Date : 20171212
Dossier : A‑105‑17
Référence : 2017 CAF 244
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE NEAR
LE JUGE DE MONTIGNY
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ENTRE :
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FINANCEMENT AGRICOLE CANADA
|
appelante
|
et
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SA MAJESTÉ LA REINE
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intimée
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Audience tenue à Calgary (Alberta), le 2 novembre 2017.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2017.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE NEAR
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Y ONT SOUSCRIT :
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LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE DE MONTIGNY
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Date : 20171212
Dossier : A‑105‑17
Référence : 2017 CAF 244
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
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LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE NEAR
LE JUGE DE MONTIGNY
|
ENTRE :
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FINANCEMENT AGRICOLE CANADA
|
appelante
|
et
|
SA MAJESTÉ LA REINE
|
intimée
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MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE NEAR
I.
Aperçu
[1]
L’appelante, Financement agricole Canada, interjette appel d’une décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt (le juge D’Arcy) le 24 février 2017 (Farm Credit Canada v. The Queen, 2017 TCC 29 (la décision de la CCI). La Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’appelante est une « société de prêts »
pour l’application du Règlement sur la méthode d’attribution applicable aux institutions financières désignées particulières (TPS/TVH), DORS/2001‑171 (le Règlement sur la méthode d’attribution) et elle a donc rejeté l’appel interjeté par l’appelante à l’encontre d’une nouvelle cotisation établie au titre de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15. L’appelante demande à la Cour d’accueillir son appel et d’annuler la nouvelle cotisation.
II.
Les faits
[2]
L’appelante est une société d’État fédérale qui appartient à cent pour cent au gouvernement du Canada et qui est régie par la Loi sur Financement agricole Canada, L.C. 1993, ch. 14. Elle a pour mission de mettre en valeur le secteur rural canadien en fournissant des services financiers spécialisés et personnalisés aux exploitations agricoles et aux entreprises qui sont étroitement liées à l’agriculture ou qui en dépendent. Ces services comprennent l’octroi de prêts à des producteurs primaires pour qu’ils achètent des intrants d’entreprise, comme des terres et de l’équipement, l’octroi de prêts à des fournisseurs ou à des transformateurs qui font affaire avec des producteurs primaires et la conclusion d’accords avec des partenaires qui agissent comme intermédiaires. L’appelante fait concurrence à des institutions financières privées.
[3]
L’appelante a reconnu dans l’exposé conjoint des faits que son entreprise principale consiste à octroyer des prêts. Elle n’accepte pas de dépôts du public.
[4]
L’appelante a déposé ses déclarations de TPS/TVH pour les périodes de déclaration annuelles 2008‑2009, 2009‑2010 et 2010‑2011 à titre de personne morale générale en application du Règlement sur la méthode d’attribution. L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a établi une nouvelle cotisation à l’égard des déclarations au motif que l’appelante était une société de prêts en 2012. L’appelante a interjeté appel des nouvelles cotisations auprès de la Cour canadienne de l’impôt.
[5]
Le Règlement sur la méthode d’attribution fait partie de ce qu’on appelle généralement la « méthode d’attribution spéciale »
(les règles sur la MAS). Les règles sur la MAS attribuent les activités d’une institution financière à la province où les services financiers sont consommés. Les règles comportent quatre éléments : (1) elles s’appliquent aux « institutions financières désignées particulières »
(IFDP), (2) elles exigent que des redressements législatifs soient apportés à l’impôt à payer sous le régime des sections IV et IV.1 de la Loi sur la taxe d’accise, (3) elles empêchent les IFDP de demander des crédits de taxe sur les intrants en ce qui concerne la partie provinciale de la TVH à payer et (4) elles exigent que les IFDP procèdent au rajustement de la taxe nette pour les périodes de déclaration. Au bout du compte, la taxe nette est calculée conformément aux « pourcentages d’attribution »
établis sous le régime de la partie 2 du Règlement sur les méthodes d’attribution. Les pourcentages d’attribution sont fondés sur la « catégorie »
d’organisation et ne sont pas les mêmes pour les personnes morales générales et pour les sociétés de prêts.
[6]
L’application des règles sur la MAS est compliquée par le fait qu’elles ont été modifiées pendant la période de déclaration en litige et que les dates d’entrée en vigueur des modifications étaient inhabituelles. Toutefois, les parties s’entendent sur la version à appliquer et il ne s’agit donc pas d’une question en litige dans le présent appel.
III.
La décision de la Cour canadienne de l’impôt
[7]
La Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’appelante est une société de prêts pour l’application du Règlement sur la méthode d’attribution et elle a donc rejeté l’appel interjeté par l’appelante à l’encontre de la nouvelle cotisation établie au titre de la Loi sur la taxe d’accise pour la période de déclaration de 2010‑2011. Elle a annulé les appels relatifs aux périodes de déclaration 2008‑2009 et 2009‑2010, en expliquant qu’elle ne pouvait pas accroître les cotisations parce que le ministre ne peut pas interjeter appel de sa propre cotisation. Ainsi, seule la période de déclaration 2010‑2011 a été correctement soumise à l’examen de la Cour canadienne de l’impôt.
[8]
La Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’appelante est une IFDP et qu’elle est assujettie aux règles sur la MAS. Le paragraphe 225.2(1) de la Loi sur la taxe d’accise définit ce qu’est une IFDP (voir l’annexe). Les parties ne contestent pas le fait que l’appelante est une IFDP.
[9]
La question consiste plutôt à savoir à quelle catégorie générale d’IFDP l’appelante appartient. La partie 2 des règles sur la MAS établit des pourcentages d’attribution différents pour diverses catégories d’IFDP. L’appelante a produit sa déclaration en tant que personne morale générale et a donc appliqué le pourcentage d’attribution prévu au paragraphe 23(2) du Règlement sur la méthode d’attribution qui était en vigueur pendant la période de déclaration en question, à savoir la version actuelle (voir l’annexe). L’ARC a établi une nouvelle cotisation à l’égard de la déclaration annuelle de l’appelante au motif qu’elle était une société de prêts aux termes de l’article 11 du Règlement sur la méthode d’attribution qui était en vigueur pendant la période de déclaration en question (l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution) (voir l’annexe). Ainsi, la question dont était saisie la Cour canadienne de l’impôt était celle de savoir si l’appelante était une personne morale générale visée par l’article 23 du Règlement sur la méthode d’attribution ou une société de prêts aux termes de l’article 11 de l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution. Les parties s’entendent pour dire que, si l’appelante est une société de prêts pour l’application de l’article 11 de l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution, la nouvelle cotisation du ministre selon laquelle le pourcentage d’attribution pour la période de déclaration en question donnerait 2 537 716,99 $ est correcte. Toutefois, si l’appelante n’est pas une société de prêts pour l’application de l’article 11 de l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution, le pourcentage d’attribution devrait être calculé au moyen de la règle générale visant les personnes morales prévue à l’article 23 du Règlement sur la méthode d’attribution et donnerait 2 022 265,99 $ pour la période de déclaration en question.
[10]
La Cour canadienne de l’impôt a appliqué la méthode d’interprétation législative textuelle, contextuelle et téléologique énoncée dans Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 (Trustco Canada) (décision de la CCI, au paragraphe 119).
[11]
L’appelante a fait valoir que la bonne définition d’une société de prêts est une entité réglementée qui consent des prêts financés par des dépôts du public. Cet argument est fondé en grande partie sur le fait que la loi fédérale et les lois provinciales qui régissent les sociétés de fiducie et de prêts, par exemple la Loi sur les sociétés de prêt et de fiducie (Ontario), L.R.O. 1990, chap. L.25, définissent une société de prêts comme une personne morale constituée aux fins de recevoir des dépôts du public pour ensuite prêter ou placer les sommes reçues.
[12]
L’intimée a répliqué que le terme « société de prêts »
est utilisé dans le Règlement sur la méthode d’attribution dans son sens ordinaire, soit celui de société dont l’entreprise principale consiste à octroyer des prêts.
A.
Le texte
[13]
La Cour canadienne de l’impôt a conclu que le terme « société de prêts »
s’entend d’une société qui consent des prêts et que rien dans le texte n’indique que d’autres conditions s’ajoutent à cette définition (décision de la CCI, au paragraphe 120).
B.
L’objet
[14]
La Cour canadienne de l’impôt a ensuite conclu que [traduction] « [l]’objet du Règlement sur la méthode d’attribution découle de l’objet général des règles sur la MAS »
(décision de la CCI, au paragraphe 122) et que l’objet des règles sur la MAS consiste à s’assurer que les institutions financières ne choisissent pas d’acheter et de consommer des produits et des services dans les provinces non participantes, de façon à réduire leur obligation fiscale, ce qui serait susceptible de réduire l’investissement dans les provinces participantes :
[traduction]
[123] […] les règles sur la MAS visent à établir, d’une façon qui ne décourage pas l’IFDP d’acheter des produits et des services dans une province participante, le montant de l’impôt non remboursable que l’IFDP devrait payer au taux d’imposition provincial applicable, selon l’annexe VIII, aux produits et services consommés ou utilisés dans le cadre d’activités exonérées dans une province participante. La formule énoncée au paragraphe 225.2(2), en particulier le pourcentage d’attribution, est l’élément clé des règles sur la MAS qui sert à accomplir cet objectif.
C.
Le contexte
[15]
Enfin, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que le contexte n’étaye pas l’argument de l’appelante selon lequel elle n’est pas une société de prêts pour l’application de l’article 11 du Règlement sur la méthode d’attribution.
[16]
À l’appui de cette conclusion selon laquelle le contexte n’étaye pas l’argument de l’appelante, la Cour canadienne de l’impôt a mentionné le principe énoncé dans l’arrêt R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, à la page 701, 36 CR (4th) 171, selon lequel l’analyse contextuelle ne justifie aucunement les tribunaux de procéder à des modifications législatives. La Cour canadienne de l’impôt a renvoyé à sa décision récente Club Intrawest c. The Queen, 2016 TCC 149, au paragraphe 218, [2016] T.C.J. No. 115, où ce principe a également été appliqué.
[17]
La Cour canadienne de l’impôt a conclu que le Règlement sur la méthode d’attribution ne limite pas le terme « société de prêts »
aux institutions qui acceptent des dépôts du public et que la conclusion contraire reviendrait à une modification législative (décision de la CCI, au paragraphe 132).
[18]
La Cour canadienne de l’impôt a également rejeté l’argument de l’appelante selon lequel la présomption d’uniformité des expressions signifie que le terme « société de prêts »
est différent de l’expression « une personne dont l’entreprise principale consiste à prêter de l’argent »
(Loi sur la taxe d’accise, sous-alinéa 149(1)a)(viii)) (décision de la CCI, aux paragraphes 129 à 131). Elle a ajouté que :
[traduction]
[135] Rien dans les règles sur la MAS ou les autres dispositions de la Loi sur la TPS [Loi sur la taxe d’accise] n’indique qu’une société de prêts est une société réglementée par une loi fédérale ou provinciale. En fait, dans une situation où le législateur souhaiterait limiter une catégorie précise d’IFDP à une entité réglementée, il l’aurait fait au moyen des sous‑alinéas 149(1)a)(i) à (x), qui définissent une institution financière désignée.
Par exemple, la Cour canadienne de l’impôt a renvoyé au sous‑alinéa 149(1)a)(ii), qui limite la définition de « société de fiducie »
aux sociétés qui sont réglementées par la loi fédérale ou provinciale. Ainsi, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que le législateur aurait pu, de la même manière, limiter le sous-alinéa 149(1)a)(viii) aux sociétés réglementées, mais qu’il a choisi de ne pas le faire (décision de la CCI, aux paragraphes 137 et 138).
D.
Le contexte précis
[19]
La Cour canadienne de l’impôt s’est ensuite penchée sur le contexte précis dans lequel le terme « société de prêts »
est utilisée en examinant la structure du Règlement sur la méthode d’attribution qui permet de calculer le pourcentage d’attribution. La Cour canadienne de l’impôt a fait remarquer que [traduction] « le Règlement sur la méthode d’attribution reconnaît que les critères de la règle générale ne donnent pas une approximation raisonnable de la consommation pour toutes les catégories d’IFDP »
(décision de la CCI, au paragraphe 147) et que le Règlement sur la méthode d’attribution fournit donc des critères différents pour les catégories d’IFDP énumérées. En ce qui concerne les sociétés de prêts, la Cour a expliqué que le critère tient compte de la nature de l’entreprise exploitée par l’entité :
[traduction]
[147] Le Règlement sur la méthode d’attribution reconnaît que les critères de la règle générale ne fournissent pas une approximation raisonnable de la consommation pour toutes les catégories d’IFDP. Par conséquent, les articles 9 à 11 de l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution et les articles 24 à 38 du nouveau Règlement sur la méthode d’attribution prévoient des critères différents pour diverses catégories d’IFDP.
[148] Les règles spéciales des articles 9 à 11 de l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution et des articles 24 à 38 du nouveau Règlement sur la méthode d’attribution portent sur la nature unique de l’entreprise exploitée par l’entité pertinente. Comme on l’a vu précédemment, la formule pour les compagnies d’assurances, qui figure à l’article 9 de l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution et à l’article 24 du nouveau Règlement sur la méthode d’attribution, est fondée sur les recettes tirées des primes générées de certaines entreprises d’assurance dans une province donnée. La formule pour les banques, qui figure à l’article 10 de l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution et à l’article 25 du nouveau Règlement sur la méthode d’attribution, est fondée principalement sur le montant des prêts et des dépôts générés par l’entreprise dans une province participante donnée, mais elle tient également compte des traitements et salaires versés aux employés qui travaillent pour l’entreprise dans la province. La formule pour les sociétés de fiducie et de prêts, les sociétés de prêts et les sociétés de fiducie, qui figure à l’article 11 de l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution et à l’article 26 du nouveau Règlement sur la méthode d’attribution, est fondée sur les recettes brutes provenant de certains prêts consentis dans le cadre de l’entreprise exploitée dans une province participante donnée.
[149] Ceux qui ont rédigé le règlement étaient clairement d’avis que les critères utilisés dans la règle générale prévue à l’article 8 de l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution et à l’article 23 du nouveau Règlement sur la méthode d’attribution ne prévoyaient pas, pour certaines entités, une approximation raisonnable de la consommation. Ils ont jugé que ces entités avaient besoin de critères spéciaux (décision de la CCI, aux paragraphes 147 à 149).
La Cour canadienne de l’impôt a ensuite conclu que [traduction] « [d]e toute évidence, l’article 11 de l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution (et l’article 26 du nouveau Règlement sur la méthode d’attribution) tente d’estimer la consommation pour les entités dont l’entreprise principale consiste à prêter de l’argent »
(décision de la CCI, au paragraphe 152).
[20]
Au bout du compte, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique du Règlement sur la méthode d’attribution mène à la conclusion selon laquelle le terme « société de prêts »
renvoie à une société dont l’entreprise principale consiste à prêter de l’argent.
[21]
Étant donné que l’appelante avait admis dans l’exposé conjoint des faits que son entreprise principale consiste à prêter de l’argent, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’appelante était une société de prêts pendant la période de déclaration en question et elle a rejeté l’appel de la nouvelle cotisation.1
IV.
La question en litige
[22]
Je formulerais ainsi la question en litige dans le cadre du présent appel :
1.
La Cour canadienne de l’impôt a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelante est une société de prêts pour l’application du Règlement sur la méthode d’attribution?
V.
La norme de contrôle
[23]
Cette question d’interprétation législative est une question de droit et devrait être examinée selon la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).
VI.
Analyse
[24]
Pour répondre à cette question, je dois appliquer la règle bien établie en matière d’interprétation législative selon laquelle les lois doivent être interprétées au moyen de l’application d’une méthode textuelle, contextuelle et téléologique unifiée (Trustco Canada).
A.
Le texte
[25]
L’appelante soutient que le terme « société de prêts »
a un sens juridique établi et accepté et que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur puisqu’elle ne l’a pas appliqué. Elle fait valoir que le terme « société de prêts »
est interprété de façon uniforme dans les autres lois fédérales et provinciales comme exigeant la prise de dépôts du public. À l’appui de cet argument, l’appelante invoque la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt, L.C. 1991, ch. 45, article 57; d’autres lois fédérales, y compris la Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑3; et les lois comparables sur les sociétés de fiducie et de prêts de chaque province, par exemple la Loi sur les sociétés de prêt et de fiducie (Ontario). L’appelante soutient que [traduction] « [c]e sens juridique établi et accepté – une entité réglementée dont l’entreprise consiste à prêter de l’argent financé par des dépôts du public – est préférable au sens ordinaire adopté par l’intimée »
[souligné dans l’original].
[26]
Je conviens avec la Cour canadienne de l’impôt que le terme « société de prêts »
s’entend d’une [traduction] « société qui consent des prêts »
(décision de la CCI, au paragraphe 120). À mon avis, rien dans le terme « société de prêts »
ne signifie autre chose qu’une société qui consent des prêts. Le texte ne fait pas référence aux entités réglementées ni aux dépôts.
[27]
Je ne suis pas convaincu que le terme « société de prêts »
a un sens juridique accepté lorsqu’il est utilisé dans une loi autre que celles susmentionnées. Le fait que le terme « société de prêts »
est défini d’une certaine façon dans une série donnée de lois ne signifie pas que l’expression a un sens juridique accepté. En l’espèce, l’objet des lois fédérales et provinciales citées par l’appelante consiste à obliger les sociétés de fiducie et de prêts à s’inscrire dans les provinces où elles exploitent leur entreprise. À mon avis, l’intention des autres assemblées législatives lorsqu’elles ont défini les sociétés de prêts d’une certaine façon et pour un objet précis n’attribue pas la même intention au législateur fédéral, en particulier lorsque l’objet de la loi en question est fondamentalement différent, soit l’imposition uniforme des sociétés, peu importe où se trouve leur entreprise au Canada.
[28]
L’appelante soutient également que le sens juridique prétendument accepté était étayé par l’interprétation donnée par l’ARC au terme « société de prêts »
ainsi qu’il est utilisé à l’article 405 du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C. ch. 945. L’article 4 de l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution indique que « [s]auf indication contraire, les termes de la présente partie s’entendent au sens des parties IV et XXVI du Règlement de l’impôt sur le revenu »
. Jusqu’en 2001, l’ARC a interprété l’article 405 conformément à la définition proposée par l’appelante. Toutefois, en 2001, elle a changé d’avis et, depuis 16 ans, elle applique cet article aux sociétés dont l’entreprise principale consiste à prêter de l’argent ou à consentir des prêts. En tout état de cause, il est bien établi que les documents d’interprétation de l’ARC ne lient pas notre Cour et, à mon avis, cette preuve n’est pas déterminante.
B.
Le contexte
(1)
Le législateur aurait défini expressément le terme « société de prêts »
s’il avait eu voulu en limiter le sens
[29]
Le contexte du libellé de la Loi sur la taxe d’accise et des lois connexes réfute également l’argument de l’appelante selon lequel le terme « société de prêt »
a un sens juridique établi et accepté et que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur lorsqu’elle a omis de l’appliquer.
[30]
L’appelante invoque la présomption d’uniformité des expressions, selon laquelle les termes d’une loi ou de lois portant sur le même sujet ont le même sens. Ainsi, l’appelante fait valoir que [traduction] « [s]i l’intention du législateur avait été qu’une «société de prêts» s’entende d’une personne dont l’entreprise principale consiste à prêter de l’argent, il aurait utilisé le terme « société de prêts » au sous‑alinéa 149(1)a)(viii) [de la Loi sur la taxe d’accise] ou il aurait renvoyé à une société dont l’entreprise principale consiste à prêter de l’argent dans le Règlement sur les IFDP »
.
[31]
Comme la Cour canadienne de l’impôt l’a fait remarquer, la Loi sur la taxe d’accise fait précisément cela lorsqu’elle accorde à une institution financière un sens plus étroit que son sens général. Le sous-alinéa (ii) de l’alinéa 149(1)a) – qui comprend aussi le sous‑alinéa (viii) où se trouve l’expression contestée « une personne dont l’entreprise principale consiste à prêter de l’argent »
– limite les sociétés de fiducie aux entités réglementées :
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[32]
Cela réfute également l’argument de l’appelante selon lequel le fait que les termes « société de prêts »
et « société de fiducie »
sont mentionnés ensemble à l’article 11 de l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution signifie qu’ils devraient être interprétés de la même façon. Selon l’appelante, [traduction] « [u]ne société de fiducie est une institution financière qui exploite son entreprise en vertu d’une loi fédérale ou provinciale donnée »
et [traduction] « [i]l est raisonnable d’inférer que le terme « société de prêts » renvoie de la même façon à une catégorie donnée d’entité ayant les mêmes caractéristiques générales qu’une société de fiducie, à savoir une entité réglementée pour exploiter ce type d’entreprise ».
À mon avis, cet argument n’aide pas l’appelante puisque le sous‑alinéa 149(1)a)(ii) limite explicitement les sociétés de fiducie à celles autorisées par les lois du Canada ou d’une province, alors que le sous‑alinéa 149(1)a)(viii) n’impose aucune restriction de ce genre aux personnes dont l’entreprise principale consiste à prêter de l’argent. Le sous‑alinéa 149(1)a)(viii) est ainsi rédigé :
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À mon avis, cette différence ne fait que renforcer la conclusion selon laquelle le législateur n’avait pas l’intention de limiter le sens du terme « société de prêts »
.
[33]
De même, au sous‑alinéa 149(4.02)a)(iv) de la Loi sur la taxe d’accise, le législateur limite explicitement les sociétés à celles qui sont réglementées et qui acceptent des dépôts du public d’une façon semblable aux lois fédérales et provinciales citées par l’appelante :
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[34]
Le législateur a aussi limité le sens de certains termes connexes dans la Loi sur la taxe d’accise et les lois connexes. Le terme « banque »
, par exemple, a été limité de diverses façons dans la Loi sur la taxe d’accise et les lois connexes. Le paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise définit ainsi le terme « banque »
: « [b]anque et banque étrangère autorisée, au sens de l’article 2 de la Loi sur les banques [L.C. 1991, ch. 46] »
, alors que ce terme est défini de la façon suivante à l’article 2 de la Loi sur les banques et à l’article 35 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21 : « [b]anque figurant aux annexes I ou II »
. Par ailleurs, le terme « banque étrangère autorisée »
est défini comme suit dans la Loi sur les banques : « [b]anque étrangère faisant l’objet de l’arrêté prévu au paragraphe 524(1) »
.
[35]
Le silence du législateur dans le Règlement sur la méthode d’attribution est éloquent. Le législateur aurait pu définir le terme « société de prêts »
de façon à en limiter le sens, et il l’a fait dans la Loi sur la taxe d’accise elle-même et dans des lois connexes. Ici, par contre, il a choisi de ne pas le faire. Je conviens avec la Cour canadienne de l’impôt que les tribunaux ne devraient pas procéder à des modifications législatives.
(2)
Le législateur n’avait pas l’intention de créer deux catégories d’institutions de prêts
[36]
L’appelante soutient que la règle générale prévue à l’article 8 est assez large pour inclure ses activités. Je ne suis pas d’accord. Comme l’intimée l’a fait valoir, si c’était le cas, les articles 9 et 13 seraient inutiles. Ainsi que la Cour canadienne de l’impôt l’a conclu, le contexte du Règlement sur la méthode d’attribution n’étaye pas l’argument de l’appelante selon lequel il existe deux catégories d’institutions de prêts ayant deux pourcentages d’attribution différents. Il convient de citer l’explication de la Cour canadienne de l’impôt à cet égard :
[traduction]
[129] Je ne souscris pas à l’argument de l’appelante sur ce point. L’appelante suggère qu’en vertu du Règlement sur la méthode d’attribution il y a deux groupes d’institutions financières dont l’entreprise principale consiste à prêter de l’argent.
[130] Le premier groupe d’institutions reçoit des dépôts du public et il s’agit donc de sociétés de prêts. Ce groupe détermine son pourcentage d’attribution en vertu des règles spéciales figurant à l’article 11 de l’ancien Règlement sur la méthode attribution et de l’article 26 du nouveau Règlement sur la méthode d’attribution. Le deuxième groupe d’institutions ne reçoit pas de dépôts du public et il ne s’agit pas de « sociétés de prêts », même si leur entreprise principale consiste à prêter de l’argent. Ce groupe détermine son pourcentage d’attribution en vertu de l’article 23 du nouveau Règlement sur la méthode d’attribution.
[131] Une interprétation contextuelle du Règlement sur la méthode d’attribution n’appuie pas une telle conclusion. […]
[37]
La Cour canadienne de l’impôt a également expliqué que le Règlement sur la méthode d’attribution reconnaît que la règle générale prévue à l’article 8 ne fournit pas une approximation raisonnable de la consommation pour toutes les catégories d’IFDP, ce qui explique pourquoi les articles 9 et 11 sont nécessaires (voir le paragraphe 18 ci‑dessus).
[38]
Le choix par le législateur du libellé à l’article 13 de l’ancien Règlement sur la méthode attribution (et à l’article 39 du Règlement sur la méthode d’attribution) est particulièrement révélateur de son intention de séparer les IFDP en sous-catégories aux articles 8 à 12 de l’ancien Règlement (et aux articles 24 à 26 du Règlement sur la méthode d’attribution). L’article 13 mentionne clairement que les articles 9 à 11 de l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution décrivent des « catégories d’institutions financières »
. L’article 13 est ainsi libellé :
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[39]
Ainsi, comme l’atteste la description faite par le législateur des articles 9 à 11, qui énoncent les catégories d’institutions financières visées par l’article 13, ces articles sont destinés à renvoyer aux catégories d’institution financière en fonction de la nature de leur entreprise. À mon avis, rien n’indique que les institutions financières devraient être imposées selon leur statut réglementaire.
C.
L’objet
[40]
Comme l’a fait remarquer le juge de première instance, l’objet principal des règles sur la MAS consiste à décourager les institutions financières d’acquérir tous leurs intrants dans des provinces non participantes, puisque cela réduirait les investissements dans les provinces participantes. Dans ses motifs, la Cour canadienne de l’impôt a cité le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, Gaz. C. 2013.II.1167, qui accompagne le Règlement sur la méthode d’attribution :
[traduction]
[…] Ces modifications prévoient, de façon générale, ce qui suit : [...] les méthodes de calcul des pourcentages d’attribution provinciaux applicables à une IFDP, que celle-ci utilise pour déterminer la composante provinciale de la TVH dont elle est redevable pour chacune des provinces participantes, tiennent compte de la mesure dans laquelle les résidents de la province consomment les services financiers de l’IFDP.
[souligné dans la décision de la Cour canadienne de l’impôt]
Au bout du compte, sans les règles sur la MAS, la structure permettrait aux organisations de réduire au minimum l’impôt non récupérable qu’elles devraient payer. Les règles sur la MAS règlent cette question en attribuant la responsabilité de la partie provinciale de la TVH à la province où le service financier a été consommé.
[41]
Le fait d’interpréter le terme « société de prêts »
comme exigeant la prise de dépôts du public créerait une situation où certains prêteurs, y compris l’appelante, auraient un avantage par rapport à ceux qui acceptent les dépôts. L’intimée fait remarquer, et je suis d’accord, que l’appelante fait concurrence à des institutions financières privées qui sont assujetties au pourcentage d’attribution pour les sociétés de prêts. À mon avis, le législateur n’avait pas l’intention d’accorder cet avantage à l’appelante.
[42]
Enfin, l’appelante soutient que l’interprétation du terme « société de prêts »
par la Cour canadienne de l’impôt crée une possibilité d’évitement fiscal. Je ne suis pas d’accord. Une organisation a le droit de planifier ses affaires selon la loi en vigueur (Inland Revenue Commissioners v. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1, 19 TC 490). Si une organisation déclare correctement l’entreprise qu’elle a exploitée durant l’année, elle sera imposée en conséquence. Si ce régime permet aux organisations de planifier leurs affaires d’une façon qui leur évite de payer l’impôt, c’est au législateur de régler ce problème.
[43]
Ainsi, à mon avis, la Cour canadienne de l’impôt n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelante est une société de prêts pour l’application du Règlement sur les méthodes d’attribution. Elle a tenu compte du texte, du contexte et de l’objet du Règlement sur la méthode attribution et a conclu à juste titre que le terme « société de prêts »
n’est pas limité aux institutions réglementées qui acceptent des dépôts du public.
VII.
Conclusion
[44]
Je rejetterais l’appel avec dépens fixés à 2 200 $, tout compris.
« David G. Near »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
Johanne Gauthier, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Yves de Montigny, j.c.a. »
Annexe
Paragraphe 225.2(1) de la Loi sur la taxe d’accise :
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Paragraphe 23(2) du Règlement sur la méthode d’attribution :
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Article 11 de l’ancien Règlement sur la méthode d’attribution :
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT LE 24 FÉVRIER 2017, DOSSIER No 2013‑4196(GST)G.
DOSSIER :
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A‑105‑17
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INTITULÉ :
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FINANCEMENT AGRICOLE CANADA c. SA MAJESTÉ LA REINE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Calgary (Alberta)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 2 novembre 2017
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE NEAR
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Y ONT SOUSCRIT :
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LA JUGE GAUTHIER
LE JUGE DE MONTIGNY
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DATE DES MOTIFS :
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LE 12 DÉCEMBRE 2017
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COMPARUTIONS :
Me Olivier Fournier
Me Romy‑Alexandra Laliberte
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Pour l’appelante
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Me Darren Prevost
Me Michael Ezri
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Pour l’intimée
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Droit fiscal Deloitte S.E.N.C.R.L./s.r.l.
Calgary (Alberta)
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Pour l’appelante
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Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
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Pour l’intimée
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