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Date : 20180111


Dossier : A-92-17

Référence : 2018 CAF 6

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

THANH TRUC TRUONG

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 11 janvier 2018.

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 11 janvier 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE WOODS

 


Date : 20180111


Dossier : A-92-17

Référence : 2018 CAF 6

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

THANH TRUC TRUONG

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 11 janvier 2018).

LA JUGE WOODS

[1]  Mme Thanh Truc Truong interjette appel d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt concernant des cotisations fondées sur l’avoir net établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5suppl.) et de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15.

[2]  Les cotisations fondées sur l’avoir net ont été établies par le ministre du Revenu national en l’espèce parce que les documents fournis par l’appelante étaient nettement insuffisants. La méthode de cotisation consiste à estimer les augmentations de l’avoir net du contribuable. Il est reconnu qu’il s’agit d’un outil de cotisation très rudimentaire, mais son emploi se justifie en l’espèce par le défaut de l’appelante de tenir les registres voulus conformément aux exigences législatives applicables.

[3]  Dans les cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, le ministre a ajouté au revenu de l’appelante des montants totalisant 1 682 509 $ pour les années d’imposition 2005 à 2009 inclusivement. Il a aussi imposé des pénalités pour faute lourde à l’égard de ces montants. Les cotisations établies en vertu de la Loi sur la taxe d’accise reposaient sur la présomption que l’appelante avait omis de déclarer la TPS à percevoir d’un total de 92 185 $ pour les mêmes périodes. Des pénalités pour faute lourde ont aussi été imposées sur ces montants.

[4]  Les cotisations ont fait l’objet d’un appel à la Cour canadienne de l’impôt, qui les a confirmées, à l’exception du revenu non déclaré qui a été très légèrement réduit (2017 CCI 22).

[5]  La Cour canadienne de l’impôt (le juge Bocock) a conclu dans son analyse que l’appelante avait exploité plusieurs entreprises, qu’elle avait été propriétaire de cinq immeubles et qu’elle avait eu différents comptes bancaires au cours de la période pertinente. Elle a aussi fait observer qu’aucun livre ni registre n’avait été produit.

[6]  En ce qui concerne le calcul par le ministre des montants non déclarés de revenu et de TPS, la Cour canadienne de l’impôt a précisé, au paragraphe 51 de sa décision, que l’appelante avait admis être propriétaire d’un grand nombre d’éléments d’actif, mais qu’elle n’avait fourni aucune explication quant aux sources de fonds non imposables auxquelles les montants visés par les cotisations se rattachaient.

[7]  Confirmant dans une large mesure les montants calculés par le ministre, la Cour a exprimé sa conclusion générale en ces termes, au paragraphe 48 de sa décision : « De vagues affirmations, des contestations incohérentes au sujet des éléments de preuve concrets de la part de parties intéressées et liées et l’absence de preuve documentaire ne sauraient réfuter les documents convaincants de tierces parties, les témoignages désintéressés et les conclusions logiques qui font partie intégrante de la cotisation subsidiaire du ministre, laquelle est fondée sur des documents de tiers et est étayée par des témoignages clairs au procès ».

[8]  En ce qui concerne l’imposition de pénalités pour faute lourde, la Cour canadienne de l’impôt a décidé que les faits justifiaient amplement cette mesure, en raison notamment de l’ampleur de l’écart entre, d’une part, le revenu déclaré par l’appelante, et d’autre part, l’avoir net que celle‑ci a admis posséder et les activités commerciales qu’elle a reconnu exercer.

[9]  J’examinerai maintenant les questions en litige dans le présent appel, en commençant par la norme de contrôle bien connue qui est décrite dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Essentiellement, notre Cour doit confirmer la décision la Cour canadienne de l’impôt à moins que celle‑ci ait commis une erreur en statuant sur une question de droit ou qu’elle ait commis une erreur manifeste et dominante concernant des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit où les faits dominent. Les termes « manifeste » et « dominante » s’entendent dans le présent contexte d’une erreur évidente qui touche au cœur de l’issue du litige.

[10]  En l’espèce, nous concluons que la Cour canadienne de l’impôt n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle de cette nature et que l’appel devrait être rejeté.

[11]  L’appelante soutient que la Cour canadienne de l’impôt a commis deux erreurs de droit, d’une part, en admettant en preuve des comptes rendus de jeu obtenus auprès de casinos et, d’autre part, en demandant que l’appelante fournisse la preuve que les sommes dépensées provenaient de sources non imposables. À notre avis, aucune de ces erreurs n’a été commise.

[12]  En ce qui concerne l’admission en preuve par la Cour canadienne de l’impôt des comptes rendus de jeu, il semble qu’il s’agisse de documents générés par ordinateur où sont notés les résultats obtenus auprès de plusieurs casinos que l’appelante fréquentait. De façon générale, les pertes nettes de jeu sont ajoutées au revenu non déclaré dans le calcul de l’avoir net lorsque la source des fonds liés aux pertes est inconnue. Il semble s’agir là d’un élément important du calcul de l’avoir net. Selon la feuille de travail du vérificateur qui figure à la page 389 du dossier d’appel, le ministre semble avoir conclu que l’appelante avait cumulé des pertes de jeu totalisant plus de 750 000 $ au cours des cinq années en cause.

[13]  L’appelante soutient que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en admettant ces documents parce qu’ils constituent une preuve par ouï‑dire. Même si l’appelante ne conteste pas l’authenticité des comptes rendus de casinos générés par ordinateur, elle soutient que ces comptes rendus ne présentent pas fidèlement les sommes qu’elle a dépensées dans ces casinos.

[14]  À notre avis, l’approche adoptée par la Cour canadienne de l’impôt concernant ces documents n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle. Les comptes rendus étaient admissibles en tant que pièces commerciales. Dès lors, la Cour canadienne de l’impôt devait en apprécier la valeur probante en déterminant le montant probable des pertes de jeu subies par l’appelante.

[15]  Bien qu’elle ait reconnu que les comptes rendus ne permettaient pas de déterminer avec une parfaite exactitude le montant des dépenses de l’appelante, la Cour canadienne de l’impôt a conclu à la lumière de l’ensemble de la preuve qu’il était justifié d’en tenir compte dans le calcul de l’avoir net. Il s’agit là d’une question mixte de fait et de droit à laquelle s’applique la norme de l’erreur manifeste et dominante. L’approche de la Cour canadienne de l’impôt ne révèle aucune erreur de cette nature. Il est reconnu que l’établissement d’une cotisation fondée sur l’avoir net est un moyen rudimentaire de calculer le revenu, mais, comme nous l’avons déjà mentionné, le recours à ce moyen est accepté lorsque le contribuable omet de produire des livres et des registres adéquats, contrairement à ce qu’exige la loi.

[16]  Interrogé à l’audience sur l’approche que la Cour canadienne de l’impôt aurait dû adopter à l’égard des dépenses de jeu prises en compte dans le calcul de l’avoir net, l’avocat de l’appelante a déclaré que la Cour de l’impôt aurait dû retenir les témoignages des amis et des proches parents de l’appelante plutôt que celui de son ancien petit ami. Comme il est expliqué plus loin, il n’y aucune erreur manifeste et dominante dans la conclusion de la Cour canadienne de l’impôt de retenir le témoignage de l’ancien petit ami.

[17]  L’appelante soutient en outre que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur de droit, au paragraphe 37 de sa décision, lorsqu’elle a demandé que l’appelante prouve que les montants visés par les cotisations provenaient de sources non imposables.

[18]  Une fois de plus, nous ne sommes pas d’accord. L’appelante interprète mal le critère énoncé au paragraphe 37 des motifs de la Cour canadienne de l’impôt. Il est question à ce paragraphe de la nécessité de prouver que les fonds proviennent d’une source non imposable. Cette phrase, qui est tirée d’un extrait de la décision Golden c. La Reine, 2009 CCI 396, 2009 D.T.C. 1273, ne s’applique toutefois que lorsque le contribuable remet en question la nécessité d’une cotisation fondée sur l’avoir net. Ce n’est pas le cas en l’espèce. L’appelante ne fait que s’opposer à des éléments précis du calcul de l’avoir net.

[19]  L’appelante soutient aussi que la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante dans son appréciation des faits, car le juge du procès a fait preuve de partialité. Nous ne souscrivons pas non plus à cet argument.

[20]  D’une part, il importe de préciser que des allégations de partialité à l’égard d’un juge sont des allégations graves qui ne doivent pas être formulées à la légère (Es‑Sayyid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 59, [2013] 4 R.C.F. 3, par. 50). En l’espèce, l’appelante n’a pas démontré le bien-fondé de son allégation de partialité. Il s’agit d’une simple allégation qui est loin d’être suffisante.

[21]  D’autre part, l’appelante laisse entendre que la Cour canadienne de l’impôt a fait preuve de partialité en retenant le témoignage de son ancien petit ami plutôt que son témoignage et ceux de ses amis et proches parents. La conclusion de la Cour canadienne de l’impôt à cet égard repose sur une évaluation sérieuse de la crédibilité et de la valeur probante et commande donc la retenue. Elle ne constitue pas une erreur manifeste.

[22]  L’appelante fait aussi valoir que la Cour canadienne de l’impôt a mal interprété certains témoignages et qu’elle en a écarté d’autres. Les erreurs qui sont mentionnées dans le mémoire de l’appelante sont relativement peu importantes. Ces erreurs, examinées séparément ou ensemble, ne sauraient constituer une erreur dominante touchant au cœur de l’issue du litige.

[23]  Nous avons conclu que le présent appel devrait être rejeté, avec dépens adjugés à l’intimée.

« Judith Woods »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-92-17

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU LE 8 FÉVRIER 2017 PAR LE JUGE BOCOCK DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT, DOSSIERS NOS 2013‑2653 (IT)G ET 2013‑2654 (GST)G.

INTITULÉ :

THANH TRUC TRUONG c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 janvier 2018

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LA JUGE WOODS

COMPARUTIONS :

Sunita D. Doobay

Osnat Nemetz

Pour l’appelante

 

Laurent Bartleman

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

TaxChambers LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’appelante

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

 

 

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