Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20180206

Dossier : A-443-16

Référence : 2018 CAF 32

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

BAYER INC. et

BAYER PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT

intimées

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 2 novembre 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 février 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS


Date : 20180206


Dossier : A-443-16

Référence : 2018 CAF 32

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NADON

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

BAYER INC. et

BAYER PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

I.  Introduction

[1]  Le 7 septembre 2016, le juge Fothergill (le juge) a conclu que l’appelante avait contrefait le brevet 2 382 426 (le brevet 426) des intimées : 2016 CF 1013. Le 27 octobre 2016, il a conclu que les intimées avaient le droit de choisir entre des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices réalisés par l’appelante : 2016 CF 1192. L’appelante interjette appel de cette décision portant sur la réparation.

[2]  L’appelante a plaidé devant le juge et plaide maintenant devant nous que, dans les circonstances de la présente affaire et sous réserve du pouvoir discrétionnaire de la Cour, elle peut choisir la réparation à laquelle les intimées ont droit. En l’espèce, l’appelante choisit la restitution des bénéfices.

[3]  À mon avis, l’appelante ne peut faire un tel choix et son appel devrait, par conséquent, être rejeté.

II.  Rappel des faits et historique judiciaire

[4]  L’intimée, Bayer Pharma Aktiengesellschaft, est propriétaire du brevet 426, alors que l’intimée, Bayer Inc., est titulaire d’une licence qui lui permet de vendre, avec l’accord du propriétaire du brevet, des contraceptifs oraux contenant de la drospirénone et de l’éthinylestradiol au Canada sous les marques Yasmin et Yaz.

[5]  L’appelante Apotex Inc. est une société pharmaceutique générique canadienne bien connue qui vend ses versions génériques de comprimés Yasmin et Yaz au Canada sous les marques Zamine et Mya.

[6]  Par suite d’un litige intervenu entre les parties sur le fondement du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), la Cour fédérale a conclu que les intimées ne s’étaient pas acquittées du fardeau qui leur incombait de prouver que les allégations de non‑contrefaçon des comprimés Yaz formulées par l’appelante n’étaient pas fondées. En conséquence de cette décision, l’appelante a reçu, le 8 mai 2014, un avis de conformité (AC) du ministre de la Santé (le ministre) pour ses comprimés Mya, ce qui lui a permis de commercialiser son produit. Le 4 juin 2014, les intimées ont intenté une action en contrefaçon contre l’appelante devant la Cour fédérale.

[7]  Comme le brevet 426 n’était pas inscrit au registre des brevets en ce qui concerne les comprimés Yasmin des intimées, aucun litige fondé sur le Règlement n’est intervenu entre les parties à l’égard de ces comprimés. Le 15 août 2013, l’appelante a reçu un avis de conformité de la part du ministre à l’égard de ses comprimés Zamine et, le 30 août 2013, les intimées ont intenté contre elle une action en contrefaçon devant la Cour fédérale.

[8]  Dans leurs déclarations, les intimées ont demandé, à titre de réparation, le droit de choisir entre des dommages-intérêts ou la restitution des bénéfices réalisés par l’appelante, après analyse et communication préalable raisonnables. Dans sa défense, l’appelante a entre autres contesté le droit des intimées de choisir entre des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices réalisés par elle.

[9]  Après un procès qui s’est étalé sur environ six semaines, en janvier et février 2016, le juge a mis l’affaire en délibéré. Le 7 septembre 2016, il a rendu sa décision et a conclu que les revendications 31, 48 et 49 du brevet 426 étaient valides et qu’elles avaient été contrefaites par l’appelante.

[10]  À la suite de la décision du 7 septembre 2016, et comme le juge le leur avait demandé, les parties ont présenté des observations écrites concernant le droit des intimées de choisir entre des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices réalisés par l’appelante.

[11]  Comme nous le mentionnons, le juge a conclu, le 27 octobre 2016, que le droit de choisir appartenait aux intimées, et non à l’appelante. Il s’agit de la décision visée par le présent appel.

III.  La décision de la Cour fédérale

[12]  La question que le juge devait trancher était de savoir qui, des intimées ou de l’appelante, avait le droit de choisir la réparation qu’il convenait d’accorder aux intimées.

[13]  Le juge a d’abord rejeté la prétention de l’appelante qui affirmait que le paragraphe 57(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (la Loi) l’autorisait à choisir. Selon lui, en raison du paragraphe 55(1) de la Loi, qui accorde au breveté le droit à des dommages-intérêts par suite d’une décision concluant à une contrefaçon, la cour ne pouvait, à sa discrétion, priver les intimées d’un droit conféré par le législateur.

[14]  Par ailleurs, le juge a estimé que la cour avait le pouvoir d’accorder au breveté la réparation en equity que constitue la restitution des bénéfices, ce pouvoir lui étant conféré par les paragraphes 4 et 20 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 et le paragraphe 57(1) de la Loi. Pour tirer cette conclusion, le juge s’est fondé sur l’arrêt de notre Cour Beloit Canada Ltée. c. Valmet-Dominion Inc., [1997] 3 C.F. 497, au paragraphe 97 [Beloit]. Selon lui, il était de pratique courante, dans les affaires comme celle dont il était saisi, de permettre au breveté de choisir, mais cette pratique ne permettait pas de conclure que le breveté dispose du droit de choisir, puisque l’octroi d’une réparation en equity, telle la restitution des bénéfices, relevait du pouvoir discrétionnaire de la cour.

[15]  Le juge a également mentionné que l’appelante tentait en fait de priver les intimées du droit à des dommages-intérêts que leur confère la Loi. Aux paragraphes 10 et 11 de ses motifs, il a formulé les observations suivantes :

[10] Un défendeur n’ayant pas eu gain de cause ne peut invoquer la compétence en equity de la Cour pour se soustraire à une condamnation à des dommages. Cela reviendrait à inverser les principes de l’equity et la souveraineté du Parlement. Tout au plus, un défendeur n’ayant pas eu gain de cause peut s’opposer à l’octroi d’un recours en equity en se fondant sur des considérations reconnues dans la jurisprudence, p. ex., l’absence de [traduction] « mains nettes » du demandeur; le retard injustifié du demandeur pour intenter une procédure; la complexité d’une restitution des bénéfices ou la conduite du contrefacteur (voir la décision Varco Canada Limited c. Pason Systems Corp., 2013 CF 750, aux paragraphes 403 à 410; la décision Philip Morris Products S.A. c. Marlboro Canada Limited, 2015 CF 364, aux paragraphes 22 à 45, conf. par 2016 CAF 55). Indépendamment du respect par Apotex du Règlement sur les AC, les défenderesses ne prétendent pas que ces considérations s’appliquent en l’espèce.

[11] Étant donné que Bayer a droit à des dommages-intérêts, conformément au paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, et qu’il est constant qu’une restitution des bénéfices puisse aussi être un recours pertinent, je ne vois aucune raison de priver Bayer de choisir entre des dommages‑intérêts et les bénéfices.

[16]  Ainsi, le juge a ordonné qu’à l’issue d’une analyse et d’une communication préalable raisonnables, les intimées puissent choisir entre des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices réalisés par l’appelante.

IV.  Dispositions législatives

[17]  Les paragraphes 55(1) et 57(1) de la Loi sont au cœur du présent appel. C’est pourquoi je les reproduis :

Contrefaçon et recours

Liability for patent infringement

55. (1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l’octroi du brevet.

55. (1) A person who infringes a patent is liable to the patentee and to all persons claiming under the patentee for all damage sustained by the patentee or by any such person, after the grant of the patent, by reason of the infringement.

Interdiction

Injunction may issue

57. (1) Dans toute action en contrefaçon de brevet, la Cour, ou l’un de ses juges, peut, sur requête du plaignant ou du défendeur, rendre l’ordonnance qu’il juge à propos de rendre :

57. (1) In any action for infringement of a patent, the court, or any judge thereof, may, on the application of the plaintiff or defendant, make such order as the court or judge sees fit,

a) pour interdire ou défendre à la partie adverse de continuer à exploiter, fabriquer ou vendre l’article qui fait l’objet du brevet, et pour prescrire la peine à subir dans le cas de désobéissance à cette ordonnance;

(a) restraining or enjoining the opposite party from further use, manufacture or sale of the subject-matter of the patent, and for his punishment in the event of disobedience of that order, or

b)) pour les fins et à l’égard de l’inspection ou du règlement de comptes,

(b) for and respecting inspection or account,

et d’une façon générale, quant aux procédures de l’action.

and generally, respecting the proceedings in the action.

V.  Questions en litige

[18]  La seule question dont nous sommes saisis est celle de savoir si le juge a commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 57(1) de la Loi. Plus particulièrement, le paragraphe 57(1) permet-il au défendeur d’opter pour la restitution des bénéfices une fois la contrefaçon établie?

VI.  Analyse

[19]  Avant d’examiner les observations formulées par l’appelante dans le présent appel, quelques mots sur la norme de contrôle applicable s’imposent.

[20]  L’appelante affirme qu’il nous faut déterminer si le juge a correctement interprété le paragraphe 57(1) de la Loi, de sorte qu’une question de droit est soulevée et que la norme applicable est celle de la décision correcte.

[21]  Les intimées ne sont pas d’accord avec l’appelante. Elles disent que, puisque la décision du juge quant à savoir si les intimées peuvent choisir entre la restitution des bénéfices réalisés par l’appelante ou des dommages‑intérêts est une décision discrétionnaire, il s’ensuit qu’elle commande la retenue. Par conséquent, les intimées se fondent sur la décision de notre Cour dans Apotex Inc. c. Merck & Co., 2006 CAF 323, [2007] 3 R.C.F. 588, elle‑même fondée sur l’arrêt de la Cour suprême Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, aux pages 404 et 405, pour affirmer que la norme applicable à la décision en cause est celle de savoir si le juge a accordé suffisamment de poids à l’ensemble des considérations pertinentes.

[22]  Toutefois, les intimées affirment que, si la véritable question en litige est celle de l’interprétation du paragraphe 57(1), alors la norme applicable est celle de la décision correcte.

[23]  En l’espèce, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. La question dont nous sommes saisis est celle du sens à donner au paragraphe 57(1), ce qui est une question de droit. J’aimerais toutefois rappeler aux parties que, dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, la Cour a conclu que la norme applicable aux décisions discrétionnaires rendues par les juges de la Cour fédérale était celle énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. En d’autres termes, la norme applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte, et la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit ainsi qu’aux questions de fait est celle de l’erreur manifeste et dominante.

[24]  J’examine maintenant les observations de l’appelante quant à la raison pour laquelle nous devrions intervenir dans le présent appel.

[25]  L’appelante dit d’une part que le juge a mal interprété le paragraphe 57(1) de la Loi. Elle dit d’autre part qu’à cause de cette erreur d’interprétation du paragraphe 57(1), le juge n’a pas tenu compte des circonstances qui, selon elle, auraient dû l’amener à exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur; c’est-à-dire, qu’il lui permette de choisir la restitution des bénéfices qu’elle a réalisés à titre de réparation appropriée pour les intimées.

[26]  Puisque je conclus que le juge n’a commis aucune erreur au sujet du paragraphe 57(1) de la Loi, je me bornerai à examiner la première observation de l’appelante.

[27]  Les arguments de l’appelante concernant le paragraphe 57(1) de la Loi sont assez simples. S’appuyant sur le libellé de la disposition, elle affirme qu’il est évident que tant le plaignant que le défendeur peut demander à la Cour d’accorder au plaignant la restitution des bénéfices.

[28]  Le paragraphe 55(1) dispose que « [q]uiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l’octroi du brevet ». Le juge a conclu que ce paragraphe empêche implicitement le contrefacteur de faire le choix prévu au paragraphe 57(1). L’appelante dit que cette conclusion ne repose sur aucun fondement. Selon elle, une interprétation adéquate des paragraphes 55(1) et 57(1) mène à la conclusion que le breveté a droit à des dommages-intérêts [traduction] « à moins que l’une ou l’autre des parties au litige s’adresse à la Cour et obtienne le droit de choisir la restitution des bénéfices plutôt que l’octroi de dommages-intérêts » (mémoire des faits et du droit de l’appelante, au paragraphe 31) [caractère gras dans l’original]. À l’appui de ce point de vue, l’appelante affirme que rien dans la Loi n’étaye la prétention que le paragraphe 55(1) a prépondérance sur toute autre disposition de la Loi, ajoutant que, si le législateur avait voulu que le paragraphe 55(1) ait prépondérance, il l’aurait expressément indiqué.

[29]  Ainsi, selon l’appelante, après que le juge a conclu que le brevet 426 avait été contrefait, les deux parties pouvaient demander à la Cour, en vertu du paragraphe 57(1), le droit de choisir la restitution des bénéfices.

[30]  L’appelante reprend ensuite les observations faites par le juge au paragraphe 10 de ses motifs, que je reproduis encore une fois par souci de commodité :

[10] Un défendeur n’ayant pas eu gain de cause ne peut invoquer la compétence en equity de la Cour pour se soustraire à une condamnation à des dommages. Cela reviendrait à inverser les principes de l’equity et la souveraineté du Parlement. Tout au plus, un défendeur n’ayant pas eu gain de cause peut s’opposer à l’octroi d’un recours en equity en se fondant sur des considérations reconnues dans la jurisprudence, p. ex., l’absence de [traduction] « mains nettes » du demandeur; le retard injustifié du demandeur pour intenter une procédure; le retard injustifié du demandeur pour poursuivre la procédure; la complexité d’une restitution des bénéfices ou la conduite du contrefacteur (voir la décision Varco Canada Limited c. Pason Systems Corp., 2013 CF 750, aux paragraphes 403 à 410; la décision Philip Morris Products S.A. v. Marlboro Canada Limited, 2015 FC 364, aux paragraphes 22 à 45, conf. par 2016 FCA 55). Indépendamment du respect par Apotex du Règlement sur les AC, les défenderesses ne prétendent pas que ces considérations s’appliquent en l’espèce.

[31]  L’appelante dit que ce passage est erroné en droit. À son avis, rien n’empêche la Cour d’exercer sa compétence en equity en faveur d’un contrefacteur si les circonstances le justifient. Au paragraphe 42 de son mémoire des faits et du droit, l’appelante s’explique dans les termes suivants :

[traduction]

L’exercice par la Cour de sa compétence générale en equity et de son pouvoir discrétionnaire explicite que lui confère l’article 57 de la Loi sur les brevets favorise, plutôt qu’elle ne le la mine, la souveraineté parlementaire.

[32]  À mon humble avis, les arguments de l’appelante sont sans fondement. Une interprétation juste du paragraphe 57(1) de la Loi m’amène à conclure que l’appelante n’a pas le droit de demander la restitution des bénéfices. Cette conclusion repose sur les motifs suivants.

[33]  Je dirai tout d’abord que, si l’on fait abstraction pour un moment du paragraphe 57(1), la proposition selon laquelle le contrefacteur d’un brevet peut décider de la réparation à laquelle le breveté a droit est une proposition étonnante.

[34]  Si le breveté ne demande pas à choisir entre des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices réalisés par le contrefacteur, la Cour doit, conformément au paragraphe 55(1), déterminer le montant des dommages subis par le breveté et l’indemniser en conséquence. En d’autres termes, la Cour ne peut pas forcer un breveté lésé à choisir entre la restitution des bénéfices et des dommages-intérêts, à moins qu’il ne consente à demander une telle réparation.

[35]  Il est difficile de souscrire à la proposition de l’appelante voulant qu’elle-même, la partie contrefaisante, puisse choisir la réparation que la Cour devrait accorder aux intimées. Pour être juste envers l’appelante, sa proposition n’est pas formulée de la façon dont je l’ai formulée. Elle dit que, en raison du paragraphe 57(1), elle peut elle aussi, à l’instar des intimées, demander à la Cour d’ordonner la restitution des bénéfices à titre de réparation appropriée.

[36]  À mon humble avis, la différence qui existe entre les façons de formuler la proposition qui nous est soumise est sans importance. Ce que l’appelante cherche vraiment, en réalité, c’est d’imposer aux intimées la réparation que constitue la restitution des bénéfices même si elles ne le veulent pas.

[37]  Les intimées soutiennent qu’il ne fait aucun doute que le paragraphe 55(1) accorde au breveté le droit de réclamer des dommages-intérêts par suite de la contrefaçon de son brevet, et que ce droit ne peut être écarté ou faire l’objet d’une renonciation que si le breveté choisit, conformément au paragraphe 57(1), de demander la restitution des bénéfices réalisés par le contrefacteur plutôt que des dommages-intérêts.

[38]  Je ne vois aucune raison de ne pas être d’accord avec les intimées dont la proposition semble reposer sur les dispositions législatives applicables et sur un long courant jurisprudentiel. Soulignons que l’appelante n’a pas été en mesure de citer une seule décision dans laquelle le contrefacteur aurait obtenu le droit de choisir la réparation devant être accordée au breveté lésé.

[39]  Toutefois, et encore là par souci de justice envers l’appelante, je précise que ce n’est pas parce qu’il ne semble exister aucune décision sur un point nouveau, comme celui de l’espèce, que les arguments de l’appelante sont mal fondés. En fin de compte, la réponse à la question repose entièrement sur l’interprétation du paragraphe 57(1) qui, selon l’appelante, confère au demandeur et au défendeur le droit de demander la restitution des bénéfices.

[40]  Pour bien comprendre le sens du paragraphe 57(1), il sera utile d’examiner l’historique législatif de la disposition et son interprétation judiciaire. Comme le démontrera l’analyse qui suit, ce paragraphe trouve son origine dans le droit anglais et il était interprété au départ comme conférant aux tribunaux de common law le pouvoir d’ordonner, à titre interlocutoire, une reddition de compte ainsi que la réparation définitive que constitue la restitution des bénéfices. Cette dernière réparation existait en equity avant la codification, et le breveté pouvait s’en prévaloir sur demande. Après que la restitution des bénéfices a été codifiée, les tribunaux ont permis aux brevetés de choisir leur réparation. Le paragraphe 57(1) ne vise pas à accorder ce choix à la partie contrefaisante.

[41]  Tout d’abord, il importe de mentionner qu’avant 1852, le droit des brevets au Royaume‑Uni relevait à la fois des tribunaux de common law et des tribunaux d’equity. Si la partie lésée pouvait prouver la contrefaçon et demander des dommages-intérêts devant un tribunal de common law, elle devait s’adresser à la Cour de la chancellerie pour obtenir une injonction et la restitution. Pour qu’il ne soit plus nécessaire de s’adresser à deux tribunaux différents, The Patent Law Amendment Act, 1852 (U.K.) 15 & 16 Vict. ch. 83 [British Patent Act de 1852] a été promulguée. L’article 42 est ainsi rédigé :

[traduction]

Dans toute action intentée devant une des cours supérieures d’archives de Sa Majesté à Westminster et à Dublin relativement à la contrefaçon de lettres patentes, la Cour, devant laquelle cette action est en instance, est autorisés, si elle siège ou, un juge de cette Cour si elle ne siège pas, sur requête du demandeur ou du défendeur, respectivement, à rendre une ordonnance d’injonction, d’inspection ou de restitution et à donner les directives relatives à l’action, l’injonction, l’inspection et la restitution et aux procédures y afférentes respectivement, que cette Cour ou ce juge estime appropriées.

[Je souligne].

[42]  À la page 36 de son traité, The New Patent Law : Its History, Objects, and Provisions, 3éd. (London : F. Elsworth, 1853), Thomas Webster décrit l’objet de l’article 42 dans les termes suivants :

[traduction]

Cependant, la disposition la plus importante en matière de protection de biens régis par des lettres patentes est celle (article 42) qui confère aux tribunaux et aux juges de common law le pouvoir d’accorder des injonctions et d’ordonner la restitution, dans les affaires de contrefaçon, tout comme seuls les juges en equity le faisaient auparavant.

[43]  Dans l’arrêt Holland c. Fox (1854), 118 E.R. 1407, 3 El. & Bl. 977, à la page 1410 (U.K. Q.B.) (lord juge en chef Campbell) [Holland], la Cour du Banc de la Reine a dit ce qui suit au sujet de l’article 42 :

[traduction]

Nous pensons que, s’agissant de la disposition législative invoquée, l’intention du législateur était de conférer aux tribunaux de common law, devant lesquels les actions en contrefaçon de brevet peuvent être intentées, le pouvoir jusqu’ici exclusivement exercé par les cours d’equity de rendre une ordonnance d’injonction, d’inspection et de restitution, de sorte que le plaideur puisse échapper aux contrariétés, retards et dépenses auxquels il était auparavant exposé, alors qu’il était obligé de s’adresser à un tribunal d’equity pour obtenir une injonction, avant d’être ensuite renvoyé devant un tribunal de common law pour intenter une action visant à faire établir son droit légal, et finalement revenir devant un tribunal d’equity pour obtenir pleine réparation.

[44]  Le libellé de l’article 42 de la British Patent Act de 1852 a été introduit en droit canadien lors de l’adoption de l’Acte concernant les Brevets d’Invention, 1869 (32 & 33 Vic.), ch. 11, [Acte concernant les Brevets de 1869], dont l’article 24 se lit comme suit :

Il pourra être porté une action pour contrefaçon de brevet devant tout tribunal ayant juridiction jusqu’à concurrence des dommages‑intérêts réclamés et siégeant dans la province où la contrefaçon sera représentée avoir été commise, et se trouvant, des tribunaux qui auront une telle juridiction dans cette province celui dont le siège sera le plus près du lieu de résidence ou d’affaire du défendeur; et ce tribunal prononcera et adjugera les dépens; dans toute action pour contrefaçon de brevet, le tribunal, s’il siège, ou un de ses juges en chambre, si le tribunal n’est pas en session, pourra, sur requête soit du demandeur, soit du défendeur, rendre tel ordre d’injonction, interdisant à la partie adverse l’usage, la manufacture ou la vente de la chose brevetée et portant une peine en cas de transgression du dit ordre, ou rendre tel ordre d’inspection, ou de production de compte, et tel ordre concernant ces choses et les procédures dans la cause, que le tribunal ou le juge croira justes; mais on pourra interjeter appel de cet ordre dans les circonstances et au tribunal où se porteront les appels des jugements et ordres du tribunal qui aura décerné cet ordre [je souligne].

[45]  Bien que cette disposition ait été modifiée à de nombreuses reprises depuis 1869, l’essentiel de sa structure et de son libellé est resté le même. À mon avis, les modifications apportées à la disposition n’ont pas, pour les besoins de la présente affaire, d’incidence sur son sens.

[46]  Dans l’affaire Vidi c. Smith (1854), 118 E.R. 1404, 3 El. & Bl. 969 (U.K.Q.B.) (lord juge en chef Campbell) [Vidi], le défendeur avait vendu des baromètres dont il était allégué qu’ils contrefaisaient le brevet du demandeur. S’appuyant sur l’article 42 de la British Patent Act de 1852, la cour a déclaré qu’elle avait le pouvoir d’ordonner au défendeur de faire rapport de tous les baromètres vendus après un certaine date, jusqu’à nouvel ordre de la cour. À la page 1407, la cour a rendu l’ordonnance suivante :

[traduction]

Que les défendeurs tiennent un compte de tous les baromètres qu’ils vendront en violation du brevet du demandeur, ainsi que des bénéfices tirés de ces ventes, et ce, jusqu’à nouvel ordre de la cour; à la condition que le demandeur accepte de renoncer à toute prétention de recouvrer plus que des dommages-intérêts symboliques lors du procès; et à la condition que, dans le cas où le verdict et le jugement soient favorables aux défendeurs, le demandeur s’engage à rembourser à ceux‑ci les frais engagés pour la tenue de ce compte.

[47]  Le compte rendu de l’instance qui figure dans les English Reports (page 1405) renferme les commentaires suivants :

[traduction]

Pour comprendre les affaires d’equity, il faut prendre soin d’établir une distinction entre deux catégories de compte. La première est composée des comptes que le défendeur doit, en vertu d’une ordonnance, tenir à l’avenir : la tenue de ces comptes est ordonnée sur consentement du défendeur et l’est, en fait, à sa demande, en plus d’être conditionnelle à l’annulation de l’injonction provisoire. L’autre catégorie de compte est composée des comptes dont la reddition doit être faite devant le protonotaire : cette reddition n’est ordonnée que lors du jugement définitif, lorsque l’injonction devient permanente et que la reddition de compte ainsi ordonnée comprend un compte rendu de tous les bénéfices perdus.

[je souligne]

[48]  L’arrêt Vidi a été cité deux fois dans la jurisprudence canadienne. Une première fois dans la décision Hamilton c. Thomson (1875), 16 N.B.R. 237 (C.S.N.‑B.) [Hamilton] et une deuxième dans Huntington c. Lutz et. al. (1863), 13 U.C.C.P. 168. Au paragraphe 1 de la décision Hamilton, la cour a écrit ce qui suit :

[traduction]

La Cour est saisie d’une demande d’injonction fondée sur l’Acte concernant les Brevets d’Invention, 32 & 33 Vic., ch. 11, art. 24, qui a été abrogé, et sur 35 Vic., ch. 26, art. 24, qui l’a remplacé. Cette disposition est tirée de la loi britannique sur les brevets, 15 et 16 Vic. ch. 83; elle vise à permettre aux tribunaux judiciaires de rendre complètement justice aux parties sans les renvoyer devant un tribunal d’equity : Voir Vidi c. Smith, et Holland c. Fox.

[49]  L’ouvrage publié en 1912 par Robert Frost, Treatise on the Law and Practice relating to Letters Patent for Inventions, (London : Stevens et Haynes, 1912), à la page 448, décrit le refus d’accorder une injonction comme suit :

[traduction]

Lorsqu’une injonction provisoire est refusée, parce que la contrefaçon est douteuse, ou pour cause de retard, la procédure habituelle consiste à ordonner au défendeur de rendre compte.

[50]  Les décisions anglaises comptent de nombreux exemples où, en lieu et place d’une ordonnance d’injonction prononcée par le tribunal, le défendeur s’est engagé à rendre compte; voir par exemple Lister c. Norton et. al. (1884), 1 R.P.C. 114 (U.K. Ch.D.), Jackson c. Needle (1884), 1 R.P.C. 174 (U.K. C.A.), et c. (1924), 41 R.P.C. 149 (U.K. C.A.).

[51]  Dans certaines décisions canadiennes, le tribunal a autorisé les défendeurs à fournir une reddition de compte interlocutoire plutôt que de prononcer une injonction; voir Teledyne Industries Inc. c. Lido Industrial Products Ltd. (1977), 17 O.R. (2d) 111, 33 C.P.R. (2d) 270 (C. div. Ont.), conf. par (1978), 19 O.R. (2d) 740, 41 C.P.R. (2d) 60 (C.A. Ont.) et Irwin Specialties Ltd. c. Allied Plastic Pipe Ltd. (1967), 54 C.P.R. 29 (C. de l’Éch.), au paragraphe 11 [Irwin]. Dans l’arrêt Irwin, la Cour de l’Échiquier a précisé que l’article 59, qui correspond à l’article 57 de la loi actuelle, lui conférait le pouvoir d’ordonner une reddition de compte interlocutoire. Dans l’arrêt Cutter Ltd. c. Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. [1980], A.C.F. no 203 (C.A.F.), au paragraphe 7, le principe était énoncé comme suit :

Il est rare que dans une action en contrefaçon de brevet, la Cour de céans décerne une injonction interlocutoire. Dans la plupart des cas, une requête en injonction interlocutoire introduite dans le cours d'une action en contrefaçon de brevet ou en contestation de validité, a pour effet d'amener le défendeur à s'engager à tenir une comptabilité à la satisfaction du demandeur, ce qui entraîne le rejet de la requête avec dépens réserves. C'est ce qui a été observé dans les actions en contre façon de dessin industriel et qui a été la suite donnée à la requête introduite dans l'affaire Lido Industrial Products Ltd. c. Melnor Manufacturing Ltd. et al.  À mon avis, cet usage tient surtout à ce que dans la plupart des cas, la nature de la propriété industrielle en cause est telle que des dommages-intérêts (à condition que ceux-ci soient évalués de manière raisonnablement exacte) constituent une réparation adéquate de la violation de cette propriété, qui pourrait se produire pendant le procès. Il s'explique par le fait que si l'on considère la balance des inconvénients, et si le défendeur s'engage à tenir une comptabilité et qu'il n'y ait aucune raison de penser qu'il ne sera pas en mesure de payer les dommages-intérêts alloués, l'on doit pencher pour le rejet de la requête en injonction. Il ne faut jamais oublier que l'interdiction faite au défendeur, durant une période susceptible de se prolonger pendant des années, de faire ce que, n'eût été l'injonction, il aurait le droit de faire s'il avait gain de cause, pourrait avoir pour lui des effets tout aussi graves que le préjudice causé au breveté. Par suite de la contrefaçon, si le défendeur devait succomber.

[je souligne]

[52]  Je passe maintenant à l’arrêt Beloit de notre Cour, où l’une des questions dont nous étions saisis était de savoir si Beloit, le breveté, avait le droit, après que l’on eut conclu à la contrefaçon, de choisir à titre de réparation la restitution des bénéfices réalisés par Valmet, le contrefacteur.

[53]  Aux paragraphes 65 et 67 de ses motifs dans l’arrêt Beloit, la Cour a reproduit les paragraphes 55(1) et 57(1), indiquant au paragraphe 71 qu’« [a]u Canada, la cause d’action de la contrefaçon d’un brevet procède exclusivement de la Loi sur les brevets ».

[54]  À partir du paragraphe 86 de ses motifs, la Cour a analysé la réparation que constitue la restitution des bénéfices. Premièrement, elle a indiqué que Valmet avait soutenu que la seule réparation possible pour le breveté, une fois la contrefaçon établie, était celle des dommages‑intérêts prévue au paragraphe 55(1) de la Loi, et que la Cour n’avait pas compétence pour accorder la restitution des bénéfices. De l’avis de Valmet, les réparations possibles en vertu du paragraphe 57(1) ne pouvaient être accordées que dans les instances interlocutoires. Autrement dit, les réparations accordées à l’issue d’une instance finale ne relevaient pas du paragraphe 57(1).

[55]  Au paragraphe 97 de ses motifs dans l’arrêt Beloit, la Cour a statué que la Cour fédérale « a et a toujours eu compétence pour accorder la restitution des bénéfices et que cette compétence découle de l’alinéa 57(1)b) de la Loi ainsi que des articles 3 et 20 de la Loi sur la Cour fédérale ». La Cour a ensuite expliqué sa conclusion.

[56]  Au paragraphe 100 de ses motifs, la Cour a expliqué les origines de la réparation consistant en la restitution des bénéfices :

Dans le cadre de l’equity, la restitution était accordée à l’encontre de la personne qui avait violé un brevet […] au motif que celle-ci avait agi à titre de mandataire du titulaire du droit auquel il avait été porté atteinte et qu’elle était donc tenue de rendre compte des bénéfices réalisés par suite de cette atteinte. En conséquence, on considérait que le titulaire de brevet qui demandait une restitution des bénéfices avait admis l’atteinte et ne pouvait réclamer des dommages-intérêts en sus de la restitution. La Chambre des lords a ensuite décidé que dans une action en contrefaçon de brevet, le demandeur qui a gain de cause a le droit de choisir entre des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices. Depuis 1858, la restitution continue donc d’exister à titre de réparation d’equity dans les affaires de contrefaçon de brevet relevant de la compétence des tribunaux investis du pouvoir de statuer en droit et en equity.

[57]  Au paragraphe 103 de ses motifs, la Cour a conclu qu’en donnant force à l’article 24 de l’Acte des brevets de 1869, le législateur avait l’intention d’adopter le droit anglais en matière de restitution dans les affaires de contrefaçon de brevet.

[58]  Ensuite, après avoir déclaré au paragraphe 105 que « le droit d’obtenir un brevet participe toujours de la nature de la prérogative même s’il a été incorporé dans une loi », la Cour a conclu que la restitution était expressément prévue à l’alinéa 57(1)b) de la Loi et que, s’agissant d’une réparation d’equity, la Cour avait le pouvoir de l’accorder en vertu de l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales qui lui conférait le pouvoir d’accorder des réparations d’equity. Par conséquent, la Cour a conclu, au paragraphe 107 de ses motifs, qu’elle avait « compétence pour accorder cette réparation aux brevetés qui ont gain de cause dans les affaires de contrefaçon, si cela est opportun ».

[59]  La Cour s’est ensuite employée à déterminer si la réparation que constitue la restitution des bénéfices était discrétionnaire et si, dans les circonstances de l’affaire, le juge de première instance avait correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant d’accorder la réparation à Beloit.

[60]  Après avoir dit au paragraphe 109 de ses motifs que Beloit ne contestait pas le pouvoir discrétionnaire de la Cour de refuser ou d’accorder la réparation par restitution des bénéfices, la Cour a insisté sur le fait que, selon sa jurisprudence, la décision relative à la réparation à accorder, c’est-à-dire des dommages-intérêts ou la restitution des bénéfices, n’est pas une décision qui pouvait être laissée entièrement à la discrétion du breveté. Au paragraphe 111 de ses motifs, la Cour s’est exprimé dans les termes suivants :

Les appelantes se fondent sur la jurisprudence anglaise pour établir que le demandeur qui a gain de cause dispose du droit prima facie de choisir la restitution des bénéfices. Toutefois, sans nous prononcer sur l’autorité de cette jurisprudence, nous soulignons que la jurisprudence de la présente Cour, par laquelle nous sommes liés, porte que « le choix entre les deux redressements [dommages-intérêts ou restitution des bénéfices] ne peut être laissé entièrement à la discrétion de la partie demanderesse qui a gain de cause ». Dans l’arrêt Unilever PLC c. Proctor & Gamble Inc., la présente Cour a statué que la décision d’accorder la restitution des bénéfices dans les affaires de brevet relève du pouvoir discrétionnaire du juge ou du protonotaire. Cet arrêt confirmait l’arrêt antérieur de la présente Cour Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd., où le juge Mahoney, J.C.A., a dit que « la comptabilisation des bénéfices est un redressement de nature nettement discrétionnaire ». La jurisprudence de la présente Cour a relevé certaines circonstances dans lesquelles la restitution des bénéfices peut raisonnablement être refusée, telles que le retard excessif et toute mauvaise conduite de la part du breveté. En l’espèce, le juge de première instance a choisi de ne pas accorder de restitution des bénéfices parce que l’instance durait depuis longtemps, que ce recours pouvait entraîner d’autres retards et frais, et que les parties censées avoir commis la contrefaçon avaient agi de bonne foi lorsqu’elles avaient conclu les contrats en cause alors que la Section de première instance de la présente Cour avait déclaré le brevet en cause invalide.

[61]  À la lumière des faits dont elle était saisie dans Beloit, la Cour, après avoir examiné les facteurs que le juge avait examinés en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder la restitution des bénéfices, a conclu que le juge n’avait commis aucune erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et que, par conséquent, Beloit ne pouvait réclamer que des dommages-intérêts.

[62]  Que devons-nous retenir de l’historique législatif et des décisions susmentionnées, en particulier l’arrêt Beloit?

[63]  À mon avis, nous devons premièrement retenir que la réparation que constitue la restitution des bénéfices était connue en equity avant l’adoption de la British Patent Act de 1852 et qu’elle était accessible au breveté dont le brevet avait été contrefait.

[64]  Deuxièmement, l’article 42 de la British Patent Act de 1852 prévoyait cette réparation. L’objet de cette disposition était seulement d’accorder aux tribunaux de common law le pouvoir de rendre certaines ordonnances autrefois réservées aux tribunaux d’equity. Avant 1852 et par la suite, aucune source ne permettait d’affirmer que le contrefacteur d’un brevet pouvait également bénéficier de la réparation par restitution des bénéfices une fois la contrefaçon établie. La Loi n’a pas changé les choses à cet égard.

[65]  Troisièmement, le législateur a adopté l’Acte des brevets de 1869 qui, par son article 24, a adopté le droit anglais tel qu’il figure à l’article 42 de la British Patent Act de 1852.

[66]  Quatrièmement, l’arrêt Vidi appuie la proposition selon laquelle il existe deux types de reddition de compte, c’est-à-dire la reddition de compte interlocutoire et la réparation définitive que constitue la restitution des bénéfices. Un défendeur, tel que l’appelante, peut demander à fournir une reddition de compte interlocutoire pour échapper à une injonction interlocutoire. L’engagement du défendeur à rendre compte en lieu et place d’une injonction est connu en droit depuis l’introduction de la notion de reddition de compte dans les lois anglaises. On se rappellera que, dans l’arrêt Beloit, Valmet soutenait que le paragraphe 57(1) se limitait aux redditions de compte interlocutoires. En rejetant cet argument et en concluant que ce paragraphe ne pouvait être aussi limité, notre Cour n’a pas conclu et ne pouvait conclure qu’il n’envisageait pas la reddition de compte interlocutoire. Au contraire, à mon humble avis, il ressort clairement du libellé du paragraphe 57(1) que les questions interlocutoires relèvent de son champ d’application.

[67]  Cinquièmement, il ressort clairement de l’arrêt Beloit que le choix de la restitution finale des bénéfices, une fois la contrefaçon établie, appartient nécessairement au breveté, sous réserve du pouvoir discrétionnaire de la Cour. En d’autres termes, la Cour peut refuser d’accorder la réparation par restitution, auquel cas le breveté a droit à des dommages‑intérêts. Il est également clair que la Cour ne saurait obliger le breveté à accepter à une restitution des bénéfices s’il n’est pas disposé à le faire.

[68]  Par conséquent, je suis d’accord avec le juge lorsqu’il dit, au paragraphe 10 de ses motifs, que s’il est retenu, l’argument de l’appelante viendrait « dénaturer les principes de l’equity et de la souveraineté parlementaire ».

[69]  Il s’ensuit nécessairement que je conviens également avec le juge qu’en raison du paragraphe 55(1), le breveté a droit à des dommages-intérêts. À mon avis, cette conclusion ne dépend pas de la question de savoir si le paragraphe 55(1) a prépondérance sur le paragraphe 57(1). En fait, le paragraphe 55(1) confère de toute évidence au breveté le droit à des dommages‑intérêts, lequel ne peut être écarté par le contrefacteur ou par la Cour.

[70]  Dans l’arrêt Beloit, il semble que la Cour n’ait pas envisagé l’idée que, par suite d’une décision concluant à la contrefaçon, le contrefacteur puisse se prévaloir de la restitution des bénéfices. Le fait que la question soulevée par l’appelante en l’espèce n’a pas été soulevée par Valmet dans l’arrêt Beloit est, en fin de compte, dénué de pertinence. Il est évident à la lecture des motifs de la Cour que le droit à des dommages-intérêts appartient au breveté. La Cour a reconnu que, sous réserve de son pouvoir discrétionnaire, le breveté avait le droit de choisir et que, lorsque la Cour refuse la réparation que constitue la restitution, comme elle l’a fait dans Beloit, le breveté avait droit à des dommages-intérêts. La thèse avancée par l’appelante au sujet du paragraphe 57(1) ne peut être conciliée avec les motifs de l’arrêt Beloit. Les deux positions sont diamétralement opposées.

[71]  Par conséquent, le juge a eu raison de dire que, à la lumière de la Loi et de la jurisprudence, le breveté a toujours droit à des dommages-intérêts à moins qu’il y renonce par choix.

[72]  À mon avis, le mot « défendeur » au paragraphe 57 (1) de la Loi ne confère pas à la Cour le pouvoir d’accorder un choix au défendeur par suite d’une conclusion de contrefaçon. Une telle réparation est inconnue en equity et j’estime, par conséquent, qu’il ne s’agit pas d’une réparation envisagée au paragraphe 57(1). Toutefois, comme je l’ai indiqué plus tôt, le défendeur qui est visé par une demande d’injonction interlocutoire peut s’adresser à la Cour pour que la demande soit rejetée sur engagement de sa part à rendre compte.

[73]  Avant de conclure, quelques remarques supplémentaires sont nécessaires.

[74]  Premièrement, dans leurs observations écrites et orales, les intimées nous ont invités à rejeter l’appel, entre autres parce que l’appelante n’a pas plaidé qu’elle avait un droit de choisir. Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis arrivé, il n’est pas nécessaire que j’examine cet argument.

[75]  Deuxièmement, en cherchant à expliquer le sens du mot « défendeur » au paragraphe 57(1), les intimées ont soutenu essentiellement que le sens de ce mot, qui se trouve dans plusieurs dispositions de la Loi, dépendait du contexte dans lequel il était utilisé et que, par conséquent, un « défendeur » n’est pas toujours un contrefacteur. Plus particulièrement, elles ont affirmé qu’au paragraphe 57(1), le « défendeur » s’entend du breveté. Comme il ressort clairement de l’analyse ci-dessus, le terme « défendeur » au paragraphe 57(1) ne s’entend pas du breveté.

VII.  Conclusion

[76]  Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

« M. Nadon »

j.c.a

« Je suis d’accord

David Stratas j.c.a. »

« Je suis d’accord

J. Woods j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

A-443-16

 

INTITULÉ :

APOTEX INC. c. BAYER INC. AND BAYER PHARMA AKTIENGESELLSCHAFT

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 NOVEMBRE 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS

DATE DES MOTIFS :

LE 6 FÉVRIER 2018

 

COMPARUTIONS :

Andrew Brodkin

Daniel Cappe

 

POUR L’APPELANTE

 

Jason Markwell

Stephanie Anderson

 

POUR LES INTIMÉES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOODMANS LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

BELMORE NEIDRAUER LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES INTIMÉES

 

 

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