Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20171201


Dossier : A-174-16

Référence : 2017 CAF 236

[traduction française]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

LE TORONTO REAL ESTATE BOARD

appelant

et

LE COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

intimé

et

L’Association canadienne de l’immeuble

intervenante

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 5 décembre 2016.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR


Date : 20171201


Dossier : A-174-16

Référence : 2017 CAF 236

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE NEAR

LE JUGE RENNIE

 

ENTRE :

LE TORONTO REAL ESTATE BOARD

appelant

et

LE COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE

intimé

et

L’ASSOCIATION CANADIENNE DE L’IMMEUBLE

intervenante

MOTIFS DU JUGEMENT

Les juges NADON et RENNIE

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’un appel formé en vertu de la loi à l’encontre de deux décisions du Tribunal de la concurrence (le Tribunal), qui a conclu que certaines pratiques de communication de renseignements du Toronto Real Estate Board (TREB) empêchaient sensiblement la concurrence dans l’offre de services de courtage immobilier résidentiel dans la région du Grand Toronto (RGT) (Le commissaire de la concurrence c. Le Toronto Real Estate Board, 2016 Trib. conc. 7 (motifs du Tribunal, MT) et Le commissaire de la concurrence c. Le Toronto Real Estate Board, 2016 Trib. con. 8 (l’ordonnance)).

[2]  Le TREB tient une base de données sur les inscriptions d’immeubles résidentiels à vendre ou qui l’étaient dans la RGT. Le TREB transmet certaines de ces données à ses membres par voie électronique, qu’ils peuvent ensuite charger dans leurs sites Web. Toutefois, d’autres données ne sont pas transmises par voie électronique et ne peuvent être vues et distribuées qu’au moyen de canaux plus traditionnels. Le commissaire de la concurrence affirme que cette situation désavantage les courtiers innovateurs qui préféreraient établir des bureaux virtuels et empêche ou diminue sensiblement la concurrence, ce qu’interdit le paragraphe 79(1) de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34. Le TREB déclare que les restrictions n’ont pas pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. En outre, le TREB soutient que les restrictions ont été adoptées par souci pour la protection des renseignements personnels et que les clients de ses courtiers n’ont pas consenti à une telle communication de leurs renseignements. Le TREB invoque aussi le droit d’auteur sur la base de données, qu’il a compilée, et rappelle qu’aux termes du paragraphe 79(5) de la Loi sur la concurrence, la revendication d’un droit de propriété intellectuelle ne constitue pas un agissement anti-concurrentiel.

[3]  Pour les motifs exposés ci-après, nous sommes d’avis de rejeter l’appel.

II.  Faits et historique procédural

[4]  Le TREB, appelant en l’espèce, est une société à but non lucratif constituée en vertu des lois de l’Ontario. Comptant environ 46 000 membres, le TREB est la chambre immobilière la plus importante au Canada. Le TREB lui-même n’est pas autorisé à effectuer des opérations immobilières et ne le fait pas.

[5]  Le TREB gère un système en ligne qui recueille et distribue des renseignements immobiliers à ses membres. Ce service interagences, ou système MLS, n’est pas accessible au grand public. Il comporte en partie une base de données (la base de données MLS) contenant des renseignements sur les propriétés, notamment l’adresse, le prix demandé, des photographies intérieures et extérieures, le temps écoulé avant la vente ainsi que l’état de l’inscription, par exemple si elle a été retirée ou a expiré. Les renseignements y sont consignés par les courtiers membres du TREB et sont affichés presque instantanément dans la base de données MLS. Certains champs sont obligatoires et d’autres sont facultatifs. La base de données MLS contient à la fois des inscriptions actives et des inscriptions inactives archivées depuis 1986. Les membres du TREB ont pleinement accès à la base de données en tout temps.

[6]  De nombreux courtiers offrent sur leur site Web une page appelée « bureau virtuel sur Internet » (BVI), à laquelle leurs clients peuvent se connecter pour obtenir des renseignements. Les données du TREB sont transmises par voie électronique aux courtiers afin d’alimenter ces sections de leur site Web. Il est important de noter que certains renseignements de la base de données MLS ne sont pas inclus dans cette transmission électronique. Certaines données sont exclues (les « données en litige »). Toutefois, la politique du TREB relative aux BVI ne restreint pas la façon dont les membres peuvent communiquer les données en litige à leurs clients par d’autres voies. Par conséquent, certains renseignements ne peuvent être communiqués aux clients par un BVI, mais peuvent l’être par d’autres méthodes, notamment de vive voix, par courriel ou par télécopieur.

[7]  En mai 2011, le commissaire a présenté une première demande au Tribunal, en vertu du paragraphe 79(1) de la Loi sur la concurrence, en vue d’obtenir une ordonnance interdisant certains actes du TREB liés à la distribution restrictive des données numérisées. Selon le commissaire, les politiques du TREB excluaient, empêchaient ou entravaient l’émergence d’offres de services ou de modèles commerciaux novateurs en matière de courtage immobilier résidentiel dans la RGT.

[8]  En avril 2013, le Tribunal a rejeté la demande du commissaire, concluant que les dispositions relatives à l’abus de position dominante de la Loi sur la concurrence ne pouvaient pas s’appliquer au TREB puisque, en tant qu’organisation professionnelle, il n’entrait pas en concurrence avec ses membres (Le commissaire de la concurrence c. Le Toronto Real Estate Board, 2013 CACT 9). Toutefois, en février 2014, notre Cour a annulé l’ordonnance du Tribunal et lui a renvoyé l’affaire pour qu’il procède à un nouvel examen, concluant que le paragraphe 79(1) de la Loi sur la concurrence pouvait s’appliquer au TREB (Commissaire de la concurrence c. Toronto Real Estate Board, 2014 CAF 29, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 35799 (24 juillet 2014) (TREB CAF 1)).

[9]  L’affaire a été réexaminée par une formation différente du Tribunal à l’automne 2015. Le 27 avril 2016, le Tribunal a tranché sur le fond et rendu une ordonnance accueillant, en partie, la demande du commissaire (The Commissioner of Competition v. The Toronto Real Estate Board, 2016 CACT 7). La question de la réparation a fait l’objet d’une autre audience et d’une ordonnance du Tribunal, le 3 juin 2016 (The Commissioner of Competition v. The Toronto Real Estate Board, 2016 CACT 8). Ces deux décisions sont en appel devant nous.

[10]  L’intervenante en l’espèce est l’Association canadienne de l’immeuble (ACI), une organisation nationale représentant l’industrie de l’immobilier au Canada. Le TREB est un membre de l’ACI, qui est propriétaire des marques de commerce MLS. Le système MLS est exploité par les chambres immobilières locales (en l’occurrence le TREB) en vertu de licences accordées par l’ACI.

III.  La décision du Tribunal

[11]  Le Tribunal a d’abord traité la question de l’abus de position dominante en définissant le marché pertinent ainsi : « la prestation de services de courtage immobilier résidentiel fondés sur le SIA dans la RGT » (MT, par. 161). Le Tribunal a ensuite abordé le critère à trois volets, énoncé au paragraphe 79(1) de la Loi sur la concurrence. Par souci de commodité, nous reproduisons ci-après la disposition en question :

Ordonnance d’interdiction dans les cas d’abus de position dominante

Prohibition where abuse of dominant position

79 (1) Lorsque, à la suite d’une demande du commissaire, il conclut à l’existence de la situation suivante :

79 (1) Where, on application by the Commissioner, the Tribunal finds that

a) une ou plusieurs personnes contrôlent sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises à la grandeur du Canada ou d’une de ses régions;

(a) one or more persons substantially or completely control, throughout Canada or any area thereof, a class or species of business,

b) cette personne ou ces personnes se livrent ou se sont livrées à une pratique d’agissements anticoncurrentiels;

(b) that person or those persons have engaged in or are engaging in a practice of anti-competitive acts, and

c) la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché,

(c) the practice has had, is having or is likely to have the effect of preventing or lessening competition substantially in a market,

le Tribunal peut rendre une ordonnance interdisant à ces personnes ou à l’une ou l’autre d’entre elles de se livrer à une telle pratique.

the Tribunal may make an order prohibiting all or any of those persons from engaging in that practice.

[12]  Le Tribunal a conclu que, puisque le TREB « contrôle sensiblement ou complètement la prestation de services de courtage immobilier résidentiel fondés sur la SIA dans la RGT », les conditions de l’alinéa 79(1)a) étaient remplies (MT, par. 162).

[13]  En ce qui a trait à l’alinéa 79(1)b), le Tribunal a conclu que le TREB s’était livré et continuait de se livrer à une pratique d’agissements anti-concurrentiels (MT, par. 454). TREB a déclaré que ses agissements étaient motivés par le souci de la protection des renseignements personnels des acquéreurs et vendeurs de propriétés. Il s’agissait d’une justification commerciale légitime des restrictions imposées à l’égard des BVI, qu’il fallait mettre en balance avec la preuve d’une intention anti-concurrentielle (MT, par. 21, 285-287, 321).

[14]  Dans ce contexte, le Tribunal a conclu que le souci de protection des renseignements personnels allégué n’était pas convaincant. Nous y reviendrons. À ce stade, il suffit de dire qu’au vu du dossier qui avait été présenté au Tribunal, peu d’éléments démontraient que le comité des BVI du TREB s’était soucié de la protection des renseignements personnels ou pris des mesures à cet égard avant d’établir sa Politique relative aux BVI (MT, par. 321, 360, 390).

[15]  En ce qui concerne l’alinéa 79(1)c), le Tribunal a conclu que les restrictions liées aux BVI empêchaient sensiblement la concurrence dans le marché. Après avoir décrit ce volet du critère (MT, par. 456-483), le Tribunal a opté pour une analyse de l’absence hypothétique, comparant le monde réel à un monde hypothétique dépourvu de restrictions liées aux BVI. Par conséquent, de l’avis du Tribunal, il incombait au commissaire de présenter des éléments de preuve pour démontrer « une différence notable entre le niveau de concurrence réel ou vraisemblable sur le marché pertinent si la pratique reprochée est appliquée, et le niveau de concurrence qui aurait vraisemblablement existé en l’absence de cette pratique» (MT, par. 482).

[16]  En décrivant le critère applicable, le Tribunal a souligné que le commissaire pouvait présenter des éléments de preuve quantitatifs ou qualitatifs, ou les deux, pour s’acquitter du fardeau de la preuve. Étant donné l’avis du Tribunal selon lequel « la concurrence dynamique est plus difficile à mesurer et à quantifier », il se peut que le commissaire doive s’appuyer davantage sur des éléments de preuve qualitatifs. C’est notamment le cas dans les affaires portant sur l’innovation. Toutefois, le Tribunal a également reconnu « qu’il pourrait être plus difficile pour le commissaire de s’acquitter de ce fardeau lorsqu’il se fonde en grande partie sur des preuves qualitatives » (MT, par. 471, 470).

[17]  Après avoir examiné les observations des parties sur la preuve de diminution de la concurrence (MT, par. 484-499), le Tribunal a fait remarquer « qu’il y a un niveau élevé de concurrence sur le marché pertinent, comme le démontrent le taux élevé d’entrée et de sortie, le degré élevé de remise concernant les commissions nettes et un niveau important d’innovation technologique continue et autre qui touche notamment la qualité, la variété ainsi que les modèles de partage de données sur Internet » (MT, par. 501).

[18]  Néanmoins, après avoir analysé la situation n’eût été les restrictions liées aux BVI, le Tribunal a conclu qu’elles empêchaient la concurrence de cinq façons : en multipliant les obstacles à l’entrée et à la participation accrue, en augmentant les coûts imposés aux BVI, en réduisant l’éventail des services de courtage dans le marché, en réduisant la qualité de l’offre de services de courtage et en freinant l’innovation (MT, par. 505-619).

[19]  Toutefois, le Tribunal a conclu que le commissaire n’avait pas été en mesure de prouver que les restrictions liées aux BVI empêchaient la concurrence de trois autres manières : en réduisant la pression à la baisse sur les taux de commission des courtiers, en réduisant les ventes et en encourageant les courtiers à éloigner les clients des opérations non rentables (MT, par. 620-638).

[20]  Après avoir conclu que les restrictions liées aux BVI empêchaient la concurrence de cinq façons, le Tribunal s’est demandé si elles l’empêchaient sensiblement. Examinant d’abord l’importance et la portée de ces effets, le Tribunal a énoncé ainsi la question : « savoir si un plus grand nombre de clients est susceptible de faire appel aux services des maisons de courtage dotées d’un BV fournissant des renseignements complets en tant que maison de courtage immobilier, n’eût été l’incidence générale des trois éléments de la pratique d’agissements anti-concurrentiels imposée par le TREB » s’ils avaient été en mesure d’afficher les données en litige ? (MT, par. 646) (emphase dans l’original).

[21]  Selon le TREB, à défaut d’une conversion de visiteurs en clients, la popularité d’un site Web n’était guère pertinente (MT, par. 645, 648). Toutefois, le Tribunal a conclu que l’innovation d’un site Web pouvait aussi être pertinente si elle encourageait d’autres concurrents à faire concurrence (MT, par. 649).

[22]  Après avoir noté que le commissaire n’avait pas effectué d’évaluation empirique comparant les marchés locaux où les renseignements sur le prix de vente (le prix de vente final d’une propriété) étaient à la disposition des BVI à d’autres marchés locaux où les BVI ne disposaient pas de ce type de renseignements, le Tribunal a refusé de tirer la conclusion défavorable à l’endroit du commissaire que le TREB l’exhortait à tirer. Le Tribunal a fait la remarque suivante « la loi confère des pouvoirs au commissaire et que celui-ci doit, en tout temps, faire preuve de prudence et prendre des décisions difficiles concernant l’allocation des fonds publics limités pour l’application et l’exécution de la Loi » (MT, par. 656).

[23]  En refusant de tirer la conclusion défavorable souhaitée par le TREB, le Tribunal a également tenu compte de l’avis de l’expert du commissaire, M. Vistnes, selon qui une évaluation empirique serait coûteuse, difficile et d’une utilité limitée. Quoi qu’il en soit, le Tribunal a indiqué clairement qu’il incombait toujours au commissaire de prouver les éléments requis de sa demande, une tâche susceptible «  qui pourrait bien s’avérer une tâche plus difficile en l’absence d’une preuve quantitative » (MT, par. 656).

[24]  Le Tribunal a également indiqué qu’il était prêt à tirer une conclusion défavorable au commissaire relativement à la déposition de deux de ses témoins, à savoir MM. Nagel et McMullin, dont les maisons de courtage (Redfin Corporation et Viewpoint Realty Services Inc. respectivement) faisaient affaire dans des régions où les données en litige sont communiquées et dans d’autres régions où elles ne le sont pas (en Nouvelle-Écosse et dans certaines parties des États-Unis). Puisque ni l’un ni l’autre témoin n’a abordé ces autres marchés, le Tribunal a inféré que les taux de conversion de leurs sites Web n’amèneraient pas d’eau au moulin du commissaire. Cependant, le Tribunal a ensuite fait remarquer qu’il ne donnerait pas beaucoup de poids à cette inférence en raison de l’avis de M. Vistnes selon lequel les faibles taux de conversion pouvaient découler de différences locales dans les marchés pertinents.

[25]  Le Tribunal a aussi indiqué que « même une comparaison limitée entre un marché américain local où des renseignements sur les propriétés vendues sont disponibles et un marché américain local où de tels renseignements ne le sont pas aurait pu avoir une certaine utilité », ajoutant que le même commentaire s’appliquait à la Nouvelle-Écosse en ce qui concerne les prix consignés avant conclusion de l’acte de vente. Le Tribunal a aussi souligné que l’absence d’une telle comparaison lui compliquait beaucoup l’analyse de l’effet sensible qu’appelle l’alinéa 79(1)c). Le Tribunal a conclu en affirmant que l’absence d’une telle comparaison rendait le litige beaucoup moins évident qu’il aurait pu l’être (MT, par. 658).

[26]  Toutefois, le Tribunal a souligné le peu de poids qu’il avait accordé aux faibles taux de conversion :

[662] Le Tribunal n’accorde pas trop d’importance au fait que le faible taux de transformation des maisons de courtage, telles que ViewPoint, Redfin et TheRedPin, démontre que de nombreux consommateurs traitent évidemment les renseignements disponibles sur leurs sites Web comme étant des compléments aux renseignements disponibles auprès de la maison de courtage (différente) dont ils retiendront ultimement les services pour inscrire ou pour acheter leur propriété résidentielle. Il n’en demeure pas moins que les outils innovateurs, les caractéristiques et les autres services disponibles sur ces sites Web les aident à faire concurrence, et forcent les maisons de courtage traditionnelles à réagir.

Autrement dit, si nous comprenons bien, le Tribunal n’était pas disposé, dans les faits, à accorder du poids au fait que les taux de conversion de ViewPoint, Redfin et TheRedPin n’étaient pas importants. Toutefois, plus loin dans ses motifs, le Tribunal constate que si les données en litige avaient été à la disposition de ces sociétés dans la RGT, elles auraient probablement réussi à convertir « un nombre de plus en plus important d’utilisateurs de leurs sites Web ». Nous citons ci-après le paragraphe 676 :

[676] Le Tribunal conclut que la possibilité d’obtenir dans le flux de données des BV des renseignements sur le prix de vente et de travailler à leur gré avec ces données, permettrait probablement aux BV fournissant des renseignements complets, notamment ViewPoint et les autres maisons de courtage comme TheRedPin qui souhaiteraient devenir des BV fournissant des renseignements complets, de transformer en clients un nombre de plus en plus important d’utilisateurs de leurs sites Web.

[27]  Ensuite, en ce qui a trait à la preuve qualitative, le Tribunal a fait six observations fondées sur les éléments de preuve présentés au nom du commissaire.

[666] Premièrement […] les données en litige sont très importantes, voire cruciales, pour ce qui est de permettre aux maisons de courtage faisant affaire sur Internet de se démarquer des maisons de courtage traditionnelles. […].

[667] Deuxièmement, les acheteurs et les vendeurs de propriétés résidentielles apprécient de pouvoir obtenir des renseignements sur le prix de vente des propriétés, les propriétés dans le marché faisant l’objet d’une vente conditionnelle, les renseignements sur les propriétés dont la vente n’est pas conclue, les inscriptions REST et les commissions des courtiers collaborateurs avant de rencontrer leur courtier/agent, ou, en tout état de cause, avant d’établir de façon définitive le prix de vente de leurs propriétés ou de faire une offre sur une propriété résidentielle.

[668] Troisièmement, l’incapacité d’afficher et d’utiliser les données en litige afin de créer des produits novateurs a empêché, et empêchera probablement, ViewPoint d’entrer dans le marché pertinent. Cela a également empêché Realosophy et TheRedPin de croître autant qu’elles auraient probablement pu, et cela continuera probablement de les empêcher de croître autant qu’elles le pourraient […] cela a également empêché Sam & Andy de prendre de l’expansion dans le marché pertinent et empêché les clients de leurs maisons de courtage de prendre également de l’expansion.

[669] Quatrièmement, ViewPoint, Realosophy et TheRedPin sont des maisons de courtage faisant affaire sur Internet qui, dans l’ensemble, auraient probablement introduit une gamme beaucoup plus large de services de courtage, auraient amélioré la qualité de certains services importants (comme les ACM), auraient profité de la réduction des coûts d’exploitation et auraient accru sensiblement le niveau global d’innovation dans le marché pertinent, n’eût été les restrictions relatives aux BV. […]

[670] Cinquièmement, les restrictions relatives aux BV ont érigé des obstacles à l’entrée et à la croissance des maisons de courtage novatrices dans le marché pertinent. […]

[…]

[672] Sixièmement, les restrictions relatives aux BV ont freiné l’innovation dans l’offre de services de courtage immobilier résidentiel basés sur Internet dans la RGT.

[28]  Le Tribunal a ensuite abordé l’importance des données en litige pour les courtiers et les consommateurs. Il a conclu que les données sur les prix de vente, les prix consignés avant conclusion de l’acte de vente et pour vente conditionnelle, et sur les inscriptions retirées, expirées, suspendues ou annulées étaient considérées comme utiles par les acquéreurs et les vendeurs de biens immobiliers (MT, par. 675-685). Selon le Tribunal, communiquer le montant des commissions des courtiers collaborateurs accroîtrait aussi la transparence dans le marché et permettrait aux courtiers de se démarquer en offrant plus de renseignements (MT, par. 686-690).

[29]  Le Tribunal a ensuite examiné les arguments contraires à ses conclusions, reproduites plus haut. Il n’a pas jugé important que certains exploitants de BVI en Nouvelle-Écosse, où il n’y a pas de restrictions à cet égard, aient abandonné leurs BVI (MT, par. 693) et que, selon les statistiques émanant de la National Association of Realtors aux États-Unis, les clients n’accordaient pas une grande valeur aux données en litige (MT, par. 694-696). Le Tribunal a fait remarquer qu’aux États-Unis, où le prix de vente est « affiché par des sites Web concurrents », la National Association of Realtors avait commencé à afficher le prix de vente sur ce qui semblait être son site Web officiel (MT, par. 700). En outre, le Tribunal était convaincu que, si les courtiers affichaient les données en litige lorsqu’ils étaient autorisés à le faire c’est que cette information avait de la valeur pour les acquéreurs d’un bien immobilier, car ils ne le feraient pas autrement (MT, par. 701).

[30]  Le Tribunal a formulé ainsi sa conclusion sur l’ampleur de l’effet des restrictions liées aux BVI sur la concurrence :

[702] Pour les motifs énoncés ci-dessus, le Tribunal conclut que les restrictions relatives aux BV ont nui à la concurrence hors prix dans le marché pertinent de façon importante. En effet, le Tribunal conclut que l’incidence négative globale des restrictions relatives aux BV sur la concurrence hors prix a été substantielle, compte tenu de l’effet négatif considérable sur la gamme des services de courtage, de l’effet négatif sur la qualité des offres de service et de l’incidence négative considérable sur l’innovation dans le marché pertinent. En l’absence d’une ordonnance, cette incidence négative substantielle risque de continuer. Le Tribunal a tiré cette conclusion malgré le fait que la preuve quantitative sur les taux de commission n’indique pas que les commissions nettes pour les services de courtage immobilier étaient, sont ou seraient vraisemblablement nettement plus élevées qu’en l’absence des restrictions relatives aux BV.

(Non souligné dans l’original.)

[31]  Ensuite, au sujet de la durée et de la portée des effets, le Tribunal a conclu que, puisque les restrictions liées aux BVI étaient en place depuis 2011, leur durée était importante. De même, comme les effets ont été ressentis dans toute la RGT, une partie importante du marché a été touchée (MT, par. 703-704).

[32]  Par conséquent, le Tribunal a conclu que les trois éléments du paragraphe 79(1) étaient réunis et que les restrictions liées aux BVI empêchaient sensiblement la concurrence des services de courtage immobilier résidentiel dans la RGT. Aux paragraphes 705 à 715 de ses motifs, le Tribunal résume ses conclusions sur les trois éléments de la disposition.

[33]  En ce qui a trait au droit d’auteur, le Tribunal a conclu que le TREB n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer un droit d’auteur sur la base de données MLS. Un droit d’auteur sur une base de données existe lorsque « le choix ou […] l’arrangement […] [des] données » est original (MT, par. 732). Le Tribunal était d’avis que la preuve déposée par le TREB démontrait, non pas l’exercice de talent et de jugement dans la compilation de la base de données, mais plutôt un exercice de nature mécanique. Le Tribunal a souligné de nombreux faits, dont les suivants : le TREB n’a convoqué personne pour témoigner sur l’agencement des données; un tiers corrige les erreurs dans la base de données; des contrats évoquant un droit d’auteur ne constituent pas une preuve de l’existence d’un tel droit; les membres fournissent les données qui sont téléchargées « presque instantanément » dans la base de données; la base de données du TREB est conforme aux normes du secteur pancanadiennes et la création de règles sur l’exactitude et la qualité de l’information ne témoigne pas de l’originalité de l’œuvre (MT, par. 737).

[34]  Subsidiairement, le Tribunal était d’avis que, même si le TREB avait un droit d’auteur sur la base de données, il ne bénéficierait pas de la protection garantie par le paragraphe 79(5) puisque les agissements du TREB ne résultaient pas « du seul fait de l’exercice » de ses droits en matière de propriété intellectuelle (MT, par. 720-721, 746-758).

IV.  Les questions en litige

[35]  Pour statuer dans l’appel, nous devons trancher les trois questions suivantes :

  1. Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que le TREB avait sensiblement diminué la concurrence, au sens où il faut l’entendre pour l’application du paragraphe 79(1) de la Loi sur la concurrence?

  2. Le Tribunal a-t-il commis une erreur en ne reconnaissant pas que le souci ou les obligations légales du TREB à l’égard de la protection des renseignements personnels constituaient une justification commerciale dont il peut être tenu compte dans l’analyse qu’appelle l’alinéa 79(1)b)?

  3. Le paragraphe 79(5) de la Loi sur la concurrence empêche-t-il le TREB et l’ACI d’invoquer un droit d’auteur sur la base de données MLS? Sinon, le Tribunal a-t-il commis une erreur dans son examen du droit d’auteur invoqué par le TREB?

V.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[36]  Avant de répondre aux trois questions, quelques mots s’imposent sur la norme de contrôle.

[37]  La loi prévoit un droit d’appel des décisions du Tribunal devant notre Cour. Le paragraphe 13(1) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. 1985, ch. 19 (2e suppl.), dispose que les décisions ou ordonnances du Tribunal sont susceptibles d’appel « tout comme s’il s’agissait de jugements de la Cour fédérale ». Dans l’affaire Tervita Corporation c. Commissaire de la concurrence, 2013 CAF 28, [2014] 2 R.C.F. 352 (Tervita CAF), la Cour affirme que les questions de droit émanant des décisions du Tribunal sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (MT, par. 53-59; voir également Canada (Commissaire de la concurrence) c. Supérieur Propane Inc., 2001 CAF 104, par. 88, [2001] 3 C.F. 185). Cette décision a été confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tervita Corp. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, [2015] 1 R.C.S. 161 (Tervita CSC).

[38]  Quant aux questions mixtes de fait et de droit, la Cour suprême dans l’arrêt Tervita CSC confirme aussi la conclusion de notre Cour dans Tervita CAF que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. Pour ce qui est des questions de fait, l’appel est subordonné à l’autorisation de la Cour (Loi sur le Tribunal de la concurrence, par. 13(2)). En l’espèce, aucune autorisation n’a été demandée et, par conséquent, nous ne pouvons pas modifier les conclusions de fait tirées par le Tribunal (voir CarGurus, Inc. c. Trader Corporation, 2017 CAF 181, par. 17; Nadeau Ferme Avicole Limitée c. Groupe Westco Inc., 2011 CAF 188, par. 47 (Nadeau Ferme Avicole)).

B.  Diminution sensible de la concurrence

(1)  Observations du TREB et de l’ACI

[39]  Le TREB soutient que le Tribunal a commis une erreur en concluant qu’il avait été satisfait au critère énoncé au paragraphe 79(1) de la Loi sur la concurrence. Le TREB est d’avis qu’il incombait au commissaire de prouver chaque élément du critère et qu’il ne s’était acquitté de ce fardeau pour aucun des trois éléments.

[40]  Le TREB affirme que, puisqu’il ne contrôle pas le marché pertinent, il n’est pas satisfait à l’alinéa 79(1)a).

[41]  Le TREB soutient qu’il n’avait pas agi dans un dessein anti-concurrentiel, ce qu’il faut démontrer. Par conséquent, le Tribunal a conclu à tort qu’il avait été satisfait à l’alinéa 79(1)b). Selon le TREB, la politique relative aux BVI avait pour but de permettre à ses membres d’offrir des BVI et d’attirer ainsi davantage d’acquéreurs potentiels. L’exclusion de certaines données de la transmission électronique était justifiée par des soucis légitimes de protection des renseignements personnels.

[42]  En ce qui concerne l’alinéa 79(1)c), le TREB fait valoir que le Tribunal a eu tort d’accepter des éléments de preuve qualitatifs hypothétiques. De réels éléments de preuve quantitatifs étaient à la disposition du commissaire, qui aurait dû les présenter. Cette omission aurait dû amener le Tribunal à tirer une conclusion défavorable à son endroit. L’ACI, intervenante en l’espèce, souscrit aux observations du TREB sur ces trois points.

[43]  L’ACI prétend en outre que le Tribunal a négligé dans les faits le volet relatif à un effet sensible du critère énoncé au paragraphe 79(1). L’ACI est d’avis que les déclarations des courtiers ne permettent pas de démontrer que l’accès aux données en litige aurait pour effet d’augmenter sensiblement la concurrence. Certes, l’accès aux données en litige pourrait aider les courtiers à améliorer leurs services, mais il ne s’agit pas d’un avantage favorisant la concurrence. L’ACI souligne d’autres éléments de preuve qui, selon elle, démontrent que les courtiers qui utilisent la transmission électronique directe aux BVI dans sa forme actuelle sont tout aussi concurrentiels, voire plus, que ceux qui ont à leur portée davantage de données. En outre, l’ACI affirme que rien ne démontre que la réussite d’un courtier est subordonnée à la communication de données supplémentaires.

(2)  Les observations du commissaire

[44]  Le commissaire affirme que les politiques du TREB concernant les données en litige prévoient au moins trois agissements qui constituent une pratique anti-concurrentielle. Le Tribunal les reproduit au paragraphe 320 de ses motifs :

i.  L’exclusion des données en litige du flux de données des BV fourni par le TREB;

ii.  Les dispositions de la politique et des règles sur les BV établies par le TREB qui empêchent les membres qui veulent fournir des services par l’intermédiaire d’un BV d’utiliser l’information incluse dans le flux de données des BV pour toutes fins autres que l’affichage sur un site Web;

iii.  Le fait d’interdire aux membres du TREB d’afficher certaines informations sur leurs BV, y compris les données en litige […]. Cette interdiction est renforcée par les modalités de l’Entente relative aux flux de données fourni par le TREB qui limite l’utilisation des données du SIA dans le flux de données des BV à une fin qui est plus étroite que la disposition correspondante dans l’EUA [l’entente de l’utilisateur autorisé] qui s’applique aux membres utilisant le système Stratus.[…].

[45]  Autrement dit, selon le commissaire, il est anti-concurrentiel d’interdire la distribution des données en litige au moyen de la transmission électronique directe.

[46]  Le commissaire soutient en outre que l’analyse de l’alinéa 79(1)b) par le Tribunal est raisonnable, emporte la déférence et est étayée par la preuve. Le Tribunal a appliqué le critère juridique approprié, et sa conclusion sur la raison d’être des restrictions relatives aux BVI établies par le TREB est une conclusion de fait. Elle échappe donc à la portée du présent appel. Subsidiairement, de l’avis du commissaire, la conclusion tirée par le Tribunal sur ce point était raisonnable au vu des faits. Le Tribunal a examiné la preuve dans son ensemble et a décidé que, bien que des réserves à l’égard de la protection des renseignements personnels aient été soulevées aux réunions du groupe de travail sur les BVI du TREB, elles ne constituaient pas la principale motivation. En outre, cette conclusion reposait sur une évaluation de la crédibilité du témoignage de M. Richardson, le PDG de TREB, une conclusion qui commande la déférence.

[47]  Le commissaire est d’avis que le Tribunal a également appliqué le bon critère juridique à l’analyse portant sur l’alinéa 79(1)c). Selon lui, le TREB et l’ACI font un exposé erroné du droit en affirmant qu’il devait fournir des éléments de preuve quantitatifs pour démontrer qu’on avait diminué ou empêché sensiblement la concurrence. Selon le commissaire, un tel argument n’est pas étayé par la jurisprudence. Le commissaire établit une distinction d’avec l’arrêt Tervita CSC, dans lequel la Cour suprême juge la quantification nécessaire à l’analyse du critère relatif au fusionnement énoncé à un autre article de la Loi sur la concurrence, à savoir le paragraphe 96(1). En effet, selon le commissaire, les effets autres que sur les prix comme ceux sur la qualité du service, l’éventail des produits et l’innovation ne se prêtent pas à une quantification. Le commissaire soutient que le TREB et l’ACI font valoir en fait qu’il est tenu en droit de quantifier la diminution ou l’empêchement de la concurrence. De plus, le commissaire indique que le refus du Tribunal de tirer une conclusion défavorable à son endroit sur ce point emporte la déférence.

(3)  Le cadre applicable à l’abus de position dominante

[48]  Le paragraphe 79(1), reproduit au paragraphe 11 plus haut, énonce les trois éléments qui permettent de démontrer un abus de position dominante. Il incombe au commissaire d’établir chacun de ces éléments (Canada (Commissaire de la concurrence) c. Tuyauteries Canada Ltée., 2006 CAF 233, par. 46, [2007] 2 R.C.F. 3, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 31637 (10 mai 2007) (Tuyauteries Canada)). La norme de preuve applicable aux trois éléments est celle de la prépondérance des probabilités (idem, par. 46; MT, par. 34).

[49]  Une fois que le commissaire a établi chaque élément du paragraphe 79(1), la personne faisant l’objet des instances intentées par le commissaire, en l’occurrence le TREB, peut éviter les sanctions si elle démontre que la pratique contestée relève d’une des exceptions que prévoit la loi. En l’espèce, seul est pertinent le paragraphe 79(5) de la Loi sur la concurrence, qui dispose qu’ « un agissement résultant du seul fait de l’exercice de quelque droit ou de la jouissance de quelque intérêt » découlant de certaines lois relatives à la propriété intellectuelle ou industrielle, dont la Loi sur le droit d’auteur (L.R.C. 1985, ch. C-42, ne constitue pas un agissement anti-concurrentiel.

[50]  Dans ses observations écrites, le TREB affirme qu’il [traduction] « ne contrôle pas le(s) marché(s) pertinent(s) » (mémoire des faits et du droit du TREB, par. 66). Il n’en dit pas plus. Puisque les principaux arguments du TREB portent manifestement sur les alinéas 79(1)b) et c), nous poursuivons notre examen approfondi de leurs prescriptions.

(4)  Alinéa 79(1)b)

[51]  Il faut démontrer, aux termes de l’alinéa 79(1)b), que la personne ou les personnes « se livrent ou se sont livrées à une pratique d’agissements anti-concurrentiels ». Il est acquis aux débats que les politiques relatives aux BVI du TREB constituent une pratique. L’article 78 de la Loi sur la concurrence énumère des agissements anti-concurrentiels. Aucun d’eux n’intéresse directement le présent appel. Toutefois, cette liste n’est pas exhaustive.

[52]  La Cour dans l’affaire Tuyauteries Canada conclut qu’un agissement anti-concurrentiel se définit par rapport à son objet. S’inspirant de la décision du Tribunal dans Canada (Director of Investigation and Research) v. NutraSweet Co. (1990) 32 C.P.R. (3d) 1 (Trib. Conc.) (NutraSweet), la Cour déclare que l’objet à démontrer est « un effet négatif intentionnel sur un concurrent, qui doit être abusif, ou viser une exclusion ou une mise au pas » (Tuyauteries Canada, par. 66 et 74. Voir également NutraSweet, p. 34).

[53]  Précisons que le Tribunal, dans l’affaire NutraSweet, a souligné que « le but commun à tous ces agissements [énumérés à l’article 78], sauf celui de l’alinéa 78(1)f), est l’effet négatif intentionnel sur un concurrent et cet effet doit être abusif, viser une exclusion ou une mise au pas » (p. 34). En effet, l’alinéa 78(1)f) ne peut pas s’appliquer à un concurrent, comme on peut le constater à la lecture de son libellé :

78 (1) Pour l’application de l’article 79, agissement anti-concurrentiel s’entend notamment des agissements suivants :

f) l’achat de produits dans le but d’empêcher l’érosion des structures de prix existantes;

[54]  Dans TREB CAF 1, la juge Sharlow conclut que l’expression « sur un concurrent » employée dans les affaires NutraSweet et Tuyauteries Canada ne peut renvoyer, à l’égard d’une personne, à « son propre concurrent » (par. 19-20). Si c’était vrai, exiger — pour qu’il soit conclu à un agissement anti-concurrentiel — un effet négatif sur un concurrent, qui doit être abusif, ou viser une exclusion ou une mise au pas dans chaque cas rendrait l’alinéa 78(1) f) dépourvu de sens. L’alinéa f) traduit un but intéressé, et non celui, relatif, de nuire à un concurrent. Pourtant, le législateur l’a inscrit au nombre des agissements anticoncurrentiels.

[55]  Dans cette optique, nous pensons que le Tribunal a appliqué le bon cadre en ce qui concerne l’alinéa 79(1)b). Le Tribunal a indiqué qu’il recherchait un effet négatif sur un concurrent devant être abusif ou viser une exclusion ou une mise au pas (MT, par. 272). Appliquant les directives données dans l’arrêt TREB CAF 1, le Tribunal a défini le terme « concurrent » comme « une personne qui est en concurrence dans le marché pertinent ou qui tente d’entrer dans ce marché » et non un « concurrent » du TREB (MT, par. 277) (italique dans l’original)

[56]  Le Tribunal a fait observer à juste titre que l’intention subjective ou objective pouvait démontrer l’intention requise (MT, par. 274 et 283; Tuyauteries Canada, par. 72). Il a soigneusement examiné la preuve de l’intention subjective du TREB (MT, par. 319-431). Le Tribunal a aussi examiné « les effets objectifs prévus ou raisonnablement prévisibles du comportement en question (effets dont on peut déduire une intention […]) » (MT, par. 432-451) comme l’enseigne Tuyauteries Canada au paragraphe 67 (voir aussi Télé-Direct (Publications) Inc. c. American Business Information, Inc., [1998] 2 C.F. 22; (CAF), autorisation d’appel refusée, 26403 (21 mai 1998) (Télé-Direct)). Le Tribunal a mis en balance d’une part les effets d’exclusion (démontrés par l’intention subjective) et d’autre part les justifications commerciales légitimes avancées par le TREB (MT, par. 319-431; Tuyauteries Canada, par. 73).

[57]  L’application de ce critère aux faits est une question mixte de droit et de fait. Le Tribunal a finalement conclu que « la preuve d’intention anti-concurrentielle et d’effets d’exclusion raisonnablement prévisibles l’emporte sur la preuve très limitée qui a été présentée à l’appui des justifications commerciales légitimes alléguées qui, selon le TREB, sous-tendent l’élaboration et la mise en œuvre des restrictions relatives aux BV.» (MT, par. 452). Il s’agit d’une analyse essentiellement factuelle. Le Tribunal a évalué la preuve, entendu la déposition de concurrents et tiré des conclusions quant à leur crédibilité. Aucune erreur ne rend cette analyse déraisonnable selon nous.

(5)  Alinéa 79(1)c)

[58]  L’alinéa 79(1)c) dispose que « la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché » (non souligné dans l’original). Le marché en question n’est pas contesté. Le Tribunal a défini le marché comme étant « la prestation de services de courtage immobilier résidentiel fondés sur le SIA dans la RGT » (MT, par. 161). Nous abordons ci-après tour à tour les cinq autres éléments, tels qu’ils sont soulignés plus haut.

(a)  La pratique

[59]  L’avis de demande a été présenté par le commissaire en mai 2011, avant l’adoption de la politique et des règles actuelles relatives aux BVI en novembre 2011. Le commissaire a modifié sa déclaration en conséquence. Néanmoins, la déclaration est toujours générale et ne précise pas les parties des règles et des politiques du TREB qui sont contestées.

[60]  Les pratiques d’agissement anti-concurrentiel avancées portent sur l’utilisation par le TREB de certaines données du système MLS et sur l’utilisation qu’il en permet à ses membres. Ces « données en litige » sont définies par le Tribunal, au paragraphe 14 de ses motifs, et incluent quatre types d’information :

  • Les données sur le prix de vente

  • Les données sur le prix consigné avant conclusion de l’acte de vente

  • Les inscriptions retirées, expirées, suspendues ou annulées

·  Les offres de commission au courtier immobilier représentant l’acquéreur, aussi appelé le courtier collaborateur.

L’utilité de ces données est décrite dans les motifs du Tribunal aux paragraphes 675 à 691. Nous l’analysons sous la rubrique « Volet relatif à un effet sensible » des présents motifs.

[61]  Les observations et les éléments de preuve présentés par les parties portent presque exclusivement sur trois pratiques, que le Tribunal désigne collectivement par le terme « restrictions relatives aux BV » (MT, par. 14). Ces pratiques constituent l’élément central des motifs du Tribunal et, à la lumière des observations écrites et orales distinctes sur la réparation, le sujet principal de l’ordonnance du Tribunal. Le tableau qui suit offre un aperçu des restrictions, comme elles sont énumérées au paragraphe 14 des motifs du Tribunal, et de leurs sources.

Restriction

Source

L’exclusion des données en litige de la transmission directe par voie électronique aux BVI

Politique, art. 17, 15 et 24

L’interdiction d’afficher les données en litige sur les BVI

Règles, art. 823; Entente sur la transmission par voie électronique, clause 6.3(a)

L’interdiction d’utiliser les données transmises par voie électronique aux BVI pour toute autre fin que celle de l’afficher sur un site Web

Entente sur la transmission par voie électronique, clauses 6.2(f) et (g)

[62]  Il est important de noter que les règles et politiques du TREB suivantes ne sont pas visées par l’ordonnance du Tribunal.

Restriction

Source

Une personne physique doit obtenir la permission de son courtier responsable pour établir un BVI

Entente sur la transmission par voie électronique, clause 6.3 (g)

Pour avoir accès aux données sur les inscriptions sur un BVI, le consommateur doit conclure une entente légale avec la maison de courtage, qui prévoit d’accepter les conditions, de reconnaître une telle entente et de déclarer avoir un intérêt véritable dans l’achat, la vente ou la location d’un bien immobilier résidentiel.

Règles, art. 805, 809(i), (iii)

Politiques, art. 1, 6, 7(iii)

Toutes les inscriptions autres que celles émanant du système MLS du TREB sont indiquées comme telles et sont consultables à part par les consommateurs.

Règles, art. 828, 829

(b)  Aspect temporel

[63]  L’aspect temporel de l’alinéa 79(1)c) n’est pas contesté. L’effet sur la concurrence peut être passé, présent ou futur (Tuyauteries Canada, par. 44). Le Tribunal a conclu que les effets anti-concurrentiels des restrictions liées aux BVI se font sentir dans le passé, le présent et le futur (MT, par. 706).

[64]  Une période de deux ans sera généralement suffisante pour établir un effet (Tervita CAF, par. 85). En l’espèce, les restrictions liées aux BVI du TREB sont entrées en vigueur en novembre 2011, et le Tribunal a jugé que les effets anti-concurrentiels s’étaient produits pendant une longue période (MT, par. 703 et 708).

(c)  Empêcher ou diminuer

[65]  L’alinéa 79(1)c) mentionne un empêchement ou une diminution de la concurrence. Le Tribunal a conclu qu’il y avait un empêchement de la concurrence (MT, par. 705). Le Tribunal ne dispose d’aucun renseignement sur le passé lui permettant de faire une comparaison avec le présent; il doit examiner la situation actuelle par rapport à un monde hypothétique dans lequel les restrictions liées aux BVI n’existent pas. Cette démarche n’est pas contestée.

(d)  Concurrence

[66]  L’alinéa 79(1)c) intéresse le degré de concurrence, plutôt que les effets du comportement sur les concurrents (Tuyauteries Canada, par. 68-69). Le critère de l’absence hypothétique constitue une méthode acceptable (idem, par. 39-40). Il s’agit d’une évaluation relative : l’intensité actuelle de la concurrence n’est pas pertinente en soi.

[67]  Il faut poser deux questions concernant la nature de la concurrence. Premièrement, quel est l’objet de la concurrence? En l’espèce, la concurrence en question porte sur les clients des maisons de courtage immobilier (MT, par. 645-646). Il importe de différencier cette concurrence des autres types de concurrence connexes : par exemple, tous les sites Web souhaitent encourager le trafic afin de se démarquer pour s’assurer des revenus publicitaires.

[68]  Deuxièmement, qui est en concurrence? La présente affaire porte sur une concurrence dans « la prestation de services de courtage immobilier résidentiel fondés sur le SIA dans la RGT » (MT, par. 161). Afin d’offrir des services faisant appel au système MLS, un courtier doit être membre du TREB. Par conséquent, il s’agit en réalité d’une concurrence entre des segments de membres du TREB.

[69]  Une terminologie vague rend parfois difficile la distinction entre les membres du TREB qui se font concurrence. Le Tribunal utilise les termes « maison de courtage dotées de BV fournissant des renseignements complets » ou « maisons de courtage dotées d’un BV fournissant des renseignements complets » et les oppose à « maison de courtage traditionnelle ». Le commissaire utilise les termes « véritables BV » et « courtiers innovants » par opposition à « BV ». M. Vistnes, l’expert du commissaire, utilise pour sa part les termes « courtiers innovants utilisant des BV » ou « courtiers utilisant des BV » par opposition aux « courtiers traditionnels ».

[70]  Toutefois, pour les besoins de l’analyse juridique requise par l’alinéa 79(1)c), la concurrence actuelle entre deux groupes, quels qu’ils soient, n’est en soi pas importante. C’est plutôt la concurrence générale dans le marché défini entre tous les participants à l’heure actuelle (avec les restrictions liées aux BVI), par rapport au monde hypothétique (dépourvu des restrictions liées aux BVI), qui nous intéresse.

(e)  Volet relatif à un effet sensible

[71]  Le dernier élément nécessitant une analyse est celui de l’effet sensible : l’écart entre le monde actuel et le monde hypothétique (« n’eût été » les restrictions) doit être sensible (Tuyauteries Canada, par. 36). Le Tribunal a abordé ce volet dans une section distincte de ses motifs (MT, par. 640-704).

(i)  Aperçu de la preuve établissant l’élément énoncé à l’alinéa 79(1)c)

[72]  Le Tribunal disposait de huit rapports d’expert; quatre de ceux-ci dataient de l’audience initiale en 2012 et les quatre autres avaient été présentés dans le cadre du réexamen en 2015.

[73]  De manière générale, le Tribunal a trouvé la preuve de l’expert du commissaire, M. Vistnes, crédible et convaincante. Toutefois, il a jugé cette preuve insuffisante en ce qui concerne l’alinéa 79(1)c), déclarant que « M. Vistnes ne comprenait pas bien le critère juridique applicable pour savoir en quoi consiste un empêchement ou une diminution « sensible » de la concurrence, comme le prévoit l’alinéa 79(1)c) de la Loi. Pour cette raison, le Tribunal s’est abstenu d’accepter le témoignage de M. Vistnes sur cette question précise» (MT, par. 108).

[74]  Le Tribunal a jugé le témoignage de M. Church, invité par le TREB « moins franc, objectif et coopératif que M. Vistnes ou M. Flyer ». Selon le Tribunal, M. Church « était évasif à plusieurs moments durant son contre-interrogatoire et a fait des déclarations non étayées et hypothétiques à plusieurs moments durant son témoignage et dans ses rapports d’expert écrits » (MT, par. 109). Sa preuve sur la question de savoir si on avait empêché « sensiblement » la concurrence n’est ni citée ni mentionnée dans les motifs du Tribunal.

[75]  Le Tribunal a dit de M. Flyer, le témoin de l’ACI, qu’il était généralement objectif et direct. Toutefois, il a aussi jugé que « son témoignage demeurait souvent général et abstrait, qu’il n’est pas entré dans les détails du secteur de l’immobilier au Canada et qu’il n’a pas abordé la preuve et les questions précises en cause en l’espèce au même degré que MM. Vistnes et Church» (par. 110) (nous faisons remarquer, entre parenthèses, qu’étant donné le point de vue du Tribunal concernant la preuve de M. Church, la critique à l’égard de celle de M. Flyer — suivant laquelle elle n’était pas aussi détaillée que celle de M. Church — semble déplacée). M. Flyer a surtout abordé l’effet économique de la réparation demandée sur l’ACI, et tout particulièrement sur ses marques de commerce. Nous sommes d’avis que ses rapports ont peu d’utilité dans l’analyse qu’appelle l’alinéa 79(1)c).

[76]  Le dossier comporte en outre 23 déclarations par 15 témoins. Suivent les noms et les sociétés des témoins dont les dépositions (et déclarations) considérées comme les plus pertinentes par le Tribunal pour décider si les agissements ont empêché sensiblement la concurrence :

  • William McMullin, directeur général, ViewPoint Realty Services Inc. (Viewpoint)

  • Shayan Hamidi et Tarik Gidamy, cofondateurs, TheRedPin.com Realty Inc. (TheRedPin)

  • Joel Silver, directeur général, Trilogy Growth, LP (Trilogy)

  • Mark Enchin, représentant des ventes, Realty Executives Plus Ltd. (Realty Executives)

  • Scott Nagel, directeur général, Redfin Corporation (Redfin)

  • Sam Prochazka, directeur général, Sam & Andy Inc. (Sam & Andy)

  • Urmi Desai et John Pasalis, cofondateurs, Realosophy Realty Inc. (Realosophy)

[77]  Le TREB et l’ACI ne contestent pas la recevabilité des déclarations et des dépositions des témoins profanes sur la foi desquels le Tribunal a fait les constatations qui sous-tendent sa conclusion selon laquelle les effets anti-concurrentiels découlant des restrictions liées aux BVI empêchent ou risquent d’empêcher sensiblement de la concurrence dans la RGT. Néanmoins, nous croyons qu’il pourrait être utile de fournir certaines indications concernant la preuve présentée par les témoins profanes dans le contexte d’un dossier comme celui dont nous avons été saisis.

[78]  De façon générale, la preuve des témoins profanes se limite aux faits dont ils ont connaissance (David Paciocco et Lee Stuesser, The Law of Evidence, 7e éd. (Toronto: Irwin Law, 2015), p. 195; Ron Delisle et autres, Evidence: Principles and Problems, 11e éd. (Toronto: Thompson Reuters, 2015) page 874). Ce principe est énoncé dans les Règles du Tribunal de la concurrence (DORS/2008-141), aux par. 68(2) et 69(2). Ces dispositions identiques sont ainsi rédigées « [s]auf entente contraire entre les parties, la déclaration d’un témoin se limite aux faits dont il pourrait témoigner oralement ainsi qu’aux documents admissibles comme pièces jointes ou aux renvois à ceux-ci ».

[79]  Or, les témoignages d’opinion des témoins profanes sont acceptables dans des circonstances limitées : lorsque le témoin est mieux placé que le juge des faits pour former les conclusions; que les conclusions sont celles qu’une personne possédant une expérience ordinaire peut tirer; que les témoins ont l’expérience leur permettant de tirer les conclusions ou que donner des opinions est une méthode pratique pour déclarer des faits trop fugaces ou compliqués pour être énoncés autrement (Graat c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 819, p. 836-839; Hunt (Litigation guardian of) v. Sutton Group Incentive Realty Inc. (2002), 60 O.R. (3d) 665, par. 17, (C.A. Ont.), citant avec app. Alan W. Bryant, Sidney N. Lederman et Michelle K. Fuerst, The Law of Evidence in Canada, 4e éd. (Markham, ON: LexisNexis Canada, 2014), p. 12.14. Voir aussi Paciocco et Stuesser, ibid., p. 197-198 et Delisle et autres, ibid., p. 874-876).

[80]  La question des témoignages d’opinion faits par des témoins profanes a récemment été abordée par la Cour dans l’affaire Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2016 CAF 161. Sous la plume du juge Stratas, la Cour confirme la décision de la Cour fédérale, qui a retenu le témoignage du dirigeant d’une société pharmaceutique sur les actes potentiels de celle-ci dans un monde hypothétique, dans la situation où le témoin avait connaissance des opérations pertinentes, dans le monde réel, de la société (par. 105-108, 112 et 121).

[81]  Néanmoins, il va de soi selon nous que des témoins profanes ne peuvent pas témoigner sur des questions allant au-delà de leur propre conduite et de celle de leur entreprise dans le monde hypothétique. Les témoins profanes ne sont pas mieux placés que le juge des faits pour tirer des conclusions au sujet des conséquences économiques globales n’eût été la pratique en question; ils ne possèdent pas non plus l’expérience pour le faire. Bien que les questions portant sur la façon dont leur entreprise aurait pu réagir dans un monde hypothétique soient permises, à condition que la valeur probante nécessaire soit établie, tout témoignage qui concerne l’effet des restrictions liées aux BVI sur la concurrence de façon générale constitue un témoignage d’opinion irrecevable.

(ii)  Analyse de l’effet sensible

[82]  Avant d’aborder cette question importante, il est utile d’examiner ce qu’ont dit la Cour suprême et notre Cour au sujet de l’expression l’« effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence » figurant à l’alinéa 79(1)c) de la Loi sur la concurrence et du critère pertinent à cet égard.

[83]  Premièrement, dans l’arrêt Tervita CSC — à propos des dispositions sur le fusionnement de la Loi sur la concurrence — la Cour suprême formule les commentaires suivants aux paragraphes 44 à 46 de ses motifs :

[44]  De manière générale, il ne sera satisfait à la norme de l’empêchement ou de la diminution sensible que si un fusionnement [en l’occurrence,  substituer à « fusionnement » la pratique en question] a vraisemblablement pour effet de [traduction] « créer, de maintenir ou d’accroître la capacité de l’entité fusionnée d’exercer une puissance commerciale, unilatéralement ou de concert avec d’autres entreprises ». La puissance commerciale s’entend de la capacité « d’exercer avec profit une influence sur les prix, la qualité, la variété, le service, la publicité, l’innovation et les autres dimensions de la concurrence ». Autrement dit, elle s’entend de « la capacité de maintenir des prix plus élevés que le niveau concurrentiel pendant une longue période, sans que cette pratique soit non rentable », où « prix » est [traduction] « généralement le terme qui regroupe tous les aspects des activités d’une entreprise qui ont une incidence sur les acheteurs ». Le fusionnement qui n’a aucun effet ou n’aura vraisemblablement aucun effet sur la puissance commerciale ne met généralement pas en jeu l’art. 92.

(références omises)

[45]  L’effet vraisemblable du fusionnement sur la puissance commerciale permet de déterminer si ce dernier aura vraisemblablement un effet « sensible » sur la concurrence. Le degré et la durée de l’exercice de la puissance commerciale sont des éléments clés dans l’analyse permettant de déterminer si le fusionnement aura pour effet de diminuer sensiblement la concurrence (Hillsdown, p. 78). Rien n’interdit que ces éléments soient également pris en considération pour déterminer s’il y aura empêchement.

[46]  Ce que l’on peut qualifier de « sensible » variera d’une affaire à l’autre. Le Tribunal n’a pas jugé utile d’appliquer un critère numérique strict :

Ce qui constituera vraisemblablement une diminution « sensible » dépendra des circonstances dans chaque cas. [. . .] On a proposé plusieurs critères : hausse de prix vraisemblable de 5 % pouvant être maintenue pendant un an; hausse de prix de 5 % pouvant être maintenue pendant plus de deux ans; hausse de prix faible, mais notable, et non transitoire. Le Tribunal ne juge pas utile d’utiliser des critères numériques stricts, bien que ceux-ci puissent être utiles pour des fins d’application.

(Hillsdown, p. 78)

(Non souligné dans l’original.)

[84]  Ensuite, aux paragraphes 50 et 51 de la même affaire, la Cour suprême indique que les termes de l’alinéa 79(1)c) de la Loi sur la concurrence et ceux du paragraphe 92(1) sont similaires et évoquent donc la même idée :

[50]  L’affaire Tuyauteries Canada portait sur un abus de position dominante au sens de l’al. 79(1)c) de la Loi. Les termes de l’al. 79(1)c) — « la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché » — se rapprochent de très près de ceux du par. 92(1) — « empêche ou diminue [. . .] vraisemblablement » — et évoquent les mêmes idées. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a appliqué le critère de l’absence hypothétique :

. . . le Tribunal doit comparer le niveau de concurrence sur le marché caractérisé par la présence de la pratique attaquée au niveau qui existerait en l’absence de cette pratique, pour ensuite établir si la concurrence est empêchée ou diminuée « sensiblement », en supposant qu’elle le soit tant soit peu... .

Or, l’interprétation comparative que je viens de décrire est à mon sens équivalente au critère de l’« absence hypothétique » proposé par l’appelante. [par. 37-38].

[51]  Le paragraphe 92(1) appelle une analyse comparative similaire. De par sa nature, l’examen du fusionnement emporte l’examen d’un scénario conjectural : [traduction] « . . . le fusionnement permettra-t-il à l’entité fusionnée d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence par rapport à l’état de fait antérieur au fusionnement et qui sert de repère » (Facey et Brown, p. 205). Le critère de l’absence hypothétique est le cadre analytique qu’il convient d’appliquer sous le régime de l’art. 92.

[85]  En dernier lieu, au paragraphe 60 de ses motifs dans l’arrêt Tervita CSC, la Cour suprême formule les remarques suivantes concernant le critère de l’absence hypothétique :

[60]  Le volet de l’art. 92 relatif à l’« empêchement » vise à prévenir qu’une entreprise possédant une puissance commerciale procède à un fusionnement pour empêcher la concurrence susceptible par ailleurs de s’exercer dans un marché contestable. L’analyse qu’il commande envisage l’état du marché, n’eût été le fusionnement, pour apprécier le paysage concurrentiel qui existerait vraisemblablement si le fusionnement n’avait pas eu lieu. Elle détermine le concurrent éventuel, la probabilité qu’il entre dans le marché en l’absence du fusionnement [en l’occurrence, en l’absence de la pratique anti-concurrentielle] et la probabilité qu’il y ait un effet sensible.

(Non souligné dans l’original.)

[86]  Dans l’affaire Tuyauteries Canada, aux paragraphes 36 à 38 et 45 à 46, la Cour fait remarquer que le critère qu’il faut appliquer au regard de l’alinéa 79(1)c) est relatif. Plutôt que d’évaluer le niveau absolu de concurrence dans le marché, le Tribunal doit évaluer le niveau de concurrence en tenant compte de la pratique contestée et le comparer à celui qui existerait n’eût été cette pratique. L’écart entre les deux peut être passé, présent ou futur, et il est satisfait au critère dès lors que cet écart est sensible. Selon notre Cour, il incombe au Tribunal d’adapter cette évaluation à l’affaire dont il a été saisi.

[87]  La Cour souligne au paragraphe 46 de l’arrêt Tuyauteries Canada qu’elle ne dicte pas le genre de preuve à produire, précisant ainsi : « [e]n dernière analyse, c’est au commissaire qu’incombe la charge de la preuve de la réalisation de chaque condition prévue par la Loi, et il doit convaincre le Tribunal suivant la prépondérance de la preuve. La nature des éléments de preuve nécessaires pour s’acquitter de cette charge ne peut être établie que par le Tribunal, au cas par cas ».

[88]  Il ressort clairement de l’affaire Tuyauteries Canada que ce qu’il faut entendre par diminuer ou empêcher « sensiblement » la concurrence dépend des faits et que le Tribunal n’est pas tenu d’appliquer un critère particulier pour trancher la question. Toutefois, il va de soi que, pour conclure qu’un acte a diminué sensiblement la concurrence, le Tribunal doit être en mesure, au vu de la preuve qui lui a été présentée, de conclure que, n’eût été les effets anti-concurrentiels de la pratique en question, le marché serait sensiblement plus concurrentiel. Autrement dit, en l’espèce, la transmission directe par le TREB des données en litige par voie électronique aux BVI aurait-elle un effet bénéfique supplémentaire sensible sur la concurrence?

[89]  Dans la présente espèce, le Tribunal a examiné ce qu’il faut entendre par « sensiblement » et le critère applicable. Le Tribunal a fait remarquer, au paragraphe 461 de ses motifs, que l’analyse de l’effet sensible consiste à évaluer la puissance commerciale. La puissance commerciale, comme le définit le Tribunal au paragraphe 165 de ses motifs, est la capacité de contrôler les prix ou d’autres aspects de la concurrence pendant une longue période, notamment l’innovation et la qualité des services.

[90]  Au paragraphe 480 de ses motifs, le Tribunal reconnaît que le critère relatif à l’effet sensible est de nature relative. Ainsi, le Tribunal doit comparer le niveau de concurrence réel avec le niveau de concurrence qui existerait, n’eût été la pratique contestée. Il s’agit donc d’évaluer si l’écart entre ces deux mondes est sensible. Le Tribunal indique qu’il est satisfait au critère si le prix est substantiellement supérieur ou si un ou plus d’un autre aspect de la concurrence sont substantiellement inférieurs qu’en l’absence des pratiques.

[91]  Dans cette évaluation, le Tribunal tient compte des conditions économiques globales du marché pertinent. Comme il l’explique au paragraphe 468 de ses motifs, pour décider si l’effet est sensible, il faut tenir compte de sa durée ainsi que de son importance relative.

[92]  Nous sommes d’avis que le Tribunal a bien compris l’importance du terme « sensiblement » et le critère qu’il devait appliquer pour décider si, compte tenu des faits, la pratique du TREB concernant les données en litige avait bel et bien pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence dans la RGT.

[93]  À la lumière de ce qui précède, nous abordons les raisons qu’avancent le TREB et l’ACI pour nous exhorter à intervenir. Ils prétendent principalement, relativement à l’effet sensible, que le Tribunal a eu tort d’évaluer si les effets anti-concurrentiels avaient empêché sensiblement la concurrence en se fondant uniquement sur des éléments de preuve qualitatifs. Selon eux, le Tribunal a tranché la question sur la foi de [traduction] « témoignages d’opinion spéculatifs non étayés par des éléments de preuve empiriques disponibles » (mémoire des faits et du droit de TREB, par. 14).

[94]  Le TREB et l’ACI ont avancé deux arguments à cet égard. Premièrement, dans l’arrêt Tervita CSC, la Cour suprême conclut que le commissaire avait l’obligation de quantifier les effets anti-concurrentiels quantifiables, à défaut de quoi il ne pourrait pas s’appuyer sur des éléments de preuve qualitatifs concernant des effets qui auraient pu être quantifiés. Par conséquent, selon le TREB et l’ACI, les effets anti-concurrentiels peuvent être pris en compte sur le plan qualitatif par le Tribunal uniquement si ces effets ne peuvent pas être estimés sur le plan quantitatif.

[95]  Le TREB et l’ACI affirment en outre que le Tribunal a commis une erreur en concluant (MT, par. 469-470) que le principe mentionné plus haut, énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Tervita CSC au paragraphe 124, ne s’appliquait pas à une décision prise en vertu de l’article 92 ou du paragraphe 79(1) de la Loi sur la concurrence. Autrement dit, ils font valoir que le Tribunal a conclu à tort que l’enseignement tiré de l’arrêt Tervita CSC, qu’invoquent le TREB et l’ACI, ne s’appliquait qu’aux instances faisant intervenir le paragraphe 96(1).

[96]  Plus précisément, le TREB et l’ACI affirment que le raisonnement sous-tendant la déclaration de principe de la Cour suprême dans l’arrêt Tervita CSC s’applique non seulement aux instances faisant intervenir le paragraphe 96(1), mais également à celles faisant jouer l’article 92 et le paragraphe 79(1). Au soutien de cette thèse, ils invoquent la partie du paragraphe 124 des motifs dans Tervita CSC que nous soulignons ci-après.

[124]  La commissaire fait valoir que la quantification n’est pas une condition préalable en droit à l’examen des effets anticoncurrentiels (m.i., par. 84 et 88). Au contraire, elle est tenue en droit de quantifier les effets anticoncurrentiels quantifiables qui serviront de fondement à la décision. Dans les cas où les effets peuvent être mesurés, ils doivent être estimés. Seuls les effets ne pouvant être estimés sur le plan quantitatif seront pris en considération sur le plan qualitatif. L’absence de mesure des effets quantifiables ne saurait se traduire par l’attribution d’une valeur qualitative (Supérieur Propane IV, par. 35). Cette méthode réduit au minimum le jugement subjectif nécessaire dans l’analyse et permet au Tribunal d’effectuer l’évaluation la plus objective possible dans les circonstances (Supérieur Propane IV, par. 38). Une approche selon laquelle la commissaire pourrait s’acquitter de son obligation sans avoir donné au moins une estimation des effets anticoncurrentiels quantifiables ne permettrait pas aux parties au fusionnement de connaître la preuve qui leur est opposée.

(Non souligné dans l’original.)

[97]  Deuxièmement, le TREB et l’ACI prétendent que le Tribunal aurait dû tirer une conclusion défavorable à l’endroit du commissaire, car ce dernier n’a présenté aucun élément de preuve empirique à l’égard de la concurrence sur les prix et la concurrence dynamique dans les marchés (États-Unis et Nouvelle-Écosse) où il existe des BVI à information complète où il était possible de mesurer leur effet réel sur la concurrence. Ils affirment que le commissaire a délibérément décidé de passer outre à l’analyse quantitative de l’effet sur la concurrence dans ces marchés. Plus particulièrement, le TREB et l’ACI soutiennent que le Tribunal aurait dû tirer la seule conclusion possible dans les circonstances, [traduction] « à savoir qu’il n’était pas possible de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’on avait diminué ou empêché sensiblement la concurrence, dynamique ou autre » (mémoire des faits et du droit de TREB, par. 77).

[98]  Le TREB et l’ACI abordent également les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas tiré de conclusion défavorable à l’endroit du commissaire, à savoir que ce dernier devait faire preuve de prudence dans la gestion des deniers publics dont il est responsable et que, selon M. Vistnes, une étude de la situation aux États-Unis serait difficile, coûteuse et d’une utilité limitée. (Le TREB et l’ACI affirment que le témoignage de M. Vistnes sur ce point constitue une réponse irréfléchie à une question du Tribunal à l’audience). Le TREB et l’ACI prétendent que les raisons citées par le Tribunal pour expliquer son refus de tirer une conclusion défavorable sont inacceptables et erronées.

[99]  À notre humble avis, les observations du TREB et de l’ACI ne sauraient être retenues. Premièrement, dans l’arrêt Tervita CSC, la Cour suprême ne s’est pas prononcée, contrairement à ce qu’ils affirment, sur la nécessité de quantifier les effets pouvant l’être, pour l’application de l’article 92 de la Loi sur la concurrence. Au contraire, au paragraphe 166 de ses motifs, la Cour suprême indique que le commissaire n’est pas tenu dans ce cas de quantifier les effets anti-concurrentiels :

[166]  Il peut paraître paradoxal de conclure que la décision du Tribunal, selon laquelle il y aurait vraisemblablement un empêchement sensible de la concurrence, était correcte pour ensuite déterminer, à l’issue de la pondération qu’exige l’art. 96, qu’il n’y avait aucun effet anticoncurrentiel. Or ce résultat ne semble paradoxal qu’en raison des faits propres à la présente affaire. Comme nous l’avons vu, le Tribunal a pu examiner une preuve portant sur l’effet sur le marché de l’arrivée de concurrents probables, l’existence de substituts acceptables, et ainsi de suite. L’article 93 permet expressément l’examen de ces facteurs. Ordinairement, la commissaire présenterait également la preuve portant sur ces facteurs pour quantifier leur effet net sur l’économie sous la forme d’une perte sèche. Cependant, le régime législatif ne fait pas obstacle à une conclusion qu’il y aura vraisemblablement un empêchement sensible de la concurrence dans les cas où la perte sèche n’a pas été quantifiée. Ainsi cette omission de la part de la commissaire dans la présente affaire n’a pas été fatale à la conclusion rendue en application de l’art. 92. En revanche, l’analyse de pondération visée à l’art. 96 exige bel et bien que les effets anticoncurrentiels quantifiables soient quantifiés pour être pris en considération. Pour cette raison, la non-quantification de la perte sèche en l’espèce a fait obstacle à la prise en compte, dans l’analyse qu’appelle l’art. 96, des effets quantifiables étayant la conclusion que le fusionnement aura vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence au sens où il faut entendre l’expression pour l’application de l’art. 92. Si les effets quantifiables avaient effectivement été quantifiés, après avoir conclu, à l’issue de l’analyse qu’exige l’art. 92, que le fusionnement aura vraisemblablement pour effet d’empêcher sensiblement la concurrence, on procéderait à l’examen des effets anticoncurrentiels quantifiés dans le cadre de l’analyse qu’appelle l’art. 96.

(Non souligné dans l’original.)

[100]  Bien que nous soyons d’accord, en toute logique, que le raisonnement de la Cour suprême dans l’arrêt Tervita CSC sur l’obligation de quantifier les effets quantifiables pourrait également être appliqué aux décisions à rendre en application du paragraphe 79(1) et de l’article 92, il ne fait aucun doute qu’elle indique clairement, au paragraphe 166 cité plus haut, que le principe ne s’applique pas à l’article 92. Par conséquent, nous n’avons pas d’autres choix que de confirmer que l’exigence de quantification des effets quantifiables ne s’applique pas à l’instance faisant intervenir le paragraphe 79(1). S’il nous avait été loisible de trancher la question pour la première fois, nous aurions conclu que le principe s’applique aux décisions à rendre en application du paragraphe 79(1).

[101]  Par conséquent, est mal fondée l’affirmation du TREB et de l’ACI selon laquelle le commissaire était tenu en droit de quantifier tous les effets pouvant l’être s’il demandait qu’une décision soit rendue en application du paragraphe 79(1). À en juger par l’arrêt Tervita CSC, le commissaire n’avait pas cette obligation.

[102]  Passons au refus du Tribunal de tirer une conclusion défavorable à l’endroit du commissaire, comme le souhaitaient le TREB et l’ACI puisque le commissaire n’avait pas présenté d’évaluation empirique de « l’effet cumulatif des données relatives aux propriétés vendues et des autres données en litige permet d’accroître la capacité des exploitants de BV fournissant des renseignements complets à obtenir des clients » (MT, par. 653). À notre humble avis, cet argument est aussi dénué de fondement.

[103]  Pour commencer, nous sommes d’accord avec le commissaire pour dire que l’argument du TREB et de l’ACI équivaut à affirmer qu’il était tenu en droit de présenter des éléments de preuve quantifiables. Comme nous l’indiquons précédemment, aucune obligation de la sorte ne découle du paragraphe 79(1).

[104]  Vu qu’une telle obligation n’incombait pas au commissaire, il lui revenait, comme à tout autre demandeur, de choisir les éléments de preuve à présenter pour prouver sa thèse. Comme nous le savons, il a opté pour des éléments de preuve qualitatifs et, ce faisant, il a pris le risque de ne pas arriver à convaincre le Tribunal que l’effet anti-concurrentiel de la pratique du TREB avait empêché sensiblement de la concurrence. Il se trouve que la preuve qualitative produite par le commissaire a convaincu le décideur.

[105]  Nous avons fouillé la jurisprudence. Rien ne nous permet d’ajouter foi à l’affirmation du TREB et de l’ACI selon laquelle le Tribunal aurait dû tirer une conclusion défavorable à l’endroit du commissaire, car ce dernier n’avait pas effectué d’évaluation empirique des marchés aux États-Unis et en Nouvelle-Écosse ou, du reste, dans la RGT. À notre humble avis, une telle interprétation équivaudrait à donner au Tribunal le pouvoir d’imposer au commissaire la façon dont il devrait présenter sa thèse. Rien n’appuie cette interprétation.

[106]  Nous sommes d’accord avec le TREB et l’ACI sur un point. S’il avait été possible, sur un fondement légitime, de tirer une conclusion défavorable à l’endroit du commissaire, les motifs du Tribunal justifiant son refus de tirer pareille conclusion n’auraient manifestement pas résisté à un examen. Soit, le commissaire dispose de fonds limités, mais cet élément n’est aucunement pertinent lorsqu’il s’agit de décider s’il est opportun de tirer une conclusion défavorable. À notre sens, l’avis de M. Vistnes concernant l’utilité et le coût de la réalisation d’une évaluation empirique n’est pas pertinent non plus. La question de savoir si l’évaluation aurait été utile est une question qu’il incombait au Tribunal d’examiner et de trancher. Il n’appartenait manifestement pas à M. Vistnes de tirer cette conclusion. En tout état de cause, il est douteux que M. Vistnes puisse donner cette opinion au Tribunal puisque celle-ci ne figure pas dans ses rapports d’expert. Toutefois, comme nous sommes convaincus que rien n’obligeait le Tribunal à tirer la conclusion demandée par le TREB et l’ACI, ses motifs, bien qu’erronés, n’ont aucune conséquence.

[107]  En outre, il convient de rappeler que dans l’arrêt Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4 au paragraphe 73, [2001] 1 R.C.S. 221, la Cour suprême opine : « [l]a question de savoir si une conclusion défavorable est justifiée ou non par les faits particuliers est inextricablement liée à la détermination des faits » (voir aussi Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, par. 52, [2016] 2 R.C.S. 352). Par conséquent, le refus du Tribunal de tirer une conclusion défavorable à l’endroit du commissaire est contrôlé selon la norme de la décision raisonnable. Rien ne nous permet de conclure que le refus du Tribunal de tirer la conclusion est déraisonnable.

[108]  Le TREB et l’ACI soumettent un autre argument concernant la conclusion du Tribunal selon laquelle la pratique avait sensiblement empêché la concurrence. Ils affirment que, en tout état de cause, le Tribunal a commis une erreur en s’appuyant sur des éléments de preuve qualitatifs selon eux spéculatifs. Au paragraphe 75 de son mémoire des faits et du droit, le TREB définit la preuve quantitative comme [traduction] « une preuve empirique des effets réels de certains agissements contestés sur la concurrence dans un marché immobilier existant » et définit la preuve qualitative comme [traduction] « une mention de la nature d’une opinion ou d’une preuve anecdotique de ce qui aurait pu se produire dans le marché si certains agissements étaient permis ou non ».

[109]  Plus particulièrement (le présent argument est avancé principalement par l’ACI), ils formulent quatre arguments. Premièrement, ils affirment que le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’accès aux données en litige donnerait lieu à un avantage concurrentiel supplémentaire sensible. Sa conclusion était fondée sur des déclarations de courtiers selon lesquels ils devaient pouvoir afficher les données en litige dans leurs BVI afin d’améliorer leur offre de services au public et que leurs clients, c’est-à-dire les acquéreurs et les vendeurs, accordaient de l’importance à la possibilité d’accéder aux données en litige sur leurs BVI.

[110]  Le TREB et l’ACI sont d’avis que la conclusion du Tribunal selon laquelle on avait empêché sensiblement la concurrence — qui découle de celle sur les effets anti-concurrentiels de la pratique du TREB — revenait à faire fi du terme « sensiblement » de la disposition législative. Selon eux, les déclarations des témoins susmentionnées — quant à l’accès aux données en litige sur les BVI — démontrent tout au plus « un effet » sur la concurrence, mais manifestement pas un avantage concurrentiel supplémentaire sensible.

[111]  Deuxièmement, le TREB et l’ACI affirment que le Tribunal a commis une erreur en concluant, d’après la preuve de William McMullin, que la non-disponibilité des données en litige avait empêché Viewpoint d’entrer dans le marché de la RGT. Ils affirment que la preuve de M. McMullin sur ce point, à la lumière de l’ensemble de la preuve, n’était pas crédible. Ils ajoutent que, en tout état de cause, le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’entrée de Viewpoint dans le marché de la RGT aurait eu un effet concurrentiel sensible compte tenu du fait que Viewpoint était moins compétitive (vu les taux de commission qu’elle pratique et l’absence de rabais consentis) sur le plan des prix que d’autres maisons de courtage comme Realosophy et TheRedPin.

[112]  Troisièmement, le TREB et l’ACI soutiennent que le Tribunal a également eu tort de conclure que le commissaire s’était acquitté de son fardeau de preuve sur la foi des déclarations de courtiers sur l’existence d’avantages qualitatifs. Selon eux, la preuve démontrait au contraire que les courtiers exploitant des BVI alimentés par voie électronique par le TREB (c’est-à-dire sans les données en litige) étaient tout aussi concurrentiels, voire plus, que les courtiers ayant à leur disposition les données transmises électroniquement, incluant certaines des données en litige.

[113]  Quatrièmement, le TREB et l’ACI affirment que le Tribunal a aussi commis une erreur en concluant que le commissaire avait démontré que la concurrence avait été empêchée sensiblement. À leur avis, rien ne démontrait de lien entre la réussite de maisons de courtage comme Redfin et Viewpoint et la disponibilité des données en litige dans un BVI. En formulant leur argument, le TREB et l’ACI font valoir qu’il ressort clairement de la preuve qu’il n’y avait aucun lien de causalité entre la possibilité de convertir les utilisateurs d’un site Web en clients et la disponibilité des données en litige sur le BVI d’un courtier.

[114]  Le TREB et l’ACI concluent ce point en indiquant que la preuve concernant les taux de conversion était extrêmement importante puisque la raison pour laquelle on conçoit des sites Web attrayants est de convertir des visiteurs en clients.

[115]  Le TREB et l’ACI font également remarquer qu’après avoir conclu que la preuve concernant les taux de conversion n’appuyait pas la thèse du commissaire, le Tribunal a minimisé l’importance des taux de conversion après avoir accepté l’opinion de M. Vistnes, qui était d’avis que les différences locales dans les marchés examinés expliquaient sans doute les faibles taux de conversion. Selon le TREB et l’ACI, aucune preuve concernant ces différences locales n’ayant été présentée au Tribunal, l’opinion de M. Vistnes n’était donc aucunement étayée. Elle était, de leur avis, entièrement conjecturale.

[116]  En dernier lieu, le TREB et l’ACI concluent leurs arguments concernant les taux de conversion en affirmant que, même si le Tribunal a refusé de donner du poids à la preuve démontrant de faibles taux de conversion, il a néanmoins conclu, au paragraphe 676 de ses motifs, que si les données en litige avaient été transmises directement par voie électronique par le TREB, les maisons de courtage sur le Web auraient sans doute réussi à convertir « en clients un nombre de plus en plus important d’utilisateurs de leurs sites Web ».

[117]  Pour mettre les arguments du TREB et de l’ACI en perspective, il importe de souligner que le Tribunal a compris la différence entre la preuve quantitative et la preuve qualitative sur le plan de la nature et qu’il a reconnu qu’il était plus difficile pour le commissaire de prouver sa thèse au moyen d’éléments surtout qualitatifs. Le Tribunal a indiqué que, dans une affaire comme celle dont il était saisi, qui portait principalement sur la concurrence dynamique, il était inévitable que le commissaire s’appuie sur des éléments de preuve qualitatifs sous la forme de documents commerciaux et de témoignages, ajoutant, toutefois, qu’il incombait tout de même au commissaire de prouver sa thèse selon la prépondérance des probabilités (MT, par. 469-471).

[118]  En s’appuyant sur la preuve qualitative avancée par le commissaire et en particulier sur les dépositions des témoins et les témoignages des personnes mentionnées au paragraphe 76 des présents motifs, à savoir MM. McMullin, Hamidi, Gidamy, Silver, Enchin, Prochazka, Desai et Pasalis, le Tribunal a tiré des conclusions sur plusieurs effets anti-concurrentiels causés par les restrictions liées aux BVI. Dans chacun des cas, le Tribunal a conclu à un effet anti-concurrentiel et a souligné l’importance relative de cet effet de la façon suivante :

  • L’empêchement d’une palette nettement plus étendue de services de courtage dans la RGT (MT, par. 583)

  • Un effet néfaste significatif sur l’entrée et la participation accrue dans le marché en question (MT, par. 550)

·  L’empêchement non négligeable d’une augmentation dans la qualité de ces services (MT, par. 598)

·  L’empêchement de l’émergence d’une innovation beaucoup plus importante (MT,  par. 616)

[119]  Le Tribunal était d’avis que, « n’eût été » les restrictions liées aux BVI, ces effets anti-concurrentiels seraient nettement plus faibles. Au paragraphe 702 de ses motifs, le Tribunal a conclu que, globalement, ces effets anti-concurrentiels sur des aspects autres que les  prix empêchaient sensiblement la concurrence.

[120]  Autrement dit, le Tribunal a conclu que les effets anti-concurrentiels établis avaient pour conséquence ultime de maintenir la puissance commerciale collective du TREB et de ses membres en ce qui a trait aux services de courtage résidentiel dans la RGT (MT, par. 709) et que, à défaut d’une ordonnance de sa part, cette puissance se maintiendrait probablement (MT, par. 712).

[121]  Nous sommes d’avis que les arguments du TREB et de l’ACI quant à la preuve qualitative retenue par le Tribunal sont dénués de fondement.

[122]  Premièrement, il ressort clairement que le TREB et l’ACI font principalement valoir à ce sujet que nombre des conclusions fondamentales du Tribunal ne sont pas étayées par la preuve, tout particulièrement celles concernant le témoignage de M. McMullin et l’entrée de Viewpoint dans le marché de la RGT, qu’ils critiquent. Si nous avons des réserves sur plusieurs des conclusions tirées par le Tribunal, il ne faut pas oublier qu’elles découlent de son appréciation des éléments de preuve dont il disposait. Il en va de même de la valeur accordée par le Tribunal à cette preuve. Comme nous l’avons déjà indiqué, le TREB et l’ACI, n’ayant pas demandé l’autorisation de contester des questions de fait dans le cadre du présent appel, ne peuvent poursuivre pareille stratégie. Sans le dire, ils nous invitent à réévaluer la preuve dont disposait le Tribunal et à tirer d’autres conclusions. Manifestement, nous ne le pouvons pas. En outre, comme la Cour l’indique dans Nadeau Ferme Avicole au paragraphe 47, les parties ne peuvent pas « sous le couvert d’une contestation portant sur une question mixte de fait et de droit, revoir les conclusions factuelles tirées par le Tribunal ».

[123]  Deuxièmement, il importe également de réitérer le fait que le TREB et l’ACI ne contestent pas la recevabilité des témoignages, y compris ceux des témoins profanes, sur lesquels sont fondées les conclusions du Tribunal.

[124]  Troisièmement, à notre humble avis, la thèse sur laquelle repose l’argument du TREB et de l’ACI sur ce point est la suivante : la preuve qualitative sans preuve quantifiée — qui selon eux était à la disposition du commissaire — ne devrait pas être prise en compte, et aucune valeur ne devrait lui être accordée. Nous avons déjà décidé que cette hypothèse était mal fondée.

[125]  Nous sommes toutefois d’accord avec le TREB et l’ACI pour dire que la preuve portant sur les taux de conversion ne soutient pas la thèse du commissaire. Si les taux de conversion avaient été le facteur déterminant dans cet appel, nous serions intervenus. Nous ne pouvons pas voir comme le Tribunal peut déclarer, comme il le fait au paragraphe 676 de ses motifs, que si Viewpoint et d’autres sociétés pouvaient utiliser les données en litige, elles seraient en mesure de « transformer en clients un nombre de plus en plus important d’utilisateurs de leurs sites Web ». Les conclusions du Tribunal sur les taux de conversion, énoncées aux paragraphes 653, 657, 658 et 664 de ses motifs, montrent que la preuve dont il disposait n’appuyait pas la thèse du commissaire.

[126]  Toutefois, comme le soutient le commissaire, le Tribunal, bien qu’il ait reconnu les faibles taux de conversion, a souligné que la demande du commissaire portait principalement sur la concurrence dynamique et l’innovation et que, en l’absence d’éléments de preuve quantifiables sur ce point, il n’avait d’autre choix que de trancher la question en s’appuyant sur la preuve dont il disposait, surtout qualitative. Plus particulièrement, au paragraphe 662 de ses motifs, le Tribunal a indiqué clairement que l’innovation introduite par des courtiers utilisant des BVI à information complète non seulement les sert bien dans leurs efforts en vue de se montrer concurrentiels, mais « forcent les maisons de courtage traditionnelles à réagir » à ce nouveau type de concurrence.

[127]  Nous sommes ainsi convaincus du fait qu’en s’appuyant sur des éléments de preuve qualitatifs pour tirer ses conclusions sur les effets anti-concurrentiels et sa conclusion ultime quant à l’empêchement sensible, le Tribunal n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle. Par conséquent, nous ne sommes pas convaincus, à la lumière des conclusions du Tribunal et du critère applicable, qu’il existe des motifs justifiant notre intervention à l’égard de la décision prise par le Tribunal en application de l’alinéa 79(1)c) de la Loi sur la concurrence.

[128]  Nous abordons ci-après la deuxième question soulevée par l’appel.

C.  La protection des renseignements personnels

[129]  Le TREB a tenté de justifier sa restriction sur la communication des données en litige en affirmant que la protection des renseignements des vendeurs et des acquéreurs constituait une raison commerciale suffisante pour ne pas tomber sous le coup de l’alinéa79(1)b) de la Loi sur la concurrence. Le TREB affirmait que la protection des renseignements personnels était essentielle à ses activités commerciales; plus particulièrement, elle contribuait à assurer la réputation et le professionnalisme de ses membres et était capitale pour les intérêts des acquéreurs et des vendeurs et pour la nature coopérative et l’efficience du système MLS.

[130]  Le TREB a également affirmé qu’il était tenu en droit de se conformer à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (L.C. 2000, ch. 5) (LPRPDE). Selon lui, cette exigence légale constituait une justification commerciale, distincte de toute question reliée à tout autre motif qu’il pourrait avoir pour justifier sa politique sur les BVI et ses effets anti-concurrentiels. Autrement dit, ayant conclu que la politique n’était pas motivée par des soucis subjectifs liés à la protection des renseignements personnels, le Tribunal était néanmoins obligé de poursuivre l’analyse et de trancher la question de savoir si la politique était prescrite par la LPRPDE. Si le Tribunal avait examiné les consentements au vu des prescriptions de la LPRPDE, il les aurait jugées lacunaires et insuffisantes pour autoriser la communication. Selon les arguments du TREB, il fallait conclure que les restrictions en matière de communication étaient prescrites par la loi et constituaient une justification commerciale.

(1)  La décision du Tribunal

[131]  Au sujet de la protection des renseignements personnels comme justification commerciale au regard de l’alinéa 79(1)b), le Tribunal a conclu que la « raison principale pour laquelle le TREB a mis en œuvre les restrictions relatives aux BV était qu’il voulait protéger ses membres contre les effets perturbateurs de la concurrence que les maisons de courtage faisant affaire sur Internet » (MT, par. 430) Il a conclu qu’il n’y avait guère d’élément démontrant que les restrictions découlaient de soucis pour la protection des renseignements personnels des clients du TREB. Le Tribunal a également relevé peu d’éléments établissant que, lors de l’élaboration de la politique sur les BVI, le comité avait discuté de la protection des renseignements personnels et avait agi en conséquence (MT, par. 321). La protection des renseignements personnels est invoquée « [a posteriori] et constituent à servir de prétexte au TREB pour l’adoption et le maintien des restrictions relatives aux BV » (MT, par. 390).

[132]  Le Tribunal a jugé que l’argument de la justification commerciale n’était simplement pas étayé par la preuve. Aux paragraphes 395 à 398 de ses motifs, le Tribunal a observé qu’il était « difficilement compatibles avec » les arguments du TREB concernant la protection des renseignements personnels avec le fait que les données en litige étaient mises à la disposition :

·  de l’ensemble des 42 500 membres du TREB à l’aide de son système Stratus;

·  des membres de la plupart des autres chambres immobilières de l’Ontario dans le cadre du programme d’échange de données CONNECT;

·  des clients de tous les membres du TREB et des clients des membres de la plupart des autres chambres immobilières de l’Ontario;

·  de certains évaluateurs;

·  de tiers, dont l’ACI, Altus Group Limited, l’Institut CD Howe, et Interactive Mapping Inc. (quoique pour un usage confidentiel);

  • des clients par le truchement d’abonnements par courriel ou de courriels ordinaires envoyés par des membres.

[133]  En outre, le Tribunal a fait remarquer que pendant de nombreux mois TREB n’avait pris aucune mesure à l’encontre de deux courtiers qui affichaient les données en litige, en contravention apparente à la politique du TREB (MT, par. 372-374). Il a observé que peu de clients avaient fait part de leurs préoccupations au TREB quant au fait que leurs données étaient affichées et distribuées en ligne (MT, par. 386-387) et que le TREB n’avait produit aucune preuve pour étayer son affirmation selon laquelle, en incluant les données en litige dans la transmission directe par voie électronique, on dissuaderait les consommateurs d’utiliser les services fondés sur le système MLS (MT, par. 423).

[134]  De plus, les agents pouvaient communiquer  — et l’ont fait régulièrement — des renseignements détaillés sur le vendeur, y compris sur le prix de vente, à leurs propres clients sans aucune restriction quant à une distribution ultérieure. En outre, le propre système intranet du TREB permet à ses membres de transférer par courriel les données sur 100 ventes de biens inscrits à la fois à quiconque (MT, par. 398).

[135]  Le Tribunal n’a rien trouvé qui soutiendrait l’argument selon lequel la politique était véritablement motivée par une préoccupation liée au respect de la LPRPDE. Bien que la nécessité de se conformer à la LPRPDE ait été mentionnée dans le témoignage du directeur général du TREB, le Tribunal a noté que le conseil d’administration, le directeur général et le dirigeant principal de l’information du TREB n’avaient présenté aucune preuve à cet égard susceptible d’étayer la conclusion selon laquelle le respect de la LPRPDE dictait l’adoption de la politique (MT, par. 378-379).

[136]  Le Tribunal a noté que, bien que le TREB ait mis en œuvre sa politique de confidentialité en 2004 et ait nommé un responsable de la protection des renseignements personnels, il n’y avait aucune preuve du fait que la politique relative aux BVI avait pour objet le respect de la LPRPDE. La seule fois où le TREB a communiqué avec le commissaire à la protection de la vie privée, il lui a demandé son avis sur un autre document (« Questions et réponses » sur plusieurs aspects de la protection des renseignements personnels) en août 2012. Ce document ne comportait aucune question sur les données en litige, et, en tout état de cause, ces communications ont eu lieu après l’adoption de la politique et des règles relatives aux BVI (MT, par. 375-376).

[137]  Le Tribunal a aussi fait remarquer au paragraphe 407 de ses motifs que M. Richardson, le PDG de TREB au cours de la période pertinente, tenait pour acquis que la clause sur le consentement figurant dans la convention d’inscription était rédigée de sorte à permettre la communication.

[138]  Dans son argumentation, le TREB a invoqué une décision de 2009 du commissaire à la protection de la vie privée dans laquelle il concluait qu’une annonce indiquant qu’une propriété avait été vendue à 99,3 % du prix demandé enfreignait la LPRPDE puisque le public était en mesure de calculer le prix de vente. Le Commissariat à la protection de la vie privée a déclaré que l’exception relative à l’information publique ne s’appliquait pas parce que l’information figurait dans la convention d’achat, à laquelle l’agent immobilier n’était pas partie, et n’était pas tirée du bureau d’enregistrement immobilier de l’Ontario ou d’une autre source publique (MT, par. 388).

[139]  Le Tribunal a rejeté l’affirmation du TREB selon laquelle cette décision avait influencé la politique sur les BVI. Il a fait remarquer que les préoccupations au sujet de la protection des renseignements personnels ne figuraient pas, à deux exceptions près (les réunions des 12 et 20 mai 2011), dans les procès-verbaux ni dans les discussions sur l’élaboration de cette politique (voir, par exemple, MT, par. 351). Il a conclu que ces préoccupations constituaient une justification a posteriori de la politique.

[140]  Le Tribunal a ensuite examiné l’argument de l’ACI selon lequel les consommateurs s’inquiétaient que les renseignements sur leur propriété soient affichés sur un site Web public. Il a conclu que la preuve à cet égard était très limitée et non convaincante (MT, par. 776).

[141]  Le Tribunal a ensuite examiné la clause sur le consentement figurant dans la convention d’inscription et a conclu qu’elle autorisait la communication des données. Nous y reviendrons.

(2)  Le fardeau de la preuve

[142]  Avant que nous abordions ce point au fond, les parties soulèvent la question du fardeau de la preuve.

[143]  Le commissaire et le TREB conviennent du fait que ce dernier est lié par la LPRPDE. Toutefois, le TREB soutient qu’il incombe au commissaire de réfuter son argument selon lequel la politique sur les BVI était exigée par la LPRPDE. Nous ne sommes pas d’accord. Ni cette affirmation ni le droit n’ont pour effet d’inverser la charge de sorte qu’il appartienne au commissaire de réfuter un tel argument.

[144]  Le fardeau de preuve habituel s’applique : la preuve d’une affirmation incombe à la personne qui la fait (WIC Radio Ltd. c. Simpson, 2008 CSC 40, par. 30, [2008] 2 R.C.S. 420). Le TREB n’a invoqué aucune raison valable d’écarter ce principe lorsqu’une justification commerciale est soulevée au regard de l’article 79. Par conséquent, si le TREB cherche à démontrer que le respect de la LPRPDE serait compromis, il lui incombe de présenter des éléments de preuve pertinents pour s’acquitter de son fardeau et de démontrer les conclusions juridiques en découlant dans son argumentation.

(3)  Aucune justification commerciale n’a été établie

[145]  Pour commencer, nous rejetons l’argument selon lequel le Tribunal n’a pas envisagé la possibilité que, quelle que soit la motivation en jeu, le respect de la LPRPDE constitue une justification. Il a conclu, après avoir examiné les règles qui s’appliquent, que l’analyse de la justification commerciale était « assujettie à une réserve importante voulant que les considérations juridiques, comme la protection des renseignements personnels, puissent apporter une justification valable à une pratique contestée » (MT, par. 302).

[146]  Toutefois, plus haut dans ses motifs, le Tribunal a écrit que « des considérations juridiques, comme les dispositions législatives sur la protection des renseignements personnels, qui justifient de façon légitime une pratique contestée, à la condition que les éléments de preuve démontrent que les comportements contestés étaient essentiellement motivés par de telles considérations » (MT, par. 294). Nous sommes sensibles à l’observation du TREB selon laquelle les motifs du Tribunal sur cette question sont ambigus. Selon nous, si le Tribunal exigeait que le respect de la loi sous-tende la politique sur les BVI, il a fait erreur. S’il peut être établi qu’une pratique ou une politique commerciale est prescrite par une loi ou un règlement, il importe peu que le respect en soit la motivation originale ou principale.

[147]  Toutefois, il demeure que la société est tenue d’établir un lien factuel et juridique entre les prescriptions de la loi ou du règlement et la politique contestée.

[148]  Pour établir une justification commerciale dans le contexte de l’analyse que commande l’alinéa 79(1)b) de la Loi sur la concurrence, une partie doit établir « une raison fondée sur l’efficience ou proconcurrentielle du comportement en question, raison attribuable au défendeur, qui se rapporte aux effets anti-concurrentiels et/ou à l’intention subjective de ce comportement et leur fait contrepoids » (Tuyauteries Canada, par. 73). La preuve d’une « justification commerciale valable n’est pas un moyen de défense absolu dans le cadre de l’alinéa 79(1)b) »; elle doit expliquer pourquoi la société dominante s’est livrée à un comportement prétendument anti-concurrentiel (Tuyauteries Canada, par. 88-91). Comme la Cour l’explique au paragraphe 87de la décision Tuyauteries Canada :

[87]  …La justification commerciale d’une pratique attaquée ne peut être prise en considération que dans la mesure où elle est pertinente et probante par rapport à la décision qu’exige l’alinéa 79(1)b), soit celle du point de savoir si le comportement attaqué avait pour but un effet négatif sur un concurrent, effet qui doit être abusif, ou viser une exclusion ou une mise au pas. [U]ne justification commerciale valable peut, si le contexte le permet, l’emporter sur l’intention réputée découlant des effets négatifs, réels ou prévisibles, du comportement attaqué sur les concurrents, en démontrant que ces effets anticoncurrentiels ne sont pas en fait le but prédominant de ce comportement. De cette façon, une justification commerciale valable constitue une autre explication possible des motifs du comportement attaqué, laquelle, si la situation s’y prête, peut suffire à contrebalancer la preuve des effets négatifs sur les concurrents ou d’une intention subjective orientée dans ce sens.

[149]  En résumé, il faut établir deux faits pour qu’une pratique contestée puisse être à l’abri d’une conclusion tirée en application de l’alinéa 79(1)b). Premièrement, il faut qu’une raison fondée sur l’efficience ou proconcurrentielle justifie la pratique. Deuxièmement, les gains en efficience ou avantages concurrentiels, qu’ils concernent ou non les prix, doivent bénéficier à l’appelante. Autrement dit, la preuve doit démontrer la façon dont la pratique génère des avantages qui permettent à l’appelante d’être plus concurrentielle dans le marché pertinent.

[150]  Le Tribunal a évalué la preuve dont il disposait en appliquant les principes pertinents et l’a jugée lacunaire. Il a conclu que le TREB était motivé par le désir de maintenir le contrôle sur les données en litige dans le but de parer à toute nouvelle forme de concurrence, et non par des préoccupations fondées sur l’efficience ou proconcurrentielles ou par un souci véritable de protection des renseignements personnels (MT, par. 369, 389-390). Il était loisible au Tribunal d’estimer que, si la conformité à la loi avait constitué une réelle préoccupation, il y aurait eu des éléments de preuve de communications le confirmant. Il a conclu à l’absence de preuve démontrant que les politiques sur la confidentialité du TREB avaient reçu une quelconque attention au cours de l’élaboration de la politique et des règles du TREB relatives aux BVI.

[151]  Les éléments de preuve, dont certains ont été résumés précédemment, sont convaincants. Puisque l’autorisation de contester ces conclusions n’a pas été demandée, la conclusion du Tribunal sur l’inexistence d’une justification commerciale fondée sur l’efficience ou proconcurrentielle sous-tendant la politique est raisonnable et ne sera pas modifiée. Ce qui précède prépare le terrain pour le second argument du TREB, et selon nous, son argument principal.

(4)  Les obligations en matière de protection des renseignements personnels prévues à la LPRPDE

[152]  Le TREB soutient que le Tribunal a commis une erreur en omettant d’effectuer une évaluation distincte des responsabilités que la LPRPDE impose au TREB concernant la collecte et l’utilisation des renseignements personnels.

[153]  Dans ses motifs, le Tribunal a examiné la LPRPDE pour voir si ses dispositions dictaient la politique. À cet égard, il a évalué l’ampleur des rapports entre le TREB et le commissaire à la protection de la vie privée et les dispositions de la LPRPDE. Il a également examiné la nature et la portée de la clause portant sur le consentement prévue dans la convention d’inscription. Il est parti du principe que les données étaient confidentielles et il a ensuite examiné la portée et l’effet des consentements régissant l’utilisation de ces données. Il a conclu que les consentements étaient valides.

[154]  Nous sommes d’avis que le rôle du Tribunal était d’interpréter la portée des consentements à la lumière des règles ordinaires du droit des contrats, d’après l’objet et les objectifs de la LPRPDE. C’est ce qu’il a fait, et nous ne voyons aucune erreur dans la conclusion tirée.

(a)  La norme de contrôle

[155]  À titre préliminaire, nous estimons que lorsqu’il a examiné la clause portant sur le consentement prévue dans la convention d’inscription, le Tribunal interprétait un contrat type. Par conséquent, la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

[156]  De manière générale, l’interprétation contractuelle soulève des questions mixtes de droit et de fait et, par conséquent, elle doit être contrôlée selon une norme caractérisée par la retenue (Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, par. 50, [2014] 2 R.C.S. 633 (Sattva)). L’interprétation des contrats types fait exception à cette règle. Leur interprétation soulève une question de droit et, par conséquent, elle est assujettie au contrôle selon la norme de la décision correcte (Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, par. 46, [2016] 2 R.C.S. 23 (Ledcor)). L’analyse des rapports entre une disposition législative et une clause contractuelle fait également jouer une exception et est assujettie à la norme de la décision correcte (Canada (Commissaire à l’information) c. Calian Ltd., 2017 CAF 135, par. 37 (Calian)). Un droit d’appel n’a pas nécessairement pour effet de substituer à l’analyse selon la norme de la décision raisonnable celle de la décision correcte; tout dépend du libellé de la disposition législative (Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, par. 31, [2016] 2 R.C.S. 293).

[157]  Les règles du système MLS précisent que les courtiers ne peuvent pas modifier ni supprimer quelque partie que ce soit de la clause 11 de la convention d’inscription (art. 340). Aux termes d’un document d’information sur la protection des renseignements personnels fourni par l’ACI, [traduction] « tant les données actuelles que les données historiques sont essentielles au fonctionnement du système MLS®, et, en plaçant votre inscription dans le système MLS®, vous acceptez d’autoriser l’utilisation continue de l’information sur l’inscription et les ventes ». La convention d’inscription représente, du moins pour les fins de la présente instance, un contrat d’adhésion ou contrat type.

(b)  Les consentements

[158]  La LPRPDE exige que les personnes consentent à la collecte, à l’utilisation et à la communication de leurs renseignements personnels (Annexe 1, art. 4.3.1). Ce consentement doit être éclairé (Annexe 1, art. 4.3.2). Les modifications apportées en 2015 à ce principe précisent que, pour que le consentement soit éclairé, la personne doit comprendre « la nature, les fins et les conséquences de la collecte, de l’utilisation ou de la communication des renseignements personnels » (article 6.1).

[159]  Comme il a été mentionné plus haut, le Tribunal est parti du principe que le prix de vente d’une propriété est un renseignement personnel et, à ce titre, tombe sous le coup de la LPRPDE, qui subordonne l’utilisation de renseignements personnels à un consentement éclairé.

[160]  Bien que la convention d’inscription utilisée par le TREB prévoie le consentement à certaines utilisations des renseignements personnels, le TREB affirme que, si le Tribunal l’avait examinée de plus près, il aurait constaté que son libellé n’était pas suffisamment précis pour autoriser la communication de renseignements personnels dans la transmission directe de données par voie électronique aux BVI. Plus précisément, le TREB soutient que la clause relative au consentement ne permet pas la diffusion des données sur Internet, qui diffère à des égards importants de la diffusion de ces mêmes renseignements de vive voix, par télécopieur ou par courriel.

[161]  La convention d’inscription contient une clause régissant [traduction] « l’utilisation et la diffusion de l’information ». Le TREB met l’accent sur le consentement à la collecte, à l’utilisation et à la communication de l’information visant à inscrire et à commercialiser le bien même, mais fait fi de la partie du consentement (dans la même clause) qui indique que la chambre immobilière peut [traduction] « faire tout autre usage de l’information que la maison de courtage ou la chambre immobilière juge opportun, en lien avec l’inscription, la commercialisation et la vente du bien immobilier pendant la période de l’inscription et par la suite ». Selon le commissaire, cette dernière partie du consentement (dans la même clause) est la partie pertinente et suffit pour permettre l’utilisation et la communication continue de l’information, même une fois que l’inscription a pris fin. Nous souscrivons à la thèse du commissaire.

[162]  Le Tribunal disposait des conventions d’inscription en usage de 2003 à 2015. Bien que certaines données dans la base de données MLS remontent à 1986, les conventions d’inscription antérieures à 2003 n’ont pas été présentées au Tribunal ni à la Cour. Par conséquent, la Cour n’exprime pas d’avis concernant l’information obtenue avant 2003 ou celle possiblement consignée dans la base de données sans avoir été recueillie en vertu des conventions en usage entre 2003 et 2015.

[163]  Créée par l’Ontario Real Estate Association, la convention d’inscription est recommandée par le TREB à ses membres (MT, par. 64). Dans la version la plus récente présentée à la Cour, la section pertinente de la clause sur l’utilisation et la diffusion de l’information est ainsi rédigée :

[traduction]

Le vendeur reconnaît que la base de données appartenant au système MLS de la chambre est la propriété de la chambre immobilière et qu’elle peut être revendue ou faire l’objet d’une licence ou d’un autre traitement par la chambre. Le vendeur reconnaît également que la chambre immobilière peut, durant la période de l’inscription et par la suite, diffuser l’information contenue dans la base de données appartenant au système MLS de la chambre à toute personne autorisée à utiliser ce service, notamment d’autres maisons de courtage, des ministères gouvernementaux, des évaluateurs, des organisations municipales; commercialiser le bien, à sa discrétion, par tout moyen, y compris les médias électroniques; pendant la période de l’inscription et par la suite; compiler, conserver et publier des statistiques, y compris des données historiques contenues dans le système MLS de la chambre, et conserver, reproduire et afficher des photographies, images, graphiques, enregistrements audio et vidéo, visites virtuelles, dessins, plans d’étages, dessins architecturaux, représentations artistiques, arpentages et descriptions des inscriptions susceptibles de servir aux membres de la chambre pour effectuer des analyses comparatives; faire tout autre usage de l’information que la maison de courtage ou la chambre immobilière jugera indiqué, en lien avec l’inscription, la commercialisation et la vente du bien immobilier pendant la période de l’inscription et par la suite.

(Non souligné dans l’original.)

[164]  Le libellé des conventions d’inscription en usage à partir de 2003 est essentiellement semblable à celui cité plus haut. Toutefois, la formule [traduction] « pendant la période de l’inscription et par la suite » (soulignée plus haut) y figure pour la première fois en 2012. La clause sur l’utilisation et la diffusion de l’information prévue dans la convention d’inscription est générale et dépourvue de restrictions. Les vendeurs sont informés du fait que leurs données pourraient être utilisées à différentes fins : aux fins de diffusion dans la base de données pour commercialiser leur bien immobilier; à des fins de compilation, de conservation et de publication de statistiques; à des fins d’utilisation dans le cadre d’une analyse comparative des marchés et pour tout autre usage en lien avec l’inscription, la commercialisation et la vente d’un bien immobilier. Rien dans le libellé n’indique que les données ne seraient utilisées que pendant la période durant laquelle l’inscription est active. En effet, l’utilisation des données à des fins de statistiques historiques des prix de vente nécessite que les données soient conservées. Le Tribunal a fait remarquer que les politiques 102 et 103 du TREB ajoutent que, mis à part la rectification de données inexactes, « aucune autre modification ne sera effectuée à l’égard des données antérieures » (MT, par. 401). Nous soulignons également que la clause 11 de la convention d’inscription prévoit la possibilité de commercialiser la propriété [traduction] « par tout moyen, y compris l’Internet ».

[165]  La LPRPDE exige uniquement un nouveau consentement lorsque l’information est utilisée à une nouvelle fin, et non lorsqu’elle est diffusée par de nouvelles méthodes. L’introduction des BVI ne constitue pas une nouvelle fin; l’objectif demeure l’offre de services immobiliers résidentiels, et la clause sur l’utilisation et la diffusion de l’information mentionne les utilisations prévues. L’argument selon lequel les consentements n’étaient pas suffisants — parce que leur libellé ne prévoyait pas l’utilisation de l’Internet comme le concevait la politique relative aux BVI — n’est pas conforme au libellé non ambigu du consentement.

(c)  Conduite des parties

[166]  La conduite des parties peut éclairer l’interprétation d’un contrat. Vu notre conclusion quant à l’interprétation des consentements, il n’est pas nécessaire de prendre en compte la conduite des parties ou des éléments contextuels. Toutefois, nous nous prêtons en l’espèce à cette analyse, car elle éclaire et étaye notre conclusion tirée sur le fondement du libellé du contrat même.

[167]  Dans Sattva, la Cour suprême du Canada affirme que, sous réserve de certaines restrictions, le fondement factuel d’un contrat inclut « tout ce qui aurait eu une incidence sur la manière dont une personne raisonnable aurait compris les termes du document » (Sattva, par. 58 citant Investors Compensation Scheme Ltd. c. West Bromwich Building Society (1997), [1997] UKHL 28, [1998] 1 All E.R. 98, p. 114). Par conséquent, la conduite des parties fait partie du fondement factuel du contrat et peut, sous réserve de certaines restrictions, éclairer l’interprétation de son libellé.

[168]  La mesure dans laquelle le fondement factuel, dont la conduite des parties, peut éclairer l’interprétation dépend du « principe de la supplantation » (formulé dans Sattva, mais qualifié comme tel dans l’arrêt Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie‑Britannique, 2017 CSC 32, par. 55 (Teal Cedar)). Ce principe comporte deux éléments : le fondement factuel ne peut se voir attribuer un poids excessif (de sorte qu’il « supplante » le contrat) et le fondement factuel ne saurait être interprété séparément des termes du contrat de sorte qu’une nouvelle entente est dans les faits créée (Sattva, par. 57; Teal Cedar, par. 55-56, 62).

[169]  Dans Calian, la Cour fait observer que « le texte clair d’un contrat doit toujours avoir préséance sur les circonstances concomitantes » (Calian, par. 59). De plus, il ne peut être tenu compte du fondement factuel que si c’est nécessaire pour déterminer « les intentions réciproques et objectives des parties exprimées dans les mots du contrat » (Sattva, par. 57). En effet, seuls les éléments de preuve révélant « les renseignements qui appartenaient ou auraient raisonnablement dû appartenir aux connaissances des deux parties à la date de signature ou avant celle‑ci » peuvent éclairer l’interprétation du contrat (Sattva, par. 58). Par exemple, l’intention subjective d’une partie ne peut permettre d’interpréter le sens d’un contrat (Sattva, par. 59; ING Bank N.V. c. Canpotex Shipping Services Limited, 2017 CAF 47, par. 112, 121 (ING Bank)). Ce serait contraire à la règle d’exclusion de la preuve extrinsèque voulant que les éléments de preuve externes au contrat qui « auraient pour effet de modifier ou de contredire un contrat qui a été entièrement consigné par écrit, ou d’y ajouter de nouvelles clauses ou d’en supprimer » soient irrecevables (Sattva, par. 59; ING Bank, par. 112, 121).

[170]  Le fondement factuel est moins pertinent dans le cas des contrats types que d’autres contrats (Ledcor, par. 28, 32). Ce principe cadre bien avec la raison pour laquelle c’est la norme de la décision correcte qui s’applique aux contrats types : les contrats de cette nature ne sont pas négociés; ils sont « à prendre ou à laisser ». Toutefois, dans l’arrêt Ledcor, le juge Wagner fait observer au paragraphe 31 que certaines circonstances entourant un contrat, comme l’objet du contrat, la nature de la relation qu’il crée et le marché ou l’industrie où il est employé, peuvent être prises en considération :

[31]  Je reconnais qu’il y a lieu de prendre en considération des facteurs comme l’objet du contrat, la nature de la relation qu’il crée et le marché ou l’industrie où il est employé pour interpréter un contrat type. Par contre, ces considérations ne sont généralement pas, « de par [leur] nature même, axé[es] sur les faits » (Sattva, par. 55). Elles sont plutôt habituellement les mêmes pour toute personne qui peut être partie à un contrat type donné. Cela fait ressortir la nécessité d’interpréter uniformément les contrats types, un point sur lequel je reviendrai plus loin.

[171]  Lorsque l’on applique ces principes aux faits tels qu’ils ont été appréciés par le Tribunal, il n’y a rien dans la preuve qui donnerait à penser que le TREB estimait que les consentements étaient inadéquats ou qu’il envisageait de manière différente les divers moyens de communication de l’information. Au contraire, la conduite du TREB ainsi que le témoignage de son PDG ne peuvent que mener à la conclusion qu’il croyait les consentements suffisamment exprès pour respecter la LPRPDE en ce qui concerne la diffusion électronique des données en litige à un BVI et qu’il n’établissait aucune distinction entre les différents moyens de diffusion.

[172]  Nous notons également que la position du TREB, selon laquelle la LPRPDE dicte la politique relative aux BVI, ne cadre pas avec certains de ses propres éléments de preuve. Par exemple, le TREB a refusé la demande d’un vendeur qui voulait supprimer les renseignements d’une inscription au système MLS, faisant remarquer que sa politique respectait les exigences de la LPRPDE (MT, par. 400).

[173]  Le Tribunal a également fait remarquer que le TREB avait demandé un avis juridique pour savoir si le libellé des consentements permettait de répondre aux questions de protection des renseignements personnels que l’affichage de photographies de l’intérieur des habitations était susceptible de soulever. Il en a par la suite modifié les termes pour assurer une autorisation expresse concernant les images. Rien n’indique que des mesures similaires avaient été envisagées ou prises en ce qui concerne l’information sur les prix de vente ou celui consigné avant la conclusion de l’acte de vente. De même, le TREB avait demandé un avis juridique concernant la communication à ses membres de données sur les prix de vente. Suivant l’avis, [traduction] « on peut soutenir que les termes "effectuer des analyses comparatives" » dans les consentements autorisent la diffusion de l’information sur les prix de vente à des clients éventuels.

[174]  Pour terminer, le point de vue du Tribunal sur la teneur des consentements se trouve dans le droit fil de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Banque Royale du Canada c. Trang, 2016 CSC 50, par. 36-42, [2016] 2 R.C.S. 412. Cette Cour conclut que le solde d’une hypothèque constitue une information moins sensible que d’autres puisque le montant du principal de l’hypothèque, le taux d’intérêt et les dates d’échéance sont rendus publics sous le régime de la loi provinciale sur l’enregistrement immobilier. Dans l’affaire qui nous occupe, le prix de vente de chaque bien immobilier en Ontario est rendu public en vertu de la même loi. Lorsque les consentements sont examinés à la lumière de la nature des intérêts de protection des renseignements personnels en jeu, la conclusion du Tribunal qu’ils étaient suffisants n’en est que plus solide.

[175]  Ce motif d’appel ne peut donc être retenu. Passons à la dernière question soulevée dans l’appel.

D.  Le droit d’auteur sur la base de données MLS

[176]  Le TREB et l’ACI soutiennent que le Tribunal a commis une erreur en concluant que le TREB n’a pas de droit d’auteur sur la base de données. Nous sommes d’avis que ce motif d’appel doit être rejeté. Rappelons qu’il a été décidé que la politique relative aux BVI était anti-concurrentielle. Dans ce cas, le paragraphe 79(5) de la Loi sur la concurrence interdit d’invoquer le droit d’auteur comme moyen de défense pour justifier un agissement anti-concurrentiel. Cette conclusion suffit pour statuer dans l’appel à l’égard du droit d’auteur.

[177]  Bien qu’il ne soit pas strictement indispensable de le faire, nous allons traiter de l’affirmation de l’ACI selon laquelle le Tribunal a appliqué le mauvais critère juridique pour décider s’il existait un droit d’auteur. Sur ce point, nous sommes d’accord. Il s’agit toutefois d’une erreur sans conséquence. On parvient au même résultat lorsque l’on applique la bonne règle.

[178]  Abordons la question soulevant le paragraphe 79(5) de la Loi sur la concurrence, qui est reproduit ci-après :

Exception

Exception

79 (5) Pour l’application du présent article, un agissement résultant du seul fait de l’exercice de quelque droit ou de la jouissance de quelque intérêt découlant de la Loi sur les brevets, de la Loi sur les dessins industriels, de la Loi sur le droit d’auteur, de la Loi sur les marques de commerce, de la Loi sur les topographies de circuits intégrés ou de toute autre loi fédérale relative à la propriété intellectuelle ou industrielle ne constitue pas un agissement anticoncurrentiel.

79 (5) For the purpose of this section, an act engaged in pursuant only to the exercise of any right or enjoyment of any interest derived under the Copyright Act, Industrial Design Act, Integrated Circuit Topography Act, Patent Act, Trade-marks Act or any other Act of Parliament pertaining to intellectual or industrial property is not an anti-competitive act.

[179]  Le paragraphe 79(5) vise à protéger les droits accordés par le législateur aux détenteurs de brevets et titulaires de droits d’auteur et, parallèlement, à veiller à ce que les droits assurant le monopole et l’exclusivité ne soient pas exercés d’une manière anti-concurrentielle. Le libellé du paragraphe 79(5) est sans équivoque. Il ne dispose pas, comme certains l’ont affirmé, qu’invoquer un droit de propriété intellectuelle, quel qu’il soit, met à l’abri un agissement qui serait autrement jugé anti-concurrentiel.

[180]  Le législateur entendait manifestement, en employant le terme « seul », empêcher les droits de propriété intellectuelle d’être assimilés à des agissements anti-concurrentiels dans des circonstances où le droit accordé par le législateur — en l’occurrence, le droit d’auteur — est l’unique objet de l’exercice ou de l’utilisation. Autrement dit, un agissement anti-concurrentiel ne peut s’abriter derrière le droit d’auteur à moins que l’utilisation ou la protection du droit d’auteur soit la seule justification de la pratique en question.

[181]  Le TREB a assorti de conditions l’utilisation de ses droits d’auteur revendiqués sur les données en litige. Pour les motifs mentionnés plus haut, nous ne relevons aucune erreur dans les conclusions du Tribunal quant à l’objet ou à l’effet anti-concurrentiel de la politique relative aux BVI. Le Tribunal a jugé que l’objet et l’effet de ces conditions étaient d’isoler les membres des nouveaux acteurs et des nouvelles formes de concurrence. Ainsi, la revendication du droit d’auteur ne visait donc pas le « seul » fait d’exercer un privilège lié au droit d’auteur.

[182]  Bien que cette conclusion suffise pour nous permettre de statuer sur ce motif d’appel, comme nous l’avons fait remarquer plus haut, nous allons examiner, par souci d’exhaustivité, la seconde erreur qu’aurait commise le Tribunal dans l’analyse du droit d’auteur.

[183]  Le droit d’auteur est créé par une loi. La Loi sur le droit d’auteur dispose que le droit d’auteur existe « sur toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale » créée par des Canadiens (article 5). Ce terme est défini à l’article 2 et s’entend également d’une compilation, définie à son tour comme étant les œuvres « résultant du choix ou de l’arrangement…de données ». Il est acquis aux débats que la base de données constitue une compilation.

[184]  Le sens du terme « originale » qui figure à l’article 5 de la Loi sur le droit d’auteur a été examiné par la Cour suprême dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339 [CCH] :

[16]  … Pour être « originale » au sens de la Loi sur le droit d’auteur, une œuvre doit être davantage qu’une copie d’une autre œuvre. Point n’est besoin toutefois qu’elle soit créative, c’est-à-dire novatrice ou unique. L’élément essentiel à la protection de l’expression d’une idée par le droit d’auteur est l’exercice du talent et du jugement. J’entends par talent le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre. J’entends par jugement la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre. Cet exercice du talent et du jugement implique nécessairement un effort intellectuel. L’exercice du talent et du jugement que requiert la production de l’œuvre ne doit pas être négligeable au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement mécanique. Par exemple, tout talent ou jugement que pourrait requérir la seule modification de la police de caractères d’une œuvre pour en créer une « autre » serait trop négligeable pour justifier la protection que le droit d’auteur accorde à une œuvre « originale ».

[185]  La distinction entre une œuvre issue de l’exercice de suffisamment de talent et de jugement pour justifier une conclusion d’originalité et une autre qui ne l’est pas — et constitue une entreprise purement mécanique — n’est pas toujours évidente. Tout particulièrement dans le cas des compilations. Suivant les éléments du critère juridique applicable, il s’agit toutefois d’une distinction qui dépend en grande partie du contexte et des faits.

[186]  Cette observation n’est pas nouvelle. Dans l’arrêt Édutile Inc. c. Assoc. pour la protection des automobilistes, [2000] 4 C.F. 195 (C.A.), la Cour reconnaît qu’ « [i]l n’est pas facile, en matière de compilation, de tracer la ligne entre ce qui dénote un degré minimal de talent, de jugement et de travail et ce qui ne dénote aucun élément créatif » (par. 13). Bien qu’elle ait été faite avant l’arrêt CCH, l’observation demeure pertinente.

[187]  La jurisprudence présente cependant des repères permettant de décider si le seuil de l’originalité est atteint. Dans l’affaire Red Label Vacations inc. c. 411 Travel Buys Limited, 2015 CF 18, le juge Manson fait remarquer que « lorsqu’une idée ne peut être exprimée que d’un nombre restreint de façons, son expression n’est donc pas protégée, car on n’a pas satisfait au critère de l’originalité » (par. 98, citant Delrina Corp. (cob Carolian Systems) c. Triolet Systems Inc., 58 O.R. (3d) 339, par. 48–52, 17 C.P.R. (4th) 289, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 29190 (28 novembre 2002)).

[188]  Dans l’affaire Télé-Direct, la Cour juge non originale une compilation en partie parce qu’elle avait été réalisée selon « des normes courantes et reconnues de sélection dans son domaine d’activité » (par. 6-7). Bien que l’affaire Télé-Direct précède l’arrêt CCH, l’idée selon laquelle les normes du domaine peuvent être pertinentes dans l’analyse servant à décider si une œuvre est originale est légitime et demeure (voir par exemple Harmony Consulting Ltd. c. G.A. Foss Transport Ltd., 2011 CF 340, par. 34, 39, 65, 77, 182–188, conf. 2012 CAF 226, par. 37–38, (Harmony CAF); Geophysical Service Inc. v. Encana Corp., 2016 ABQB 230, par. 105, 38 Alta. L.R. (6th) 48 (Geophysical)).

[189]  Lorsque l’on applique les directives données par la Cour suprême dans l’arrêt CCH, il est important de concevoir le respect des normes du domaine comme un facteur parmi d’autres, tout au plus. Dans Geophysical, la juge Eidsvik explique qu’il n’existe pas de règle absolue selon laquelle [traduction] « il n’y a pas de droit à la protection du droit d’auteur… lorsque le choix ou l’arrangement est dicté par des pratiques acceptées et courantes du domaine » (par. 100–101) :

[traduction]

… ces affaires [ayant examiné les « pratiques courantes du domaine »] n’énoncent pas de telles règles ou de tels critères absolus quant aux droits d’auteur. Certes, ces aspects faisaient partie de l’analyse réalisée dans le cadre de ces affaires lorsqu’il s’agit de déterminer si la production était une œuvre originale, mais ils ne constituent pas le critère. Le juge dans chacune de ces affaires a tranché sur une base factuelle la question de savoir si un degré suffisant de talent et de jugement avait été exercé dans l’œuvre pour qu’elle soit « originale ».

[190]  Toutefois, si le respect des normes du domaine n’exige que « des modifications mécaniques », on ne conclura pas à une œuvre originale (Harmony CAF, par. 37).

[191]  Dans l’affaire Distrimedic Inc. c. Dispill Inc., 2013 CF 1043, le juge de Montigny (tel était alors son titre) affirme que « lorsque le contenu et la présentation d’une formule sont largement tributaires de son utilité et/ou des exigences de la loi, elle ne peut être considérée comme une œuvre originale » (par. 324). Il poursuit en affirmant, au sujet des compilations, qu’elles :

ne sont pas considérées comme possédant un degré suffisant d’originalité lorsque la sélection des éléments faisant partie de l’œuvre est dictée par la fonction et/ou par les exigences de la loi et que leur disposition en une forme concrète d’expression n’est pas originale. Seul l’aspect visuel de l’œuvre est susceptible d’être protégé par le droit d’auteur s’il est original [par. 325].

[192]  Dans le présent contexte, le TREB et l’ACI font valoir que le Tribunal a requis à tort une preuve de créativité et a outrepassé le critère permettant de décider si une œuvre est originale. Après avoir examiné la base de données MLS, le Tribunal a noté « une absence d’élément créatif » (MT, par. 732). En outre, le Tribunal a bien arrêté le critère applicable en la matière en citant l’arrêt CCH au paragraphe 733. Or, il a ensuite invoqué et suivi Télé-Direct, qui exige un élément de créativité. Depuis l’arrêt CCH, ce n’est plus le critère applicable (CCH, par. 25).

[193]  Nous partageons l’avis de l’appelant sur ce point. Toutefois, au vu des conclusions de faits tirées par le Tribunal, en appliquant le bon critère, nous parvenons au même résultat.

[194]  Le Tribunal a pris en compte plusieurs éléments pour déterminer s’il s’agissait d’une œuvre originale (par. 737-738 et 740-745), dont l’entrée de données et le fait qu’elles se trouvent « presque instantanément » dans la base de données. Il a conclu que « la compilation particulière de données faite par le TREB à partir des inscriptions immobilières équivaut à un exercice mécanique » (MT, par. 740). Nous concluons, compte tenu de ces faits, qu’il n’est pas satisfait au critère.

[195]  En outre, nous ne jugeons pas convaincante la preuve présentée par le TREB concernant l’utilisation de la base de données. La façon dont une « œuvre » est utilisée s’avère peu éclairante quand il s’agit de décider si elle est originale. De plus, nous sommes d’accord avec le Tribunal pour dire que même si « [i]l est fait mention du droit d’auteur de TREB dans ses contrats conclus avec des tierces parties […] cela n’équivaut pas à établir le degré de talent, de jugement ou de travail requis pour faire preuve d’originalité et pour répondre aux exigences du droit d’auteur » (MT, par. 737).

[196]  Nous rejetons donc ce motif d’appel.

VI.  Conclusion

[197]  Pour les motifs exposés précédemment, nous rejetons l’appel avec dépens.

« M. Nadon »

j.c.a.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord

D. G. Near, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-174-16

(APPEL PRÉVU PAR LA LOI D’UNE DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA CONCURRENCE (2016 TRIB. CONC. 7) DATÉE DU 27 AVRIL 2016, NUMÉRO DE DOSSIER : CT-2011-003, NUMÉRO DE GREFFE DU DOCUMENT : 385)

INTITULÉ :

LE TORONTO REAL ESTATE BOARD c. LE COMMISSAIRE DE LA CONCURRENCE ET L’ASSOCIATION CANADIENNE DE L’IMMEUBLE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 DÉCEMBRE 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

LE JUGE RENNIE

 

Y a SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER DÉCEMBRE 2017

 

COMPARUTIONS :

Me William V. Sasso

 

POUR L’APPELANT

 

Me Jacqueline Horvat

 

POUR L’APPELANT

 

Me Carol Hitchman

 

POUR L’APPELANT

 

Me John F. Rook, c.r.

Me Andrew Little

Me Emrys Davis

 

POUR L’INTIMÉ

 

Me Sandra A. Forbes

Me Michael Finley

 

POUR L’INTERVENANTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Strosberg, Sasso, Sutts LLP

Windsor (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Spark LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Gardiner Roberts LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Bennett Jones LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉ

 

Davies, Ward Phillips & Vineberg LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’INTERVENANTE

 

 

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