Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20180112


Dossier : A‑75‑16

Référence : 2018 CAF 10

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

HUSKY OIL OPERATIONS LIMITED

appelante

et

OFFICE CANADA‑TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR DES HYDROCARBURES EXTRACÔTIERS
ET
COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

intimés

Audience tenue à St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 28 juin 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

MOTIFS CONCORDANTS :

LA JUGE GAUTHIER

Y A SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS


Date : 20180112


Dossier : A‑75‑16

Référence : 2018 CAF 10

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

HUSKY OIL OPERATIONS LIMITED

appelante

et

OFFICE CANADA‑TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR DES HYDROCARBURES EXTRACÔTIERS
ET
 COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]  La Cour est saisie d’un appel du contrôle judiciaire de la décision en matière d’accès à l’information (Husky Oil Operations Limited c. Office Canada‑Terre‑Neuve‑et‑Labrador des hydrocarbures extracôtiers, 2016 CF 117 (les motifs)) rendue par l’Office Canada‑Terre‑Neuve‑et‑Labrador des hydrocarbures extracôtiers (l’Office). L’Office a décidé de divulguer le nom de deux employés de Husky Oil Operations Limited (Husky) contenus dans les documents répondant à une demande d’accès au titre de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A‑1 (la Loi sur l’accès), ayant conclu que le public avait accès à ces renseignements sur l’internet. Husky maintient que les noms et l’affiliation des employés avec Husky dans le contexte de ces documents constituaient des renseignements personnels et que, par conséquent, ils ne peuvent être divulgués.

[2]  Dans la décision faisant l’objet du présent appel, le juge Phelan (le juge) a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par Husky, qui interjette maintenant appel devant notre Cour. L’Office et le commissaire à l’information du Canada (le commissaire à l’information) sont les intimés dans le cadre du présent appel.

[3]  La signification de l’expression « renseignements personnels » sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21, dont la définition est incorporée par renvoi à l’article 19 de la Loi sur l’accès, est au cœur du présent appel. Plus particulièrement, notre Cour doit décider si le nom d’un employé qui figure dans les documents administratifs du type en question en l’espèce doit être considéré comme des « renseignements personnels » et si, du fait de l’accès du public sur l’internet au nom et au titre d’emploi d’un employé ainsi qu’à son association avec un organisme tiers, le nom et le titre d’emploi de l’employé contenus dans ces documents peuvent être divulgués. La même question a également été soulevée dans une affaire connexe débattue devant notre Cour (Suncor Energy Inc. c. Office Canada‑Terre‑Neuve‑et‑Labrador des hydrocarbures extracôtiers, 2018 CAF 11) la veille de la présente affaire.

I.  Les faits

[4]  Une personne anonyme a rempli une demande d’accès à l’information et l’a présentée à l’Office afin d’obtenir certains documents. Plus particulièrement, la demande visait les documents suivants :

[traduction]

1. [...] les formulaires de demande envoyés, la correspondance, la réponse de l’Office, les montants des crédits de travail accordés et l’ensemble des autres documents et des pièces jointes connexes pour chaque numéro de programme figurant dans la lettre de l’OCTNLHE datée du 13 mars 2012 [...]

2. [...] tous les documents relatifs à la visualisation, à la divulgation, aux emprunts et aux copies faites à partir de ces mêmes numéros de programme [...], notamment les conventions de responsabilité, la correspondance, les transmissions, les formulaires de suivi des exemplaires, les courriels et les factures.

Formulaire de demande d’accès à l’information, dossier d’appel public, onglet 3.

[5]  En d’autres termes, la demande visait l’accès à des documents portant sur des demandes antérieures de renseignements géophysiques et géologiques présentées par des sociétés à l’Office. En réponse à cette demande d’accès, l’Office a trouvé certains documents contenant des renseignements concernant des demandes d’information que Husky lui avait présentées.

[6]  Puisque les documents demandés provenaient d’un tiers, l’Office a, en application de l’article 27 de la Loi sur l’accès, fourni à Husky des copies des documents demandés et a sollicité son consentement à la communication des renseignements. Husky s’est opposée à la divulgation des noms, des titres et des coordonnées des deux employés auteurs des documents en question aux termes de l’article 19 de la Loi sur l’accès et, en conséquence, l’Office a accepté de caviarder les coordonnées. Toutefois, l’Office a décidé que le public avait accès aux noms et à l’affiliation des deux employés, puisqu’ils étaient disponibles sur l’internet, et il a conclu qu’il convenait d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès et de communiquer les documents demandés sans caviarder les noms et les titres.

II.  La décision contestée

[7]  Dans des motifs succincts, le juge a conclu que Husky n’avait « produit aucune preuve ni analyse quant aux raisons pour lesquelles l’Office ne devrait pas divulguer cette information » (motifs, par. 15). L’inconvénient que cette divulgation causerait à Husky n’était pas clair. Le juge a fait remarquer qu’une « telle préoccupation » était habituellement invoquée au titre de l’article 20 de la Loi sur l’accès, lequel porte sur les renseignements des tiers (motifs, par. 16). Vu le pouvoir discrétionnaire de divulguer des renseignements personnels conféré à l’Office par le paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès, le juge a conclu à l’absence de motifs justifiant la modification de la décision de l’Office et a rejeté la demande de contrôle judiciaire.

III.  Les questions en litige

[8]  Le présent appel soulève les questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. Les noms et les titres des employés de Husky, dans le contexte des documents demandés, constituent‑ils des « renseignements personnels » visés au paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès?

  3. L’Office a‑t‑il conclu à tort que le public avait accès aux « renseignements personnels » en cause et a‑t‑il exercé à mauvais droit son pouvoir discrétionnaire d’en donner communication en vertu du paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès?

IV.  Analyse

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[9]  Dans Blank c. Canada (Justice), 2016 CAF 189, [2016] A.C.F. no 694 (QL) (Blank), notre Cour a conclu à l’unanimité que la norme de contrôle applicable à l’examen en appel de la décision rendue par un juge de la Cour fédérale dans le contexte d’un contrôle judiciaire présenté au titre de l’article 41 de la Loi sur l’accès demeure la norme habituelle appliquée à tout appel interjeté à l’encontre d’un contrôle judiciaire, suivant l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (Agraira). Aux paragraphes 22 et 23 de l’arrêt Blank, notre Cour s’est exprimée ainsi :

Dans l’appel interjeté à l’encontre d’un contrôle judiciaire, notre Cour doit voir si la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle et l’a bien appliquée [...] [Renvoi omis.]

Contrairement à ce que prétend l’intimé, la Cour ne doit pas décider uniquement si la cour d’instance inférieure a commis une erreur manifeste et dominante dans son application de la norme de contrôle applicable [...] Au contraire, la Cour suprême a conclu qu’une cour siégeant en appel du jugement d’une cour d’instance inférieure ayant procédé au contrôle judiciaire d’une décision administrative devrait se « met[tre] à la place » de la cour d’instance inférieure pour réviser la décision administrative selon la norme de contrôle applicable [...] [Renvois omis.]

[10]  Les avocats du commissaire à l’information ont soutenu devant nous que cet arrêt ne cadrait pas bien avec Merck Frosst Canada Ltée. c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23 (Merck), où les juges majoritaires et dissidents ont confirmé l’approche adoptée par notre Cour d’appliquer de la norme de contrôle en appel qu’avait établie l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Il est prétendu que l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Agraira n’a pas infirmé l’arrêt antérieur de cette même cour dans Merck au sujet de la norme de contrôle distincte en appel à appliquer dans les affaires de contrôle judiciaire relevant de la Loi sur l’accès. Invoquant la dissidence dans Merck, les avocats du commissaire à l’information ont également fait valoir que les particularités du processus de révision prévues sous le régime de la Loi sur l’accès expliquent cette approche distincte pour le contrôle en appel. Dans Merck, au paragraphe 249, la juge Deschamps (au nom des juges minoritaires) a identifié les particularités suivantes : le rôle non décisionnel du commissaire lorsqu’il procède à un examen indépendant; le fait que l’opinion de l’institution sur l’obligation de refuser ou de permettre la divulgation des documents aux termes de la Loi sur l’accès ne fait pas autorité; le rôle du juge de la Cour fédérale en tant que premier décideur impartial qui prononce ses propres conclusions et fait ses propres inférences sur la base du dossier tel qu’il existe à ce moment‑là. Pour les motifs qui suivent, je ne trouve pas ces arguments convaincants.

[11]  Premièrement, il n’y a aucun doute que la même norme de contrôle doit s’appliquer aux appels découlant des articles 41 et 44 de la Loi sur l’accès. L’article 41 confère un droit de solliciter un contrôle judiciaire à une personne à qui l’accès à un document a été refusé (comme dans Blank), tandis que l’article 44 confère le même droit aux tiers dont les renseignements peuvent être divulgués (comme en l’espèce). Il n’y a aucune raison de principe pour distinguer entre ces deux scénarios et aucun n’a été avancé par les parties.

[12]  Deuxièmement, on ne pouvait s’attendre à ce que la Cour suprême du Canada infirme expressément l’arrêt Merck dans ses motifs dans l’affaire Agraira. En fait, une cour d’appel formule rarement des commentaires sur l’incidence possible de ses jugements sur des jugements antérieurs. Le fait que la Cour a renvoyé brièvement à la description par la juge Deschamps dans Merck du processus suivi par une cour d’appel lors de son examen de la décision d’une cour supérieure dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire ne doit aucunement être interprété comme une approbation implicite du raisonnement complet de la juge concernant l’application de la norme de contrôle judiciaire en appel dans le contexte de la Loi sur l’accès.

[13]  Enfin, je suis d’avis qu’il n’existe aucune raison convaincante de distinguer entre le contrôle judiciaire par une cour supérieure d’une décision rendue par un fonctionnaire et celle d’un tribunal administratif en ce qui concerne la norme de contrôle à appliquer par une cour d’appel. Dans le contexte du droit de l’immigration, par exemple, certaines décisions sont rendues par l’une des quatre sections de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, tandis que d’autres sont rendues par le ministre, par l’intermédiaire de représentants ministériels. Les décisions rendues par le ministre comprennent : les demandes de visa et les autorisations de voyage électroniques (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), article 11), la décision de désigner comme une « arrivée irrégulière » l’arrivée au Canada d’un groupe de personnes soupçonné de se livrer au passage de clandestins ou au trafic de personnes (LIPR, article 20.1), les demande de statut de résident permanent pour des considérations d’ordre humanitaire (LIPR, paragraphe 25(1)), les décisions concernant les examens des risques avant renvoi (LIPR, article 112) et les décisions de révoquer la citoyenneté d’une personne dans les cas où elle a été obtenue par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration (Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29, article 10).

[14]  Toutes ces décisions, qu’elles soient rendues par un organisme quasi judiciaire ou par les délégués du ministre, sont susceptibles de faire l’objet d’un contrôle judiciaire (avec ou sans autorisation de la Cour fédérale), quoique diverses normes de contrôle s’appliquent afin de tenir compte de l’expertise du décideur, de la procédure suivie et de la nature des questions à trancher dans le cadre du contrôle. Toutefois, à l’étape de l’appel, ces décisions de la Cour fédérale font toutes l’objet d’un contrôle selon la même norme; en fait, dans Agraira, la Cour suprême du Canada n’a fait aucune distinction du genre de celle proposée par la juge Deschamps, et elle a cité avec approbation (par. 45) l’extrait suivant de l’arrêt de notre Cour dans Canada (Agence du revenu) c. Telfer, 2009 CAF 23, [2009] 4 C.T.C. 123, par. 18 :

Bien qu’il y ait eu confusion dans le passé, la jurisprudence actuelle permet d’affirmer que lorsqu’une décision en matière de contrôle judiciaire est portée en appel, le rôle de la juridiction d’appel consiste simplement à décider si la juridiction inférieure a employé la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement. Le rôle de la juridiction d’appel ne se limite pas à se demander si la juridiction inférieure a commis une erreur manifeste et dominante en appliquant la norme de contrôle appropriée.

[15]  Lorsqu’une décision de retenir des renseignements rendue par un responsable d’une institution fédérale fait l’objet d’un contrôle, il est bien établi que le rôle du juge de la Cour fédérale est de vérifier si la décision, selon laquelle la retenue des renseignements est visée par l’exception prévue par la loi, est correcte et si la décision discrétionnaire de refuser de communiquer des renseignements visés par l’exception est raisonnable. Il s’agit du rôle classique du juge d’une cour supérieure qui est saisi du contrôle judiciaire d’une décision administrative. Il est également conforme au libellé de la Loi sur l’accès, qui confère à une personne à qui l’accès a été refusé à un document demandé sous le régime de la Loi sur l’accès, au commissaire à l’information et à un tiers dont les renseignements peuvent être divulgués, le droit de demander à la Cour fédérale de procéder à un « contrôle » [non souligné dans l’original] de l’affaire. Si le législateur avait souhaité déroger à ce principe, il aurait utilisé un libellé explicite à cet égard, comme il l’a fait au paragraphe 13(1) de la Loi sur le tribunal de la concurrence, L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 19, où il déclare expressément que les décisions du Tribunal sont susceptibles d’appel devant notre Cour « tout comme s’il s’agissait de jugements de la Cour fédérale » : voir Tervita Corp. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, [2015] 1 R.C.S. 161, aux paragraphes 36 à 39.

[16]  Dans Merck, les juges majoritaires ont souligné avec justesse que l’examen par le juge de la Cour fédérale de la décision rendue par le responsable de l’institution fédérale ne constitue pas, à proprement parler, une appréciation de novo, malgré certaines décisions antérieures à cet effet. Toute proposition selon laquelle la tâche de la Cour fédérale s’apparente au rôle d’un tribunal de première instance, que le juge de la Cour fédéral est le premier décideur impartial pour la partie qui demande la divulgation ou qui s’y oppose et que le rôle de la cour d’appel est donc de contrôler la décision du juge saisi de la révision, et non celle du responsable de l’institution fédérale, doit, selon moi, être rejetée. Non seulement n’y-a-t-il aucun élément de preuve que le responsable de l’institution ou son ou ses délégués n’appliquent pas le droit de manière impartiale, mais plus importante encore, la décision quant au rôle joué par la Cour fédérale (celui de tribunal de première instance ou de cour de révision) n’est pas fondée sur l’identité ou les caractéristiques du décideur initial, mais sur les pouvoirs conférés à cette cour par le Parlement. Puisqu’il n’y a aucun doute que la Cour fédérale agit en sa qualité de cour siégeant en révision aux termes de l’article 44 de la Loi sur l’accès, la norme de contrôle devant notre Cour doit être celle qui s’applique généralement dans les appels relatifs à des contrôles judiciaires.

[17]  Pour tous les motifs qui précèdent, je dois décider si la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle et si elle l’a ensuite bien appliquée. Il n’est pas contesté que le juge a correctement cerné la norme de contrôle applicable, à savoir la norme de la décision correcte au moment de décider si les renseignements sont des « renseignements personnels » au sens du paragraphe 19(1), et la norme de la décision raisonnable au moment de décider si le public a accès aux renseignements et si on peut en donner communication. Par conséquent, notre Cour doit ensuite se mettre à la place de la Cour fédérale pour décider si le juge a bien appliqué ces normes.

B.  Les noms et les titres des employés de Husky, dans le contexte des documents demandés, constituent‑ils des « renseignements personnels » visés au paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès?

[18]  L’appelante allègue que le juge a commis une erreur en n’examinant pas la question de savoir si les renseignements en cause étaient des renseignements personnels au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels. L’appelante souligne la structure des exceptions aux renseignements personnels élaborée par la définition prévue à l’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cet alinéa crée une exception, dans certaines circonstances, pour les noms et les titres des employés de l’État, ainsi que pour le fait qu’une personne est un employé de l’État. Il n’existe aucune exception parallèle à l’égard des employés du secteur privé, et on fait valoir que de tels renseignements doivent être visés par la définition de renseignements personnels.

[19]  Avant d’examiner le bien‑fondé de cet argument, il est utile de résumer brièvement l’objectif et les principales dispositions de la Loi sur l’accès. Son objet est établi clairement au paragraphe 2(1) de cette loi : élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale, sous réserve des exceptions indispensables qui doivent être interprétées strictement. Cet article dispose :

2 (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

2 (1) The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government.

[20]  Dans ses motifs qui ont fait école, dans Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, 148 D.L.R. (4th) 385, au paragraphe 61 (Dagg), le juge La Forest (dissident, mais pas sur ce point) a déclaré catégoriquement que l’objet général de la Loi sur l’accès est de favoriser la démocratie en aidant à garantir, en premier lieu, que les citoyens possèdent l’information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique et, en second lieu, que les politiciens et bureaucrates demeurent responsables envers l’ensemble de la population. Voir également : Merck, au paragraphe 22. Ce droit d’accès à l’information a été décrit comme un droit quasi constitutionnel : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, par. 40; Statham c. Société Radio‑Canada, 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421, par. 1.

[21]  Une des exceptions à la divulgation est prévue à l’article 19 de la Loi sur l’accès et porte sur les renseignements personnels :

Renseignements personnels

Personal information

19 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

19 (1) Subject to subsection (2), the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains personal information as defined in section 3 of the Privacy Act.

Cas où la divulgation est autorisée

Where disclosure authorized

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :

(2) The head of a government institution may disclose any record requested under this Act that contains personal information if

a) l’individu qu’ils concernent y consent;

(a) the individual to whom it relates consents to the disclosure;

b) le public y a accès;

(b) the information is publicly available; or

c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

(c) the disclosure is in accordance with section 8 of the Privacy Act.

[22]  Les renseignements personnels prévus à l’article 19 de la Loi sur l’accès sont définis par renvoi à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui dispose en partie que :

renseignements personnels Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :

personal information means information about an identifiable individual that is recorded in any form including, without restricting the generality of the foregoing,

[...]

...

i) son nom lorsque celui‑ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;

(i) the name of the individual where it appears with other personal information relating to the individual or where the disclosure of the name itself would reveal information about the individual,

toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

but, for the purposes of sections 7, 8 and 26 and section 19 of the Access to Information Act, does not include

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment :

(j) information about an individual who is or was an officer or employee of a government institution that relates to the position or functions of the individual including

(i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution,

(i) the fact that the individual is or was an officer or employee of the government institution,

(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,

(ii) the title, business address and telephone number of the individual,

(iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iii) the classification, salary range and responsibilities of the position held by the individual,

(iv) son nom lorsque celui‑ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi,

(iv) the name of the individual on a document prepared by the individual in the course of employment, and

(v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi;

(v) the personal opinions or views of the individual given in the course of employment,

[...]

...

[23]  Le droit à la vie privée n’est pas moins important que le droit de divulguer des renseignements, et il a également été décrit comme un droit quasi constitutionnel : voir, par exemple, Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773, aux paragraphes 24 et 25. Il est également visé, dans une certaine mesure, par l’article 8 (le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives) et par l’article 7 (le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Charte). Dans Dagg (par. 64), le juge La Forest, renvoyant à l’article 2 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, décrit son objectif comme étant double : protéger les renseignements personnels relevant des institutions fédérales et assurer le droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent.

[24]  La Loi sur la protection des renseignements personnels et les valeurs qu’elle enchâsse sont tout aussi dignes d’être protégées que le droit à l’accès à l’information. En fait, la Cour suprême du Canada a indiqué clairement que les deux lois sont égales entre elles et qu’elles doivent être lues ensemble en ce qui concerne les objets de ces deux lois afin de décider si un document gouvernemental constitue des « renseignements personnels ». Dans Dagg (par. 51), le juge La Forest a cité le juge en chef Isaac de notre Cour dans Dagg c. Canada, [1995] 3 C.F. 199, 124 D.L.R. (4th) 553, en déclarant ce qui suit :

Il est évident que les deux lois doivent être lues ensemble, étant donné que l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information intègre par renvoi certaines dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Néanmoins, aucune disposition de l’une ou l’autre de ces lois ne donne à entendre que l’une est subordonnée à l’autre. Toutes deux ont la même importance et aucune ne doit l’emporter sur l’autre. Il est indéniable qu’elles sont complémentaires et doivent être interprétées de façon harmonieuse, conformément aux principes d’interprétation législative bien reconnus, de façon à donner effet à l’intention déclarée du Parlement et à assurer la réalisation des objectifs qu’il a énoncés.

[25]  Par conséquent, le juge La Forest a indiqué clairement que, bien que l’accès constitue la règle générale aux termes de la Loi sur l’accès, il ne s’ensuit pas que l’exception des « renseignements personnels » devrait recevoir une interprétation « étroite » qui reviendrait à subordonner la Loi sur la protection des renseignements personnels à la Loi sur l’accès (Dagg, par. 51). Dans le même ordre d’idées, la déclaration à l’article 2 de la Loi sur l’accès, selon laquelle les exceptions à l’accès doivent être « précises et limitées », ne doit pas être interprétée comme créant une présomption en faveur de l’accès. Elle prévoit simplement qu’il incombe à la partie qui cherche à éviter la divulgation de renseignements d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements sont visés par l’une des exceptions : voir Merck, aux paragraphes 94 et 95; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, [2003] 1 R.C.S. 66, au paragraphe 21; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), [1993] 1 C.F. 427, [1992] A.C.F. no 1054 (QL), au paragraphe 113; Rubin c. Canada (Ministre de la Santé), 2001 CFPI 929, [2001] A.C.F. no 1298 (QL), au paragraphe 43; Société canadienne des postes c. Canada (Commission de la capitale nationale), 2002 CFPI 700, [2002] A.C.F. no 982 (QL), au paragraphe 8. De plus, le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès et l’interdiction parallèle contre la divulgation de renseignements personnels prévue à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels indiquent clairement que le droit à la vie privée l’emporte sur le droit à l’accès, dans la mesure où il est visé par la définition de « renseignements personnels », contenue à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels : Dagg, par. 48; Cie H.J. Heinz du Canada Ltée c. Canada (Procureur général), 2006 CSC 13, [2006] 1 R.C.S. 441, par. 2, 22 et 25.

[26]  Toutefois, la protection de renseignements personnels n’est pas absolue. Si une des conditions prévues au paragraphe 19(2) est remplie, et qu’aucune autre exception ne s’applique, l’institution fédérale doit divulguer les renseignements.

[27]  Le juge ne s’est pas attardé (du moins expressément) sur la notion de « renseignements personnels », et il semble avoir tenu pour acquis que les renseignements en cause (que l’Office estimait être le nom et le poste des deux employés qui avaient présenté une demande d’accès à l’Office pour le compte de l’appelant) étaient en fait des « renseignements personnels » pour l’application de l’article 19 de la Loi sur l’accès et de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. L’avocate de l’appelante soutient que le juge a commis une erreur en négligeant le fait que les renseignements personnels en cause n’étaient pas seulement le nom des employés et leur affiliation avec Husky, mais également les renseignements dans le contexte des documents demandés, à savoir les renseignements révélant la participation des employés à l’acquisition, par Husky, de certains renseignements géophysiques et géologiques de l’Office.

[28]  Un point de départ utile pour déterminer l’étendue des « renseignements personnels » est, encore une fois, l’analyse de ce concept qu’a effectuée le juge La Forest dans Dagg. Au paragraphe 68 de ses motifs, il a reconnu la nature large de la définition prévue à la Loi sur la protection des renseignements personnels et il a fait remarquer que la liste des exemples particuliers qui suit la définition générale n’a pas pour effet de limiter la portée de la disposition liminaire. Selon lui, cette définition a pour objet de viser « tout renseignement sur une personne donnée, sous la seule réserve d’exceptions précises » (Dagg, par. 69) [souligné dans l’original].

[29]  Je suis d’avis que le nom d’une personne, en soi et sans contexte, ne serait pas considéré comme un renseignement personnel. Une feuille blanche sur laquelle un nom est inscrit et que l’on trouve dans un lieu public ne révèle rien au sujet de cette personne. Comme la disposition liminaire de la définition de « renseignements personnels » le révèle, les renseignements qui peuvent être considérés comme des « renseignements personnels » doivent concerner un individu « identifiable ». Ce n’est que lorsqu’un nom peut être associé à d’autres renseignements personnels que sa divulgation sera considérée comme interdite. C’est en fait ce que l’alinéa 3i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels semble donner à penser dans la définition de « renseignement personnel » :

i) son nom lorsque celui‑ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;

(i) the name of the individual where it appears with other personal information relating to the individual or where the disclosure of the name itself would reveal information about the individual,

[30]  En l’espèce, il est manifeste que la première partie de cette disposition ne s’applique pas, puisqu’il n’y a aucun renseignement personnel concernant les deux employés dans la demande de renseignements présentée à l’Office. Le nom des employés ne serait donc pas divulgué avec d’autres renseignements personnels. Toutefois, peut‑on dire que la divulgation du nom des employés révélerait des renseignements sur ces personnes dans le contexte de leur demande présentée à l’Office?

[31]  Dans ses commentaires concernant le deuxième volet de l’alinéa 3i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans Dagg, le juge La Forest a conclu qu’il n’était pas nécessaire que la divulgation du nom en soi révèle des renseignements « personnels », mais uniquement des renseignements concernant un individu identifiable. Il a tiré cette conclusion en comparant le libellé du premier volet et du deuxième volet de cette disposition (par. 84 et 85) :

L’appelant soutient toutefois que cette disposition devrait être interprétée de façon à exiger que la seule divulgation du nom révèle des renseignements personnels au sujet de la personne concernée. À son avis, une interprétation littérale de l’al. i) ne reconnaît pas que la communication d’un document révèle toujours des renseignements au sujet de la personne concernée en la liant à d’autres renseignements contenus dans ce document. Pareille interprétation, dit‑il, interdirait toute communication lorsque le nom révélerait des renseignements quelconques au sujet de la personne concernée. En fin de compte, les noms figurant dans les documents constitueraient immanquablement des « renseignements personnels ».

Je ne puis retenir cet argument. L’alinéa i) prévoit clairement qu’un document contient des renseignements personnels si la seule divulgation du nom révélerait des renseignements au sujet de la personne concernée. Il n’exige pas que ces renseignements soient « personnels ». En particulier, la première partie de l’al. i) mentionne effectivement les renseignements « personnels » qui figurent avec le nom de la personne en cause. Il est très improbable que les rédacteurs de l’al. i) aient, par inadvertance, omis d’y inclure le mot « personnels » dans la seconde partie, alors qu’ils l’ont fait dans la première. [Souligné dans l’original.]

[32]  Dans cette affaire, la distinction était sans conséquence, puisque la divulgation des noms figurant sur les feuilles de présence révélait effectivement des renseignements personnels (c’est‑à‑dire que ces personnes se trouvaient à un endroit précis, à une date précise et à certaines heures précises). En l’espèce, la distinction pourrait être plus importante, puisqu’il est au moins contestable que les documents dans lesquels se trouve le nom des employés puissent transmettre des renseignements personnels sur ces personnes.

[33]  Notre Cour a fait face à cette question dans au moins deux arrêts, dont les résultats semblent être contradictoires. Dans le premier de ces deux arrêts (Commissaire à l’information du Canada c. Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, 2006 CAF 157, [2007] 1 R.C.F. 203 (NavCanada)), qui a été invoqué, sans surprise, par l’intimé et l’intervenant, la Cour a conclu unanimement que le concept de « renseignements personnels » et, en fait, l’ensemble de la Loi sur la protection des renseignements personnels doivent être interprétés dans le contexte de l’évolution du droit à la vie privée. En s’appuyant fortement sur les motifs du juge La Forest dans Dagg et sur la jurisprudence constitutionnelle établie dans le contexte des articles 7 et 8 de la Charte, la Cour a conclu que la notion de vie privée « intègre donc celles d’intimité, d’identité, de dignité et d’intégrité de l’individu » (par. 52).

[34]  En appliquant cette approche conceptuelle, la Cour a fait remarquer que les renseignements en cause dans cette affaire (des documents contenant des renseignements se rapportant à quatre accidents aéronautiques qui avaient été l’objet d’enquêtes distinctes et de rapports publics distincts de la part du Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports) étaient de nature professionnelle, et non personnelle, et n’étaient pas visés par la notion de « vie privée » ni par les valeurs que cette notion visait à protéger. En d’autres termes, les renseignements ne « concernaient » pas un individu, mais la situation de l’aéronef, les conditions météorologiques, des aspects liés au contrôle de la circulation aérienne et les propos des pilotes et des contrôleurs :

Les renseignements contenus dans les documents en cause sont de nature professionnelle et non personnelle. Ils pourraient avoir pour effet de permettre ou de faciliter l’identification d’une personne. Ils pourraient aider à déterminer comment cette personne s’est acquittée de sa tâche dans une situation donnée. Mais ils ne sont pas pour autant des renseignements personnels. Ce ne sont pas des renseignements concernant un individu, vu qu’ils ne sont pas en corrélation avec la notion de « vie privée » ni avec les valeurs que cette notion vise à protéger. Ce sont des renseignements non personnels, transmis par un individu dans un environnement professionnel. [Souligné dans l’original.]

NavCanada, par. 54.

[35]  Un an plus tard, une autre formation de notre Cour a confirmé, dans un court arrêt, une décision de la Cour fédérale selon laquelle les noms, les titres, les numéros de téléphone commercial et de télécopieur des employés qui avaient interagi avec Santé Canada pour le compte de l’appelante constituaient des renseignements personnels, et, par conséquent, ils étaient visés par l’exception du paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès : voir Janssen‑Ortho c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 252, 367 N.R. 134 (Janssen‑Ortho). Dans cette affaire, le litige ne portait pas uniquement sur le nom et les coordonnées du lieu de travail, comme en l’espèce, mais également sur leurs opinions, leurs suggestions et leurs conclusions concernant le retrait d’un médicament sur ordonnance du marché canadien pendant les négociations avec Santé Canada. C’est dans ce contexte que la Cour, dans un seul paragraphe, a traité de l’argument portant sur les « renseignements personnels » (par. 8) :

En ce qui concerne les renseignements personnels, le ministre soutenait que la juge des requêtes avait interprété la définition contenue à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, à laquelle renvoie le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A‑1, de manière beaucoup trop libérale, de sorte que seuls des renseignements concernant la compagnie, et non des renseignements personnels, avaient été révélés. Or, la Cour suprême du Canada a, dans Dagg c. Canada (Ministre des Finances) (1997), 148 D.L.R. (4th) 385, interprété largement la disposition pour qu’elle englobe tout renseignement concernant un individu, y compris son identité.

[36]  Je suis d’avis que ces deux arrêts ne sont pas nécessairement incompatibles. Il est très improbable que, dans Janssen‑Ortho, notre Cour ait eu l’intention d’infirmer son arrêt antérieur, qui datait d’un an, sans même y faire référence. Je suis d’accord avec l’intimé et l’intervenant pour dire que les résultats différents dans NavCanada et Janssen‑Ortho peuvent s’expliquer par la nature très différente des renseignements en cause dans chacune de ces affaires. Bien que les documents examinés dans NavCanada aient semblé être purement de nature transactionnelle et informationnelle, la divulgation des noms et des titres des personnes concernées dans Janssen‑Ortho aurait révélé beaucoup plus de détails intimes concernant ces personnes, leur travail et leurs opinions :

À mon avis, la divulgation des noms des employés révélerait des renseignements à leur sujet qui ne sont pas du domaine public, notamment le fait qu’ils ont assisté à des réunions, qu’ils ont écrit des lettres et qu’ils ont réalisé des études en rapport avec les échanges ayant eu lieu entre JOI et Santé Canada sur la question de savoir si le Prepulsid devait être retiré du marché canadien. Il n’y a rien dans la preuve par affidavit du défendeur qui établit un lien entre les employés nommés et ces négociations. Le public ne sait rien de la participation de ces employés ou de leurs opinions, de leurs suggestions et de leurs conclusions.

Janssen‑Ortho Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1633, [2005] A.C.F. no 2014 (QL), par. 30.

[37]  Il est évidemment impossible de dresser une ligne claire entre les faits de ces deux affaires et, d’ailleurs, de catégoriser parfaitement la multitude d’éléments à prendre en considération avant de décider si la divulgation d’un nom révélerait des renseignements concernant cette personne dans le contexte d’un document particulier. En l’absence de toute indication selon laquelle, dans Janssen‑Ortho, la Cour avait l’intention d’infirmer son propre arrêt, il faut toutefois supposer que NavCanada fait encore jurisprudence et que l’issue différente dans Janssen‑Ortho ne peut s’expliquer que par la nature différente des renseignements dont la divulgation était recherchée dans ces deux affaires. Comme il a été déclaré dans Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, 220 D.L.R. (4th) 149, au paragraphe 10, une formation de notre Cour n’infirmera pas un arrêt antérieur d’une autre formation, à moins qu’il puisse être établi que le jugement en cause était « manifestement erroné [...] »; en d’autres termes, il doit être démontré que la Cour n’a pas tenu compte d’une disposition législative pertinente ou d’un précédent faisant autorité. Dans Janssen‑Ortho, la Cour n’a même pas envisagé cette possibilité, de sorte qu’on ne peut supposer que NavCanada a été annulé implicitement.

[38]  Les noms qui figurent dans des documents révéleront toujours quelque chose concernant une personne. Toutefois, un critère de portée si large ne peut constituer la norme pour décider quand le nom figurant dans un document ne sera pas divulgué. Même si nous retenions l’argument selon lequel il n’est pas nécessaire que les renseignements soient « personnels » pour l’application du deuxième volet de l’alinéa 3i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il me semble qu’ils doivent nous indiquer quelque chose d’important concernant une personne, sinon la protection de la vie privée perd tout son sens. On peut dire que toutes les illustrations figurant aux alinéas a) à h) de la définition de « renseignements personnels » à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ont trait à l’intimité et à l’identité principale d’un individu, et qu’elles renvoient au type de renseignements dont la personne préférerait contrôler la diffusion. Les alinéas a) à h) disposent :

a) les renseignements relatifs à sa race, à son origine nationale ou ethnique, à sa couleur, à sa religion, à son âge ou à sa situation de famille;

(a) information relating to the race, national or ethnic origin, colour, religion, age or marital status of the individual,

b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;

(b) information relating to the education or the medical, criminal or employment history of the individual or information relating to financial transactions in which the individual has been involved,

c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre;

(c) any identifying number, symbol or other particular assigned to the individual,

d) son adresse, ses empreintes digitales ou son groupe sanguin;

(d) the address, fingerprints or blood type of the individual,

e) ses opinions ou ses idées personnelles, à l’exclusion de celles qui portent sur un autre individu ou sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à octroyer à un autre individu par une institution fédérale, ou subdivision de celle‑ci visée par règlement;

(e) the personal opinions or views of the individual except where they are about another individual or about a proposal for a grant, an award or a prize to be made to another individual by a government institution or a part of a government institution specified in the regulations,

f) toute correspondance de nature, implicitement ou explicitement, privée ou confidentielle envoyée par lui à une institution fédérale, ainsi que les réponses de l’institution dans la mesure où elles révèlent le contenu de la correspondance de l’expéditeur;

(f) correspondence sent to a government institution by the individual that is implicitly or explicitly of a private or confidential nature, and replies to such correspondence that would reveal the contents of the original correspondence,

g) les idées ou opinions d’autrui sur lui;

(g) the views or opinions of another individual about the individual,

h) les idées ou opinions d’un autre individu qui portent sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à lui octroyer par une institution, ou subdivision de celle‑ci, visée à l’alinéa e), à l’exclusion du nom de cet autre individu si ce nom est mentionné avec les idées ou opinions;

(h) the views or opinions of another individual about a proposal for a grant, an award or a prize to be made to the individual by an institution or a part of an institution referred to in paragraph (e), but excluding the name of the other individual where it appears with the views or opinions of the other individual, ...

[39]  En l’espèce, les renseignements qui seraient transmis au sujet des employés de l’appelante si leur nom figurant dans les documents demandés était divulgué importent peu et ne sont guère le type de renseignements qui font partie intégrante de leur dignité ou de leur identité, dont ils souhaiteraient conserver le contrôle et à l’égard desquels ils auraient une attente raisonnable en matière de vie privée. Les documents en cause contiennent des lettres et des formulaires normalisés au nom de Husky qui ont été présentés à l’Office, en vue d’obtenir des renseignements commerciaux, ainsi que la réponse de l’Office à ces demandes. Ces documents ne sont pas seulement anciens (certains remontent jusqu’à 1995), ce qui ne suffit pas, en soi, à éliminer leur nature personnelle, mais ils ne révèlent rien au sujet des employés qui ont présenté ces demandes, hormis le fait que les demandes ont été présentées dans le cadre de leur emploi.

[40]  L’avocate de l’appelante a beaucoup insisté sur l’exception prévue à l’alinéa j) de la définition de « renseignements personnels » à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui dispose :

toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

but, for the purposes of sections 7, 8 and 26 and section 19 of the Access to Information Act, does not include

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment :

(j) information about an individual who is or was an officer or employee of a government institution that relates to the position or functions of the individual including,

(i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution,

(i) the fact that the individual is or was an officer or employee of the government institution,

(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,

(ii) the title, business address and telephone number of the individual,

(iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iii) the classification, salary range and responsibilities of the position held by the individual,

(iv) son nom lorsque celui‑ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi,

(iv) the name of the individual on a document prepared by the individual in the course of employment, and

(v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi;

(v) the personal opinions or views of the individual given in the course of employment,

[41]  Cet alinéa crée une exception, dans certaines circonstances, pour les noms et les titres des employés de l’État, ainsi que pour le fait qu’une personne est un employé de l’État. Puisqu’il n’existe aucune exception parallèle à l’égard des employés du secteur privé, fait valoir l’avocate de l’appelante, il faut supposer que de tels renseignements sont visés par la définition de « renseignement personnel ». Plus particulièrement, le sous‑alinéa j)(iv) prévoit que les « renseignements personnels » ne comprennent pas le nom de la personne figurant dans un document préparé par celle‑ci dans le cadre de son emploi. Il donnerait à penser que les renseignements décrits à ce sous‑alinéa sont par ailleurs visés, prima facie, par l’expression « renseignements personnels » et ne sont exclu que par le libellé exprès de cette disposition. Par déduction logique, de tels renseignements au sujet d’une personne autre qu’un cadre ou un employé d’une institution fédérale seraient inclus dans la définition de « renseignements personnels ». À première vue, cet argument semble convaincant. Toutefois, je suis d’avis qu’il n’est pas concluant.

[42]  Premièrement, les arguments fondés sur le texte suffisent rarement, en soi, pour régir l’interprétation d’une loi. Il est maintenant bien établi que les termes d’une disposition législative doivent être interprétés conformément à l’esprit de la loi, à son objet et à l’intention du législateur : Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), à la page 87, cité avec approbation dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 154 D.L.R. (4th) 193, au paragraphe 21. Par conséquent, l’argument avancé par l’appelante doit être pondéré en fonction du principe général d’accès transmis au moyen d’une lecture téléologique de la Loi sur l’accès et selon le principe clair que les exceptions à ce droit sont précises et limitées (voir le paragraphe 2(1) de la Loi sur l’accès).

[43]  Deuxièmement, l’exception prévue à l’alinéa j) de la définition de « renseignements personnels », dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, a probablement été ajoutée afin de favoriser l’accès à l’information. Il serait paradoxal qu’elle soit utilisée, a contrario, pour empêcher la divulgation de renseignements dans d’autres circonstances où ils seraient par ailleurs visés par la disposition liminaire de la définition de « renseignements personnels ». En effet, il ne s’ensuit pas nécessairement du fait que certains renseignements concernant les fonctionnaires devraient être considérés comme des renseignements publics que des renseignements semblables concernant des employés du secteur privé ne devraient pas être considérés comme des renseignements publics. L’alinéa j) peut fort bien avoir été ajouté par excès de prudence, afin de s’assurer (comme l’a proposé le juge La Forest dans Dagg, au paragraphe 87) qu’une interprétation large du sous‑alinéa (i) n’empêcherait pas la communication d’un éventail excessivement large de documents de l’administration fédérale. La raison pour laquelle cet objectif légitime devrait se traduire dans une divulgation étroite correspondante de documents provenant du secteur privé, lorsqu’ils ont été communiqués au gouvernement dans le cours normal des affaires, demeure obscure.

[44]  Troisièmement, il convient de noter qu’une inférence contraire pourrait être tirée de l’alinéa f). Cette disposition, qui vise à illustrer la signification de « renseignements personnels », renvoie à « toute correspondance de nature, implicitement ou explicitement, privée ou confidentielle envoyée par lui à une institution fédérale, ainsi que les réponses de l’institution dans la mesure où elles révèlent le contenu de la correspondance de l’expéditeur ». On pourrait sûrement soutenir, par implication nécessaire, que la correspondance et les divers types de formulaires qui doivent être remplis dans une optique commerciale, pour obtenir des services, des subventions et des contributions, ou les renseignements provenant de ministères et d’organismes gouvernementaux, ne devraient pas être considérés comme des « renseignements personnels » et qu’ils ne sont pas visés par l’exception prévue au paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès.

[45]  Pour tous les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis qu’il faut privilégier une interprétation téléologique du concept de « renseignements personnels », puisqu’il s’agit de la meilleure façon de donner effet à l’intention qu’avait le législateur en adoptant la Loi sur l’accès et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Par conséquent, je ne puis conclure que les noms et titres des membres du personnel de Husky, dans le contexte des documents demandés, répondent à la définition de « renseignements personnels » que l’on trouve dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. Contrairement aux heures d’arrivée et de départ consignées sur les feuilles de présence qui étaient en cause dans Dagg, en l’espèce, les renseignements qui seraient transmis par les documents dans lesquels figurent les noms des employés ne révéleraient rien qui est intimement lié à leur vie privée et qu’ils auraient pu raisonnablement s’attendre à conserver pour eux‑mêmes.

[46]  Si la Cour adoptait la vaste portée de la définition de « renseignements personnels » que propose Husky, il faudrait caviarder les noms dans le cadre de chaque demande d’accès touchant des employés du secteur privé, aussi banals les renseignements révélés par la divulgation de ces noms puissent-ils être. Si le législateur avait voulu un tel résultat, il l’aurait dit explicitement. Qui plus est, cela banaliserait la notion même de la vie privée et dégraderait la protection conférée aux renseignements personnels tant par la Loi sur l’accès que par la Loi sur la protection des renseignements personnels.

C.  L’Office a‑t‑il conclu à tort que le public avait accès aux « renseignements personnels » en cause et a‑t‑il exercé à mauvais droit son pouvoir discrétionnaire d’en donner communication en vertu du paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès?

[47]  En raison de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’aborder l’exception prévue à l’alinéa 19(2)b) concernant les renseignements personnels auxquels le public a accès. Je l’examinerai quand même, ne serait‑ce que parce qu’il constitue le principal motif sur lequel le juge a fondé sa décision.

[48]  Le paragraphe 19(2) prévoit la divulgation de renseignements personnels si le public y a déjà accès. Il n’est pas contesté que le public avait accès, sur l’internet, au nom des employés et au fait qu’ils travaillaient chez Husky. Il n’est effectivement pas contesté que le public avait accès aux noms et aux titres d’emploi des deux employés, de même qu’à leur association avec Husky en tant qu’employeur, et ce, sur un site Web au moment où l’Office a informé Husky de son intention de divulguer ces renseignements en vertu de la Loi sur l’accès.

[49]  Husky soutient que le public n’avait pas accès aux noms dans le contexte des documents et que, par conséquent, [traduction« le critère pour exercer le pouvoir discrétionnaire de l’Office prévu dans ce paragraphe n’a pas été satisfait » (mémoire des faits et du droit de l’appelante, par. 21). Selon l’observation, si je la comprends bien, le public n’avait pas accès aux renseignements liés au fait que les employés, dans le cadre de leur emploi, avaient travaillé à des demandes d’information présentées à l’Office pour le compte de leur employeur.

[50]  La décision de savoir si les renseignements visés à l’alinéa 19(2)b) sont effectivement des renseignements auxquels « le public [...] a accès » est une question mixte de fait et de droit, et elle est assujettie à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Il incombe à Husky de démontrer que l’Office a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable. Je suis d’avis que Husky n’a fourni aucun motif justifiant sa prétention selon laquelle cet exercice du pouvoir discrétionnaire était déraisonnable.

[51]  Husky n’a pas convaincu l’Office ni le juge que les documents en cause divulguaient des renseignements autres que ceux dont le public avait antérieurement accès sur l’internet. L’Office a conclu que les renseignements auxquels le public avait accès établissaient un lien suffisant entre les personnes et les documents en question. Le juge (et notre Cour) sommes désavantagés lorsqu’on nous demande de mettre en doute cette conclusion, puisque la demanderesse n’a pas jugé bon de déposer en preuve les renseignements qui avaient été affichés sur l’internet par les employés.

[52]  Je suis d’accord avec le juge pour dire que la Loi sur l’accès ayant pour objet de codifier le droit à l’accès à l’information détenue par le gouvernement, le fardeau de preuve incombe à la personne qui s’oppose à la divulgation. Par conséquent, il appartenait à Husky de démontrer que l’Office avait commis une erreur, de fait ou de droit, en concluant que le public n’avait pas accès aux renseignements ou en exerçant son pouvoir discrétionnaire pour permettre la communication des renseignements. Au contraire, Husky a choisi de ne pas divulguer les renseignements affichés sur l’internet par ses employés et n’a déposé en preuve aucun affidavit de ces employés à l’appui de son argument. Dans ces circonstances, et en l’absence de toute analyse quant à la raison pour laquelle les renseignements qu’on cherche à exclure ne découlent pas logiquement des titres d’emploi des employés, titres auxquels le public avait accès, il n’est pas possible d’affirmer que le juge a commis une erreur lorsqu’il a refusé de modifier la décision de l’Office.

V.  Conclusion

[53]  Pour tous les motifs qui précèdent, je rejetterais le présent appel ainsi que la demande de l’appelante en vue d’obtenir une ordonnance portant que l’Office caviarde, avant la communication des documents en cause, les noms et titres d’emploi. Des dépens devraient être adjugés à l’Office uniquement.

« Yves de Montigny »

j.c.a.


LA JUGE GAUTHIER (motifs concordants)

[54]  J’ai eu le privilège de lire les motifs du juge de Montigny et je souscris à sa conclusion selon laquelle le présent appel devrait être rejeté avec dépens. Toutefois, bien que je souscrive également à son point de vue lorsqu’il dit que Husky ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir que la décision de l’Office de donner communication des documents en cause sans la suppression qu’elle avait demandée était déraisonnable, je ne peux partager la plupart des vues qu’il a exprimées dans son examen de la question suivante : « Les noms et les titres des employés de Husky, dans le contexte des documents demandés, constituent‑ils des ‘renseignements personnels’ visés au paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès? »

[55]  Évidemment, je souscris aux principes généraux que mon savant collègue résume aux paragraphes 19 à 25 de ses motifs. Si j’avais eu à trancher la question de fond en l’espèce, j’aurais ajouté deux éléments à ceux‑ci. Premièrement, il est bien établi en droit que l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels doit être interprété largement, qu’il ne se limite pas aux exemples énoncés dans ses alinéas et qu’il n’est pas non plus limité par ces exemples. Deuxièmement, comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer récemment dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, [2013] 3 R.C.S. 733, au paragraphe 31, « [l]'emploi d’une personne et ses conditions de travail sont susceptibles de façonner son identité, sa santé psychologique et sa perception de sa valeur personnelle ». Ainsi, l’emploi constitue un élément très important dans la forme que prennent la dignité et le respect de soi d’une personne.

[56]  Je ne souscris pas à la description, au paragraphe 18 des motifs de mon collègue, de la principale question en litige dont nous sommes saisis. Je n’estime pas non plus qu’il convienne de formuler des commentaires comme ceux figurant aux paragraphes 29, 30 et 41 à 45 de ces motifs, parce qu’ils ne sont tout simplement pas nécessaires pour trancher le présent appel et que, quoi qu’il en soit, ils exigeraient une analyse plus approfondie.

[57]  Je suis d’avis qu’il faut faire particulièrement attention, dans les affaires mettant en cause des renseignements personnels et/ou des interprétations des dispositions applicables de la Loi sur l’accès et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de ne pas s’aventurer dans des questions qui ne sont pas strictement nécessaires pour trancher un appel.

[58]  Bien que j’aie reconnu qu’il existe des circonstances dans lesquelles le minimalisme judiciaire ne constitue pas la meilleure approche, le présent appel n’appartient pas à cette catégorie. Par exemple, la feuille blanche sur laquelle un nom est inscrit, et à laquelle fait référence mon collègue, ne serait pas traitée de la même façon si elle faisait partie d’un dossier du gouvernement intitulé « Personnes soupçonnées de terrorisme » ou « Délinquants sexuels », au lieu de simplement se trouver dans un lieu public. Le contexte est capital dans les affaires comme celle en l’espèce, et chacune de ces affaires doit être abordée au cas par cas, sans tenter de définir une approche générale autre que celle établie dans les dispositions législatives applicables.

[59]  Dans le présent appel, les parties nous ont invités à tirer diverses conclusions ou à formuler divers commentaires qui leur seraient utiles à l’avenir, compte tenu surtout de l’utilisation accrue des médias sociaux et des sites Web contenant des renseignements qui seraient par ailleurs considérés comme des renseignements personnels au sens de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et protégés ainsi par la Loi sur l’accès. Cela comprend la norme de contrôle applicable aux décisions rendues aux termes du paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès, parce que, selon elles, il y a lieu de se demander si l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (Agraira), a modifié la norme de contrôle établie dans Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23 (Merck). Elles disent qu’il serait également utile de discuter de la question de savoir si l’arrêt de notre Cour dans Janssen‑Ortho a infirmé notre arrêt antérieur dans NavCanada. À l’audience, l’avocate de Husky est allée jusqu’à nous demander d’infirmer NavCanada, au motif qu’il était erroné. Elle ne nous a cependant fourni aucune observation détaillée, puisque ce point particulier n’avait pas été soulevé dans son mémoire. Il n’y a aucun doute que l’on pourrait avoir un point de vue différent de celui exprimé dans cette affaire (en particulier au paragraphe 63). Toutefois, il faut suivre l’approche établie dans Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, 293 N.R. 391 (autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 29501 (le 4 décembre 2002)), et il ne serait pas approprié de le faire en l’espèce étant donné l’absence d’observations détaillées.

[60]  Du fait même qu’il s’agit là de questions qui peuvent être importantes, il est d’autant plus important pour la présente cour de faire preuve de retenue (voir Construction de défense Canada c. Ucanu Manufacturing Corp., 2017 CAF 133, aux paragraphes 38 à 52). Cela est particulièrement vrai dans une affaire où la preuve au dossier est si faible qu’elle ne comprend même pas une copie des renseignements auxquels le public avait véritablement accès au moyen d’internet. Nous ne disposons pas non plus du profil ou des points de vue des employés, dont les « renseignements personnels » sont en cause et dont le droit à la vie privée constitue le seul motif pour lequel les renseignements peuvent être protégés en l’espèce.

[61]  Je souscris à la qualification par le commissaire à l’information de la question dont nous sommes saisis. Le présent appel concerne la portée et la signification du terme « information » dans le cadre de [la version anglaise de] l’alinéa 19(2)b), ainsi que, uniquement par extension, la portée des renseignements personnels qui étaient protégés aux termes du paragraphe 19(1) (mémoire des faits et du droit du commissaire à l’information, à la page 2, paragraphe 4). Je crois que le présent appel peut et devrait être tranché en fonction de la seule question de savoir si Husky a établi une erreur susceptible de contrôle dans la décision que l’Office a rendue au titre du paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès. Cela signifie qu’il n’y aucune raison de procéder à une analyse des sujets mentionnés au paragraphe 59 ci‑dessus. Ce qui est particulièrement le cas en ce qui concerne la norme de contrôle applicable aux décisions rendues au titre du paragraphe 19(1), compte tenu du fait que le législateur a entrepris de modifier la Loi sur l’accès, de sorte qu’elle prévoit un examen administratif indépendant de telles décisions par le commissaire à l’information et qu’elle prévoit que le recours prévu au paragraphe 44(1) sera jugé par la Cour fédérale comme une nouvelle affaire (projet de loi C‑58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence, 1re session, 42e législature, 2017, article 21 (adopté par la Chambre des communes le 6 décembre 2017)).

[62]  En ce qui concerne les décisions discrétionnaires des décideurs administratifs, dans la présente affaire, la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable, et c’est celle que la Cour fédérale a appliquée. De plus, l’approche établie dans l’arrêt Agraira s’applique, puisque l’affaire Merck ne concernait aucune décision discrétionnaire (voir au paragraphe 53). L’arrêt Merck portait uniquement sur le paragraphe 20(1) de la Loi sur l’accès qui est, pour les besoins des présentes, équivalent au paragraphe 19(1). Par conséquent, puisque la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle, notre Cour doit se mettre à la place de la cour de première instance qui a examiné pour la première fois la décision administrative afin de décider s’il l’a bien appliquée (Agraira, par. 45 et 46).

[63]  Avant de ce faire, il convient de mentionner que les motifs de la Cour fédérale concernant les paragraphes 19(1) et (2) ont peut‑être été brefs simplement parce que les parties devant elle avaient convenus que les noms des employés, leurs titres et leurs liens avec Husky, ainsi que leurs courriels et numéros de téléphone constituaient des renseignements personnels au sens du paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès. De plus, la Cour fédérale a conclu que l’Office avait un pouvoir discrétionnaire pour divulguer les renseignements et que Husky n’avait présenté aucun élément de preuve ni aucune analyse quant à la raison pour laquelle l’Office ne devrait pas divulguer ces renseignements.

[64]  Évidemment, Husky conteste cette dernière conclusion. Il aurait peut‑être été plus précis ou plus clair si la Cour fédérale avait parlé d’« une preuve ou analyse réelle ou suffisante ». Toutefois, comme l’a expliqué le juge de Montigny, Husky a simplement présenté une théorie qui n’était pas fondée sur la preuve. Elle n’a fourni aucune analyse réelle ou suffisante dans son mémoire quant à la raison pour laquelle cette théorie s’appliquait effectivement en l’espèce, et elle ne fut pas non plus à même de le faire lorsqu’elle a été pressée de questions à cet égard à l’audience, parce que cela aurait exigé d’autres éléments de preuve. Pour utiliser la terminologie du juge de Montigny, pourquoi les « renseignements additionnels divulgués », comme on les appelle, ne découlent‑ils pas logiquement de ce à quoi le public avait accès?

[65]  L’argument que Husky nous a présenté est simple : en exerçant son pouvoir discrétionnaire pour divulguer la correspondance en cause, avec les éléments identificateurs auxquels le public avait accès sur l’internet (noms, liens avec Husky et coordonnées), l’Office divulguait plus de renseignements personnels concernant ces employés que ceux auxquels le public avait déjà accès. Ce quelque chose de plus est simplement le fait qu’ils avaient participé à cette correspondance (demandes routinières et non confidentielles de fournir ou de permettre la consultation des données ou des documents géophysiques que l’Office a recueillis et rendus accessibles dans le cadre de son mandat prévu par la loi en ce qui concerne la région où ces employés travaillaient). Husky n’a présenté aucun autre élément de preuve ni aucune autre analyse quant à la nature et à l’importance de ces demandes. Nous savons qu’elle ne s’est pas opposée à la communication de cette correspondance, y compris le fait que la demande avait été faite en son nom. Les données ou les rapports demandés sont énumérés sur le site Web de l’Office et ils sont disponibles sur demande. Husky affirme quand même qu’aucun de ces éléments n’est pertinent ni nécessaire pour trancher la question.

[66]  Selon la thèse de l’Office et du commissaire à l’information, la correspondance limitée en cause comportant les éléments identificateurs ne révèle aucun autre renseignement personnel concernant les employés que ce à quoi le public avait déjà accès.

[67]  Je suis d’avis qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit à l’égard de laquelle il manque des éléments factuels cruciaux dans le dossier dont dispose notre Cour. Est‑il question de quelque chose comme une personne qui est reconnue publiquement en tant que chimiste et qui souhaite consulter un livre de chimie générale, lequel est disponible à la seule bibliothèque connue du public dans sa région, ou d’autre chose?

[68]  Comme je l’ai déjà mentionné, le contexte est capital dans un cas comme celui en l’espèce. Autrement, nous n’avons rien de plus qu’une thèse générale qui, si elle est retenue, enlèverait tout son sens à l’alinéa 19(2)b). Je ne peux tout simplement pas retenir l’argument avancé par Husky.

[69]  Afin de décider si les renseignements auxquels le public a accès à l’égard de ces employés peuvent être interprétés comme englobant ou non la divulgation des renseignements limités auxquels Husky s’oppose, il faut examiner ce qu’était exactement la description de travail publique de ces employés. En l’espèce, les termes [traduction« titre » et [traduction« lien avec Husky » ont été utilisés par les parties, mais il ne semble même pas clair si cela a une signification aussi simple que « vice‑président », « directeur de la recherche géophysique », « commis aux finances » ou « documentaliste », ou encore quelque chose de plus descriptif de leur profil.

[70]  Cela suffit pour rejeter le présent appel.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

J. Woods, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A‑75‑16

 

 

INTITULÉ :

HUSKY OIL OPERATIONS LIMITED c. L’OFFICE CANADA‑TERRE‑NEUVE‑ET‑

LABRADOR DES HYDROCARBURES EXTRACOTIERS ET LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑

Labrador)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 JUIN 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

MOTIFS CONCORDANTS :

LA JUGE GAUTHIER

 

Y a SOUSCRIT :

LA JUGE WOODS

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JANVIER 2018

 

COMPARUTIONS :

Terri Higdon

 

pour l’appelantE

 

Amy M. Crosbie

 

Pour l’intimé

OFFICE CANADA‑TERRE‑NEUVE‑ET‑

LABRADOR DES HYDROCARBURES EXTRACÔTIERS

 

Louisa Garib

Aditya Ramachandran

 

POUR L’INTIMÉ

COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cox & Palmer

Avocats

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

 

POUR L’APPELANTE

 

Curtis Dawe

Avocats

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

 

POUR L’INTIMÉ

OFFICE CANADA‑TERRE‑NEUVE‑ET‑

LABRADOR DES HYDROCARBURES EXTRACÔTIERS

 

Commissariat à l’information du Canada

Gatineau (Québec)

POUR L’INTIMÉ

COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

 

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