Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20180125


Dossier : A-126-17

Référence : 2018 CAF 26

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

STEVE MORRISEY, THOMAS KINGSTON, GILLES LACHANCE, ROBERT MILLAIRE AND RANDELL LATTER

appelants

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20180125


Dossier : A-126-17

Référence : 2018 CAF 26

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

STEVE MORRISEY, THOMAS KINGSTON, GILLES LACHANCE, ROBERT MILLAIRE AND RANDELL LATTER

appelants

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE BOIVIN

[1]  MM. Steve Morrisey, Thomas Kingston, Gilles Lachance, Robert Millaire et Randell Latter (les appelants) interjettent appel du jugement par lequel la juge McDonald de la Cour fédérale (la juge de la Cour fédérale) a rejeté le 5 avril 2017 (2017 CF 345) leur demande de contrôle judiciaire.

[2]  Dans leur demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, les appelants contestaient la décision rendue en 2016 par un comité de règlement des griefs de classification (le Comité), qui a refusé de reclassifier leurs postes au ministère de la Défense nationale (MDN) du niveau CS-01 au niveau CS-02.

[3]  Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j’annulerais la décision du Comité et je renverrais l’affaire au Comité pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

I.  Contexte

[4]  En 2002, le MDN a créé quatre nouveaux postes à Halifax, en Nouvelle-Écosse, et le titre des postes était « Représentant de l’équipe du service à la clientèle » (les postes de Halifax). Ces postes ont été classifiés au niveau CS‑01. Un autre poste comportant la même description de travail et portant le même titre a été créé au même moment à Shearwater, en Nouvelle-Écosse, et ce poste a aussi été classifié au niveau CS‑01 (le poste de Shearwater). Les cinq appelants, à un moment ou à un autre, ont chacun occupé l’un des quatre postes de Halifax (dossier d’appel, onglet 5‑E, p. 92).

[5]  En 2008, le poste de Shearwater a fait l’objet d’une nouvelle description de travail et il a été reclassifié de CS‑01 à CS‑02. À la suite de la mise à niveau de la classification du poste de Shearwater, les appelants ont pris diverses mesures pour vérifier si la classification des postes de Halifax pouvait aussi être relevée au niveau CS‑02.

[6]  En 2011, à la suite d’un grief sur la nature du travail déposé par les appelants en 2010, la description de travail de ces derniers a été modifiée, mais la classification de leurs postes est demeurée au niveau CS‑01. Les appelants ont par conséquent demandé que leurs postes soient reclassifiés de CS‑01 à CS‑02. Dans le cadre du processus d’examen visant la reclassification des postes de Halifax, les agents d’évaluation de la classification ont examiné la classification des postes des appelants en fonction de la nouvelle description de travail. Les appelants ont soumis le poste de Shearwater comme « poste comparable ». Ils ont fait valoir que les fonctions et les responsabilités des postes de Halifax étaient sensiblement identiques à celles du poste de Shearwater, qui avait fait l’objet d’une reclassification du niveau CS‑01 au niveau CS‑02. Ils ont soutenu que, afin que la relativité interne avec le poste comparable de Shearwater soit respectée, les postes de Halifax devraient également être classifiés au niveau CS‑02. Les agents d’évaluation de la classification ont toutefois décidé, au moyen d’un rapport de l’entente de la classification produit le 12 juillet 2012 (la décision de 2012), que les postes modifiés de Halifax devraient demeurer au niveau CS‑01 (dossier d’appel, onglet 5‑B).

[7]  À la suite de la décision de 2012, les appelants ont déposé un grief. Le Comité s’est réuni le 8 juin 2016. Devant le Comité, les appelants ont également insisté sur la question de la relativité interne et ont utilisé, encore une fois, le poste de Shearwater comme poste comparable, afin de convaincre le Comité que la classification des postes de Halifax devrait aussi être relevée au niveau CS‑02.

[8]  Le Comité a rendu sa décision le 13 juillet 2016 (la décision de 2016) et il a maintenu la classification des postes de Halifax au niveau CS‑01. La recommandation du Comité a été acceptée par le délégué du sous-ministre.

[9]  Les appelants ont demandé le contrôle judiciaire de la décision du délégué du sous-ministre. En réalité, comme l’a fait remarquer la juge de la Cour fédérale, c’est la décision de 2016, approuvée par le délégué du sous-ministre, qui faisait l’objet d’un contrôle judiciaire, puisque le décideur « de facto » est le Comité (motifs de la juge de la Cour fédérale, par. 13; voir Bulat c. Canada (Conseil du Trésor), [2000] A.C.F. no 148 (QL), par. 9 et 10; McEvoy c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 164, [2014] A.C.F. no 762 (QL), par. 11; conf. McEvoy c. Canada (Procureur général), 2013 CF 685, [2013] A.C.F. no 756 (QL), par. 42). Les appelants ont soutenu devant la Cour fédérale que le Comité, dans sa décision de 2016, n’a pas tenu compte adéquatement de leurs arguments concernant la relativité interne (Avis de demande de contrôle judiciaire des appelants, par. 4; dossier d’appel, onglet 3, p. 26). Même si la juge de la Cour fédérale était d’avis qu’il aurait été préférable que le Comité s’étende davantage sur la question de la relativité interne dans son analyse, elle a conclu que le fait que le Comité ne l’a pas fait n’était pas une erreur susceptible de révision (motifs de la juge de la Cour fédérale, par. 31). Les appelants interjettent maintenant appel de la décision de la juge de la Cour fédérale devant notre Cour.

II.  Question en litige

[10]  La seule question en litige dans le présent appel est de savoir si la décision de 2016 du Comité, en ce qui concerne l’analyse de la relativité interne, est raisonnable.

III.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[11]  Lorsqu’elle est saisie d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision rendue par la Cour fédérale à l’issue d’un contrôle judiciaire, notre Cour doit se mettre à la place de la Cour fédérale et se concentrer sur la décision administrative dont il est question (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 46 [Agraira]). Elle doit donc établir si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle pertinente et l’a appliquée correctement (Agraira, par. 47).

[12]  À mon avis, la juge de la Cour fédérale a eu raison de conclure que la norme de contrôle à appliquer était celle de la décision raisonnable (motifs de la juge de la Cour fédérale, par. 15 à 17). Toutefois, contrairement à la juge de la Cour fédérale, je ne crois pas que la décision de 2016 du Comité était raisonnable.

B.  Décision de 2016 du Comité

[13]  Afin de satisfaire aux exigences du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, le Comité doit faire ressortir dans ses motifs, comme toute autre décision administrative, la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47). Même si le caractère suffisant des motifs ne devrait pas constituer en soi un fondement justifiant un contrôle, les motifs du Comité, pris dans leur ensemble, devraient permettre à la Cour d’établir pourquoi le Comité en est arrivé à sa conclusion et si la décision fait partie des issues raisonnables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14 et 16 [Newfoundland Nurses]; Rogers Communications Canada Inc. c. Maintenance and Service Employees’ Association, 2017 CAF 127, [2017] A.C.F. no 635 (QL), par. 23).

[14]  De plus, dans la présente affaire, le Comité est assujetti à des exigences imposées par la Directive sur les griefs de classification du Conseil du Trésor, qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2015 (dossier d’appel, onglet 5-I, p. 275). Plus précisément, la section 3.8.1 de l’annexe B de la Directive sur les griefs de classification, intitulée « Procédure de règlement des griefs de classification », indique que le Comité « répond aux arguments et aux points concernant la relativité avancés par le plaignant et son représentant ». À l’alinéa e), la Directive précise que l’analyse du Comité « devrait résumer les points importants présentés à l'appui du grief, y compris la relativité mise de l’avant ». Soulignons qu’à l’alinéa g), la Directive indique que le Comité doit « expliciter la démarche qui sous-tend la recommandation formulée par le comité », y compris par l’analyse des arguments soulevés par le plaignant, « p. ex. les cotes proposées, les postes repères et la relativité » (Directive, dossier d’appel, onglet 5‑I, p. 287-288).

[15]  Il convient de rappeler que le Comité a été saisi d’un grief déposé par les appelants à la suite de la décision de 2012, qui a maintenu la classification des postes de Halifax au niveau CS‑01. À cet égard, la décision de 2012 est celle que les appelants ont contestée devant le Comité. Comme les appelants ont commencé à prendre des mesures lorsque le poste comparable de Shearwater a été reclassifié du niveau CS‑01 au niveau CS‑02, une des principales affirmations qu’ils ont faites devant le Comité, autant dans leurs observations écrites que dans leurs plaidoiries, c’est que l’omission de reclassifier les postes de Halifax du niveau CS‑01 au niveau CS‑02 irait à l’encontre du principe général selon lequel il faudrait maintenir la relativité interne.

[16]  Dans sa décision de 2016, le Comité a procédé à une analyse approfondie et détaillée de divers facteurs et il a évalué les postes des appelants par rapport à divers postes repères afin de déterminer la cotation numérique. Pour ce qui est de la relativité, le Comité, dans ses motifs, a indiqué qu’il discuterait de cette question dans la section de son analyse portant sur les délibérations du Comité (décision de 2016, p. 4; dossier d’appel, onglet 5‑E, p. 94). Dans la section portant sur les délibérations du Comité, le Comité a fait les observations suivantes au sujet de la relativité :

[traduction] En ce qui concerne les renseignements fournis pour la relativité, le Comité ne voit pas de différence importante entre les fonctions et les responsabilités des postes visés par le grief et celles du poste comparable, 257840, représentant du service à la clientèle en matière de TI [le poste de Shearwater].

(Dossier d’appel, onglet 5‑E, p. 98)

[17]  Le Comité a par la suite conclu que la classification des postes des appelants devrait être maintenue au niveau CS‑01.

[18]  À mon avis, les motifs du Comité, pris dans leur ensemble, ne permettent pas à une cour de révision de comprendre pourquoi le Comité en est arrivé à une telle conclusion. En affirmant qu’il [traduction] « ne voit pas de différence importante entre les fonctions et les responsabilités » des postes de Halifax et celles du poste comparable de Shearwater, le Comité semble accepter l’argument des appelants pour ce qui est de la relativité interne, à savoir que rien ne justifie que les postes de Halifax et celui de Shearwater soient classifiés différemment. Dans sa conclusion, le Comité rejette toutefois le grief des appelants sans autre analyse et il semble donc contredire son affirmation selon laquelle il n’y a pas de différence importante entre les postes.

[19]  Le procureur général du Canada (l’intimé) soutient que le Comité n’est pas tenu de répondre à chacun des arguments présentés par les appelants et qu’il suffit qu’il aborde les principaux points en litige. Pourtant, à la lumière des observations des appelants et du contexte factuel du grief de classification initial, la relativité interne n’était pas un argument accessoire, mais se situait plutôt au cœur de l’argumentation des appelants (présentation au comité de règlement des griefs de classification, dossier d’appel, onglet 5‑D, p. 83).

[20]  La juge de la Cour fédérale a exprimé certaines réserves au sujet du raisonnement du Comité sur la relativité interne et elle a fait remarquer qu’il eût été préférable que le Comité s’étende davantage sur la question (motifs de la juge de la Cour fédérale, par. 31). La juge de la Cour fédérale a ensuite vérifié si la décision de 2012 contenait des justifications sur la relativité interne qui n’étaient pas évidentes dans la décision de 2016. À mon avis, il n’était pas opportun de consulter la décision de 2012 pour essayer de combler les lacunes de la décision de 2016. En effet, bien que la décision de 2012 ait été soumise au Comité et qu’il s’agissait en réalité de la décision ayant fait l’objet du grief, elle n’est pas mentionnée dans la décision de 2016, et rien n’indique qu’elle ait même été examinée. Plus encore, si notre Cour tenait pour acquis que le Comité avait examiné la décision de 2012, comme l’intimé l’exhorte effectivement à le faire, elle ne retrouvait pas dans la décision de 2012 d’éléments lui permettant de concilier la contradiction apparente dans les motifs du Comité. Au contraire, elle la renforce. En fait, l’intimé demande à notre Cour de remplacer, et non de compléter, l’analyse du Comité (Delta Air Lines Inc. c. Lukács, 2018 CSC 2, [2018] A.C.S. no 2 (QL), par. 24 [Lukács]). La décision de 2012 conclut en effet qu’il y a des différences importantes entre les postes de Halifax et celui de Shearwater (dossier d’appel, onglet 5‑B, p. 62-63), tandis que la décision de 2016 conclut le contraire, c’est-à-dire que le Comité ne voyait pas de différence entre les fonctions et les responsabilités des postes de Halifax et celles du poste de Shearwater. Ainsi, les motifs du Comité sur la relativité interne vont dans un sens, et ses conclusions, dans l’autre. La Cour n’est donc pas en mesure de « relier les points » établissant le raisonnement du Comité (Lloyd c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 115, 2016 D.T.C. 5051, par. 24).

[21]  À mon avis, par son analyse limitée de la question de la relativité interne conjuguée à sa conclusion en sens contraire, le Comité démontre qu’il n’a pas réussi à résoudre la question de fond en litige soulevée par les appelants et qui était essentielle au règlement de l’affaire. Malgré une lecture organique de la décision de 2016 du Comité (Newfoundland Nurses, par. 14) et l’invitation de l’intimé à conjecturer, j’estime que, du fait de son défaut d’expliquer sa contradiction au sujet de la relativité interne, le Comité n’a pas respecté la norme de la décision raisonnable, les motifs de sa décision n’ayant pas été rendus d’une façon intelligible, justifiée et transparente (Lukács, par. 27).

[22]  Enfin, même si l’intimé admet que la décision de 2016 du Comité au sujet de la relativité interne aurait pu être plus détaillée et que le Comité aurait pu tirer une conclusion plus explicite sur la relativité interne, il soutient que, quoi qu’il en soit, l’analyse des postes repères doit avoir préséance sur la relativité. Je suis d’accord avec l’intimé que, conformément au cadre de classification et plus particulièrement à la Directive sur la classification (dossier d’appel, onglet 6, p. 312), l’analyse des postes repères devrait l’emporter sur la relativité. Toutefois, je constate en outre que l’analyse de la relativité est qualifiée d’« importante » dans la Directive sur la classification (ibid.). Non seulement le Comité n’était-il pas dispensé de son devoir de répondre au principal argument des appelants – la relativité interne –, mais il devait aussi produire une analyse soupesant, notamment, les cotes proposées, les postes repères et la relativité, comme le prévoit l’alinéa 3.8.1g) de l’annexe B de la Directive sur les griefs de classification (dossier d’appel, onglet 5‑1, p. 288). Il en est ainsi car il serait inutile de conclure que l’analyse des postes repères l’emporte sur une analyse « importante » de la relativité si le Comité n’effectue aucune analyse de relativité.

IV.  Décision

[23]  J’accueillerais donc l’appel, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j’annulerais la décision du Comité et je renverrais l’affaire au Comité pour qu’il rende une nouvelle décision qui cadre avec les présents motifs. J’adjugerais des dépens fixés à 3 000 $ tout compris.

« Richard Boivin »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Donald J. Rennie j.c.a. »

« Je suis d’accord

 J.B. Laskin j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-126-17

 

INTITULÉ :

STEVE MORRISEY, THOMAS KINGSTON, GILLES LACHANCE, ROBERT MILLAIRE AND RANDELL LATTER c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JANVIER 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

DATE :

LE 25 JANVIER 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Steven Welchner

 

POUR LES APPELANTS

 

Me Joel Stelpstra

 

POUR L'INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Welchner Law Office

Ottawa, Ontario

 

POUR LES APPELANTS

 

Me Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉ

 

 

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