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Date : 20180112


Dossier : A-53-17

Référence : 2018 CAF 9

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

NORTH SHORE POWER GROUP INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 31 octobre 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20180112


Dossier : A-53-17

Référence : 2018 CAF 9

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

NORTH SHORE POWER GROUP INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

[1]  L’article 232 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), c. E-15 (Loi) permet au fournisseur de produits ou de services, à son choix, de redresser une taxe en faveur d’un acheteur, de la lui rembourser ou de la porter à son crédit si la somme perçue excède celle que le fournisseur pouvait percevoir ou si le prix d’achat a été réduit. Dans un tel cas, des modifications corrélatives sont apportées au calcul de la taxe nette de chacune des parties. La question centrale que soulève le présent appel est de savoir si, pour l’application de cette disposition, un fournisseur porte la taxe au crédit de l’acheteur lorsqu’il lui envoie un avis de crédit qui ne peut être respecté en raison de son insolvabilité.

[2]  Le ministre du Revenu national a établi de nouvelles cotisations à l’égard de North Shore Power Group Inc., dans lesquelles il a ajouté à la taxe nette de cette dernière les montants de la taxe de vente harmonisée (TVH) qui, a‑t‑il estimé, avaient été portés à son crédit par un fournisseur en application de l’article 232. La société a interjeté appel de ces nouvelles cotisations devant la Cour canadienne de l’impôt, qui a conclu (le juge Bocock) à leur bien‑fondé et a rejeté l’appel (2017 CCI 1).

[3]  North Shore se pourvoit maintenant devant notre Cour. Comme je l’explique ci‑après, je ne souscris pas à la décision de la Cour canadienne de l’impôt et j’accueillerais l’appel.

A.  La Loi

[4]  Dans deux de ses paragraphes, l’article 232 offre au fournisseur la possibilité de redresser une taxe en faveur d’une personne, de la lui rembourser ou de la porter à son crédit : le paragraphe 232(1) s’applique aux cas de taxe perçue en trop, et le paragraphe 232(2), aux cas de réduction du prix d’achat.

232 (1) La personne qui exige ou perçoit d’une autre personne un montant au titre de la taxe prévue à la section II qui excède celui qu’elle pouvait percevoir peut, dans les deux ans suivant le jour où le montant a été ainsi exigé ou perçu :

 

232 (1) Where a particular person has charged to, or collected from, another person an amount as or on account of tax under Division II in excess of the tax under that Division that was collectible by the particular person from the other person, the particular person may, within two years after the day the amount was so charged or collected,

 

a) si l’excédent est exigé mais non perçu, redresser la taxe exigée;

(a) where the excess amount was charged but not collected, adjust the amount of tax charged; and

b) si l’excédent est perçu, le rembourser à l’autre personne ou le porter à son crédit.

(b) where the excess amount was collected, refund or credit the excess amount to that other person.

(2) La personne qui exige ou perçoit d’une autre personne la taxe prévue à la section II, calculée sur tout ou partie de la contrepartie d’une fourniture, laquelle contrepartie est par la suite réduite en tout ou en partie au cours d’une de ses périodes de déclaration pour une raison quelconque peut, au cours de cette période ou dans les quatre ans suivant la fin de celle-ci :

(2) Where a particular person has charged to, or collected from, another person tax under Division II calculated on the consideration or a part thereof for a supply and, for any reason, the consideration or part is subsequently reduced, the particular person may, in or within four years after the end of the reporting period of the particular person in which the consideration was so reduced,

a) si la taxe est exigée mais non perçue, la redresser en soustrayant la partie de la taxe qui a été calculée sur le montant de la réduction;

(a) where tax calculated on the consideration or part was charged but not collected, adjust the amount of tax charged by subtracting the portion of the tax that was calculated on the amount by which the consideration or part was so reduced; and

b) si la taxe est perçue, rembourser à l’autre personne la partie de la taxe qui a été calculée sur le montant de la réduction, ou la porter à son crédit.

(b) where the tax calculated on the consideration or part was collected, refund or credit to that other person the portion of the tax that was calculated on the amount by which the consideration or part was so reduced.

[…]

[5]  Si un fournisseur redresse une taxe en faveur d’une personne, la lui rembourse ou la porte à son crédit en vertu de l’un ou l’autre des paragraphes 232(1) ou (2), les exigences du paragraphe 232(3) s’appliquent. Essentiellement, cette disposition vise à modifier la taxe nette du fournisseur et de l’acheteur pour qu’elle corresponde à la taxe redressée.

[6]  En substance, la taxe nette s’obtient par un calcul des versements de la taxe exigés de certains contribuables. Ce calcul est fait selon le paragraphe 225(1) de la Loi, et les versements au receveur général sont prévus au paragraphe 228(2).

[7]  L’alinéa 232(3)b) et la division Bb) du paragraphe 225(1) permettent au fournisseur de déduire le montant du redressement, du remboursement ou du crédit dans le calcul de sa taxe nette, dans la mesure où il a déjà été inclus dans le calcul de sa taxe nette.

[8]  L’alinéa 232(3)c) et la division Ab) du paragraphe 225(1) obligent l’acheteur à ajouter le montant du redressement, du remboursement ou du crédit dans le calcul de sa taxe nette, dans la mesure où il a déjà été déduit, au titre d’un crédit de taxe sur les intrants, dans le calcul de sa taxe nette.

[9]  L’alinéa 232(3)a) oblige le fournisseur à remettre à l’acheteur un document appelé note de crédit dans la Loi. La note de crédit doit contenir les renseignements prescrits par règlement. L’alinéa 232(3)a) est reproduit ci-dessous.

232 (3) Les règles suivantes s’appliquent dans le cas où une personne redresse un montant en faveur d’une autre personne en application des paragraphes (1) ou (2), le lui rembourse ou le porte à son crédit :

232 (3) Where a particular person adjusts, refunds or credits an amount in favour of, or to, another person in accordance with subsection (1) or (2), the following rules apply:

a) elle remet à l’autre personne, dans un délai raisonnable, une note de crédit, contenant les renseignements réglementaires, pour le montant remboursé ou le montant du redressement ou du crédit, à moins que cette dernière ne lui remette une note de débit, contenant les renseignements réglementaires, pour un tel montant;

(a) the particular person shall, within a reasonable time, issue to the other person a credit note, containing prescribed information, for the amount of the adjustment, refund or credit, unless the other person issues a debit note, containing prescribed information, for the amount;

[…]

B.  Exposé des faits

[10]  North Shore est une société possédée en propriété exclusive par la ville de Blind River (Ontario). Elle participe à des projets d’énergie renouvelable.

[11]  Le présent appel porte sur des contrats que North Shore a conclus avec Menova Energy Inc. pour la vente et l’installation de panneaux solaires. Ces contrats exigeaient de North Shore qu’elle verse à l’avance la moitié du prix d’achat, y compris la TVH, le solde étant payable à la livraison.

[12]  Les contrats ont été conclus le 30 juillet 2010. Après quelques mois, Menova a annulé un contrat important, puis quelques mois plus tard, elle a annulé neuf autres contrats. Peu de temps après, Menova a informé North Shore qu’elle était insolvable. Au total, Menova a annulé 10 des 18 contrats qu’elle avait conclus avec North Shore.

[13]  S’agissant des contrats annulés, les sommes initialement versées par North Shore s’élevaient à 2 987 785 $ au titre des prix d’achat et à 388 412 $ au titre de la TVH (exposé conjoint des faits, au paragraphe 7).

[14]  Au moment de l’annulation de chacun des contrats, Menova a envoyé à North Shore un document qu’elle a appelé un avis de crédit. Dans chaque avis, Menova confirmait qu’un contrat donné était annulé et décrivait son obligation de rembourser le versement initial y afférent, y compris la TVH.

[15]  Les sommes dues aux termes des avis de crédit n’ont jamais été remboursées à North Shore. En 2012, Menova a fait faillite et North Shore a finalement récupéré une petite partie de ce qui lui était dû.

C.  Déclarations de taxe et nouvelles cotisations

[16]  Lorsqu’elle a produit ses déclarations de TVH, North Shore n’a pas été uniforme dans sa façon de traiter les contrats annulés. Les diverses positions qu’elle a adoptées dans ses déclarations et les commentaires du ministre sur l’audit sont exposés en détail dans la décision de la Cour canadienne de l’impôt. Il n’est pas nécessaire que je les répète ici.

[17]  Toutefois, les déclarations de taxe de North Shore sont pertinentes à deux égards pour le présent appel. D’abord, North Shore a demandé, dans le calcul de sa taxe nette, une déduction au titre d’un crédit de taxe sur les intrants pour la TVH payée sur les versements initiaux. Ensuite, après annulation des contrats, le commis comptable de North Shore a commencé par ajouter le montant de la taxe qui devait être remboursée dans le calcul de la taxe nette, conformément à l’article 232. Il a ensuite changé sa position dans le calcul de la taxe nette pour les périodes de déclaration subséquentes.

[18]  Dans les nouvelles cotisations établies à l’égard de North Shore pour la période au cours de laquelle les versements initiaux ont été faits, le ministre a finalement accordé les crédits de taxe sur les intrants réclamés pour ces montants. Pour les périodes pendant lesquelles les contrats ont été annulés, le ministre a ajouté le montant de la TVH qui devait être remboursé dans le calcul de la taxe nette de North Shore en application de l’alinéa 232(3)c) de la Loi. Ainsi, les nouvelles cotisations n’autorisaient pas North Shore à déduire la TVH qu’elle avait payée et qui devait lui être remboursée.

[19]  Je ne connais pas les détails de la situation fiscale de Menova, sauf que la société n’a pas versé la TVH qu’elle avait perçue de North Shore au moment des versements initiaux. Quant à l’article 232, je ne sais pas quel effet il a eu sur Menova, le cas échéant, ou s’il a eu un effet sur les administrateurs de Menova qui auraient pu être tenus de payer la TVH que Menova a perçue mais qu’elle n’a pas versée.

D.  Décision de la Cour canadienne de l’impôt

[20]  La Cour canadienne de l’impôt a conclu que le paragraphe 232(1) de la Loi s’appliquait parce que la taxe payée en trop avait été portée au crédit de North Shore par les avis de crédit. La cour a tenu compte de plusieurs facteurs pour parvenir à cette conclusion.

[21]  Premièrement, afin de déterminer le sens du terme « crédit » au paragraphe 232(1), la cour a extrapolé à partir du sens lexicographique ordinaire de « note de crédit » et d’« avis de crédit » utilisés dans le domaine commercial. Essentiellement, la cour a conclu que « crédit » s’entend de la reconnaissance d’une dette. L’une des définitions mentionnées dans la décision de la cour, tirée du Black’s Law Dictionary (5e éd.), est reproduite ci-dessous :

[traduction] Avis de crédit : Document utilisé par un vendeur pour informer un acheteur qu’il a crédité (ou réduit) son compte client en raison d’une erreur, d’un retour ou d’un rabais.

[22]  Deuxièmement, la cour a conclu que la reconnaissance, par North Shore, de la validité des avis de crédit, avait été fatale à son appel. La cour a mentionné que North Shore s’était fondée sur les avis de crédit pour recouvrer une partie de la somme due par Menova, et que North Shore avait implicitement déclaré, dans ses premières déclarations de taxe, que ces avis de crédit faisaient état d’une somme dont Menova lui était redevable en vertu de l’article 232 (décision aux paragraphes 38 et 39).

[23]  Troisièmement, la cour a rejeté l’argument fondé sur l’ordre public avancé par North Shore, selon qui la position du ministre pouvait encourager les comportements répréhensibles et dolosifs de fournisseurs impécunieux. North Shore a fait valoir que Menova aurait pu demander une déduction en vertu de l’article 232 afin de réduire sa responsabilité (ou celle de ses administrateurs) à l’égard de la TVH qu’elle n’avait pas versée. Selon la cour, le fait que North Shore se soit fondée sur les avis de crédit l’empêchait de faire valoir cet argument (décision au paragraphe 40).

E.  Question en litige et norme de contrôle

[24]  En appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt, notre Cour doit déterminer s’il existe une erreur susceptible de contrôle selon les normes de contrôle établies dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 : les questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte, alors que les questions mixtes de fait et de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme déférente de l’erreur « manifeste et dominante ».

[25]  Le présent appel soulève principalement une question de droit isolable : quel est le sens du terme « crédit » pour l’application de l’article 232 de la Loi? La norme de la décision correcte est la norme qui s’applique.

[26]  À titre préliminaire, j’aimerais dire quelques mots au sujet de la décision de la Cour canadienne de l’impôt, qui a conclu que la disposition pertinente en l’espèce est le paragraphe 232(1) de la Loi. La cour a indiqué que c’est ce qu’avait fait valoir de North Shore dans ses observations. Toutefois, il appert de la transcription de l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt que North Shore a fait valoir que le paragraphe 232(2) était la disposition pertinente. Je souscris à la position énoncée dans la transcription, mais cette question n’est pas déterminante parce que la même question de droit isolable découle des paragraphes 232(1) et (2).

F.  Sens du terme « crédit »

[27]  Lorsqu’elle a envoyé les avis de crédit, Menova a officiellement notifié North Shore qu’elle annulait certains des contrats relatifs aux panneaux solaires et qu’elle acceptait de rembourser les versements initiaux y afférents, incluant la TVH.

[28]  Il s’agit de savoir si le fait de consentir à rembourser une taxe est un « crédit » au sens de « rembourser [...] ou [...] porter [au] crédit » au paragraphe 232(2) de la Loi. Ces termes doivent faire l’objet d’une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique, qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi dans son ensemble (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, au paragraphe 10, [2005] 2 R.C.S. 601).

[29]  À mon avis, la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le terme « crédit » au paragraphe 232(1) tire son sens des termes commerciaux « note de crédit » et « avis de crédit ». Si je dis cela, c’est en partie parce que ces termes commerciaux ne figurent pas aux paragraphes 232(1) et (2), qui sont les dispositions qui déclenchent l’application de l’article 232 en donnant aux fournisseurs le choix de redresser la taxe. Le terme « note de crédit » n’est employé au paragraphe 232(3) que pour décrire les documents requis en cas d’application de l’article 232.

[30]  Cela suffit à trancher la question, mais je ferai également observer que le terme « note de crédit », au paragraphe 232(3), ne peut renvoyer à son sens commercial ordinaire parce que, dans la Loi, il s’applique non seulement aux crédits, mais aussi aux redressements et aux remboursements. Par conséquent, le sens ordinaire de « note de crédit » n’aide pas à définir le terme « crédit » dans le présent contexte.

[31]  Il s’agit donc simplement de définir le terme « crédit ». Je vais d’abord examiner les définitions de ce mot dans les dictionnaires. Les dictionnaires anglais et français nous indiquent que le terme peut avoir soit un sens général (reconnaissance de dette) soit un sens plus étroit (opération par laquelle une somme d’argent est mise à la disposition du bénéficiaire du crédit). Les dictionnaires anglais et français ci-dessous rendent compte de ces deux sens.

Crédit : Opération par laquelle une personne met une somme d’argent à la disposition d’une autre;

Le Petit Robert (2006)

Credit: (1) A sum at a person’s disposal in the books of a bank etc.

 (2) The acknowledgement of payment by entry in an account

Shorter Oxford English Dictionary, 6éd.

[32]  Outre le sens ordinaire de « crédit », il faut tenir compte du contexte et de l’objet de la Loi. Comme nous le verrons plus loin, j’ai conclu que le contexte et l’objet tendent à indiquer que c’est le sens étroit qu’on entendait donner au terme « crédit ».

[33]  D’abord, il est pertinent de faire observer que le terme « crédit » est ambigu. Les rédacteurs auraient pu utiliser un terme plus précis s’ils voulaient donner un sens général. Par exemple, des mots comme « rembourser ou accepter de rembourser » auraient pu être employés dans la Loi.

[34]  Qui plus est, des mots comme « rembourser ou accepter de rembourser » correspondent davantage au libellé employé dans les autres dispositions de la Loi. Par exemple, au paragraphe 225(1) de la Loi, qui porte sur le calcul de la taxe nette, il est question de montants de taxe « percevables ».

[35]  Ensuite, lors de l’entrée en vigueur de l’article 232 de la Loi, la jurisprudence avait déjà donné au terme « crédit » – dans le contexte de l’impôt sur le revenu – le sens étroit du dictionnaire Le Petit Robert, reproduit ci‑dessus (La Compagnie Minière Québec Cartier c. M.R.N., 84 D.T.C. 1348, à la page 1356, [1984] C.T.C. 2408). Même avant cette décision, une interprétation étroite avait été retenue, sur le plan administratif, par les autorités fiscales dans ce même contexte (Brian J. Arnold et al, Timing and Income Taxation, 2e éd. (Toronto : Canadian Tax Foundation, 2015), à la page 381. Par conséquent, l’interprétation proposée par North Shore est non seulement possible, mais c’est celle qui a été retenue dans un autre contexte fiscal.

[36]  Troisièmement, il semble que de donner au terme « crédit » une interprétation générale dans le contexte de l’article 232 pourrait exposer les contribuables comme North Shore à des conséquences fiscales qui sont contraires à l’esprit général de la Loi.

[37]  Quel est cet esprit général? Il aurait été utile que les parties fournissent des observations plus détaillées à ce sujet, mais j’aimerais souligner les éléments suivants.

[38]  L’article 232 semble envisager que le crédit accordé en vertu de cette disposition sera réellement honoré. Il n’est pas logique que le fournisseur soit autorisé à appliquer une déduction sur sa taxe nette et que l’acheteur soit tenu d’ajouter un montant à sa taxe nette s’il n’y a pas de transfert. Dans l’ensemble, les entreprises agissent comme des intermédiaires et n’assument aucun fardeau fiscal. Une interprétation du terme « crédit » qui favorise cet objectif s’harmonise davantage avec l’esprit de la Loi dans son ensemble.

[39]  La Couronne fait valoir qu’il est logique de donner à ce terme une interprétation générale, parce qu’une telle interprétation a pour effet de transférer le fardeau fiscal à l’acheteur et que ce dernier est mieux placé que le gouvernement pour évaluer la situation financière du fournisseur.

[40]  Je ne suis pas d’accord. La Loi impose en général à tous les fournisseurs l’obligation de percevoir la taxe au nom du gouvernement. La situation financière de fournisseur ne change en rien cette obligation et il n’y a aucune raison de penser que l’article 232 est censé le faire.

[41]  Il est également utile d’examiner comment s’applique le régime législatif dans une situation analogue. Selon les paragraphes 225(1) et 228(2) de la Loi, le fournisseur doit verser au receveur général la taxe qui est percevable, même s’il ne l’a jamais perçue. Toutefois, le paragraphe 231(1) dispense le fournisseur de cette obligation si le montant percevable devient une créance irrécouvrable. L’article 232 ne prévoit aucune exemption de la sorte pour un crédit qui devient une créance irrécouvrable.

[42]  En outre, la Couronne soutient que le fait que North Shore se soit fondée sur les avis de crédit devrait porter un coup fatal à son appel. Je peux comprendre que la Cour canadienne de l’impôt ait souscrit à cet argument, North Shore ayant soutenu devant elle que les avis de crédit étaient invalides. Toutefois, cet argument n’a pas été soulevé devant notre Cour.

[43]  La question essentielle soulevée par le présent appel est celle de l’interprétation qu’il convient de donner au terme « crédit » aux paragraphes 232(1) et (2) de la Loi. La façon dont les parties ont traité les avis de crédit dans le cadre des efforts de recouvrement ne saurait influer sur cette question. En outre, il n’est pas pertinent que le commis comptable de North Shore ait initialement traité les avis de crédit comme étant visés par l’article 232. Il n’existe aucune preuve que le commis comptable était au courant de tous les faits pertinents ou qu’il a examiné en détail la question.

[44]  Enfin, la Couronne a fait valoir qu’une interprétation générale devrait être privilégiée parce qu’elle favorise la certitude et facilite la vérification. C’est peut‑être vrai, mais il reste qu’une interprétation générale favorise des conséquences fiscales qui ne s’harmonisent pas avec l’esprit de la Loi dans son ensemble. L’interprétation plus étroite est préférable pour cette raison, à mon avis.

[45]  Pour toutes ces raisons, le terme « crédit » à l’article 232 devrait avoir le sens donné par Le Petit Robert, ci‑dessus : opération par laquelle une somme d’argent est mise à la disposition d’une autre personne. Je ne prétends pas que l’argent doit réellement être mis de côté, mais cela ne suffit pas si aucune somme n’est mise à la disposition de l’acheteur.

G.  North Shore a-t-elle obtenu un crédit?

[46]  À la lumière de ma conclusion selon laquelle la Cour canadienne de l’impôt a adopté une interprétation incorrecte de « crédit », la question demeure : Menova a-t-elle mis les sommes à rembourser à la disposition de North Shore?

[47]  La Cour peut soit renvoyer l’affaire à la Cour canadienne de l’impôt pour qu’elle rende une décision sur cette question en fonction des faits, soit trancher elle‑même la question. Je propose de trancher la question puisqu’il s’agit d’une utilisation efficace des ressources.

[48]  La question est résolue par l’examen de la situation financière probable de Menova au moment où les avis de crédit ont été envoyés. Aucun représentant de Menova n’a témoigné devant la Cour canadienne de l’impôt, et la preuve quant à la situation financière de Menova n’a pas été détaillée. Toutefois, il est possible d’inférer que Menova n’a probablement jamais été en mesure d’honorer les avis de crédit.

[49]  North Shore essayait activement de réduire sa perte après l’annulation du premier, et très important, contrat. Plutôt que de rembourser le versement initial perçu pour ce contrat, Menova a simplement envoyé un avis de crédit. Peu après l’annulation du premier contrat, Menova a annulé neuf autres contrats et avisé North Shore qu’elle était insolvable. North Shore a fini par acculer Menova à la faillite et n’a récupéré qu’une petite partie des versements initiaux. Que North Shore n’ait rien pu récupérer, sinon en recourant à des mesures de recouvrement, est révélateur.

[50]  Je conclus que Menova n’a pas mis de fonds à la disposition de North Shore lorsqu’elle a envoyé les avis de crédit et qu’elle n’a donc pas porté la taxe à son crédit.

H.  Dispositif

[51]  J’ai conclu que l’article 232 ne s’applique pas aux opérations en cause puisque la TVH n’a pas été portée au crédit de North Shore. Je rendrais jugement en faveur de North Shore selon les sommes convenues entre les parties.

[52]  Par conséquent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision de la Cour canadienne de l’impôt et je renverrais la question au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation, étant entendu que :

  • (1) la taxe nette pour la période de déclaration ayant pris fin le 30 avril 2011 devrait être réduite de 107 954 $;

  • (2) la taxe nette pour la période de déclaration ayant pris fin le 31 janvier 2012 devrait être réduite de 240 089 $.

[53]  J’adjugerais les dépens à North Shore devant notre Cour et devant la juridiction inférieure.

« Judith M. Woods »

j.c.a.

 «Je suis d’accord

David Stratas, j.c.a. »

«Je suis d’accord

J.B. Laskin, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-53-17

APPEL D’UN JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE BOCOCK EN DATE DU 16 JANVIER 2017, NO 2015-1269(GST)G

INTITULÉ :

NORTH SHORE POWER GROUP INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 octobre 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE WOODS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JANVIER 2018

 

COMPARUTIONS :

David J. Thompson

 

Pour l’appelante

 

Suzanie Chua

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David J. Thompson Professional Corp.

Barrie (Ontario)

 

Pour l’appelante

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour l’intimée

 

 

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