Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20171117


Dossier : A-479-15

Référence : 2017 CAF 225

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

CIBA SPECIALTY CHEMICALS WATER TREATMENTS LIMITED

appelante

et

SNF INC.

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 14 février 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

MOTIFS CONCORDANTS :

LA JUGE WOODS


Date : 20171117


Dossier : A-479-15

Référence : 2017 CAF 225

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

CIBA SPECIALTY CHEMICALS WATER TREATMENTS LIMITED

appelante

et

SNF INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d'un appel d'une décision rendue par la Cour fédérale (2015 CF 997) dans laquelle la Cour a conclu que le brevet canadien CA 2 515 581 (le brevet 581) de Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited (Ciba) n'était pas valide pour cause d'évidence. SNF Inc. (SNF), société concurrente de Ciba dans le secteur des produits chimiques industriels, avait intenté une action en déclaration d'invalidité du brevet.

[2]  L'action de SNF en déclaration d'invalidité du brevet 581 se fondait sur l'évidence, l'anticipation par l'art antérieur et l'usage antérieur, l'insuffisance, la portée excessive et la présence de déclarations fausses et trompeuses dans la demande de brevet. La Cour fédérale a conclu que les allégations d'anticipation, d'insuffisance et de portée excessive n'étaient pas fondées. La Cour a également cerné des déclarations fausses et trompeuses dans la demande de brevet, mais celles‑ci n'étant pas importantes, le brevet n'a pas été invalidé en vertu de l'article 53 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4 (la Loi). Par conséquent, seul le motif d'évidence a permis d'invalider le brevet.

[3]  Je crois que la Cour fédérale a commis une erreur dans son exposition et son application du cadre Windsurfing/Pozzoli; néanmoins, elle est parvenue à la bonne conclusion quant à l'évidence. Cette conclusion étant suffisante pour trancher l'appel, je n'estime pas nécessaire d'aborder les autres motifs soulevés par les parties.

LES FAITS

[4]  À l'instar de la plupart des secteurs industriels, l'industrie minière doit s'occuper des déchets créés par ses activités. L'un de ses déchets est un flot de particules de matière dispersées dans l'eau, qu'on appelle communément les boues. Les exploitants de mines ont des raisons économiques et environnementales de recycler l'eau et de minimiser la superficie nécessaire pour se débarrasser des particules de matière. Le brevet 581 vise ces problèmes.

[5]  L'eau peut être séparée des particules de matière des boues à l'aide d'un appareil appelé épaississeur, un bassin conique dans lequel on pompe les boues. Les matières solides se déposent par décantation, ce qui laisse à la surface un liquide qu'on peut retirer, puis réutiliser. Les particules déposées au fond du bassin et l'eau qui reste (la sousverse) peuvent ensuite être pompées dans un bassin de dépôt d'où l'eau pourra s'échapper par sédimentation, par drainage et par évaporation. Les particules séparées de leur eau, appelées résidus, peuvent ensuite être traitées sur place.

[6]  Ce processus peut être amélioré par l'utilisation de produits chimiques appelés floculants. Les floculants en cause sont des polymères hydrosolubles. Les floculants font que les particules se rassemblent en flocons (qui sont essentiellement de plus grandes particules) pour ensuite former des structures perméables permettant à l'eau de s'échapper. L'ajout de floculants aux boues dans un épaississeur peut accélérer la séparation de l'eau des particules de matière et améliorer la qualité de l'eau récupérée.

[7]  Le brevet 581 porte sur le traitement de la sousverse durant son transfert de la première étape du traitement, dans un épaississeur par exemple, à un bassin de dépôt. Plus la quantité de particules dans l'eau est faible, plus celle‑ci peut être réutilisée dans les activités minières et moins l'eau est nuisible si elle s'échappe dans l'environnement. Moins il y a d'eau avec les particules, plus elles se consolideront et se solidifieront rapidement.

[8]  Les objectifs de l'extraction de l'eau et de la solidification peuvent être atteints si, durant leur transfert au bassin de dépôt, les boues se solidifient rapidement (à la suite du retrait de l'eau) et les particules grossières et fines forment un mélange homogène. Ce mélange homogène améliore la qualité de l'eau extraite, car les particules plus fines sont retenues dans le mélange. Ce mélange est également mieux adapté pour soutenir le poids des dépôts subséquents. La solidification rapide de la matière minimise son étalement, ce qui permet son empilement, réduisant ainsi la superficie nécessaire aux résidus.

[9]  Le brevet indique que l'on a tenté d'atteindre ces objectifs en ajoutant un floculant lorsqu'on transfère la matière au bassin de dépôt. Cependant, ces tentatives étaient infructueuses, car ces traitements avaient lieu en utilisant des doses conventionnelles et n'ont produit que peu de bénéfice ou aucun. Le brevet 581 décrit l'art antérieur, notamment le brevet no WO‑A‑0192167 (le brevet de M. Gallagher), qui enseigne l'ajout de particules d'un polymère hydrosoluble lors du transfert au bassin de dépôt. Ceci permet aux boues de conserver leur fluidité durant le transfert, puis de se solidifier une fois déposées. Le brevet 581 soutient que le brevet de M. Gallagher souligne l'importance d'utiliser des particules d'un polymère hydrosoluble et précise l'inefficacité de l'utilisation de solutions aqueuses de polymère dissous. Cet énoncé, que la Cour fédérale a conclu être faux, était à la base de la contestation de la validité du brevet 581 au motif qu'il y avait des déclarations fausses et trompeuses dans la demande de brevet.

[10]  Le brevet 581 décrit un processus qu'on dit être une amélioration de l'art antérieur. L'invention est décrite de plusieurs façons, l'une d'elles étant suffisante pour décrire la nature de celle‑ci :

[TRADUCTION]

[...] il s'agit d'un procédé pour solidifier une matière tout en conservant sa fluidité en cours de transfert, lorsque la matière est un liquide aqueux comportant des particules solides dispersées qui est transférée sous forme liquide à un bassin de dépôt, où on la laisse reposer et se solidifier, en ajoutant à la matière durant le transfert un montant efficace ayant un effet solidifiant d'une solution aqueuse d'un polymère hydrosoluble, ledit polymère hydrosoluble ayant une viscosité intrinsèque d'au moins 5 dl/g [5 décilitres par gramme] (mesuré dans 1 mole par litre de NaCl à 25 °C).

Brevet 581, à la page 7b, lignes 3 à 10.

[11]  Le brevet mentionne qu'il a été étonnamment découvert que l'ajout d'une solution aqueuse de polymère aux boues au cours du transfert n'entraînait pas une solidification instantanée ou un dépôt considérable des particules de matière au cours du transfert.

[12]  Le brevet décrit également l'importance des caractéristiques d'écoulement de la matière pendant sa solidification :

[TRADUCTION]

[...] il importe qu'une fois qu'on laisse reposer la matière, l'écoulement soit réduit le plus possible et la solidification se produise rapidement. Si la matière est trop fluide, elle s'empilera mal et elle risque de contaminer l'eau qui s'en écoulera. Il faut également que la matière solidifiée soit suffisamment solide pour demeurer intacte et supporter le poids des couches subséquentes de matière solidifiée qu'on y ajoutera.

Brevet 581, à la page 15, lignes 12 à 19.

[13]  Le brevet poursuit en indiquant qu'il n'est pas possible d'atteindre les objectifs en modifiant l'étape de la floculation dans l'épaississeur et qu'il est essentiel de traiter la matière formée en sousverse dans celui-ci. Ce processus permet une solidification efficace de la matière traitée sans nuire à sa fluidité durant le transfert.

[14]  Ceci est, en résumé, la nature de l'invention décrite dans le brevet 581 et les enseignements pertinents de celui‑ci.

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DE L'APPEL

[15]  Contrairement au scénario habituel où le titulaire d'un brevet poursuit un concurrent pour contrefaçon de son brevet, ce qui déclenche une demande reconventionnelle en invalidité du brevet, l'espèce a débuté par une action en déclaration d'invalidité du brevet 581. Ciba a présenté une demande reconventionnelle en contrefaçon, mais celle‑ci a été réglée. La Cour fédérale n'a été saisie que de la validité du brevet 581.

[16]  J'aborderai les détails de l'analyse de la Cour fédérale au cours de ma propre analyse afin d'éviter toute répétition. À ce stade, je soulignerai simplement les conclusions de la Cour fédérale sur différentes questions afin de donner un aperçu de son raisonnement.

[17]  La Cour fédérale a commencé ses motifs en présentant le contexte factuel de l'invention. Elle a ensuite présenté un résumé de la preuve des témoins des faits et des témoins experts. Ce faisant, elle a offert ses commentaires sur la preuve des témoins. En particulier, la Cour fédérale a comparé la preuve des témoins experts de SNF, M. Klein et M. Hyatt, à celle de l'expert de Ciba, M. Farrow. En définitive, la Cour a décidé qu'elle traiterait la preuve de M. Farrow avec prudence pour les motifs qui seront expliqués davantage dans les présents motifs.

[18]  Ensuite, la Cour fédérale a identifié la personne versée dans l'art visé par l'invention. La Cour a ensuite énoncé les connaissances générales courantes qu'aurait la personne versée dans l'art. L'enjeu principal était de déterminer si l'ajout d'un polymère pendant le transfert faisait partie des connaissances générales courantes. En raison de la conclusion de la Cour voulant que les experts de SNF « étaient plus proches des connaissances générales courantes [que M. Farrow], compte tenu de leur plus grande expérience sur le terrain », elle a conclu que l'ajout de polymère pendant le transfert faisait partie des connaissances générales courantes au moment pertinent : motifs, au paragraphe 123. La Cour a conclu cette partie de son analyse par une liste comprenant de nombreux autres éléments faisant partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art.

[19]  La Cour a ensuite interprété le brevet, plus particulièrement la revendication 1, sur laquelle sont fondées toutes les autres revendications, que ce soit directement ou indirectement. Les revendications 32 et suivantes reposent indirectement sur la revendication 1 au sens qu'elles dépendent des revendications antérieures, lesquelles reposent elles‑mêmes sur la revendication 1.

[20]  Le point essentiel en litige dans l'interprétation de la revendication 1 était le sens des mots [TRADUCTION] « solidifier » et [TRADUCTION] « solidification », des termes qui ne sont ni scientifiques ni techniques. Après avoir examiné la preuve des experts, la Cour fédérale a conclu que la solidification consistait en « un accroissement rapide de la limite apparente d'élasticité d'un dépôt de matière minérale, qui réduit au maximum l'écoulement du dépôt et permet de supporter le poids des couches subséquentes de dépôts similaires » : motifs, au paragraphe 163.

[21]  La Cour a ensuite examiné la question de l'anticipation, que je n'entends pas aborder, avant de tourner son attention vers l'évidence. La Cour a présenté l'analyse en quatre étapes du caractère évident (le critère Windsurfing/Pozzoli) adoptée par la Cour suprême dans Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 (Plavix). Ayant déjà effectué la première étape en identifiant la personne versée dans l'art ainsi que les connaissances générales courantes, la Cour est passée à la deuxième étape, soit l'identification de l'idée originale. De l'avis de la Cour, l'idée originale était l'idée selon laquelle « l'ajout d'une quantité efficace d'un polymère hydrosoluble en solution peut résulter en une rigidification analogue à celle subie par le dépôt d'un épaississeur » : motifs, au paragraphe 191.

[22]  La Cour s'est ensuite demandé s'il était évident pour la personne versée dans l'art que l'ajout d'une quantité efficace des polymères indiqués dans le brevet mènerait à des dépôts solidifiés. Elle a conclu que la personne versée dans l'art parviendrait directement et sans difficulté à la solution, soit l'ajout d'une quantité très faible de polymère au bassin de dépôt, puis l'augmentation de la quantité afin d'atteindre le résultat désiré. En ce sens, l'idée d'ajouter une quantité efficace de polymère aurait été évidente.

[23]  La Cour a donc affirmé « qu'il aurait été évident de tenter d'ajouter une quantité efficace de solution de polymère hydrosoluble » : motifs, au paragraphe 196. La Cour a ensuite examiné la liste non exhaustive de facteurs énoncés par la Cour suprême dans Plavix relativement au critère de « l'essai allant de soi » et a conclu qu'il était satisfait à ces facteurs et au critère de « l'essai allant de soi ». Pour ce motif, la Cour a déclaré le brevet 581 invalide pour cause d'évidence.

[24]  La Cour a ensuite abordé les autres motifs d'invalidité soulevés par SNF, bien que sa conclusion quant à l'évidence fût suffisante pour régler l'action. Puisque je n'aborderai pas ces motifs, je ne les mentionnerai plus.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[25]  Ciba soutient que la Cour fédérale a commis une série d'erreurs en cascade, les premières menant aux suivantes, le tout menant à la conclusion erronée que l'invention visée par le brevet 581 était évidente. Ciba avance d'abord que la Cour fédérale a commis une erreur en accordant plus de poids à la preuve des experts de SNF qu'à son expert, M. Farrow. Elle estime que ceci a mené la Cour fédérale à se tromper dans sa détermination des connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art. Ceci a ensuite mené à une conclusion erronée quant à l'idée originale, ce qui, à son tour, a mené à la conclusion fautive voulant que le brevet 581 soit invalide pour cause d'évidence. J'aborderai chacune de ces affirmations tour à tour.

[26]  Puisqu'il s'agit d'un appel d'une décision de la Cour fédérale siégeant en première instance, c'est la norme de contrôle en matière d'appel qui s'applique, soit celle de l'erreur manifeste et dominante pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit, sauf pour les erreurs de droit isolables, qui doivent être examinées selon la norme de la décision correcte : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen).

ANALYSE

Le poids accordé à certains experts plutôt qu'à d'autres

[27]  Ciba soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en préférant la preuve des témoins experts de SNF, M. Klein et M. Hyatt, à celle de son expert, M. Farrow. L'appréciation de la preuve des experts est une question de fait, pour laquelle la norme de contrôle est celle de l'erreur manifeste et dominante : Bell Helicopter Textron Canada ltée c. Eurocopter, 2013 CAF 219, au paragraphe 74, Halford c. Seed Hawk Inc., 2006 CAF 275, [2006] 4 R.C.F. F‑49, au paragraphe 11. Une cour commet une erreur manifeste et dominante lorsqu'elle parvient à une conclusion n'étant fondée sur aucun fait ou lorsque son raisonnement est illogique ou non lié à la preuve : Mahjoub c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2017 CAF 157, au paragraphe 62.

[28]  Ciba soutient que la décision de la Cour fédérale d'accorder plus de poids à la preuve des experts de SNF en raison de « leur plus grande expérience sur le terrain » est une erreur manifeste et dominante. Ciba nous invite à comparer les compétences des experts, puis de parvenir à nos propres conclusions. Ceci n'est pas le rôle d'une cour d'appel. Notre rôle consiste à déterminer si la conclusion de la Cour fédérale est fondée sur les faits. À mon sens, c'est le cas en l'espèce.

[29]  La Cour fédérale, à compter du paragraphe 62 de ses motifs, a examiné les compétences universitaires et l'expérience pratique des experts présentés par les parties. Elle a abordé l'expérience pratique de M. Klein, sans la décrire en détail. Elle a conclu que « le Pr Klein a soulevé un élément pratique concernant ce qu'était concrètement un procédé breveté » : motifs, au paragraphe 71. La Cour a également résumé les 30 années de carrière de M. Hyatt à titre de vendeur de produits chimiques et de consultant dans l'industrie minière. Il y avait des faits permettant à la Cour fédérale de parvenir à sa conclusion quant à l'expérience pratique des experts de SNF.

[30]  Outre la question de l'expérience pratique, la Cour a expliqué, du paragraphe 83 au paragraphe 87, pourquoi elle avait préféré la preuve des experts de SNF plutôt que celle de M. Farrow. Elle a conclu que le témoignage de M. Farrow « était moins convaincant, cohérent, objectif et équilibré que ce à quoi on pouvait raisonnablement s'attendre ». Elle a souligné que, pour ce qui est d'une question importante à l'interprétation du brevet, « M. Farrow a avancé différents sens » et a « donné une interprétation axée sur un résultat » : motifs, aux paragraphes 83 et 84.

[31]  En somme, la Cour a conclu que M. Farrow s'était fait un défenseur de la validité du brevet plus fervent que ce qui était indiqué vu sa qualité d'expert. Par conséquent, la Cour a apprécié sa preuve avec beaucoup de circonspection.

[32]  La position de la Cour fédérale est cohérente avec les enseignements de la Cour suprême relativement aux témoins experts :

Le témoin expert a l'obligation particulière d'apporter au tribunal une aide juste, objective et impartiale. La personne que l'on se propose de citer à ce titre, mais qui ne peut ou ne veut se conformer à cette obligation, n'a pas la qualification pour témoigner à titre d'expert et ne devrait pas y être autorisée. Des réserves moins fondamentales quant à l'indépendance et à l'impartialité de l'expert devraient jouer dans l'analyse globale des coûts et des bénéfices de l'admission du témoignage.

White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182, au paragraphe 2.

[33]  La Cour fédérale avait le droit de traiter la preuve de M. Farrow avec circonspection en raison de sa conclusion quant à sa partialité.

Les connaissances générales courantes

[34]  La principale préoccupation de Ciba quant à la preuve des témoins experts était la différence de point de vue entre les experts des parties sur la question de savoir si les connaissances générales courantes de la personne versée dans l'art à la période pertinente comprenaient l'idée d'ajouter le polymère aux boues « en cours de transfert », c.‑à‑d. durant le transfert ou le pompage des boues au bassin de dépôt.

[35]  Au paragraphe 121 de ses motifs, la Cour fédérale a fait remarquer que les experts de SNF étaient de l'avis que « le traitement des résidus en cours de [transfert] par des polymères faisait partie des connaissances générales courantes d'une personne versée dans l'art », tandis que l'expert de Ciba, M. Farrow, était de l'avis contraire. M. Farrow fondait principalement son désaccord sur l'absence de référence à ce procédé dans deux publications : « The 2002 Paste and Thickened Tailings — A Guide » et « Mineral Processing Plant Design, Practice and Control Proceedings (2002) ».

[36]  La Cour fédérale a conclu que l'absence d'une référence à un fait précis dans une ou plusieurs publications ne vient pas contredire ce fait. Il s'agit d'une affirmation qui dépend énormément du contexte, mais, considérant l'ensemble de la preuve devant la Cour fédérale, la Cour pouvait faire cette affirmation. Ceci ne prouve pas que le traitement au polymère en cours de transfert faisait partie des connaissances générales courantes, mais suffit pour écarter la position de M. Farrow, laquelle continue d'être soutenue par Ciba.

[37]  Comme notre Cour l'a mentionné dans Novopharm Ltd. c. Janssen‑Ortho Inc., 2007 CAF 217, au paragraphe 25, au point 3 :

[...] Les connaissances ne sont pas toutes consignées dans des publications. Inversement, toutes les connaissances ainsi consignées ne font pas partie des connaissances que la personne du métier moyenne est censée posséder ou pouvoir trouver.

[38]  En l'espèce, la Cour fédérale disposait de la preuve de M. Klein et de M. Hyatt voulant que l'ajout de polymère en cours de transfert faisait partie des connaissances générales courantes, tandis que M. Farrow soutenait le contraire. La Cour a apprécié la preuve en tenant compte de toute la preuve ainsi que de la crédibilité des témoins et a conclu que la preuve apportée par MM. Klein et Hyatt était plus convaincante.

[39]  Dans Housen, la Cour suprême, en exposant les nombreux motifs pour lesquels les cours d'appel devraient faire preuve de retenue envers les cours de première instance sur les questions de fait, a cité et approuvé le passage suivant tiré de l'article de R. D. Gibbens, Appellate Review of Findings of Fact (1991‑92), 13 Advocates' Q. 445, à la page 446 :

[TRADUCTION]

On dit que le juge de première instance possède de l'expertise dans l'évaluation et l'appréciation des faits présentés au procès. Il a également entendu l'affaire au complet. Il a assisté à toute la cause et son jugement final reflète cette connaissance intime de la preuve. Cette connaissance, acquise par le juge au fil des jours, des semaines voire des mois qu'a duré l'affaire, peut se révéler beaucoup plus profonde que celle de la cour d'appel, dont la perception est beaucoup plus limitée et étroite, et souvent déterminée et déformée par les diverses ordonnances et décisions qui sont contestées.

Housen, au paragraphe 14.

[40]  Ce passage a été résumé dans l'un des trois principes de base mis de l'avant par la Cour suprême pour justifier la retenue dont il faut faire preuve quant aux conclusions de fait des juges de première instance :

Le juge de première instance est celui qui est le mieux placé pour tirer des conclusions de fait, parce qu'il a l'occasion d'examiner la preuve en profondeur, d'entendre les témoignages de vive voix et de se familiariser avec l'affaire dans son ensemble. Étant donné que le rôle principal du juge de première instance est d'apprécier et de soupeser d'abondantes quantités d'éléments de preuve, son expertise dans ce domaine et sa connaissance intime du dossier doivent être respectées.

Housen, au paragraphe 18.

[41]  Le débat sur la question des connaissances générales courantes démontre la sagesse de ce principe. Il est très difficile pour notre Cour d'acquérir la même familiarité avec la preuve que celle qu'a acquise le juge de première instance au cours de l'audience. Par conséquent, il ne serait pas sage que nous nous immiscions dans les conclusions de fait d'un juge de première instance en nous fondant sur des éléments de preuve isolés avancés par les avocats. Lors de ces débats, il y a rarement absence de preuve sur un point. Il s'agit presque toujours, comme en l'espèce, d'une situation où il existe des éléments de preuve contradictoires. Nous n'avons pas pour tâche, sauf circonstances exceptionnelles, de résoudre les contradictions découlant de la preuve. Il s'agit du rôle du juge de première instance et, pourvu que sa conclusion soit fondée sur la preuve et que ses raisonnements soient solides et reposent aussi sur la preuve, notre Cour ne devrait pas intervenir.

[42]  Par conséquent, je ne modifierais pas la conclusion de la Cour fédérale voulant que l'ajout de polymère en cours de transfert faisait partie des connaissances générales courantes à la période visée.

L'évidence

[43]  Le critère Windsurfing/Pozzoli est au centre de l'analyse de l'évidence depuis que la Cour suprême l'a adopté dans Plavix. Le critère Windsurfing/Pozzoli a été énoncé dans deux décisions du Royaume‑Uni, soit Windsurfing International Inc. v. Tabur Marine (Great Britain) Ltd, [1985] R.P.C. 59 (C.A.) (Windsurfing), et Pozzoli SPA v. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37, [2007] EWCA Civ. 588 (Pozzoli).

[44]  En l'espèce, la Cour fédérale a mal énoncé et mal appliqué le critère Windsurfing/Pozzoli. Plus précisément, elle n'a pas bien identifié les fonctions de l'art antérieur et des connaissances générales courantes. Néanmoins, elle est parvenue à la bonne conclusion; l'intervention de notre Cour n'est donc pas justifiée.

[45]  Les éléments du critère Windsurfing/Pozzoli, tels que décrits dans Plavix, sont les suivants :

1)  a)  Identifier la « personne versée dans l'art ».

b)  Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

2)  Définir l'idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d'interprétation;

3)  Recenser les différences, s'il en est, entre ce qui ferait partie de « l'état de la technique » et l'idée originale qui soustend la revendication ou son interprétation;

4)  Abstraction faite de toute connaissance de l'invention revendiquée, ces différences constituentelles des étapes évidentes pour la personne versée dans l'art ou dénotentelles quelque inventivité?

Plavix, au paragraphe 67.

[46]  En l'espèce, la Cour fédérale ne n'est pas fondée sur la présentation du critère Windsurfing/Pozzoli selon la Cour suprême, mais plutôt sur le résumé de celui‑ci selon la Cour fédérale dans Eli Lilly Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 125, au paragraphe 158 :

1)  identifier la « personne versée dans l'art » et déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

2)  définir l'idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d'interprétation;

3)  recenser les différences, s'il en est, entre les connaissances générales courantes et l'idée originale;

4)  ces différences exigent-elles un certain degré d'inventivité ou sont-elles plus ou moins évidentes en soi?

Motifs, au paragraphe 182.

[47]  Ce libellé introduit une erreur dans le critère lorsqu'il substitue « les connaissances générales courantes » à « ce qui ferait partie de “l'état de la technique” ». L'erreur est qu'à l'étape 3, l'idée originale ne doit pas être comparée aux connaissances générales courantes, mais bien à l'art antérieur.

[48]  L'un des avantages du cadre Windsurfing/Pozzoli est qu'il a mis de l'avant les étapes conceptuelles lors de l'évaluation de l'évidence. On se souviendra que l'article 2 de la Loi définit une invention comme quelque chose de nouveau et d'utile. Le droit des brevets aborde le caractère de la nouveauté de différentes façons, dont l'antériorité et le double brevet. L'évidence ne tient pas compte de la nouveauté en tant que motif d'invalidité indépendant; cependant, si le brevet ne comporte aucune nouveauté, il ne peut y avoir d'invention. C'est pour cette raison que la troisième étape du critère Windsurfing/Pozzoli commence par : « Recenser les différences, s'il en est [...] ». S'il n'y a aucune différence, la question est tranchée.

[49]  Cette logique a été appliquée dans In re I.G. Farbenindustrie A.G.'s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch. D.) (Farbenindustrie), qui a été cité et approuvé dans Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, au paragraphe 9, un arrêt traitant des brevets de sélection qui, comme on l'indiquait dans cet arrêt, sont soumis aux mêmes principes que tout autre brevet. Dans son analyse, le juge Maugham a précisé que les composés sélectionnés ne doivent pas avoir été réalisés auparavant, sinon le brevet de sélection [TRADUCTION] « ne satisfait pas à l'exigence de la nouveauté » : Farbenindustrie, à la page 322.

[50]  La troisième étape vise donc à cerner les éléments nouveaux dans le brevet en cause, mais cela ne permet pas de répondre à la question : « la nouveauté relativement à quoi, les connaissances générales courantes ou l'art antérieur? » En principe, la nouveauté devrait être déterminée relativement à l'art antérieur, puisqu'il comprend tout ce qui a déjà été fait. Les connaissances générales courantes sont simplement un sous‑ensemble de l'art antérieur : voir Mylan Pharmaceuticals ULC c. Eli Lilly Canada Inc., 2016 CAF 119, [2017] 2 R.C.F. 280, aux paragraphes 23 à 25.

[51]  Dans la jurisprudence anglo‑canadienne, la comparaison à l'étape 3 s'effectue à l'égard de l'art antérieur. Au Canada, cela apparaît à l'article 28.3 de la Loi.

[52]  L'étape 3 du critère Windsurfing/Pozzoli exige qu'on identifie les différences entre « ce qui ferait partie de “l'état de la technique” et l'idée originale qui soustend la revendication ou son interprétation ». L'expression « l'état de la technique » a un sens précis en droit anglais.

[53]  L'arrêt Windsurfing a été tranché alors que la loi intitulée Patent Act, 1949 (Loi de 1949 sur les brevets), 12, 13 & 14 Geo. 6, ch. 87, était en vigueur. Elle traitait de l'évidence comme suit :

[TRADUCTION]

32.(1) Sous réserve des dispositions de la présente Loi, la Cour peut, sur demande de toute personne intéressée, invalider un brevet pour l'un ou l'autre des motifs suivants :

[...]

f) l'invention, selon l'une des revendications du mémoire descriptif, est évidente et ne requiert aucune étape inventive par rapport à ce qui était su ou fait, avant la date de priorité de la revendication, au Royaume‑Uni [je souligne].

[54]  Dans Windsurfing, à la page 73, le lord juge Oliver a décrit l'étape 3 de ce critère comme suit :

[TRADUCTION]

La troisième étape est d'identifier les différences, s'il en est, entre ce qu'on affirme être « su et fait » et l'invention.

[55]  Dans sa nouvelle formulation du critère dans Pozzoli, le lord juge Jacob a reformulé l'étape 3. Au paragraphe 22 de ses motifs, le lord juge Jacob indique :

[TRADUCTION]

La troisième étape doit être légèrement reformulée, car Windsurfing a été entendu lorsque les termes de la Loi de 1949 pour l'art antérieur étaient « su ou fait ». La Convention sur le brevet européen utilise les mots « état de la technique ».

[56]  Par conséquent, l'expression « l'état de la technique » qui figure à l'étape 3 du critère Windsurfing/Pozzoli renvoie à l'art antérieur. Dans Plavix, la Cour suprême n'a pas précisément abordé la question du sens de l'expression « l'état de la technique », mais elle a affirmé ce qui suit lors de son analyse des facteurs de Lundbeck :

Il est vrai que l'évidence tient en grande partie à la manière dont l'homme du métier aurait agi à la lumière de l'art antérieur. [...] le fait pour l'inventeur et les membres de son équipe de parvenir à l'invention rapidement, facilement, directement et à relativement peu de frais, compte tenu de l'art antérieur et des connaissances générales courantes, pourrait étayer une conclusion d'évidence [...] Leur démarche tendrait à indiquer qu'une personne versée dans l'art, grâce à ses connaissances générales courantes et à l'art antérieur, aurait agi de même et serait arrivée au même résultat.

Plavix, aux paragraphes 70 et 71.

[57]  J'en déduis que la Cour suprême a adopté le même point de vue du rôle de l'art antérieur que les tribunaux anglais dans leur analyse de l'évidence. Le contraire serait étonnant, étant donné les dispositions de l'article 28.3 de la Loi :

28.3. L'objet que définit la revendication d'une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, plus d'un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l'information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu'elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu'elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

28.3. The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

[58]  L'article 28.3 a essentiellement le même effet que la législation en vigueur au Royaume‑Uni, sauf qu'il exclut expressément certains éléments d'art antérieur, c'est‑à‑dire les éléments divulgués ou connus par des personnes précises moins d'un an avant la date pertinente.

[59]  Ainsi, la jurisprudence et la Loi confirment que l'étape 3 nécessite une comparaison entre l'idée originale (ou la revendication telle qu'interprétée) et l'art antérieur. Si j'ai affirmé autre chose au paragraphe 48 de l'arrêt Société Bristol‑Myers Squibb Canada c. Teva Canada limitée, 2017 CAF 76, je me suis mal exprimé. L'énoncé juste se trouve aux paragraphes 44, 65 et 67.

[60]  Pour conclure, je vais dire un mot au sujet de « ce qui ferait partie de “l'état de la technique” », l'expression utilisée dans Pozzoli et Plavix. Ce qui fait partie de l'état de la technique est simplement l'art antérieur qu'invoque la partie qui prétend qu'il y avait évidence. L'évidence n'est pas déterminée par rapport à l'état de la technique en général. La personne invoquant l'évidence doit renvoyer à un ou plusieurs éléments de l'art antérieur qui rend l'invention contestée évidente. Le choix des éléments de l'état de la technique relève entièrement de la partie invoquant l'évidence, sous réserve de l'article 28.3 de la Loi, qui établit la date limite pour l'état de la technique. En fait, la partie contestant le brevet peut se fonder sur plusieurs éléments de l'état de la technique selon la théorie de la « mosaïque » quant à l'évidence : Wenzel Downhole Tools Ltd. c. National‑Oilwell Canada Ltd., 2012 CAF 333, [2014] 2 R.C.F. 459, au paragraphe 87.

[61]  La Cour fédérale, en paraphrasant l'étape 4 du critère Windsurfing/Pozzoli, a introduit, si ce n'est une erreur, du moins une simplification excessive du libellé initial de cette étape. Le lord juge Jacob, à l'étape 4, s'est demandé si les différences recensées à l'étape 3 sont des étapes [TRADUCTION] « qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l'art ou si elles dénotent quelque inventivité » : Pozzoli, au paragraphe 23. L'expression utilisée par la Cour fédérale vient demander si ces différences exigent un degré d'inventivité ou si elles sont plus ou moins évidentes en soi. Cette erreur ou ambiguïté provient de l'expression « évidentes en soi ».

[62]  Comme je l'ai déjà signalé, si l'écart entre l'idée originale (ou la revendication telle qu'interprétée) et l'état de la technique peut être franchi par une personne versée dans l'art à l'aide de ses seules connaissances générales courantes, « l'invention » est évidente : Société Bristol‑Myers Squibb Canada c. Teva Canada limitée, 2017 CAF 76, au paragraphe 65. C'est à ce moment que les connaissances générales courantes sont pertinentes. La personne versée dans l'art peut avoir recours à ses connaissances générales courantes ainsi qu'à l'art antérieur qui peut être repéré lors d'une recherche raisonnablement diligente; voir, par exemple, Uponor AB c. Heatlink Group Inc., 2016 CF 320, au paragraphe 46, Hoffmann‑La Roche ltée c. Apotex Inc., 2011 CF 875, au paragraphe 55. À mon sens, cette démarche va au‑delà de chercher à savoir si les différences visées sont évidentes en soi ou non.

[63]  Je conclus ainsi que la Cour fédérale a commis une erreur dans sa formulation du critère Windsurfing/Pozzoli et, comme nous le verrons, elle a appliqué cette formulation erronée aux faits de l'espèce.

[64]  Le raisonnement de la Cour menant à sa définition de l'idée originale se trouve au paragraphe suivant :

Au vu des connaissances générales courantes, il apparaît que l'invention est la quantité rigidifiante efficace d'une solution aqueuse d'un polymère hydrosoluble menant à la rigidification telle que l'a définie la Cour. On fait valoir que le brevet représente une avancée par rapport à ce qui était connu et considéré comme faisant partie des connaissances générales courantes, comme le résultat potentiel de l'ajout à une boue minière d'une solution de polymères hydrosolubles. La différence donc, qui constitue également le concept inventif, est que l'ajout d'une quantité efficace d'un polymère hydrosoluble en solution peut résulter en une rigidification analogue à celle subie par le dépôt d'un épaississeur de pâte. Il convient de noter que ce type de dépôt ne représente qu'un seul des plusieurs dépôts revendiqués par le brevet sous forme de rigidification.

Motifs, au paragraphe 191.

[65]  Les motifs de la Cour sur l'idée originale sont quelque peu elliptiques, mais il semble qu'elle ait d'abord défini l'invention, puis qu'elle ait signalé que l'invention était une avancée par rapport aux connaissances générales courantes, pour finalement conclure que la différence entre les deux est l'idée originale.

[66]  Cette méthode semble confondre les étapes 2 et 3 du critère Windsurfing/Pozzoli, comme il a été expliqué par la Cour fédérale, sauf que plutôt que de comparer l'invention aux connaissances générales courantes, elle compare l'invention aux connaissances générales courantes pour parvenir à l'idée originale.

[67]  La dernière étape de l'analyse de la Cour fédérale est ambiguë. Ayant d'abord identifié l'invention comme étant :

« la quantité rigidifiante efficace d'une solution aqueuse d'un polymère hydrosoluble menant à la rigidification telle que l'a définie la Cour »

et l'idée originale comme étant :

« l'ajout d'une quantité efficace d'un polymère hydrosoluble en solution peut résulter en une rigidification analogue à celle subie par le dépôt d'un épaississeur de pâte »

elle a ensuite cherché à savoir :

« s'il était évident pour la personne versée dans l'art que l'ajout des polymères énumérés dans le brevet 581 entraînerait un dépôt rigidifié ».

Motifs, aux paragraphes 191 et 192.

[68]  On ne peut savoir si la Cour fédérale tentait de déterminer l'évidence de l'invention ou de l'idée originale. Dans un cas comme dans l'autre, du point de vue du critère Windsurfing/Pozzoli, la Cour fédérale se posait la mauvaise question. La question à l'étape 4 vise à savoir si la différence entre l'idée originale (ou la revendication telle qu'interprétée) et l'art antérieur peut être franchie par la personne versée dans l'art à l'aide de ses seules connaissances générales courantes ou d'autres renseignements pouvant être obtenus lors d'une recherche raisonnablement diligente. Le cas échéant, l'invention est évidente. La question déterminante est de savoir si l'invention est évidente ou non, mais l'objectif du critère Windsurfing/Pozzoli est de séparer la question en éléments distincts aux étapes 3 et 4.

[69]  La Cour fédérale a commis une erreur en appliquant le mauvais critère aux faits de l'espèce, ce qui est, comme nous l'enseigne Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 27, une erreur de droit isolable susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. Plutôt que de renvoyer le dossier à la Cour fédérale afin qu'elle puisse refaire son analyse, j'entends entreprendre l'analyse moi‑même.

L'application du bon critère juridique

[70]  La détermination de l'ensemble des compétences de la personne versée dans l'art est en litige seulement en ce que Ciba soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en [TRADUCTION] « estimant que la personne versée dans l'art serait relativement semblable à l'expert de SNF, M. Hyatt, et le co‑inventeur du brevet 581, M. Scammell » : mémoire des faits et du droit de Ciba, au paragraphe 33. Je souscris à la réponse de SNF à cet argument : [TRADUCTION] « Le juge a simplement fait remarquer que la personne versée dans l'art “s'apparente beaucoup plus à MM. Scammell et Hyatt qu'à un technicien de laboratoire”, reconnaissant que, dans le cas de ce procédé pratique, la personne versée dans l'art aurait une expérience pratique “sur le terrain”, comme l'ont MM. Scammell et Hyatt » : mémoire des faits et du droit de SNF, au paragraphe 23.

[71]  La détermination des connaissances générales courantes est contestée quant à une question particulière, soit celle de savoir si celles‑ci comprenaient l'ajout de polymère aux résidus en cours de transfert. Ciba conteste cette conclusion, mais la preuve étaye la décision de la Cour fédérale. Sans effectuer un examen approfondi de la preuve, je note l'extrait suivant tiré du rapport de M. Farrow que la Cour fédérale a cité dans ses motifs :

[TRADUCTION]

Il existe diverses façons de causer la floculation des particules d'une boue de résidus : on peut ajouter le floculant dans la conduite de résidus avant le déversement de ces derniers dans l'étang ou le bassin à résidus, ou encore ajouter le floculant dans l'étang ou le bassin à résidus à proximité du point de déversement.

Motifs, au paragraphe 124.

[72]  La prochaine question en litige porte sur la détermination de l'idée originale. L'arrêt Pozzoli offre des conseils quant à la façon d'aborder l'idée originale. Au paragraphe 17 des motifs de la Cour d'appel, le lord juge Jacob a cité ses motifs dans la décision de la Cour d'appel dans Unilever v. Chefaro, [1994] R.P.C. 567 (Unilever), à la page 580 :

[TRADUCTION]

C'est l'idée originale de la revendication en question qu'il faut prendre en considération, et non une idée générale tirée de l'ensemble du mémoire descriptif. Chaque revendication peut correspondre, et correspond en général, à une idée originale distincte. La première étape de la définition de cette idée sera selon toute vraisemblance une question d'interprétation : que signifie la revendication? On pourrait penser qu'il n'y a pas de deuxième étape, que l'idée coïncide avec le contenu de la revendication, un point c'est tout. Mais ce serait manquer de la souplesse nécessaire et ce n'est pas là ce que font les tribunaux qui appliquent la première étape du critère Windsurfing. Ce serait manquer de souplesse parce que si l'on se contente d'interpréter la revendication, on néglige d'établir la distinction nécessaire entre ses éléments importants et ceux qui, quoiqu'ils limitent la portée de la revendication, ne le sont pas. L'opération consiste à définir l'essence de la revendication.

[73]  Ce passage précède les enseignements de la Cour suprême relativement à l'interprétation des brevets dans Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 45 :

L'interprétation téléologique repose donc sur l'identification par la cour, avec l'aide du lecteur versé dans l'art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention. [...]

[74]  La décision Unilever vient rappeler, de façon très pertinente, que c'est l'idée originale qui est en cause, [TRADUCTION] « et non une idée générale tirée de l'ensemble du mémoire descriptif » : Unilever, à la page 569. La recherche de l'idée originale est compliquée, en partie, par l'utilisation faite ou devant être faite de la partie du mémoire descriptif sur la divulgation. Dans Connor Medsystems Inc. v. Angiotech Pharmaceuticals Inc., [2008] UKHL 49, [2008] R.P.C. 28 (Connor), lord Hoffman a écrit au paragraphe 19 que [TRADUCTION] « le titulaire du brevet est en droit d'exiger que la question de l'évidence soit déterminée par rapport à sa revendication et non à quelque paraphrase vague fondée sur la portée de la divulgation figurant dans le mémoire descriptif ».

[75]  Cet accent sur l'importance des revendications est conforme à l'article 28.3 de la Loi, qui dispose : « L'objet que définit la revendication [...] ne doit pas [...] être évident ».

[76]  Lord Jacob était conscient que les possibles difficultés entourant la définition de l'idée originale pourraient se transformer [TRADUCTION] « en débat périphérique superflu ». Il a donc conseillé : [TRADUCTION] « si un désaccord sur l'idée originale d'une revendication devient trop complexe, la façon raisonnable de procéder consiste à l'oublier et à se concentrer simplement sur les caractéristiques de la revendication » (Pozzoli, au paragraphe 19). Lord Hoffman a écrit, encore une fois dans Connor, au paragraphe 20, que l'idée originale [TRADUCTION] « devient une perte de temps presque dès l'apparition d'un désaccord à son sujet ».

[77]  Il peut y avoir des cas où l'idée originale peut être comprise sans difficulté, mais il me semble que puisque l'expression « idée originale » n'est toujours pas définie, la recherche de l'idée originale a entraîné une confusion considérable dans la règle de l'évidence. Cette confusion peut être réduite en évitant tout simplement l'idée originale et en interprétant plutôt la revendication. Jusqu'à ce que la Cour suprême soit en mesure d'élaborer une définition pratique de l'« idée originale », cela me semble être une utilisation plus judicieuse du temps des parties et de la Cour fédérale que de perdre son temps et s'engager dans un débat périphérique superflu.

[78]  Par conséquent, je m'attarderai sur l'interprétation de la revendication 1, sur laquelle reposent, directement ou indirectement, toutes les autres revendications. Pour faciliter la lecture, j'ai reproduit la revendication 1 ci‑dessous :

[TRADUCTION]

[...] procédé pour solidifier une matière tout en conservant sa fluidité en cours de transfert, lorsque la matière est un liquide aqueux comportant des particules solides dispersées qui est transférée sous forme liquide à un bassin de dépôt, où on la laisse reposer et se solidifier, en ajoutant à la matière durant le transfert un montant efficace ayant un effet solidifiant d'une solution aqueuse d'un polymère hydrosoluble, ledit polymère hydrosoluble ayant une viscosité intrinsèque d'au moins 5 dl/g [5 décilitres par gramme] (mesuré dans 1 mole par litre de NaCl à 25° C).

Brevet 581, page 40.

[79]  Les 49 autres revendications du brevet viennent ajouter différentes restrictions à ce cadre de base, précisant, par exemple, les caractéristiques des particules solides dispersées, les caractéristiques du polymère hydrosoluble et la source du liquide aqueux d'origine.

[80]  L'interprétation de la revendication 1 par la Cour fédérale portait en grande partie sur les mots [TRADUCTION] « solidifier » et [TRADUCTION] « solidification ». La Cour a souligné que les mots « solidifier » et « solidification » n'étaient pas des termes scientifiques ou techniques. En fin de compte, la Cour fédérale a conclu que la « solidification » consistait en « un accroissement rapide de la limite apparente d'élasticité d'un dépôt de matière minérale, qui réduit au maximum l'écoulement du dépôt et permet de supporter le poids des couches subséquentes de dépôts similaires » : motifs, au paragraphe 163.

[81]  Les références de la Cour à la réduction de l'écoulement du dépôt et au fait de supporter le poids des couches subséquentes de dépôts similaires proviennent toutes deux de la page 15 du brevet, qui enseigne l'importance des propriétés rhéologiques (les propriétés d'écoulement) des boues ou des résidus traités parce qu'une fois que ces matières sont déposées, l'écoulement doit être réduit le plus possible et la matière doit se solidifier rapidement afin qu'elle puisse supporter les poids des couches subséquentes de matières traitées.

[82]  Le fait de réduire l'écoulement le plus possible ne doit pas être confondu avec l'exigence voulant que les matières traitées puissent être transférées sans qu'il se forme de dépôt solide au cours du transfert. L'écoulement mentionné dans l'interprétation de la Cour de la solidification est l'écoulement de la matière une fois déposée au bassin de dépôt et non au cours de son transfert vers cet endroit.

[83]  La revendication 1 décrit un processus de solidification d'une matière qui consiste en un liquide aqueux et des particules solides dispersées, soit la boue, en ajoutant, au cours du transfert, un montant efficace d'une solution aqueuse d'un polymère hydrosoluble sous forme liquide. Une fois que la matière est rendue au bassin de dépôt, on la laisse se déposer et se solidifier, ce qui signifie que l'écoulement du dépôt est réduit le plus possible et que le poids des couches subséquentes de dépôts similaires est soutenu. Le polymère doit avoir une viscosité intrinsèque d'au moins 5 dl/g (mesuré dans 1 mole par litre de NaCl à 25 °C).

[84]  L'expression [TRADUCTION] « montant efficace » est ambiguë, ce qui permet d'avoir recours à la divulgation afin de comprendre ce qu'elle signifie. Au cours de l'analyse des difficultés associées au traitement des boues de résidus, le brevet mentionne qu'on a tenté de résoudre ces problèmes [TRADUCTION] « en ajoutant un coagulant ou un floculant lors du transfert au bassin de dépôt », mais que ces essais ont été infructueux, car [TRADUCTION] « on utilisait des doses conventionnelles [...] » : brevet 581, à la page 3, lignes 21 à 25. La section de divulgation du brevet indique la gamme de doses de floculant devant avoir un effet bénéfique.

[85]  On doit ainsi conclure que, bien que des doses conventionnelles de floculant ne parvenaient pas à résoudre le problème visé par l'invention, les doses suggérées dans le brevet, que l'on présume à l'extérieur de la gamme de doses conventionnelles, avaient l'effet escompté.

[86]  Ayant ainsi interprété la revendication 1 du brevet 581, la prochaine étape consiste à recenser les différences entre la revendication telle qu'interprétée et l'état de la technique sur lequel se fonde SNF. La Cour fédérale a fait remarquer dans ses motifs que SNF s'est fondée sur deux brevets ou sur une combinaison de ceux‑ci. En fait, la Cour fédérale a concentré son analyse sur le brevet de M. Gallagher. Il n'est pas surprenant que SNF se soit fondée sur le brevet de M. Gallagher, car ce brevet et le brevet 581 abordent tous deux le même problème à l'aide de la même catégorie de composés et appartiennent tous deux à Ciba. En fait, la Cour fédérale était de l'avis que le brevet 581 avait été rédigé en ayant le brevet de M. Gallagher à l'esprit : voir l'analyse de la Cour de la preuve de M. William Peatfield, l'agent des brevets qui a rédigé le brevet 581, aux paragraphes 40 à 49 des motifs.

[87]  Les enseignements du brevet de M. Gallagher sont décrits ainsi dans le brevet 581 :

[TRADUCTION]

Le brevet WO‑A‑0192167 [le brevet de M. Gallagher] divulgue un processus par lequel un fluide composé d'une suspension de particules solides est pompé sous forme liquide, puis laissé au repos pour qu'il se solidifie. La solidification est obtenue par l'introduction, dans la suspension, de particules d'un polymère hydrosoluble dont la viscosité intrinsèque est d'au moins 3 dl/g. Ce traitement permet à la substance de rester fluide pendant le transfert et de se solidifier une fois déposée. Ainsi, les solides concentrés peuvent facilement s'amonceler, ce qui réduit le plus possible la superficie nécessaire pour les résidus. [...] Nous soulignons l'importance d'utiliser des particules de polymère hydrosoluble et nous précisons que l'utilisation de solutions aqueuses du polymère dissous est inefficace.

Brevet 581, page 5, lignes 31 et 32, et page 6, lignes 1 à 11.

[88]  Pour faciliter la lecture, je reproduis la revendication 1 du brevet de M. Gallagher :

[TRADUCTION]

Procédé par lequel une matière formée d'un liquide aqueux et de particules solides dispersées est transférée sous forme liquide, puis laissée au repos pour qu'elle se solidifie. La solidification est améliorée, alors qu'on peut toujours transférer la matière, en ajoutant à la matière des particules de polymères avant ou pendant le transfert, les particules de polymères comprenant des polymères synthétiques hydrosolubles ayant une viscosité intrinsèque d'au moins 3 dl/g [...]

Brevet de M. Gallagher, à la page 23, lignes 2 à 10.

[89]  Comme on peut le constater, une grande partie de la revendication 1 du brevet 581 se retrouve dans le brevet de M. Gallagher. Plus précisément, le brevet de M. Gallagher enseigne le traitement d'une solution de particules dispersées par l'ajout en cours de transfert d'un polymère hydrosoluble. La solution traitée maintient sa fluidité durant le transfert, mais se solidifie après le dépôt.

[90]  Tant le brevet de M. Gallagher que le brevet 581 font référence à un seuil moins élevé pour la viscosité. Le brevet de M. Gallagher mentionne un seuil de 3 dl/g, tandis que le seuil dans le brevet 581 est de 5 dl/g. Cependant, dans les deux cas, la partie du mémoire descriptif portant sur la divulgation indique une gamme préférable pour la viscosité intrinsèque. Dans le brevet 581, cette gamme se situe de 8 à 25 dl/g, la préférence allant à une gamme de 11 ou 12 dl/g à 18 ou 20 dl/g. Le brevet de M. Gallagher mentionne une gamme allant de 8 à 20 dl/g, la préférence allant à une gamme de 11 ou 12 dl/g à 16 ou 17 dl/g. Je n'ai trouvé aucun élément de preuve étayant l'importance de cette différence entre les gammes.

[91]  Le brevet 581 diffère du brevet de M. Gallagher par les mentions d'un [TRADUCTION] « montant efficace » et d'une [TRADUCTION] « solution aqueuse d'un polymère hydrosoluble ».

[92]  La prochaine étape de l'analyse, l'étape 4, consiste à déterminer si ces différences pouvaient être franchies par une personne versée dans l'art à l'aide de ses seules connaissances générales courantes et l'état de la technique que cette personne pourrait trouver à la suite d'une recherche raisonnablement diligente. En bref, la personne versée dans l'art ayant le brevet de M. Gallagher, munie des seuls renseignements susmentionnés, pourrait‑elle parvenir, sans difficulté, à la conclusion qu'elle pourrait obtenir le résultat désiré en traitant les boues avec un « montant efficace » d'une « solution aqueuse d'un polymère hydrosoluble »?

[93]  On se souviendra que la Cour fédérale a déterminé que le traitement des boues à l'aide d'une solution aqueuse de polymères hydrosolubles faisait partie des connaissances générales courantes : voir les motifs, au paragraphe 186. Cette conclusion de fait signifie que, du point de vue de cette différence, la personne versée dans l'art aurait pu facilement franchir l'écart entre la revendication 1, telle qu'interprétée, et l'état de la technique (tel que l'indique le brevet de M. Gallagher), car les connaissances requises pour le faire faisaient partie des connaissances générales courantes. Par conséquent, ce volet de la revendication 1 était évident.

[94]  Cela laisse la question de l'utilisation d'un montant efficace d'une solution aqueuse d'un polymère hydrosoluble. À ce sujet, la Cour fédérale a tenu le raisonnement suivant :

La personne versée dans l'art serait passée directement et sans problème à l'étape consistant à utiliser le dosage minimum de polymère requis pour obtenir le degré souhaité de rigidification du dépôt de boue. Pour la personne versée dans l'art, c'est une affaire simple que de déterminer, entre autres, la nature du polymère, sa forme et son dosage, et son point d'ajout dans la conduite. Par conséquent, l'addition d'une quantité « efficace » est évidente, puisque la personne versée dans l'art continuerait d'ajouter le polymère nécessaire pour obtenir le résultat nécessaire et cesserait l'ajout une fois qu'il y aurait surdosage.

Motifs, au paragraphe 195.

[95]  Je souscris à ce raisonnement. La personne versée dans l'art, en utilisant ses connaissances générales courantes, aurait été en mesure de franchir cet écart entre la revendication telle qu'interprétée et l'antériorité citée (le brevet de M. Gallagher). La Cour fédérale a conclu que le fait que la floculation dépendait de la dose appliquée faisait partie des connaissances générales courantes : motifs, au paragraphe 185. Nulle inventivité n'est requise pour passer de cette connaissance à la connaissance que l'augmentation de la dose au‑delà de la dose conventionnelle donnerait en fin de compte le résultat voulu. Ainsi, l'invention revendiquée dans le brevet 581 est évidente.

[96]  Bien que cette conclusion soit suffisante pour régler la question de l'évidence, la Cour fédérale a ensuite poursuivi en abordant le critère de « l'essai allant de soi » adopté par la Cour suprême dans Plavix. À mon sens, la Cour fédérale n'avait pas à effectuer cet exercice. La conclusion voulant que la personne versée dans l'art aurait su utiliser une solution aqueuse de polymère hydrosoluble, puis ajuster la dose jusqu'à l'obtention du résultat désiré, signifie que la question de « l'essai allant de soi » ne se posait pas, ou avait déjà été réglée. Ainsi, même si Ciba a raison en soutenant que la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant le critère de « l'essai allant de soi », ce n'est pas pour les raisons qu'elle avance.

[97]  En définitive, la revendication 1 est évidente et, puisque toutes les autres revendications en découlent, directement ou indirectement, le brevet 581 est invalide.

CONCLUSION

[98]  Par conséquent, je rejetterais l'appel avec dépens.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »


LA JUGE WOODS (Motifs concordants)

[99]  J'ai lu les motifs des juges majoritaires, bien rédigés par le juge Pelletier, et je partage l'avis de mes collègues quant au rejet de l'appel. Je souscris aussi aux motifs, exception faite que je refuserais de me prononcer sur la question abordée aux paragraphes 51 à 63 qui précèdent. Cette partie de l'analyse porte sur l'effet de l'article 28.3 de la Loi sur la détermination de l'évidence.

[100]  À mon sens, il est préférable de remettre cette analyse à plus tard, comme ce fut le cas dans E. Mishan & Sons, Inc. c. Supertek Canada Inc., 2015 CAF 163, au paragraphe 21. Cette question serait mieux traitée lorsqu'elle sera déterminante d'un appel et lorsque la Cour bénéficiera des observations complètes des avocats à ce sujet, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

« Judith M. Woods »

j.c.a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-479-15

Appel d'un jugement rendu par le juge Phelan le 5 octobre 2015, dossier T‑1749‑11.

INTITULÉ :

CIBA SPECIALTY CHEMICALS WATER TREATMENTS LIMITED c. SNF INC.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 14 février 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

 

MOTIFS CONCORDANTS :

LA JUGE WOODS

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 17 novembre 2017

COMPARUTIONS :

Scott Jolliffe

Kevin Sartorio

 

Pour l'appelantE

CIBA SPECIALTY CHEMICALS WATER TREATMENTS LIMITED

 

Ronald Dimock

Michael Crinson

Pour l'intimée

SNF INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING WLG (CANADA) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l'appelantE

CIBA SPECIALTY CHEMICALS WATER TREATMENTS LIMITED

 

DIMOCK STRATTON LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l'intimée

SNF INC.

 

 

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