Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20180108


Dossier : A‑80‑17

Référence : 2018 CAF 1

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

WILLIAM RALPH CLAYTON, WILLIAM RICHARD CLAYTON, DOUGLAS CLAYTON, DANIEL CLAYTON et BILCON OF DELAWARE INC.

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 20 novembre 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20180108


Dossier : A‑80‑17

Référence : 2018 CAF 1

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

WILLIAM RALPH CLAYTON, WILLIAM RICHARD CLAYTON, DOUGLAS CLAYTON, DANIEL CLAYTON et BILCON OF DELAWARE INC.

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1]  Les appelants interjettent appel de l’ordonnance de la Cour fédérale (2017 CF 214) rendue par la juge McDonald, dans laquelle cette dernière rejetait leur appel visant une ordonnance rendue par le protonotaire Aalto (2016 CF 1035). Le protonotaire avait rejeté la requête en suspension de la demande présentée à la Cour fédérale par le procureur général du Canada, par laquelle ce dernier demandait l’annulation d’une décision rendue par un groupe spécial arbitral constitué en vertu de l’Accord de libre‑échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États‑Unis et le gouvernement du Mexique, 17 décembre 1992, R.T. Can. 1994 no 2, 32 I.L.M. 289 (l’ALENA).

[2]  L’historique procédural pertinent est exposé en détail dans les décisions des juridictions inférieures et il n’est pas nécessaire de le répéter, sauf pour indiquer qu’un groupe spécial arbitral a été établi en vertu des dispositions relatives au règlement des différends entre les investisseurs et les États du chapitre 11 de l’ALENA afin de trancher un différend entre les appelants et le Canada. Les parties ont convenu que les questions liées à la compétence et à la responsabilité soient tranchées séparément de celles liées à l’évaluation et à la quantification des dommages‑intérêts, et le groupe spécial a rendu une ordonnance de disjonction de l’instance.

[3]  En mars 2015, le groupe spécial a rendu une sentence sur la compétence et la responsabilité dans laquelle il tranchait en défaveur du Canada : Bilcon of Delaware et al. c. Government of Canada (2015), CDA-2009-04 (groupe spécial au titre du ch. 11), en ligne : http://www.pcacases.com/web/sendAttach/1287.

[4]  L’article 1136 de l’ALENA confère aux parties au différend un délai de 120 jours pour amorcer une instance en vue de contester une sentence arbitrale. Le Code d’arbitrage commercial (le Code), établi à l’annexe 1 de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 17, s’applique aux demandes présentées aux fins d’arbitrage en vertu de l’article 1116 de l’ALENA (Loi sur l’arbitrage commercial, paragraphe 5(4); le Code, paragraphe 1(1); la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain, L.C. 1993, ch. 44, paragraphe 2(1)). En conséquence, le Canada a déposé une demande devant la Cour fédérale pour que cette dernière annule la sentence en vertu du paragraphe 34(1) du Code. En réponse, les appelants ont déposé une requête fondée sur le paragraphe 34(4) du Code et sur l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, pour obtenir une ordonnance en suspension de la demande d’annulation en attendant l’instruction et l’issue de l’instance en matière de dommages‑intérêts. Même si le Code renvoie à une demande d’« annulation » des sentences rendues par des tribunaux arbitraux, j’emploierai, par souci de commodité, le terme « demande de contrôle judiciaire ».

[5]  Le protonotaire a conclu que la sentence arbitrale était définitive et complète et qu’elle tranchait les questions liées à la compétence et à la responsabilité. Il a commencé son examen, comme il se doit, en examinant le paragraphe 34(4) du Code, qui est ainsi libellé :

CHAPITRE VII

CHAPTER VII

Recours contre la sentence

Recourse Against Award

ARTICLE 34

ARTICLE 34

La demande d’annulation comme recours exclusif contre la sentence arbitrale

Application for Setting Aside as Exclusive Recourse against Arbitral Award

[…]

4 Lorsqu’il est prié d’annuler une sentence, le tribunal peut, le cas échéant et à la demande d’une partie, suspendre la procédure d’annulation pendant une période dont il fixe la durée afin de donner au tribunal arbitral la possibilité de reprendre la procédure arbitrale ou de prendre toute autre mesure que ce dernier juge susceptible d’éliminer les motifs d’annulation.

(4) The court, when asked to set aside an award, may, where appropriate and so requested by a party, suspend the setting aside proceedings for a period of time determined by it in order to give the arbitral tribunal an opportunity to resume the arbitral proceedings or to take such other action as in the arbitral tribunal’s opinion will eliminate the grounds for setting aside.

[6]  Après avoir examiné le texte du Code, il a conclu que la sentence relative à la compétence et à la responsabilité était une « sentence » au sens du paragraphe 34(4) et que la question de savoir si l’instance de contrôle judiciaire devrait être suspendue relevait de son pouvoir discrétionnaire. Lorsqu’il a refusé d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, il a indiqué, entre autres, qu’une suspension de la demande de contrôle judiciaire ne donnerait pas au tribunal la possibilité, aux termes du paragraphe 34(4), d’« éliminer les motifs d’annulation » de la sentence arbitrale. Le groupe spécial avait tranché complètement et définitivement toutes les questions ayant trait à la compétence et à la responsabilité. Seules l’évaluation et la quantification des dommages‑intérêts allaient être examinées lors de la prochaine étape de la procédure.

[7]  Le protonotaire a ensuite examiné l’historique de l’instance, la nature des questions en litige ainsi que la question des délais et des inconvénients que subiraient les parties si la demande de contrôle judiciaire était suspendue. Il a refusé de suspendre la demande. En appel, la Cour fédérale a maintenu la décision du protonotaire.

[8]  Devant la Cour, les appelants ont reconnu, dans leurs observations orales, le caractère définitif de la sentence et le droit du Canada de demander un contrôle judiciaire, mais ils ont soutenu que la Cour fédérale a commis une erreur en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire de suspendre la demande.

[9]  Cette concession était appropriée. Les dispositions du Code elles-mêmes n’effectuent pas de distinction entre les sentences définitives et les autres sentences (à l’exception de l’article 32, intitulé « Clôture de la procédure »). En outre, les procédures étaient régies par le paragraphe 32(2) du Règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, GA 31/98 (Règlement de la CNUDCI), qui prévoit expressément que le « tribunal arbitral peut rendre [...] des sentences provisoires, interlocutoires ou partielles » et qu’une telle sentence « n’est pas susceptible d’appel devant une instance arbitrale ». Je souligne également que les auteurs de l’ouvrage Redfern and Hunter on International Arbitration, 5e éd., New York, Oxford University Press, 2009, page 522, reconnaissent, dans leur dernier écrit à ce sujet, qu’un contrôle judiciaire peut survenir lorsque la procédure est disjointe.

[10]  Il convient de noter à cet égard la décision rendue par un groupe spécial de l’ALENA dans Methanex Corporation c. United States of America (2005), en ligne : https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/ita0529.pdf (Methanex), relativement à une demande pour qu’il procède au réexamen de sa sentence en ce qui concerne la compétence. Le groupe spécial, lorsqu’il a rejeté l’argument selon lequel le tribunal conserve un large pouvoir discrétionnaire de réexaminer ou de modifier une sentence définitive qu’il avait rendue, a retenu les observations du gouvernement des États‑Unis selon lesquelles le paragraphe 32(2) du Règlement de la CNUDCI rend compte du principe de la chose jugée :

[traduction]

31. [...] Une sentence partielle est une sentence qui, aux termes du paragraphe 32(2) du Règlement de la CNUDCI, n’est pas susceptible d’appel en ce qui concerne la question qu’il tranche, même si le tribunal n’est pas dessaisi de l’affaire. Elle est présentée en tant que sentence et, à ce titre, elle tranche de manière définitive certaines questions en litige dans l’instance arbitrale. […]

32. Le tribunal rejette donc l’argument de Methanex selon lequel la sentence partielle n’est pas susceptible d’appel aux termes du paragraphe 32(2) du Règlement de la CNUDCI et l’argument selon lequel le paragraphe 32(2) ne vise que les sentences définitives, et non les sentences partielles. Cet argument est contraire au sens ordinaire des paragraphes 32(1) et (2) d’un point de vue lexical. Le tribunal est d’avis qu’aucun poids ne doit être accordé au fait que la « sentence » n’est pas définie davantage au paragraphe 32(2) en vue d’inclure expressément (entre autres) une sentence partielle. Il s’ensuit que, si un renvoi est fait à une sentence rendue en vertu du paragraphe 32(2), il vise à inclure une sentence partielle rendue en vertu du paragraphe 32(1) du Règlement de la CNUDCI (Methanex, partie II, chapitre E, aux paragraphes 31 et 32).

[11]  Le paragraphe 34(4) du Code prévoit que la Cour peut suspendre la demande de contrôle judiciaire si, entre autres considérations, elle est convaincue que la formation arbitrale peut prendre d’autres mesures en vue d’« éliminer les motifs d’annulation ». En l’espèce, les appelants ont reconnu qu’il n’y a aucune possibilité que les conclusions relatives à la responsabilité et à la compétence, soit les objets de la demande de contrôle judiciaire, disparaissent en raison de l’audience sur les dommages‑intérêts. En conséquence, le paragraphe 34(4) ne s’applique pas.

[12]  C’est dans ce contexte que je passe à l’examen de l’argument principal des appelants. Ils ont indiqué que la Cour fédérale avait commis une erreur en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire pour suspendre la demande de contrôle judiciaire. Ils soutiennent que les dommages‑intérêts sont [traduction] « inextricablement liés » à la conclusion relative à la responsabilité et que les énoncés formulés par le tribunal dans la décision sur les dommages‑intérêts peuvent clarifier ses motifs qui sous‑tendent la conclusion de responsabilité. Les appelants font également valoir que la Cour n’a pas fait preuve d’une retenue suffisante envers l’instance arbitrale et ils soulèvent le principe selon lequel on ne peut recourir aux tribunaux que si tous les autres recours sont épuisés. Les appelants soutiennent également que le protonotaire a appliqué le mauvais critère en ce qui concerne la question de savoir si l’instance de contrôle judiciaire devait être suspendue au titre de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales et qu’il a commis une erreur en concluant que les appelants ne subiraient aucun préjudice grave.

[13]  Depuis le jugement rendu par notre Cour dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, 402 D.L.R. (4e) 497 (Hospira), une décision discrétionnaire d’un protonotaire ne sera annulée que si ce dernier a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante concernant une question de fait ou une question mixte de fait et de droit : Hospira, aux paragraphes 64, 65 et 79. La même norme s’applique lorsque la Cour procède au contrôle de l’examen effectué par le juge des requêtes de la Cour fédérale relativement à la décision du protonotaire : Hospira, aux paragraphes 83 et 84.

[14]  Les décisions relatives aux requêtes pour sursis présentées au titre du paragraphe 34(4) du Code et de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales sont discrétionnaires et sont régies par la norme établie dans Hospira. Je ne suis pas convaincu, en appliquant cet arrêt, que la Cour fédérale a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante de fait ou de fait et de droit qui justifierait une intervention.

[15]  Je commencerai par la question relative à la retenue. Le juge des requêtes et le protonotaire ont reconnu qu’il convient de faire preuve de retenue à l’égard des processus administratifs en général (Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, aux paragraphes 30 à 32, [2011] 2 R.C.F. 32 (C.B. Powell)) et envers les tribunaux arbitraux en particulier : Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, au paragraphe 105, [2014] 2 R.C.S. 633. Un corollaire de ce principe est que « les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui-ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés » : C.B. Powell, au paragraphe 31; voir également Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, aux paragraphes 40 et 42, [2015] 2 R.C.S. 713.

[16]  Les appelants soutiennent que le tribunal peut formuler des énoncés dans sa décision relative aux dommages‑intérêts qui ont pour objet de préciser le fondement de la sentence relative à la compétence et à la responsabilité et que les motifs de cette décision pourraient avoir une incidence sur l’issue de la demande de contrôle judiciaire. Ils n’ont toutefois pas précisé comment une telle situation pourrait survenir.

[17]  À l’appui de leur argument, les appelants invoquent deux ordonnances de procédure rendues par le groupe spécial après qu’il eut rendu sa décision sur la compétence et la responsabilité, soit les ordonnances procédurales 19 et 20. Dans ces ordonnances, le groupe spécial indique que la sentence relative aux dommages‑intérêts [traduction] « pourrait offrir des renseignements supplémentaires quant à la situation » et que [traduction] « dans un processus à plusieurs volets, les décisions subséquentes peuvent éclairer le raisonnement dans les décisions antérieures ». Le protonotaire a conclu que ces ordonnances étaient vagues et hypothétiques, et qu’elles ne modifiaient pas le caractère définitif de la sentence relative à la compétence et à la responsabilité.

[18]  Je suis du même avis. Le groupe spécial a donné de longs motifs détaillés dans sa sentence relative à la compétence et à la responsabilité, et la façon dont les conclusions de compétence et de responsabilité seraient touchées par l’étape de la quantification des dommages‑intérêts n’était absolument pas claire pour le protonotaire et le juge de la Cour fédérale. Le groupe spécial n’a pas expliqué davantage comment l’étape des dommages‑intérêts pourrait éclairer la sentence et, en fait, en donnant à penser que les parties souhaiteraient peut‑être parvenir à un règlement, il renforçait ainsi le caractère définitif de sa conclusion en ce qui concerne la compétence et la responsabilité. En conséquence, le groupe spécial a fini ses travaux en ce qui concerne ces questions, et c’est à bon droit que le protonotaire a accordé peu de poids à ces remarques obscures. J’ajouterais que les appelants ne pouvaient pas présenter, et qu’ils n’ont pas présenté, d’arguments devant la Cour quant à la façon dont les conclusions relatives à la compétence et à la responsabilité pourraient être modifiées par l’évaluation des dommages‑intérêts.

[19]  Les appelants ont également invoqué la demande de contrôle judiciaire et les mémoires (observations écrites) déposés par le Canada à l’étape des dommages‑intérêts de l’arbitrage pour étayer son argument selon lequel il existe un lien entre la responsabilité et l’évaluation des dommages‑intérêts. Le Canada a accepté, pour les besoins du présent appel, la description que les appelants ont faite de la position qu’il avait adoptée dans ces actes de procédure, et ce, même si cette description n’a pas été produite à la Cour. Bien que la responsabilité soit une condition préalable à l’octroi de dommages‑intérêts, si les questions relatives à la responsabilité étaient toujours [traduction] « inextricablement liées » à l’évaluation des dommages‑intérêts, de sorte que la décision concernant les dommages‑intérêts aurait une incidence rétroactive sur la décision relative à la responsabilité, aucune demande de contrôle judiciaire d’une procédure disjointe ne pourrait être instruite tant que l’étape des dommages‑intérêts n’est pas achevée.

[20]  Peu importe la façon dont les parties décrivent la sentence relative à la compétence et à la responsabilité pour les besoins de la contestation des dommages‑intérêts et peu importe les renseignements contextuels supplémentaires que le groupe spécial pourrait donner au sujet de la sentence relative à la responsabilité lorsqu’il rendra sa sentence relative aux dommages‑intérêts, il n’en demeure pas moins qu’une sentence, peu importe l’étape à laquelle elle est rendue dans une procédure disjointe, « n’est pas susceptible d’appel devant une instance arbitrale » et qu’elle peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Le Canada n’a donc aucune possibilité d’avoir gain de cause pour ce qui est des questions liées à la compétence et à la responsabilité à l’étape des dommages‑intérêts. Afin que la doctrine de l’épuisement des recours justifie l’absence d’intervention par la Cour, il doit exister d’autres « recours efficaces qui sont ouverts [et qui] ne sont pas épuisés » : C.B. Powell, au paragraphe 31.

[21]  Le juge des requêtes et le protonotaire ont conclu, à bon droit, qu’il n’existait aucun autre recours ouvert au Canada et que la doctrine de l’épuisement des recours n’était pas pertinente. L’attente de possibles énoncés qui pourraient éclairer les conclusions en matière de responsabilité ne constitue pas un recours. Le seul recours était le contrôle judiciaire, et si le Canada n’avait pas déposé sa demande en annulation dans les trois mois suivant la sentence relative à la compétence et à la responsabilité, comme l’exige le paragraphe 34(3) du Code, son recours aurait été prescrit.

[22]  En guise de conclusion, le Canada a déclaré qu’il poursuivrait sa contestation des conclusions relatives à la compétence et à la responsabilité, et ce, [traduction] « même si les dommages-intérêts octroyés devaient être nuls ». Les arguments des appelants brouillent le fait qu’une décision définitive a été rendue sur la responsabilité et que rien de ce qui est dit à l’étape des dommages‑intérêts ne peut annuler cette conclusion.

[23]  J’examine maintenant la question de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en refusant de suspendre l’instance de contrôle judiciaire au titre de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales.

[24]  Pour commencer, il est important de faire une distinction entre « la suspension d’une instance en attendant l’issue d’un appel ou d’une autre démarche, ou sur les demandes d’injonction » et une suspension qui est, en réalité « un ajournement à long terme » : Epicept Corp. c. Canada (Ministre de la Santé), 2011 CAF 209, au paragraphe 14, 425 N.R. 353. Pour renforcer cette distinction, dans Mylan Pharmaceuticals ULC c. AstraZeneca Canada, Inc., 2011 CAF 312, 426 N.R. 167 (Mylan), la Cour a établi un critère de « l’intérêt de la justice » qui régit la question de savoir si la Cour devrait suspendre sa propre procédure. Dans cette affaire, au paragraphe 5, le juge Stratas a conclu que :

[5] […] Le cas où la Cour décide de n’exercer sa compétence que plus tard. Lorsqu’elle choisit cette voie, la Cour exerce un pouvoir qui n’est pas sans ressembler à l’établissement d’un calendrier ou à l’ajournement d’une affaire. Ce genre de décision repose sur des considérations discrétionnaires d’ordre général. Il y a les considérations d’intérêt public — la nécessité que les instances se déroulent équitablement et avec célérité —, mais il s’agit, sur le plan qualitatif, d’un facteur différent des considérations d’intérêt public qui s’appliquent lorsque la Cour interdit à un autre organisme de faire ce que le législateur l’autorise à faire. Par conséquent, les critères rigoureux énoncés dans l’arrêt RJR‑MacDonald ne s’appliquent pas dans un tel cas. Cela ne signifie pas que la Cour reportera une affaire de manière inconsidérée. Tout dépend des circonstances factuelles présentées à la Cour. Dans certains cas, il sera difficile de persuader la Cour, comme lorsque le délai demandé est long ou qu’il entraînera de lourdes conséquences pour une partie ou le grand public. Dans d’autres cas, il sera plus facile de la convaincre.

[Soulignement dans l’original.]

[25]  Même si le protonotaire a renvoyé au critère à trois volets établi dans l’arrêt RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, 111 D.L.R. (4e) 385 (RJR‑MacDonald), plutôt qu’au critère de « l’intérêt de la justice », il s’agit d’une erreur sans conséquence.

[26]  Les cours de justice, lorsqu’elles se penchent sur « l’intérêt de la justice », peuvent tenir compte de certaines des considérations énoncées dans RJR–MacDonald – la question de savoir s’il existe une question sérieuse à juger, l’existence d’un préjudice irréparable et la prépondérance générale des inconvénients ou des intérêts. En l’espèce, même si le protonotaire n’a pas utilisé la nomenclature exacte du critère de « l’intérêt de la justice », il s’est orienté vers des considérations pertinentes à l’exercice du pouvoir discrétionnaire selon le critère.

[27]  En l’espèce, la question de savoir si une suspension doit être ordonnée au titre de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales se résume à une simple question, celle de savoir s’il était approprié d’instruire la demande de contrôle judiciaire. Le protonotaire a examiné cette question en détail, il a examiné et soupesé les facteurs pertinents et il n’a commis aucune erreur manifeste et dominante lorsqu’il a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de suspendre la demande de contrôle judiciaire.

[28]  Le protonotaire a examiné les arguments présentés par les appelants quant au préjudice et il a conclu qu’ils étaient soit hypothétiques, soit indemnisables par l’attribution de dépens, soit la reformulation d’arguments fondés sur les ordonnances de procédure rendues par le groupe spécial. Il a également examiné et pondéré la question du délai, qui est intégrée à tout examen du critère de l’intérêt de la justice. Il a conclu que le Canada peut [traduction] « subir un préjudice si une suspension est accordée, puisqu’il faudra au moins deux autres années pour qu’une Cour instruise cette question si on devait attendre que l’étape des dommages intérêts soit achevée ». Surtout, étant donné que la demande de contrôle judiciaire [traduction] « [pouvait] être instruite et tranchée bien avant cela » et que les appelants n’avaient pas démontré l’existence d’un préjudice, le protonotaire a conclu que [traduction] « rien ne justifie que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire d’accorder une suspension ». La responsabilité de la Cour de s’assurer que l’instance se déroule de manière expéditive, opportune et équitable, est une considération essentielle lorsqu’on lui demande de suspendre sa propre instance.

[29]  Les préoccupations du protonotaire quant aux délais, à la bonne administration de la justice et au droit du Canada d’exercer un recours qui lui est reconnu ont été renforcées du fait qu’il a fallu 17 mois pour que le tribunal rende sa décision quant à la compétence et à la responsabilité, et que les groupes spéciaux ne sont pas assujettis à un échéancier à l’intérieur duquel ils doivent rendre leur décision. Le protonotaire a indiqué qu’une suspension de la demande de contrôle judiciaire, demande déposée en juin 2015, pourrait signifier que quatre années pourraient s’écouler avant que la contestation de la décision relative à la compétence et à la responsabilité par le Canada soit instruite.

[30]  Les appelants ont concédé que la décision relative à la compétence et à la responsabilité est définitive et que c’est à ce stade-ci que la loi envisage la présentation d’une demande de contrôle judiciaire relativement à la sentence. Les appelants ont également reconnu que la question de savoir si le contrôle judiciaire doit être effectué à ce stade-ci est tranchée selon les faits et les circonstances de chaque cas. Ces circonstances comprennent le fait que les parties et le groupe spécial ont accepté de disjoindre l’instance en deux étapes distinctes. L’instance de contrôle judiciaire est bien en cours – l’audition est d’ailleurs fixée au 29 janvier 2018. Une suspension prononcée la veille de l’audition de la demande de contrôle judiciaire entraînerait d’autres retards et des frais inutiles, qui sont, tous deux, incompatibles avec l’intérêt de la justice. En outre, si la sentence relative à la compétence et à la responsabilité est annulée, l’annulation pourrait rendre théorique la deuxième étape de l’instance. Comme le protonotaire et le juge l’ont tous les deux indiqué, ce facteur a également milité en faveur du rejet de la demande de suspension.

[31]  En résumé, je ne relève aucune erreur de droit justifiant la modification ni aucune erreur manifeste et dominante dans la manière avec laquelle le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire et je rejetterais donc l’appel avec dépens. Je modifierais également l’intitulé de l’instance, pour que le procureur général du Canada soit désigné à titre d’intimé, comme il se doit et comme cela aurait dû être indiqué dans l’avis d’appel.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »

« Je suis d’accord

J.B. Laskin, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEAL D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉE DU 22 FÉVRIER 2017 (2017 CF 214)

DOSSIER :

A‑80‑17

 

INTITULÉ :

WILLIAM RALPH CLAYTON et al. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 20 NOVEMBRE 2017

mOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JANVIER 2018

COMPARUTIONS :

John Judge

Gregory J. Nash

POUR LES APPELANTS

Roger Flaim

Karen Lovell

POUR L’INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nash Johnston LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES APPELANTS

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

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