir que tout ce qui touche à l’éducation des Indiens doit passer par le gouvernement fédéral.

[59]           D’ailleurs, lors du Préambule à l’entente survenue entre le Conseil en Éducation des Premières Nations (le Conseil), le Gouvernement du Québec et Sa Majesté la Reine du Chef du Canada (Canada), entente qui encadre l’établissement et le fonctionnement d’écoles sur le territoire des Premières Nations membres du Conseil, le Conseil affirme que les Premières Nations et leurs peuples «ont le droit à l’autodétermination, ce qui comprend le droit à leur entière autonomie dans le domaine de l’éducation, droit auquel ils soutiennent n’avoir jamais renoncé.» Cette intention du Conseil de ne céder aucunement les droits de Premières Nations en lien avec l’éducation se manifeste au paragraphe 16 (C) de l’entente où il est écrit «Cette entente ne vise pas à effectuer de transfert de responsabilités entre les Parties».

[60]           Ces dispositions ne prouvent pas l’existence des droits dont ils parlent, mais elles démontrent que la compétence en matière d’éducation des enfants indiens n’est pas nécessairement réglée par la répartition des pouvoirs législatifs prévue dans la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, c. 3 (R.U.).

[61]           Tout cela pour dire que je ne suis pas persuadé que l’analyse fonctionnelle des activités de l’école du Conseil de la Nation Innu Matimekush-Lac John puisse s’appuyer sur la thèse selon laquelle l’éducation des enfants indiens fait partie intégrante de la compétence du gouvernement fédéral relativement aux Indiens et aux terres réservées aux Indiens.

[62]           Pour le reste, je suis d’accord avec les motifs de ma collègue.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-333-16

INTITULÉ :

CONSEIL DE LA NATION INNU MATIMEKUSH-LAC JOHN c. ASSOCIATION DES EMPLOYÉS DU NORD QUÉBÉCOIS (CSQ)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 septembre 2017

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TRUDEL

 

 

Y A SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

 

 

MOTIFS CONCOURANTS :

LE JUGE PELLETIER

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 OCTOBRE 2017

 

 

COMPARUTIONS :

François Longpré

Marie-Pierre Emery

 

Pour le demandeur

CONSEIL DE LA NATION INNU MATIMEKUSH-LAC JOHN

 

Anne-Julie Rolland

 

Pour la défenderesse

ASSOCIATION DES EMPLOYÉS DU NORD QUÉBÉCOIS (CSQ)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BORDEN LADNER GERVAIS

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

CONSEIL DE LA NATION INNU MATIMEKUSH-LAC JOHN

BARABÉ CASAVANT

Montréal (Québec)

Pour la défenderesse

ASSOCIATION DES EMPLOYÉS DU NORD QUÉBÉCOIS (CSQ)

 

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