Dossier : A-329-16
Référence : 2018 CAF 18
CORAM :
|
LE JUGE NADON
LE JUGE PELLETIER
LA JUGE GAUTHIER
|
ENTRE :
|
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
demandeur
|
et
|
THE ACCESS INFORMATION AGENCY INC.
|
défenderesse
|
Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 5 septembre 2017.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2018.
MOTIFS DU JUGEMENT :
|
LE JUGE PELLETIER
|
Y ONT SOUSCRIT :
|
LE JUGE NADON
LA JUGE GAUTHIER
|
Date : 20180118
Dossier : A-329-16
Référence : 2018 CAF 18
CORAM :
|
LE JUGE NADON
LE JUGE PELLETIER
LA JUGE GAUTHIER
|
ENTRE :
|
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
demandeur
|
et
|
THE ACCESS INFORMATION AGENCY INC.
|
défenderesse
|
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE PELLETIER
I.
SURVOL
[1]
Il s’agit d’une demande de révision judiciaire d’une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) selon laquelle celui-ci avait compétence pour enquêter sur la procédure suivie lors d’un marché public relativement à la fourniture de services professionnels, nonobstant l’annulation subséquente du marché public. La question du bien-fondé de la plainte portant sur ce marché public fait l’objet d’une deuxième demande de révision judiciaire dans le dossier A-323-16.
[2]
Les motifs de la décision du tribunal (Motifs) sont répertoriés sous la rubrique The Access Information Agency Inc. c. Ministère des Affaires mondiales, Dossier no PR-2016-001.
[3]
La décision en cause a été rendue à la suite d’une plainte déposée par Access Information Agency Inc. (AIA) lorsque Affaires mondiales Canada (AMC) l’a avisée de son intention d’attribuer un contrat issu d’un marché public à un autre soumissionnaire, LRO Staffing. À la lumière de la plainte, AMC a décidé d’annuler le marché public. Le Procureur général soutient qu’en raison de l’annulation du marché public, le Tribunal a perdu compétence pour enquêter puisque l’enquête ne portait plus sur un contrat spécifique.
[4]
Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejetterais la demande de révision judiciaire.
II.
DISPOSITIONS DE LA LOI
[5]
L’analyse qui suit se situe dans un cadre législatif. Les dispositions pertinentes de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 ch. 47 (4e supp.)(la Loi) (la Loi) sont exposées ci-dessous.
[6]
La mission du Tribunal lui est confiée par l’article 16 de la Loi :
|
|
[7]
La définition de « contrat spécifique »
se trouve à l’article 30.1 de la Loi :
|
|
[8]
Un contrat spécifique est un contrat qui est assujetti à l’un ou l’autre des traités de libre-échange conclus par le Canada qui sont énumérés au paragraphe 3(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, DORS/93-602 (le Règlement). L’expression « accords commerciaux »
désigne l’ensemble de ces traités.
[9]
Tout fournisseur ou fournisseur potentiel qui se sent lésé par la procédure d’adjudication des contrats peut déposer une plainte auprès du Tribunal :
|
|
[10]
Le Tribunal ne peut donner suite à une plainte que si celle-ci est conforme, c’est-à-dire qu’elle renferme certaines données :
|
|
|
|
|
|
|
|
[11]
Si le Tribunal juge que la plainte est conforme, il peut décider d’enquêter. S’il le décide, il doit s’en tenir à l’objet de la plainte :
|
|
|
|
[12]
Si le Tribunal est d’avis qu’une plainte, bien que conforme, est dénuée de tout intérêt ou est entachée de mauvaise foi, il peut décider de ne pas enquêter :
|
|
III.
ANALYSE
A.
La norme de contrôle
[13]
Dans la mesure où cette cause soulève une question d’interprétation de la Loi, la Cour suprême a statué que l’interprétation par un tribunal de sa loi habilitante est présumée être raisonnable, sauf certaines exceptions : McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895 au para. 21 (McLean). L’une de ces exceptions est une véritable question de compétence d’un tribunal.
[14]
En l’espèce, le Tribunal et le procureur général s’entendaient pour dire que la question en litige était de savoir si le Tribunal était habilité par sa loi constitutive à enquêter sur la plainte d’AIA. Cette vision commune de la question en litige ne nous lie pas. Il nous revient de décider si cette vision est bien fondée.
[15]
La question de compétence en l’espèce est celle de savoir si la compétence du Tribunal dépend de l’existence, en tout moment au cours du traitement d’une plainte, d’un contrat spécifique ou de l’existence de la possibilité d’accorder un tel contrat.
[16]
Le procureur général invoque la jurisprudence antérieure de notre Cour voulant que la révision d’une décision du Tribunal sur une question de sa compétence soit soumise à la norme de la décision correcte : Northrop Grumman Overseas Services Corp. c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 187, [2009] 1 R.C.F. 688 aux paras. 27-28, conf. par Northrop Grumman Overseas Services Corp. c. Canada (Procureur général), 2009 CSC 50, [2009] 3 R.C.S. 309 au para. 10 (Northrop). Cependant la Cour suprême a mis en doute le bien-fondé de Northrop dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 au para. 33, et plus récemment dans Québec (Procureure générale) c. Guérin, 2017 CSC 42, 412 D.L.R. (4e) 103 au para. 35 (Guérin).
[17]
Dans Guérin, la Cour suprême a souligné que le raisonnement dans Northrop suivait une jurisprudence antérieure à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et ne traitait pas d’une question qui touchait véritablement à la compétence : Guérin au para. 35. Cette observation s’inscrit dans le courant de jurisprudence selon lequel les tribunaux doivent éviter de qualifier trop rapidement comme question de compétence une question qui relève plutôt de l’interprétation, et ainsi de l'assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute quant à sa nature : Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, 97 D.L.R. (3e) 417 à la p. 233.
[18]
La question de la compétence du Tribunal en l’espèce ressemble de près à la question soulevée dans l’arrêt Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293 (Capilano). La question en litige était celle de savoir si le Comité de révision des évaluations de la Ville d'Edmonton avait la compétence de réviser à la hausse une évaluation foncière, et ce, dans le contexte d’une demande de révision par un propriétaire qui alléguait que l’évaluation de son centre commercial était trop élevée. La Cour suprême statua que la question de savoir si le Comité avait le pouvoir de réviser une évaluation à la hausse était une simple question d’interprétation de la loi habilitante du Comité et ne soulevait pas une véritable question de compétence dans le sens de vires :
Il est clair en l’espèce que le Comité peut entendre une plainte relative à une évaluation municipale. La question porte simplement sur l’interprétation par le Comité de sa loi constitutive dans l'exécution de son mandat consistant à entendre et à trancher les plaintes en matière d’évaluation. Aucune question touchant véritablement à la compétence ne se pose.
Capilano au para. 26.
[19]
En l’espèce, il ne peut faire de doute que le Tribunal a la compétence pour enquêter sur la procédure suivie lors d’un marché public assujetti aux accords commerciaux. La question de savoir si le Tribunal perd compétence lors de l’annulation d’un tel marché public n’est ni plus ni moins qu’une question d’interprétation de la Loi et, tout comme dans Capilano, ne soulève aucune question touchant véritablement à la compétence.
[20]
À la lumière de ces arrêts, je suis d’avis que la Cour suprême a décidé, ne serait-ce qu’implicitement, que Northrop ne fait plus jurisprudence. Le fait qu’une question d’interprétation de sa loi habilitante touche aux conditions dans lesquelles le Tribunal peut exercer ses pouvoirs statutaires n’est pas en soi une question de vires qui fait appel à la norme de la décision correcte. La présomption de raisonnabilité énoncée dans McLean s’applique et n’a pas été réfutée.
[21]
Par ailleurs, la question de savoir si un contrat a été accordé est une question mixte de faits et de droit puisqu’elle requiert l’application d’une doctrine légale aux faits de la cause. Lors d’un appel statutaire de la décision d’un tribunal spécialisé, « la norme d’intervention doit être déterminée en fonction des principes du droit administratif »
: Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3 au para. 38. La norme de contrôle d’une question mixte de faits et de droit est celle de la décision raisonnable : Tervita Corp. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, [2015] 1 R.C.S. 161 au para. 40.
B.
Un contrat spécifique a été accordé
[22]
Le Tribunal a conclu qu’il avait la compétence de poursuivre une enquête puisqu’un contrat avait été accordé à LRO Staffing. Cette conclusion se fondait sur le courriel qu’AMC a acheminé à AIA le 21 mars 2016 selon lequel « [u]ne commande subséquente a été accordée à LRO Staffing pour sa proposition gagnante »
: Motifs au para. 31. Le procureur général, se fondant sur le témoignage de monsieur Mucci selon lequel un contrat n’est accordé que lorsque le formulaire désigné est remis au soumissionnaire sélectionné, était d’avis contraire.
[23]
Il n’était pas contesté que le marché public en cause était assujetti à un des accords commerciaux qui sont énumérés ou décrits à l’article 3 du Règlement. Cela étant, un contrat accordé à la suite d’un tel marché public est un « contrat spécifique »
, ce qui devrait être concluant quant à la question de la compétence du Tribunal, sauf si l’annulation de la DD a l’effet extinctif que lui prête le procureur général.
[24]
En l’espèce, le Tribunal, qui est maitre des faits, s’est demandé si un contrat avait bel et bien été accordé et a conclu que c’était bien le cas. La preuve administrée devant le Tribunal incluait le témoignage de monsieur Mucci et les communications entre AMC et AIA. Parmi ces communications se trouvait le courriel dans lequel AMC avisait AIA qu’un contrat avait été accordé à un autre fournisseur. Il était du ressort du Tribunal de soupeser la preuve et d’en tirer les conclusions qu’il estimait dignes de foi. Dans l’exercice de ce pouvoir, le Tribunal a conclu qu’un contrat avait été accordé.
[25]
Cette conclusion implique nécessairement une interprétation de l’expression « contrat [...] qui a été accordé »
dans la définition de « contrat spécifique »
à l’article 30.1 de la Loi. Le Tribunal n’est pas lié par le sens donné à cette expression dans les documents préparés par l’institution fédérale et peut lui donner un sens qui s’accorde avec le libellé du texte de la Loi dans son contexte global et qui favorise l’accomplissement des objets visés par la Loi : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 36 O.R. (3e) 418 au para. 21.
[26]
En l’espèce, le Tribunal a interprété l’expression « contrat [...] qui a été accordé [...] » en fonction de la communication de l’attribution du contrat et non pas en fonction des formalités contractuelles
. Le point de vue du Tribunal n’est pas déraisonnable. La définition de « contrat spécifique »
joue un rôle limitatif dans la Loi parce qu’elle limite l’accès au processus de plainte et d’enquête aux différends survenant relativement aux marchés publics assujettis aux accords commerciaux. Le Tribunal a choisi de définir l’une des composantes de cet élément limitatif par rapport à la communication de l’accord d’un contrat à un ou des soumissionnaires, geste public, plutôt que par rapport aux formalités contractuelles qui sont, effectivement, non-publiques.
[27]
Ceci est tout à fait conforme à l’avis du Tribunal selon lequel son interprétation favorisait sa capacité « de veiller à ce que la passation des marchés publics soit équitable, concurrentielle, efficace et intègre »
: Motifs au para. 34. L’exercice de cette compétence à l’égard du processus de l’attribution des contrats de fourniture n’enfreint pas la discrétion du Tribunal, prévue au paragraphe 30.13(5) de la Loi, de ne pas enquêter lorsque la plainte est dénuée de tout intérêt : Motifs aux paras. 33-37. Somme toute, la conclusion du Tribunal selon laquelle un contrat a été accordé en l’espèce n’est pas déraisonnable et donc ne justifie pas notre intervention.
C.
L’annulation du contrat n’a pas privé le Tribunal de compétence
[28]
Le procureur général fait valoir que même si un contrat a été accordé, l’annulation du marché public par la suite a privé le Tribunal de compétence. Le procureur général fonde son argument sur la décision de notre cour dans l’affaire Novell Canada Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada), [2000] A.C.F. no 950 (QL) (Novell).
[29]
Dans Novell, un fournisseur (Novell) a contesté l’attribution d’un contrat sans appel d’offres concurrentielles. L’institution fédérale alléguait qu’elle n’était pas obligée de procéder par appel d’offres parce que le contrat n’était pas visé par les accords commerciaux. Novell était de l’avis contraire et en plus, alléguait que l’attribution du contrat de cette façon faisait partie d’une stratégie de fractionnement du marché. Le Tribunal a donné raison à Novell au motif que le contrat était en effet assujetti à un ou à plusieurs des accords commerciaux; par ailleurs, le Tribunal n’a pas traité de la question du fractionnement du marché. En dépit du fait de son succès devant le Tribunal, Novell a intenté une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour, alléguant que le Tribunal devait trancher la question de fractionnement du marché.
[30]
La fourniture en cause était destinée à prévenir la possibilité d’une panne systémique des systèmes informatiques de l’institution fédérale lors du passage de l’année 1999 à l’année 2000, le fameux problème « Y2K »
qui, en fin de compte, n’en fut pas un. Une fois que le 1er janvier 2000 est arrivé sans que se manifeste la panne redoutée, l’institution fédérale n’avait plus besoin de la fourniture et, à la lumière de la plainte déposée par Novell, s’est départie de tout ce qu’elle avait acquis en vertu du contrat en cause.
[31]
À la lumière de ces faits, notre Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire en disant :
Il n’y a maintenant plus de contrat spécifique en litige. [...] Bien que le paragraphe 30.11(1) soit assez large pour conférer au Tribunal la compétence d’examiner la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique, il doit exister un tel contrat pour lancer une enquête plus approfondie. Comme il n’y a pas de contrat spécifique en litige, le Tribunal n’a pas compétence pour entamer une enquête touchant une procédure de marché public. En d’autres termes, le Tribunal ne peut s’autoriser du paragraphe 30.11(1) pour mener une enquête sur l’ensemble de la procédure des marchés publics suivie par le gouvernement.
[32]
Le Tribunal s’est penché sur l’arrêt Novell. Il a fait valoir qu’il avait précédemment noté que cet arrêt devait être compris à la lumière de ses faits particuliers, notamment le fait qu’après que le Tribunal eut rendu une décision favorable au plaignant, l’institution fédérale avait laissé savoir qu’elle n’avait plus besoin des services visés et s’était départie des logiciels acquis précédemment. Le Tribunal était d’avis que ce contexte expliquait le résultat dans l’affaire Novell : Motifs au para. 41.
[33]
Cette tentative du Tribunal de limiter la portée de l’arrêt Novell à ses faits particuliers serait convaincante si notre Cour avait décidé que la demande de contrôle judiciaire devait être rejetée parce que la question était caduque, ce qui était certainement le cas. Ainsi, la décision de rejeter la demande de contrôle judiciaire ne serait que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de ne pas donner suite à une demande de contrôle judiciaire qui, dans les faits, ne pouvait avoir aucune conséquence pratique pour les parties. Mais notre Cour a décidé la cause sur une question de compétence, ce qui est tout autre chose. Il nous faut nous en tenir à la décision que notre Cour a rendue, et ne pas lui substituer celle qu’elle aurait pu rendre. Il s’ensuit que si Novell a été bien décidée, le Tribunal a perdu compétence par rapport à la plainte d’AIA dès lors que le marché public a été annulé. La question qui se pose est celle de savoir si Novell a été bien décidée.
[34]
La cohérence de la jurisprudence d’une cour d’appel exige que chaque formation respecte et applique de bonne foi le ratio decidendi de toute décision rendue par une autre formation de la cour. La nécessité de la finalité et de la certitude dans le droit n’en exige pas moins. En revanche, une cour étant une institution humaine, la possibilité d’erreur ne peut être écartée et, compte tenu du nombre restreint de demandes d’autorisation accordées par la Cour suprême, pour ne rien dire des coûts d’une telle démarche, ces erreurs risquent de ne pas être corrigées. C’est pourquoi le droit reconnait aux cours d’appel la possibilité d’intervenir lorsqu’une décision rendue par une formation s’avère manifestement erronée.
[35]
Notre Cour a encadré cette possibilité d’intervention dans l’arrêt Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, 220 D.L.R. (4e) 149 (Miller). Une formation de notre Cour ne peut s’écarter d’une décision d’une autre formation que si « la décision en cause [est] manifestement erronée, du fait que la Cour n’[a] pas tenu compte de la législation applicable ou d’un précédent qui aurait dû être respecté »
: Miller au para. 10.
[36]
Je suis d’avis que la décision de notre Cour dans Novell est manifestement erronée parce qu’elle n’a pas tenu compte de la Loi à plusieurs égards. La crainte qui semble avoir animé la Cour dans Novell est qu’en l’absence d’un contrat spécifique, le Tribunal s’autorise, à partir du paragraphe 30.11(1), à mener une enquête sur l’ensemble de la procédure des marchés publics suivie par le gouvernement. Cette crainte ne trouve aucun appui dans les dispositions de la Loi.
[37]
Le libellé de la Loi n’exige pas l’existence d’un contrat spécifique à tout moment au cours de l’existence d’une plainte. La Loi exige simplement qu’une plainte porte sur les procédures suivies par rapport à l’adjudication d’un contrat qui est assujetti aux accords commerciaux. Le Tribunal a rejeté l’argument de « l’effet extinctif`»
de l’annulation d’un marché public au motif qu’une annulation ne s’adresse pas nécessairement aux défauts de procédure mis en relief par la plainte et ne permet pas au Tribunal de poursuivre sa vocation de préserver la confiance en l’intégrité de la procédure de passation des marchés publics : Motifs au para. 35.
[38]
La crainte qu’à défaut de l’existence d’un contrat spécifique, le Tribunal se permette d’enquêter sur « l’ensemble de la procédure des marchés publics suivie par le gouvernement »
ne tient pas compte de plusieurs autres dispositions de la Loi.
[39]
Le paragraphe 30.11(1) autorise le dépôt d’une plainte à l’égard d’un contrat spécifique, mais aucune enquête n’est autorisée à moins que la plainte ne soit conforme. Le paragraphe 30.11(2) de la Loi énumère les conditions que doit remplir une plainte conforme dont les suivantes : « préciser le contrat spécifique visé, le nom du plaignant et celui de l’institution fédérale chargée de l’adjudication du contrat »
et « exposer de façon claire et détaillée ses motifs et les faits à l’appui »
. Tout cela fait en sorte que toute enquête est limitée aux circonstances entourant un contrat spécifique particulier. Qui plus est, le paragraphe 30.14(1) prévoyant que, dans son enquête, le Tribunal doit se limiter à l’objet de la plainte, le Tribunal doit donc s’en tenir aux procédures suivies relativement au contrat décrit dans la plainte.
[40]
L’ensemble de ces dispositions a pour effet que le Tribunal ne peut enquêter sur les procédures suivies par une institution fédérale que lorsqu’un fournisseur potentiel dépose une plainte qui identifie un contrat spécifique particulier qui, soit a été accordé, soit pourrait l’être. Le fournisseur doit de plus préciser les motifs de sa plainte. Une fois le Tribunal convaincu que la plainte est conforme, il peut déterminer s’il y a lieu d’enquêter, mais son enquête doit se limiter à l’objet de la plainte. Somme toute, ces dispositions ne permettent pas au Tribunal d’enquêter sur l’ensemble de la procédure des marchés publics suivie par le gouvernement, contrairement à ce que semblait craindre la Cour.
[41]
Il est aussi révélateur que, comme le Tribunal l’a noté, le paragraphe 30.13(5) l’autorise à ne pas enquêter ou à terminer une enquête qu’il a intentée lorsqu’il estime que la plainte est dénuée de tout intérêt. Cette disposition laisse au Tribunal le loisir de ne pas enquêter lorsque son enquête ne peut avoir aucun effet pratique ou ne soulève aucune question d’intégrité ou d’efficacité des marchés publics. Cette disposition aurait une portée très limitée si le Tribunal ne pouvait enquêter que lorsque la possibilité d’attribution d’un contrat existait toujours à tout moment.
[42]
À la lumière de ces dispositions, je conclus que notre Cour n’a pas tenu compte de l’ensemble des dispositions de la Loi qui portent sur le fonctionnement du Tribunal et, en conséquence, a rendu une décision qui est manifestement erronée. L’arrêt Novell ne fait plus autorité. En conséquence, le Tribunal n’a pas perdu compétence lorsqu’AMC a annulé le marché public.
IV.
CONCLUSION
[43]
Je conclus que la décision du Tribunal quant à sa compétence n’est pas déraisonnable.
[44]
La demande de révision judiciaire devrait donc être rejetée avec dépens.
« J.D. Denis Pelletier »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
Marc Nadon, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Johanne Gauthier, j.c.a. »
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Dossier :
|
A-329-16
|
Appel d’une décision du Tribunal canadien du Commerce extérieur du 19 août 2016, dans le dossier PR-2016-001
INTITULÉ :
|
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. THE ACCESS INFORMATION AGENCY INC.
|
||
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Ottawa (Ontario)
|
|
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 5 septembre 2017
|
|
|
MOTIFS DU JUGEMENT :
|
LE JUGE PELLETIER
|
|
|
Y ONT SOUSCRIT :
|
LE JUGE NADON
LA JUGE GAUTHIER
|
|
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 18 JANVIER 2018
|
|
|
COMPARUTIONS :
Alexandre Kaufman
|
Pour le demandeur
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
Thomas Dastous
|
Pour la défenderesse
THE ACCESS INFORMATION AGENCY INC.
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nathalie G. Drouin
Sous-procureure général du Canada
|
Pour le demandeur
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
The Access information Agency Inc.
Ottawa (Ontario)
|
Pour la défenderesse
THE ACCESS INFORMATION AGENCY INC.
|