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Date : 20171107


Dossier : A-152-17

Référence : 2017 CAF 216

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE TRUDEL

 

 

ENTRE :

LE GROUPE MAISON CANDIAC INC.

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Montréal (Québec), le 27 septembre 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20171107


Dossier : A-152-17

Référence : 2017 CAF 216

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GAUTHIER

LA JUGE TRUDEL

 

 

ENTRE :

LE GROUPE MAISON CANDIAC INC.

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1]  Le Groupe Maison Candiac Inc. interjette appel d’une ordonnance de la juge Roussel de la Cour fédérale (2017 CF 430). La Cour fédérale a rejeté la requête de l’appelante visant à modifier son avis de demande de contrôle judiciaire, à déposer un dossier et des affidavits complémentaires, ainsi qu’à poursuivre l’instance à titre de gestion spéciale.

[2]  L’appelante contestait initialement la légalité d’un décret d’urgence adopté par le gouverneur en conseil en vertu de la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, c. 29 (la LEP), pour des motifs liés à la constitutionnalité et à l’expropriation déguisée. Par cette requête, l’appelante voulait maintenant contester l’opportunité d’émettre un tel décret en démontrant que celui-ci est déraisonnable. Bien qu’il soit difficile de comprendre l’essence des nombreuses et diverses modifications proposées, il appert que selon l’appelante, le décret serait déraisonnable, car la population de rainettes qui se trouve sur le territoire visé par le décret et sur ses terrains en Montérégie n’a pas été classifiée correctement. Donc, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique Canada (le Ministre) ne pouvait recommander l’émission d’un décret d’urgence et le gouverneur en conseil ne pouvait se fonder sur l’inscription de l’espèce au Registre public des espèces en péril faite en 2010 ou sur la recommandation du Ministre.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je propose de rejeter l’appel avec dépens.

I.  Contexte

[4]  En 2010, le gouverneur en conseil a adopté un décret afin d’inscrire la population de rainettes faux-grillon de l’Ouest occupant le territoire des « Grands Lacs/St-Laurent et Bouclier canadien » (la rainette de l’Ouest) au Registre public des espèces en péril (Décret modifiant l’annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril, C.P. 2010-200, Gaz. C. 2010.II.240) (le Décret d’inscription). Le décret s’appliquait à la population de rainettes qui se trouvait sur le territoire décrit dans le décret, qui englobe ce que j’appellerai la grande région de La Prairie (territoire des municipalités de La Prairie, Candiac et St-Philippe situé au nord de l’autoroute 30).

[5]  L’appelante est une entreprise qui œuvre dans le développement immobilier. Elle projetait de construire un nouveau projet domiciliaire en Montérégie, dans la grande région de La Prairie.

[6]  L’appelante avait obtenu à cet effet un certificat d’autorisation du ministère québécois du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques qui incluait des obligations spécifiques afin de protéger sur les terrains de l’appelante la population de rainettes décrite aussi comme la rainette de l’Ouest.

[7]  Depuis un certain temps, le Ministre examinait la question de savoir s’il était tenu de recommander au gouverneur en conseil qu’un décret d’urgence soit adopté pour protéger les rainettes dans la grande région de La Prairie compte tenu des nombreux développements immobiliers qui y avait cours. À la suite d’un contrôle judiciaire entrepris par des groupes environnementalistes, la Cour fédérale avait annulé une première décision du Ministre parce qu’il n’avait pas pris en compte la question du rétablissement de l’espèce (paragraphe 80(2) de la LEP). Par la même occasion, la Cour fédérale avait pressé le Ministre de se prononcer sur la question dans un délai de six mois débutant le 22 juin 2015 (Centre québécois du droit de l’environnement c. Canada (Environnement), 2015 CF 773).

[8]  Le 4 décembre 2015, le Ministre a décidé de recommander l’adoption d’un décret d’urgence. Cette décision a ensuite été communiquée au public le 5 décembre 2015.

[9]  Le 29 juin 2016, le gouverneur en conseil a décidé d’adopter un premier décret d’urgence (T.R./2016-36, Gaz. C. 2016.II.2487), qui devait entrer en vigueur le 29 juillet 2016. Il visait la protection de la rainette de l’Ouest, une espèce inscrite au Registre public des espèces en péril, sur une partie du territoire défini dans le Décret d’inscription contre « des menaces imminentes pour son rétablissement ».

[10]  Comme l’appelante avait décidé de poursuivre ses opérations de déboisement durant la période entre l’adoption du premier décret et le 29 juillet 2016, le gouverneur en conseil a dû adopter, le 8 juillet 2016, un second décret d’urgence (C.P. 2016-682, Gaz. C. 2016.II.1 (édition spéciale no 1)) (le Décret d’urgence) qui remplaçait celui du 29 juin 2016 et qui prenait effet immédiatement. C’est ce Décret d’urgence qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire et qui interdit certaines activités, telles que le drainage, l’excavation, le déboisement et la construction d’infrastructures, sur un large territoire qui inclut les terrains de l’appelante dans la grande région de La Prairie.

[11]  L’effet direct du Décret d’urgence a été d’empêcher l’appelante de réaliser son projet domiciliaire tel qu’il avait été conçu. Le 5 août 2016, l’appelante a conséquemment déposé une demande de contrôle judiciaire afin de le contester en s’appuyant sur deux moyens seulement: (1) la disposition habilitante du Décret d’urgence, le sous-alinéa 80(4)c)ii) de la LEP, est ultra vires de la compétence du Parlement fédéral et (2) le Décret d’urgence constitue une expropriation déguisée de ses terrains.

[12]  Dans son affidavit au soutien de la requête visant à modifier l’avis de demande, Monsieur Lamothe, président de l’appelante, affirme que ce n’est que le 10 mars 2017 qu’il a été informé par un biologiste, membre d’une firme qui travaillait pour l’appelante sur son projet domiciliaire, de l’existence de plusieurs études portant sur les rainettes qui se trouvent sur le territoire inclus dans le Décret d’inscription, lesquelles sont énumérées dans l’avis de demande modifié proposé. Au nombre de six, ces études se répartissent sur une période débutant en 2007 et se terminant en 2015.

[13]  Toujours selon Monsieur Lamothe, ledit biologiste lui aurait indiqué que ces études établissent « sans l’ombre d’un doute » que les rainettes qui vivent sur les terrains de l’appelante sont des rainettes faux-grillon boréales (la rainette boréale) et non des rainettes de l’Ouest.

[14]  Le 23 mars 2017, l’appelante dépose sa requête. Elle soumet qu’elle a été diligente en agissant promptement après cette « découverte ». Ceci est contesté vigoureusement par l’intimé qui a déposé une preuve abondante démontrant que cette question taxinomique aurait pu être soulevée dans l’avis de demande, donc bien avant mars 2017. Entre autres, cette question aurait été discutée lors d’une séance de consultation publique à laquelle l’appelante avait été conviée. Monsieur Lamothe y a assisté. Un document intitulé « Plan de conservation de la rainette faux-grillon en Montérégie » joint à l’affidavit de Monsieur Lamothe au soutien de sa demande déposée en 2016 traite aussi de cette question. D’autres documents déposés à l’automne 2016 par l’intimé au dossier de la Cour fédérale pour mettre la question constitutionnelle en contexte indiquent que la question taxinomique a été expressément considérée par le Ministre et par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) (un organisme indépendant regroupant des experts reconnus chargé d’évaluer la situation des espèces en péril) avant que le Ministre décide de recommander l’adoption du décret par le gouverneur en conseil.

[15]  Comme je l’ai mentionné, la question taxinomique soulevée par l’appelante porte sur la classification exacte de la population de rainettes située sur le territoire précis qui est décrit dans le Décret d’inscription de 2010 et donc dans le Décret d’urgence. En d’autres termes, l’appelante veut maintenant que la Cour fédérale se penche sur les questions suivantes : i) compte tenu de nouveaux tests génétiques et acoustiques, la rainette se trouvant dans la région « Grands Lacs/St-Laurent et Bouclier canadien » est-elle la rainette de l’Ouest ou la rainette boréale, ii) quel est l’impact de cette question sur l’inscription de l’espèce au Registre public des espèces en péril et sur le Décret d’urgence.

II.  Décision de la Cour fédérale

[16]  Au moment du dépôt de la requête, le dossier de la demande était en état et il ne restait plus qu’à déposer la demande d’audience. La Cour fédérale a rejeté la requête pour modifications et la demande de contrôle doit être entendue les 4, 5 et 6 décembre 2017.

[17]  Selon la Cour, les modifications proposées retarderaient « indûment  le débat judiciaire qui est présentement devant la Cour », alors qu’« une demande de contrôle judiciaire se veut une procédure sommaire qui se doit d’être traitée de façon expéditive » (Motifs de la Cour fédérale au para. 16).

[18]  À cet égard, la Cour note que la modification proposée changerait radicalement la nature des questions en litige en ajoutant au débat actuel un débat sur l’opportunité scientifique du Décret d’urgence (Motifs de la Cour fédérale au para. 13). En outre, aux dires des parties, cela nécessiterait le dépôt d’affidavits supplémentaires, la tenue de nouveaux contre-interrogatoires des différents affiants et la production de dossiers complémentaires des deux côtés (Motifs de la Cour fédérale aux paras. 14-15). Elle souligne que les parties ont indiqué qu’elles devront mandater des experts quant à la question taxinomique.

[19]  Quant aux nouveaux documents que l’appelante désirait inclure dans son dossier complémentaire, c’est-à-dire les diverses études énumérées dans son avis de demande modifié et sa nouvelle expertise, la Cour fédérale note que l’appelante n’a pas démontré que le gouverneur en conseil les avait devant lui lorsqu’il a pris la décision d’émettre le Décret d’urgence (Motifs de la Cour fédérale au para. 19). Quant à l’expertise proposée, il est évident selon elle qu’il s’agissait d’une preuve nouvelle qui, toujours selon la Cour fédérale, n’entrait pas dans les exceptions à la règle générale voulant que la raisonnabilité d’une décision administrative soit déterminée à la lumière du dossier qui était devant le décideur (Motifs de la Cour fédérale aux paras. 17-18).

[20]  Elle mentionne ensuite que le débat que semble vouloir entreprendre l’appelante vise plutôt le fait que le COSEPAC n’a pas révisé la classification de l’espèce en péril en vertu de l’article 24 de la LEP, « compte tenu […] du débat taxinomique » (Motifs de la Cour fédérale au para. 21). Elle ajoute que la loi prévoit un processus administratif à cet égard et qu’il serait « loisible à [l’appelante] de faire les représentations qui s’imposent dans le cadre de cette réévaluation » (Motifs de la Cour fédérale au para. 21).

[21]  Il appert aussi que la Cour fédérale a pris en compte, dans la détermination de l’intérêt de la justice, le fait « qu’une incertitude plane actuellement sur la légalité de l’article 80 de la LEP et le pouvoir du Gouverneur en conseil (sic) d’adopter des décrets d’urgence pour la protection d’espèces sauvages qui se trouvent ailleurs que sur les terres fédérales » et qu’il est « dans l’intérêt de la justice que ce débat se fasse avec la plus grande célérité » (Motifs de la Cour fédérale au para. 22).

[22]  Par ailleurs, la Cour fédérale a aussi accepté l’argument de l’intimé selon lequel cette incertitude sur la légalité de l’article 80 et le pouvoir du gouverneur en conseil constitue un préjudice qui ne pourrait être compensé par l’octroi de dépens.

III.  Prétentions des parties

[23]  Comme l’appelante soutient que la Cour fédérale n’a pas considéré tous ses arguments, j’ai décidé de résumer les arguments des parties même s’il n’est pas utile ni nécessaire de traiter de chacun d’eux dans mon analyse.

[24]  Les parties s’entendent que la Cour fédérale a correctement énoncé les principes applicables à une requête pour modifier un avis de demande. L’appelante soutient plutôt que la Cour fédérale a erré en les appliquant tant dans son analyse de l’intérêt de la justice que dans son évaluation du préjudice qui résulterait des modifications. Entre autres, la Cour fédérale aurait mal apprécié les faits et ignoré son argument voulant que la gestion spéciale d’instance puisse réduire au minimum le retard attribuable à ses modifications.

[25]  L’appelante soutient aussi qu’on ne peut lui opposer la tardiveté de sa requête pour diverses raisons. Principalement, parce que Monsieur Lamothe n’avait pas la formation scientifique ou légale pour comprendre la pertinence de la question taxinomique (Mémoire de l’appelante aux paras. 58, 61). De ce fait, il n’a pas lu la pièce jointe à son affidavit daté du 1er septembre 2016 qui aborde cette question (Mémoire de l’appelante au para. 62). Il ne se souvient pas non plus de ce qui a été dit lors de la séance de consultation publique durant laquelle cette question aurait été abordée (Mémoire de l’appelante au para. 61). De plus, comme l’appelante avait initialement entrepris son recours pour contester le Décret d’urgence seulement sur la base de sa légalité (voir les deux moyens mentionnés précédemment), elle n’avait pas de raison de s’enquérir de cette question taxinomique, même si elle était clairement discutée dans plusieurs documents déposés en 2016 par l’intimé dans le cadre de sa demande de contrôle (Mémoire de l’appelante aux paras. 63-64).

[26]  L’appelante ajoute que l’intimé n’a pas établi de préjudice concret. En effet, la Cour fédérale pourrait décider de sa demande de contrôle sans avoir à trancher la question constitutionnelle si elle estime que la question de l’expropriation déguisée est déterminante. La Cour fédérale aurait aussi erré en considérant cette incertitude taxinomique tant dans le cadre de l’intérêt de la justice qu’à titre de préjudice.

[27]  L’appelante soumet que même si la Cour fédérale pouvait conclure qu’elle pourrait faire valoir son point de vue dans le cadre du processus administratif prévu à la LEP, cela ne change en rien le fait que l’appelante a le droit de contester également la raisonnabilité du Décret d’urgence.

[28]  L’appelante prétend que la Cour fédérale a aussi commis une erreur déterminante en concluant au paragraphe 19 de sa décision qu’elle n’avait pas « démontré que le Gouvernement du Canada était au courant, avant l’adoption du Décret, du fait qu’il n’existait vraisemblablement pas de [rainettes de l’Ouest] sur le territoire d’application de ce dernier » (Mémoire de l’appelante au para. 29).

[29]  Selon l’appelante, la Cour fédérale devait, à ce stade des procédures, tenir pour avérés les faits qui étaient allégués dans son acte de procédure modifié. De plus, la preuve de l’appelante démontrait clairement la connaissance du ministère fédéral de l’Environnement du fait que certains de ses employés ont participé à une des études taxinomiques publiées en 2015 et que le COSEPAC a publié sur le site web gouvernemental hébergeant le Registre public des espèces en péril un rapport daté de novembre 2015 destiné à commenter cette étude (James P. Bogart, Eric B. Taylor et Ruben Boles, « Rainette faux-grillon de l’Ouest (Pseudacris triseriata) et rainette faux-grillon boréale (Pseudacris maculata) : clarification concernant les espèces sauvages inscrites en vertu de la LEP à la lumière d’interprétations taxinomiques récentes », novembre 2015) (le rapport Bogart) ainsi qu’un énoncé de clarification portant sur la conclusion dudit rapport. Ces documents faisaient partie de la documentation qu’elle désirait inclure dans son dossier complémentaire.

[30]  Finalement, l’appelante insiste que la nouvelle expertise qu’elle voulait déposer ne visait pas à introduire de la nouvelle preuve qui n’était pas devant le décideur qu’elle décrit comme le Gouvernement du Canada, mais plutôt à vulgariser la preuve qui, selon elle, était déjà devant lui. L’expertise visait aussi à démontrer le fait que personne, y compris le Ministre et le COSEPAC, ne pouvait conclure que la population de rainettes présente sur les terrains de l’appelante était visée par le Décret d’inscription de 2010, sans que le COSEPAC procède immédiatement à une nouvelle évaluation de l’espèce.

[31]  L’intimé, quant à lui, soumet que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur qui peut justifier notre intervention. Selon l’intimé, l’appelante a tardé indûment à déposer sa requête et les modifications proposées entraîneraient un retard indu étant donné qu’elles forceraient à entreprendre un tout nouveau débat alors que l’appelante savait ou aurait dû savoir qu’elle pouvait soulever cette question dès l’automne 2016, sinon avant (Mémoire de l’intimé aux paras. 77g, 78-81). De surcroît, il s’agit en fait d’une attaque collatérale d’autres décisions telles que le Décret d’inscription de 2010 qui visait la population de rainettes de l’Ouest sur le territoire désigné qui inclut les terrains de l’appelante et la décision du COSEPAC de procéder à une réévaluation de la classification de cette population en 2017-2018.

[32]  L’intimé souligne que l’appelante interprète mal le paragraphe 19 des motifs de la Cour fédérale. Selon l’intimé, les remarques de la Cour  Fédérale portent sur la demande de permission de déposer un dossier et des affidavits complémentaires (Règle 312 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106). A cet égard, il soumet que la Cour fédérale devait s’interroger à savoir si les documents que l’appelante voulait ajouter au dossier étaient devant le décideur qu’elle a correctement identifié comme étant le gouverneur en conseil.

IV.  Questions en litige

[33]  La principale question en litige est de déterminer si la Cour fédérale a commis une erreur révisable en refusant la permission de modifier l’avis de demande.

[34]  La question de savoir si elle a aussi erré en examinant la demande de permission de déposer un dossier et des affidavits supplémentaires (Règle 312) ne se pose que si notre Cour conclut que la Cour fédérale a effectivement erré en refusant la permission de modifier l’avis de demande.

V.  Analyse

[35]  Un appel d’une décision discrétionnaire de la Cour fédérale est soumis aux normes de contrôle établies par la Cour suprême dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331 aux paras. 67-68; Nov Downhole Eurasia Limited v. TLL Oilfield Consulting Ltd, 2017 FCA 32, [2017] F.C.J. no 141 (QL/Lexis) aux paras. 6-7).

[36]  Tel que mentionné, les parties ne s’entendent pas sur l’interprétation du paragraphe 19 des motifs de la Cour fédérale et donc sur la question à savoir si la Cour fédérale a effectivement tenu compte des chances de succès de la nouvelle question soulevée par l’appelante.

[37]  Même si dans le cadre d’une requête pour modifier un acte de procédure afin d’y ajouter une nouvelle question, la cour peut considérer s’il est évident que cette question n’a aucune chance raisonnable de succès, elle n’est pas tenu de traiter de cette question lorsqu’elle n’y prend pas appui pour tirer sa conclusion. En l’espèce, il ressort clairement des motifs sous étude que la Cour fédérale n’était pas satisfaite que les modifications proposées servent l’intérêt de la justice. Cette conclusion est suffisante en soi pour justifier sa décision à moins que l’appelante n’établisse que la Cour fédérale a commis une erreur révisable a cet égard: Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 R.C.F. 3 (C.A.F.) (Canderel), Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2014 CAF 65, 238 A.C.W.S. (3d) 846 (Sanofi-Aventis), Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459 (Merck).

[38]  De plus, je suis d’accord avec l’intimé qu’au paragraphe 19 de ses motifs, la Cour fédérale traite de la demande en vertu de la Règle 312. Les principes sur lesquels elle s’appuie sont bien établis. Elle était tenue de considérer que dans le cadre d’une demande de contrôle judicaire, la raisonnabilité de la décision administrative s’apprécie généralement en fonction des documents qui étaient devant le décideur.

[39]  Même si la majorité des nouvelles allégations proposées porte sur ce que le Ministre, son ministère et le COSEPAC savaient ou ont fait ou aurait dû faire et que l’appelante décrit le décideur comme étant le Gouvernement du Canada de manière générale, le fait demeure que la seule décision attaquée selon l’appelante est celle d’émettre le Décret d’urgence (voir aussi la Règle 304). Aux termes du paragraphe 80 (1) de la LEP, c’est le gouverneur en conseil qui prend cette décision.

[40]  Ceci dit, il reste à déterminer si la Cour fédérale a erré en concluant que les modifications proposées ne servent pas l’intérêt de la justice.

[41]  Selon moi, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur de droit isolable en appliquant les principes qu’elle avait énoncés.

[42]  En effet, les facteurs qu’elle a considérés, tels que la nature des modifications, le moment où la requête a été présentée et les retards importants qu’elles entraîneraient, sont tous des facteurs pertinents dont elle pouvait tenir compte dans l’exercice de sa discrétion.

[43]  Comme notre Cour l’a déjà dit, chaque dossier peut nécessiter la pondération de facteurs particuliers (Sanofi-Aventis au para. 13; Merck  au para. 30; Canderel à la page 10). Donc, le fait que la Cour fédérale ait considéré qu’il est dans l’intérêt de la justice que la question constitutionnelle particulière à l’espèce soit traitée avec célérité n’est pas une erreur de principe.

[44]  Notre Cour doit présumer que la Cour fédérale a lu la requête de l’appelante, somme toute assez simple, et que si elle ne traite pas spécifiquement de l’opportunité d’imposer la gestion spéciale d’instance, c’est qu’une telle proposition n’avait pas d’impact réel sur son évaluation du retard.

[45]  Dans le cas présent, je crois que, compte tenu de la teneur des nombreuses modifications proposées et de la nature du débat scientifique qu’elles impliqueraient, il n’est pas étonnant que la Cour fédérale en soit arrivée à cette conclusion. Selon moi, il est fort plausible qu’il faille plus de temps pour mettre le dossier de la demande modifiée en état qu’il n’en a fallu pour le faire pour la demande originale, et ce, même si le dossier était en gestion d’instance.

[46]  Comme l’indique la Cour fédérale, il faudra reprendre l’instance du début sur des questions factuelles et techniques. En plus des nouveaux affidavits et contre-interrogatoires que cela implique, si l’appelante veut interroger des affiants qu’elle avait jusqu’ici renoncé à interroger, tels que l’agent de la faune Loïc Gingras qui a attesté de la présence de rainettes de l’Ouest sur le terrain de l’appelante le 23 juin 2016, elle devra pour le faire obtenir la permission de la Cour.

[47]  Quant à l’argument de l’appelante selon lequel sa requête n’est pas tardive vu l’ignorance de l’existence et de la pertinence du débat taxinomique par Monsieur Lamothe, celui-ci ne lui est d’aucun secours. La Cour fédérale a bien indiqué au paragraphe 11 de ses motifs, que même en supposant que les faits présentés par l’appelante n’ont été découverts qu’en mars dernier, elle était d’avis qu’il n’était pas dans l’intérêt de la justice de permettre les modifications proposées.

[48]  Puisque l’appelante a répété à plusieurs reprises devant nous que la question taxinomique avait été mise sous le tapis tant par le COSEPAC que par le Ministre et son ministère, je note qu’il est loin d’être évident que la preuve supporte cette allégation.

[49]  Finalement, même si je conviens avec l’appelante qu’il n’y avait pas de preuve concrète permettant de conclure que l’intimé subirait un préjudice, cette erreur n’est pas dominante compte tenu de la conclusion de la Cour fédérale quant à l’intérêt de la justice.

[50]  La Cour fédérale avait discrétion pour décider de la requête devant elle comme elle l’a fait. Tel que mentionné, l’appelante ne m’a pas persuadée que la Cour fédérale a commis une erreur de droit isolable. Elle ne m’a pas convaincue non plus que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante, une norme d’intervention difficile à rencontrer, surtout lorsque la cour de première instance exerce sa discrétion à l’égard d’une matière de nature procédurale.

[51]  La demande de permission pour déposer un dossier et des affidavits complémentaires étant sans objet, il n’est pas nécessaire pour les fins de cet appel de traiter des arguments des parties.

[52]  En conclusion je propose donc de rejeter l’appel avec dépens.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

« Je suis d’accord

Johanne Trudel j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE ORDONNANCE DE L’HONORABLE JUGE SYLVIE E. ROUSSEL DU 28 AVRIL 2017, NO. DU DOSSIER T-1294-16

DOSSIER :

A-152-17

 

INTITULÉ :

LE GROUPE MAISON CANDIAC INC. c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 septembre 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 NOVEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Alain Chevrier

Adam Jeffrey Beauregard

 

Pour l'appelante

 

Pierre Salois

Michelle Kellam

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dunton Rainville S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour l'appelante

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Pour l'intimé

 

 

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